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Le vent d'Ostende à Peshawar
Le vent d'Ostende à Peshawar
Le vent d'Ostende à Peshawar
Livre électronique353 pages5 heures

Le vent d'Ostende à Peshawar

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À propos de ce livre électronique

C'est l'histoire d'une époque... C'est l'histoire de potes et de filles... C'est l'histoire de voyages de fous... C'est l'histoire d'un amour... C'est une histoire d'amour et de mort.. C'est l'histoire de la mort d'un amour, de la mort d'une époque... C'est l'histoire d'illusions perdues... C'est mon histoire...
LangueFrançais
Date de sortie8 janv. 2014
ISBN9782312024066
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    Aperçu du livre

    Le vent d'Ostende à Peshawar - Gilbert Roussel

    cover.jpg

    Le vent d’Ostende à Peshawar

    Gilbert Roussel

    Le vent d’Ostende à Peshawar

    LES ÉDITIONS DU NET

    22 rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02406-6

    Du même auteur

    Série « Grands reportages »

    Viet Nam – 1993 – Créations du Pélican

    Ceylan – 1993 - Créations du Pélican

    Louisiane – 1995 - Créations du Pélican

    Indonésie – 1995 - Créations du Pélican

    Afrique du Sud – 1996 - Créations du Pélican

    Namibie – 1997 - Créations du Pélican

    Mexique – 1997 - Créations du Pélican

    Reportages historiques

    Trésors Cathares – 1992 - Créations du Pélican

    Sentiers Cathares – 1995 - Créations du Pélican

    Beaux Livres

    Indochine Oubliée – 1994 - Créations du Pélican

    Les Plantations du Vieux Sud – 1996 – Nakipa édition

    Les plantations du Vieux Sud – 1998 – Houma Books – USA

    Collection « Un certain Regard »

    Indonésie – 1996 – Connivence

    Mexique – 1996 – Connivence

    Viêt-Nam – 1996 – Connivence

    En préparation

    Mai au balcon

    Quand j’étais star

    À mon fils…

    Notre génération a été le dernier avatar de la guerre, la dernière traite qu’il a fallu payer. Notre génération n’a pas eu d’enfance comme les autres. Nous avons grandi parmi les ruines des maisons et les ruines des couples, avides de reconstruire au petit bonheur… Une génération qui a tout fait péter et changer la face du monde… Il m’a semblé opportun de prendre mon cas pour expliquer ce que l’on était… Ce que l’on est devenu et ce que nous avons traversé……

    Quatre voyages, il aura fallu quatre voyages pour passer de notre enfance de banlieue à la vie d’homme.

    Le premier n’était que le déplacement de quatre mômes insouciants jusqu’aux portes de l’Asie. Nous n’avons fait que transporter notre univers dans un autre monde que nous n’avons pas vu tant nous étions étonnés d’être arrivés si loin. La découverte de notre innocence. Ce premier voyage a pourtant fait éclater notre groupe « d’inséparables ».

    Le second et le troisième étaient beaucoup plus proches des gens. S’il n’a pas été le révélateur d’une vocation, il a été celui de la prise de conscience avec une réalité parfois assez violente.

    Le quatrième fut la découverte de l’enfer et la perte de l’innocence. Toute la misère du monde qui vient mourir sur une plage de Goa à la recherche d’une société utopique.

    Le style de ces trois parties est différent même si l’on retrouve l’auteur dans chacun d’eux.

    Outre le récit de ces voyages et leurs péripéties, ce livre nous emmène vers le mode de vie et de pensée de la fin des années soixante, ce que voulaient, ce que craignaient les enfants du « baby-boom ». La génération qui a changé le monde…

    PESHAWAR – 1970

    – I can help you sir ?…

    Il me regarde, il est tout de traviole, ou bien c’est moi qui penche, je ne sais pas, je ne sais même pas où je suis. Dans un couloir, dans un hôtel, assis par terre, trempé comme une soupe, sonné comme un carillon…

    Il me regarde toujours. Il vient vers moi. J’ai envie de l’envoyer se faire foutre, qu’il me foute la paix, qu’il me laisse avec ma blessure, je saigne à l’intérieur, on m’arrache des organes, on me broie le ventre, j’ai sûrement chopé une saloperie ; dans ces pays de merde, on ramasse tout ce qui traîne.

    Je voudrais lever ma main pour qu’il reste où il est, mais je ne peux pas, je ne peux plus rien bouger, pas un bras pas une main pas un doigt. J’ai la tête lourde, le menton qui tombe sur ma poitrine. C’est mouillé, et ça pue terrible, c’est du dégueulis, je me suis gerbé dessus, j’ai encore le goût amer dans la bouche. Je m’en fous, j’en n’ai vraiment plus rien à foutre de rien…

    Il est près de moi avec un uniforme d’opérette et un turban sur la tête. Il est tout noir, enfin, très foncé. Il a des yeux noirs mais celui-là, il ne semble pas me vouloir de mal… Il se penche, veut me soulever, mais n’y arrive pas. Il a peur de se foutre de la gerbe sur son uniforme de fakir.

    – Stay here sir, I come back…

    Tu parles si je reste là, où il voudrait que j’aille ? Je suis bien assis dans ce couloir d’hôtel. Les fesses au chaud, parce qu’en plus je crois bien que je me suis pissé dessus… C’est ça, je voulais sortir pour aller pisser, pourquoi, je ne sais plus puisque j’ai des chiottes dans ma chambre, une idée, une lubie. Je ne voulais peut-être pas sortir pour ça, peut-être que je voulais aller chercher une bouteille, oui, c’est ça, je suis sorti puisque je dégouline de flotte et que dehors j’entends la pluie. Ah moins que… Je ne sais plus rien. J’ai la tête qui tourne, encore envie de gerber mais j’ai déjà tout largué. J’ai mal dedans, putain que j’ai mal. Je dois avoir un cancer qui m’a tout bouffé, le foie, la rate, les rognons, le bide et puis je pleure. Je n’arrête pas de pleurer. C’est pas le mal qui me bouffe, non, c’est un chagrin terrible, immense, une fontaine, un torrent de larmes… je ne me tiens plus, je sombre, je veux aller au fond du trou, dormir avec les morts, me tuer de peine et de misère…

    Ils sont deux maintenant, plus une femme de ménage qui vient me passer le plumeau. Entre deux sanglots, je me marre… Ils s’approchent et me prennent chacun sous un bras… Mes jambes ne me portent plus, je vois le tapis du couloir qui est moche et crade. Il y a des taches de gerbe. C’est moi ? Sans doute ! Ou alors c’est la spécialité de l’hôtel. Ils ouvrent une porte… c’est ma chambre, je me souviens. Il règne un bordel indescriptible. La femme au plumeau ouvre les fenêtres. Les deux fakirs me posent sur un fauteuil et commencent à considérer le champ de bataille. J’ai envie de leur parler, de leur dire de me laisser crever ici, que tout va bien, ce n’est qu’une question de patience. J’entends au loin madame plumeau qui fait couler des robinets dans la salle de bain, qui tire la chasse d’eau des chiottes, qui s’affaire dans tous les coins. Du renfort arrive, deux autres noiraudes, une grosse moche et une petite laide. Elles font un boucan du diable, ramassent les bouteilles qui traînent un peu partout, enlèvent les draps du lit, ouvrent les fenêtres, pulvérisent de la bombe qui sent bon, ramassent mes fringues et les bourrent dans un sac. Elles rangent mes papiers, une me fait signe qu’elle met mon sac à pognon dans le tiroir de la table de nuit, mais je m’en fous, elles peuvent tout prendre, les dollars, les roupies, les tickets de bus… Là où je vais je n’ai plus besoin de rien… Je veux juste que toute cette armada, qui envahit ma chambre, se barre. Le pire arrive, un réacteur d’avion, un bruit comme on n’a pas idée, une usine qui me pète dans la tête. C’est l’aspirateur de la petite laide. Elle passe partout, aspire et aspire. Si ça continue elle va avaler le carrelage. Enfin, elle s’arrête. Je suis fatigué, j’ai envie de leur crier à tous qu’ils me font chier au-delà des limites. Ça doit se lire dans mon regard. Les femmes s’en vont.

    Les deux fakirs restent là. Ils me soulèvent, me retirent mon T-shirt et mon froc, l’air dégoûté. Ils semblent gênés. C’est peut-être de me voir à poil. C’est vrai que je ne bande pas lourd, ça fait une éternité que je n’ai plus bandé… Ils doivent penser que les européens ont tous une petite bite… Je m’en tape, j’ai sommeil, j’ai mal au crâne et puis j’ai toujours cette boule au creux de l’estomac qui coince tout, qui m’empêche de respirer. Ils me collent dans la baignoire, et m’aspergent de flotte… même là, je n’ai plus aucune réaction. L’eau me pique la peau, je sens qu’on me soulève et puis j’ouvre les yeux et je suis dans mon lit, étendu, à poil sur le drap. Les deux fakirs sortent… Je suis trempé, trempé de larmes à l’intérieur comme à l’extérieur, épuisé de toute la peine du monde, alors je m’endors dans un chagrin sans fin……

    Ouverture

    Totalement gazé. Je ne réalise pas encore tout ce qui vient de se passer. La semaine dernière encore, ça allait bien, enfin, pas si mal… Le temps qui passe. Inexorable, la vie qui fout le camp un peu plus tous les jours… Je n’ai que ces pauvres lieux communs qui me viennent à l’esprit. En fait, je ne sais même pas si je les formule sur le moment. Tout ce que je vois, c’est qu’il faut reprendre la route, la refaire dans l’autre sens, mais ça ne remontera pas le temps. L’énorme machine ne s’arrête jamais, alors je vais continuer moi aussi…… J’ai des bornes et des bornes pour me repasser le film à l’envers, pour disséquer tout ça entre deux poussées de chagrin. *

    En fait ce n’est pas Goa que je quitte, c’est Panjim. Goa est un état et seul « Old Goa » était jadis une ville qui, dit-on, était la petite Lisbonne. Pendant tout mon séjour, et tout ce récit, j’ai cru que Panjim était Goa. Il faut dire qu’il n’y a pas trop de pancartes et qu’il était courant à l’époque de définir sous l’appellation de « Goa » tous ces sites concentrés autour des plages. Il m’aura fallu attendre 2008, soit presque 40 ans plus tard, pour découvrir que mon Goa s’appelait en réalité Panjim.

    En ce début juillet, il déluge sur Goa* ce qui n’empêche pas les vaches, les cochons, les chiens, les charrettes, les moutons, les gosses, les vieux, d’être sur la route. Tout un cirque ambulant, terne et dégoulinant de pluie. Tout un monde de misère qui se retrouve sur le maigre bitume déjà défoncé par la mousson. Le Toyote quitte la ville et s’engage sur la route. Voilà, c’est joué, on peut tirer le rideau, je laisse tout derrière moi et je jure de ne plus jamais refoutre les pieds dans ce pays pourlingue !

    Quatre vaches maigres traversent la route sans trop se presser. Ici, on ne va pas leur botter le cul, on attend le bon vouloir des bovidés. Au début, ça choque un peu, d’autant que dans le pays voisin, on aurait plutôt tendance à les faire dégager à coups de flingues. Là, non, la vache fait partie du grand samsara. Ce manège infernal de la vie, ce mouvement perpétuel. En tuant une vache, on aurait la sensation de tuer sa grand-mère… C’est ça le samsara des bouddhistes, un carrousel. La vie ne s’éteint jamais et se transmet d’une enveloppe à une autre. Dès que l’homme disparait, son âme, son esprit, ou je ne sais quoi, va se déposer dans un autre support. Une vache par exemple, c’est pour ça qu’on ne les tue pas, que presque tout le monde est végétarien de peur d’être cannibale… Curieusement le « machin » ne va jamais sur les moutons, les poulets ou les cochons, on ne sait pas pourquoi, même dans la mort, il y a une discrimination. Allez savoir quand les emmerdes ont commencé ? J’étais hanneton, fleur, papillon, graine de bégonia, enfin un de ces machins habités par un embryon de vie et qui finit par se faire bouffer par un machin plus élaboré… Le tourniquet de la vie éternelle. Il n’y a pas d’enfer, pas de paradis, on ne vient pas de la poussière, mais de la merde ou de la charogne. Ce qui est pareil à peu de chose près. Un quelconque casse sa pipe, se fait becter par des asticots, se transforme en engrais et ça devient un radis. Une partie se transforme en merde et retour à la case départ, une autre fait son chemin dans le corps, circule à droite, à gauche, se fait malaxer, broyer, triturer, tonitruer pour arriver dans l’antichambre d’une autre vie avec des millions de spermatozoïdes. Au sprint, si vous êtes le gagnant, - et vous l’êtes puisque vous me lisez – les emmerdes ne vont pas tarder à commencer !…

    On pourrait s’en faire des volumes sur le sujet. L’acte d’amour de la création qui purifie tout, la transformation chimique qui lave, comme l’eau dégueulasse dans une station d’épuration… Tu parles, moins d’un enfant sur deux est conçu dans un acte d’amour. C’est dire qu’il y a plus de mal que de bien, plus de « qui puent » que des « qui sentent bon » !…… Dieu, c’est mes couilles, pas plus et pas moins !… Tout le reste, toutes les religions ne sont que des savonnettes pour oublier nos origines qui renardent velues. La vie éternelle, les milles vierges et les fleuves de lait, l’âme qui s’élève, les anges dans le ciel avec des ailes blanches qui volètent de ci de là, des mouches à merde oui ! Voilà la réalité, la vérité vraie ! Celle qui s’apprend dès que s’ouvrent les portes du savoir et de la logique !…… La connaissance, quel manque d’espoir, quelle misère !

    De la période d’avant, celle où j’étais papillon ou radis, aucun souvenir, même de l’antichambre de la vie… Pas l’ombre d’un tracas. Aucune notion de gagné ou de perdu, pas de compétition, juste la vie pour la vie, le bonheur d’être rien ! Et puis le hasard fait que l’on arrive dans tel ou tel corps qui va se mélanger avec un autre corps rencontré de manière tout à fait empirique et improbable. Ah, l’atavisme, quelle loterie !

    Elle venait de l’est de la France, de ces pays où il ne fait jamais jour. Avant elle, ses grands-parents étaient venus de Pologne pour travailler dans les mines. Ils avaient vécu entre galeries et terrils, cheminées fumantes et ciel bas. Les pieds dans la boue, les mains dans le charbon et dans la tête pas beaucoup de rêve. Un monde à la Zola.

    Lui, venait du sud. Du plein soleil. Il avait vécu entre les amandiers et les figuiers, les clairs ruisseaux et les vieilles souches. Il avait l’accent que l’on disait « de Marseille ». Il était de l’Ardèche. Un monde à la Pagnol.

    Elle avait 9 ans lorsque son père est mort. Plombier-zingueur, il est tombé d’un toit à 29 ans. Dans ce coin de la France, et à cette époque on mourait jeune… On est toujours chez Zola. Sa mère qui avait gardé de la Pologne son côté festif et un certain talent pour lever le coude avait déplacé sa misère sur Paris. Comme ce n’était pas les études qui primaient, on avait mis la gamine au boulot. Dans son monde, on travaillait tôt.

    Lui était étudiant à Paris pour devenir ingénieur aéronautique. Un titre qui en jetait un max. Il aimait la vie, les blagues et la déconne. Dans son monde, rien n’était vraiment très sérieux.

    Ces deux-là n’auraient jamais dû se rencontrer, mais voilà, ils aimaient tous les deux la danse, le guinche du samedi soir et du dimanche, la ritournelle sous les lampions du bord de Marne. C’est fou ce que cette activité peut faire comme victimes chaque année. Pire que les accidents de la route… C’est sans doute pour ça que je n’ai jamais aimé les bals populaires, ni les autres d’ailleurs !

    Elle avait 18 ans, il en avait 19… A cet âge-là, on n’est pas à l’abri des conneries… Comme disait ma grand-mère : « tu m’plais, j’te plais, on s’plume ! » Elle avait de la répartie la bougresse. Il faut savoir qu’elle avait fait ses classes dans tous les bistrots de Nancy à Saint Ouen. C’est dire la somme de connaissances bistrotières qu’elle avait emmagasiné ! Une véritable encyclopédie ! Mais cette part d’héritage, ma foi, ne me déplait pas trop.

    En 1940, ils se mariaient. On aurait pu trouver mieux comme date, mais, dans ces temps incertains, il y avait urgence. En 1941, ma sœur naissait. Joie et bonheur. Mon père, qui pensait sans doute en faire une fusée, lui avait trouvé un nom d’avion : « Anne Mary ». Avion qui est resté au stade de prototype semble-t-il. Pour éviter les aléas de la guerre, toute la famille avait émigré vers le sud, le pays de cocagne disait-on au nord.

    En 1943, les Allemands mettaient le grappin sur mon père. Séjour en Allemagne tous frais payés. Ce n’était pas « Nuit et brouillard » mais ce n’était pas le Club Med non plus. A 23 ans, on se fait à tout, on pense plus à vivre qu’à la grandeur du pays, on aménage son malheur !…

    Fin 1945, il était de retour, avec un peu de retard. Le temps de régler quelques comptes, de donner un coup de main par-ci par-là aux nouvelles troupes, et surtout de dire adieux à ses copines. A 25 ans, français en Allemagne au milieu de toutes ces blondes teutonnes qui ont le même âge et plus de jules, il est difficile de se la mettre sur l’oreille pour la fumer tout à l’heure ! Il y eut donc quelques Greta, Ulla et autre Hildegarde…

    A cette époque, j’étais graine de topinambour ou morceau de rutabaga, voir parcelle du poulet du dimanche. Il a fallu que je me batte pour passer spermatozoïde et ne pas finir dans les chiottes. Sinon j’étais bon pour un autre tour…

    Ils se sont retrouvés dans une France d’après-guerre avec tout ce que ça comporte. Elle l’avait rêvé mais il ne collait pas avec l’embellie. Elle l’avait pourtant attendu en bossant, avec une gamine sur les bras. Pas commode ! On est toujours chez Zola ! Lui était en face d’une femme qu’il ne connaissait plus. Il avait découvert la vie, le plaisir de culbuter des blondes sans faire des projets d’avenir, un autre monde. Sa gamine, il n’avait pas eu le temps de la connaître.

    Ils se doutaient peut être que l’on ne rattrape jamais sa jeunesse, alors ils ont fait l’enfant des retrouvailles, celui qui doit annoncer les lendemains qui chantent. Il a fallu que je me batte encore pour être l’heureux élu. J’y étais, voilà, piégé ! Bien sûr, on peut dire comme consolation à tous les loosers qui sont sur pattes, qu’ils ont au moins gagné une bataille dans leur vie. Un truc genre Léonidas aux Thermophiles. Personnellement, ça ne m’a jamais consolé !!!!

    Tout petit déjà, je venais de remporter un tas de batailles et j’héritais d’une sacrée mission. Sonner trompette, l’enfant des retrouvailles est en route. Il vient semer la paix, réunir les familles, inonder le couple de miel et de fleurs parfumées… Alléluia… Personne ne m’avait informé de la situation, sinon, je serai resté planqué, peinard au chaud en attendant que ça passe…

    C’était un dimanche matin, assez beau, en 1946, un 13 octobre. Ma mère avait 25 ans, mon père 26. Enceinte jusqu’aux yeux, elle avait voulu aller faire un tour aux puces de Saint Ouen. Vers treize heures, les premières douleurs se sont fait ressentir. Il n’y avait que la rue à traverser pour se retrouver à la clinique des Rosiers…… Un gros bâtiment tout gris, aussi triste que son nom était gai.

    20h45, clinique des Rosiers, Madame, c’est un garçon !!! Joie de tout le monde et personne ne me demande mon avis, alors que je suis le premier concerné. C’est sans doute à cet instant, dans mon inconscient, que je me suis dit : « petit, prends ton destin en main sinon, t’es cuit ! ». La formulation n’était peut-être pas si précise, mais ça commençait à se faire jour…

    Ma mère voulait m’appeler « Rémy ». Un de ses oncles qu’elle aimait bien avait été tué par les Allemands un soir ou le mot de passe était « Rémy ». J’ai été bercé par cette histoire pendant des années. L’oncle résistant, les copains qui le ramènent, les canadiennes tachées de sang, lui allongé sur la table, agonisant sous une lumière blême, les fusils et les Sten posés sur les chaises, les femmes qui passent les cuvettes et les linges rougis… Rien que l’évocation la faisait pleurer… Alors elle m’a appelé Gilbert, du nom d’un de ses petits amis qui était mort collé au mur par ces mêmes Allemands. La haine du Teuton a toujours été assez viscérale du côté de ma mère. Chez elle on ne disait jamais « Allemand », mais boche, frisé, fridolin, schleu, Prussien, j’en passe… La Pologne, toute sa famille dans l’Est qui s’était fritée violemment avec l’envahisseur, ça laisse des traces. Mon père, lui, était plus tolérant. Il avait connu des Frida et des Gretchen, ça lui donnait des circonstances atténuantes ! Sans le savoir, j’avais déjà un patrimoine !

    Avec deux mômes, pas question de rester dans un appartement à Saint Ouen, près de la grand-mère qui n’en finissait plus de fêter la victoire. A l’époque elle descendait ses trois litres de blanc par jour et chaque fois qu’elle rangeait une bouteille vide dans le casier, elle poussait son cri de guerre : « allez hop, encore une que les boches n’auront pas ! » Ce n’était pas un exemple pour l’éducation des enfants !! D’autant plus que la moitié de Saint Ouen était en ruines à cause des bombardements. Alors mon père a trouvé un petit pavillon du style « Ma thébaïde » du côté de Blanc-Mesnil. C’est à partir de là que ma mémoire s’est ouverte. Pas en grand, non, juste des flashs, des moments de vie. Mon père tel Hercule en train de percer des fenêtres dans les murs, de foutre en l’air des cloisons à coups de masse pour gagner de la place. Ma mère qui cuisinait au milieu du chantier, moi qui jouais avec ma sœur… Les Lévy, nos voisins, elle, Olga, qui me donnait des gâteaux, lui, Mimoun, qui me racontait des histoires. Rapatriés de je ne sais où, ils avaient mis un peu d’espace entre la France et eux au moment où l’occupant s’intéressait de près aux juifs.

    L’impasse, la ruelle, qui portait le nom de « Villa des Pinsons » était peuplée de gens assez folkloriques que l’on fréquentait épisodiquement. Il y avait les je ne sais plus quoi, un couple infernal avec une bardée de mômes. La plus jeune, Mauricette, venait parfois jouer avec ma sœur, mais ce qui m’amusait le plus c’est quand la femme ramenait le mari en brouette. Voir cette espèce de grand cadavre complètement bourré, les lunettes de traviole, en train de gesticuler pendant que sa grosse l’agonisait d’injures toutes aussi fleuries les unes que les autres, ça me faisait rire… Surtout quand elle le bennait devant la porte et qu’il restait là, pendant des plombes à essayer de se relever en maudissant la terre entière… A l’entrée de l’impasse, il y avait un bistrot avec une gamine de mon âge - Dany -. On se voyait tous les jours et on nous avait déjà fiancés. C’est curieux ce besoin chez les adultes de vouloir accoupler tout le monde ! Nous étions assez loin de ces préoccupations…… L’unique frisson érotique était sans doute le bisou du soir quand chacun rentrait dans sa maison et que la mère de l’un ou l’autre disait : « tu ne lui fais pas un petit bisou ? » On s’exécutait sous l’œil des mères qui ne manquaient pas de dire dans un chœur d’une précision quasi Suisse : « Comme ils sont mignons ! ». Pas croyable, nous marchions à peine et nos mères se prenaient déjà à rêver d’un avenir radieux pour leurs deux poupons ! Dans ma tête, ma première impression : « petit, prends ton destin en main, sinon t’es cuit ! » commençait à se justifier de plus en plus !…… Sinon, nous n’échangions que des coups de pelles, des baffes et des tirages de cheveux !…

    A l’entrée de la Villa des Pinsons, en face du bistrot, il y avait un autre couple, les Villaume. Parfois nous allions prendre l’apéritif chez eux. Je trouvais leur maison sublime parce qu’ils avaient une avancée, au-dessus de la porte du salon, en tôle ondulée jaune transparente retenue par des fils de fer rouillés. Pour moi c’était grand chic !…

    La vie s’écoulait somme toute assez peinarde, même si, titubant sur mes jambes, j’allais souvent à la clinique du coin pour me faire recoudre de ci de là. Ma sœur me racontait des histoires, me lisait des illustrés, le fantôme du Bengale, La famille Illico, le Professeur Nimbus, Bibi Fricotin, puis des livres. C’était bien aussi les livres, on se faisait ses images soi-même, à son niveau, à sa portée. Bambi et le livre de la jungle qui me faisaient pleurer tellement c’était triste et puis Robin des bois et consorts. Il y avait toute la famille le soir à table et je m’endormais sur les genoux de mon père. Ça, je m’en souviens……

    L’orage a pété un jour sans que je ne m’aperçoive de rien. Ma sœur s’est retrouvée en pension chez les sœurs, moi, comme j’étais trop petit et que j’étais soudain devenu très encombrant, on m’a envoyé chez une vague tante à Argenteuil. J’étais perdu chez cette grosse femme qui était déjà mère de trois filles : Janine, qui se faisait appeler Martine, Colette et Maryse, fiancée avec un cycliste. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas trop de voiture et tout le monde, y compris mon père, roulait en vélo. Je passais mes journées à jouer tout seul dans le jardin ou à regarder le voisin qui entretenait une superbe Traction. Il faisait le plein avec des jerricans qu’il avait récupéré chez les américains et parfois, instants sublimes, il me laissait mettre une petite pastille rose dans son réservoir. Je n’ai jamais très bien su pourquoi il mettait des bonbons dans son réservoir, tout ce que je savais, c’est qu’il était défendu d’en manger !…

    J’ai revu ma mère six mois après. Je n’ai pas souvenir d’avoir vu mon père pendant cette période. Je pensais qu’ils m’avaient abandonné, que j’étais seul au monde avec cette grosse tante et ses trois filles qui n’arrêtaient pas de s’engueuler. En prime, j’avais un petit frère. Celui-là c’était l’enfant de la discorde, le fils de la misère. Tout l’inverse de moi. Il paraitrait que ma mère avait eu des faiblesses pour le voisin, le Villaume, elle avait dû avoir le coup de foudre pour sa véranda en tôle transparente !!… C’était, parait-il une réponse à mon père qui se barrait chaque week-end avec des copains et des copines. Je n’ai jamais cherché à les départager pour savoir qui avait la médaille d’or de la sincérité. Tout ce que je sais, c’est que ni l’un ni l’autre n’était dans la course pour le prix de vertu… Ma grand-mère me l’avait bien dit : « La vie c’est une tartine de merde et on en mange un peu tous les jours ! ». C’était pas de la philosophie à deux balles, c’était du concret, de l’imagé !……

    Divorce avec chantage aux mômes… un grand classique ! Ma mère a eu ma garde, dans un

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