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La nouvelle vie de peuw
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Livre électronique197 pages2 heures

La nouvelle vie de peuw

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À propos de ce livre électronique

Ses parents adoptifs ont à leur tour disparu. Sans doute se sent elle alors assez forte pour prendre la plume et écrire une suite à son premier récit. Une suite qui s'organise autour de l'apprentissage de la vie en France et de la création de nouveaux liens affectifs. Récit qu'elle écrit dans la douleur revécue d'un passé qui ne passe pas et qui relate la bataille intime qu'elle doit mener pour se découvrir elle-même et guérir des blessures de quatre années de guerre et d'arbitraire.

En quelques 150 pages denses et factuelles Molyda Szymusiak restitue sa découverte progressive de cette deuxième vie auprès de parents adoptifs français. Les dix premières pages constituent un riche témoignage sur les conditions d'accueil en France des jeunes réfugiés asiatiques qui viennent de sortir de deux ans de camps d'hébergement en Thaïlande et sur l'intensité émotionnelle d'une telle expérience.

C'est une sorte de prologue à l'ensemble du récit car l'auteur y introduit en toile de fond un songe inaugural lui annonçant l'abandon successif de « ses deux mères » qui ne parviennent pas à la protéger d'un monde inconnu et hostile. On y découvre également l'importance de l'image de la France, en tant qu'ancienne puissance colonisatrice et son pouvoir d'attraction linguistique et culturelle. A travers le souvenir du grand-père, moine bouddhiste, l'auteur établit également qu'elle est l'héritière d'une société structurée dont elle n'a pas oublié les valeurs.Le passage d'un registre réaliste à un registre onirique ou simplement mémoriel est souligné dans le corps du texte par l'utilisation des italiques.

L'adoption: elle est évoquée de façon elliptique car l'auteur ne rétablit pas les chaînons manquants. On voit simplement ce que la jeune fille et les deux cousines qui l'accompagnent découvrent en même temps qu'elle. Un couple, déjà âgé, qui hésite à prendre la responsabilité d'adopter 3 enfants dont 2 ont 17 et 18 ans. Petit à petit, l'auteur nous fait découvrir ce couple à l'éthique chrétienne profonde, d'une bonne volonté inépuisable. Par des scènes et des dialogues qui l'ont vivement marquée, l'auteur restitue le mode de vie et le milieu intellectuel dans lequel elle est tout à coup plongée. Que ce soit la nourriture, l'habillement, le retour en classe tout est sujet d'inquiétude et souvent d'incompréhension. Une obsession et une revendication reviennent constamment au sujet des études auxquelles les deux cousines voudraient consacrer toute leur énergie comme cela aurait dû se passer dans leur famille cambodgienne s'il n'y avait pas eu la guerre.
LangueFrançais
Date de sortie24 mars 2014
ISBN9788869091551
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    Aperçu du livre

    La nouvelle vie de peuw - Molyda Szymusiak

    1.

    Bangkok/Paris

    Avril 1980

    Je suis ¹ au milieu d'une dizaine d'orphelins à descendre d'un super Boeing d'Air France. Il fait assez froid, il y a du brouillard partout. Six heures du matin, le jour se lève à peine et nous attendons dans le hall de l'aéroport d'Orly que l'on vienne nous chercher. Encore une attente.

    Pendant combien de mois avons-nous espéré notre départ pour l'Europe? Une année peut-être plus, dans le camp de réfugiés Khao-I-Dang². Puis cette attente étrange, plusieurs jours de suite, dans l'aéroport de Bangkok. Je me dis j'ai échappé pour toujours à l'enfer de mon pays natal où les hommes n'ont plus ni culture ni sentiment. A votre avis qu'est-ce qu'un homme sans sentiment?

    Je m'interroge encore sur les longs convois de camions militaires, couverts de bâches, croisés non loin de notre village de vacances. A leur passage l'air est irrespirable. Au village on dit qu'ils transportent du poisson et quand nous allons au marché avec ma mère, j'ai mal à la tête. Ma mère m'explique que ces convois se rendent à l'aéroport de Pochentong d'où partent les dépouilles mortelles des soldats américains vers les Etats-Unis. Pendant plusieurs années cette portion de la route nationale numéro un est devenue un enfer. Pourquoi ces hommes font-ils la guerre?

    Enfin un grand car moderne arrive. On nous annonce qu'il doit nous conduire au centre de regroupement des réfugiés asiatiques d'Achères, près de Paris. Après quelques kilomètres d'autoroute, j'ai vraiment l'impression d'être montée au paradis. Routes merveilleuses, files continues d'automobiles formant un long ruban de lumière dans un sens comme dans l'autre sur les deux voies illuminées par les phares d'un côté et les petites lumières rouges à l'arrière des voitures de l'autre. Même l'air me semble bon à respirer. Cachée par le rideau de côté de mon siège, je pleure en silence. Je pleure à l'idée de ne plus revoir mon pays, je pleure ma famille disparue à jamais. Le cœur oppressé par tant de solitude je me dis que je suis comme une sauvageonne qui sort de la jungle et qui n'a jamais vu de ville. En même temps je suis dans un état de grande excitation: je voudrais arriver plus vite à destination. J'éclate de rire sans raison. L'odeur de l'essence me fait monter l'eau à la bouche. J'échange des regards avec mes compagnons de car. Leurs rires, leurs sourires éloignent mes mauvaises pensées. Nous parlons peu. Devant nous, d'un seul coup d'œil, je peux voir à perte de vue une ville immense, aux immeubles gris et blanc. Comme il est bon de contempler ce spectacle et de rêvasser sans être interrompue au milieu de tant de lumière.

    De loin j'aperçois enfin la tour Eiffel, cette même tour Eiffel que j'ai vue en rêve. Un rêve dont je me souviens aussi clairement que si je venais de le faire. Dans ma vie d'avant, alors que je devais avoir environ neuf ans.

    «Maman, faut-il que je parte avec cette dame?»

    «Si tu veux partir quelques jours en vacances, c'est très bien ».

    Une dame française que je n'ai jamais vue me prend par la main et me serre très fort contre sa large poitrine. Elle me dit qu'elle est ma deuxième mère. En un éclair nous nous trouvons déjà à Paris. Je regarde de tous mes yeux la belle ville, je rencontre de nouvelles personnes, différentes de moi. Je suis si heureuse de connaître la France! Ma deuxième mère m'amène dans sa maison près de la Tour Eiffel: elle va organiser une fête en mon honneur dans un grand théâtre tout proche. Je porte une sorte de tutu de danse et je commence à danser sur une musique lointaine, profonde, qui me remplit d'émotion. Je vois la voûte du ciel briller de mille étoiles scintillantes. Il me semble que je ne pourrai jamais cesser de danser. J'entends les applaudissements et les cris de joie des spectateurs qui m'entourent et vantent mon talent. C'est alors, au moment du plus intense bonheur, que je voie ma deuxième mère s'approcher de moi, l'air préoccupé.

    «Ma chérie, tu sais que tu dois quitter Paris dès maintenant, viens que je t'explique».

    Assoupie entre ses bras je sursaute brusquement et je la serre plus fort dans mes bras.

    «Il est temps de retourner dans ton pays, ta route est de l'autre côté, là-bas, ma chérie»

    «Là-bas il fait noir et j'ai peur de l'obscurité!»

    «Je suis désolée, je ne voulais pas t'abandonner et je comprends ce que tu ressens. Tu reviendras plus tard, courage, c'est sûr que tu reviendras».

    A l'instant où elle prononce ces mots je ne vois plus les étoiles dans le ciel. L'obscurité s'est installée complètement. Elle me tend des vêtements noirs, un pantalon et une chemise que je suis obligée de mettre ainsi qu'un krama³ que je noue autour du cou. Je ne sens plus rien de mon corps merveilleux. Sa voix est de plus en plus faible. Elle me dit d'aller retrouver ma famille en m'indiquant un sentier boueux qui se prolonge au loin. Je voudrais revenir sur mes pas, je me sens abandonnée dans un pays inconnu: mais je ne vois plus rien, ni ma deuxième mère, ni le pays lumineux où elle se trouvait. Je crie, je pleure, j'appelle.

    Ce rêve inoubliable, effrayant, était devenu réalité. J'avais bien été obligée de porter des vêtements noirs, un krama autour du cou et je n'avais aucun autre vêtement pour me changer. J'avais dû travailler vingt heures par jour, dans l'eau jusqu'à la taille sous le ciel opaque de la mousson, les pieds et les mains déchirés par les épines. Il m'était arrivé de marcher pendant vingt quatre heures pour aller travailler loin du village. Quand la nuit tombait, il fallait se dépêcher pour arriver à temps et recevoir une seule louche de riz et rien d'autre. Lutte impitoyable contre l'épuisement. Il fallait marcher presque en courant malgré nos pieds enflés pour avoir la vie sauve et échapper aux coups de bâtons sur le dos ou aux coups de pioche sur le crâne. Nos vêtements étaient détrempés, et, quand nous dormions en plein air et qu'il y avait du vent, je tremblais de froid et claquais des dents. Les muscles tétanisés, je craignais toujours de faire une erreur durant les travaux et cette inquiétude perpétuelle empêchait mon esprit de s'évader, de penser à autre chose, de penser à ma vie passée ou d'imaginer le futur.

    Enfin, nous arrivons au centre d'Achères. Un responsable vietnamien accompagné d'un assistant khmer vient nous accueillir. Nous pénétrons dans un grand immeuble blanc au milieu d'un vaste terrain gazonné fleuri de roses et de tulipes de toutes les couleurs. Il y a de nombreux enfants vietnamiens et cambodgiens. Ils nous sourient et nous demandent si nous venons d'arriver. Puis on nous conduit au réfectoire où nous est servi un repas dont je savoure chaque bouchée avec délectation. Je ne peux quitter des yeux tous ces enfants, ces rires qui se répondent, ces yeux qui brillent, ces mains qui manient fourchettes et cuillères, ces bouches qui se remplissent de si bonnes choses. J'observe avec curiosité les adultes qui nous entourent, si différents des adultes qui m'ont entourée jusqu'alors. Je suis enfin en Europe. Je remercie Bouddha de tout mon cœur. Il y a tant d'années que je n'ai ressenti un tel bien être. J'ai envie de courir, de sauter, de jouer, de me rouler dans l'herbe, d'inventer des jeux, de regarder tous les magasins de la ville, de manger des tablettes de chocolat, des gâteaux, des bonbons, j'ai envie de tout. Puis la réalité me rattrape. J'ai déjà dix huit ans, je ne suis plus une enfant. Que vais-je devenir?

    Non loin du centre, il y a une école et à travers la clôture de ciment un groupe d'enfants essaye de me parler pendant la récréation. Comme je ne sais pas parler français je tente de me débrouiller en anglais. J'aimerais bien jouer avec eux comme lorsque j'avais onze ans. Mais je suis la plus âgée et je n'ignore pas que j'ai échappé aux règles d'évacuation des camps: en principe les enfants de plus de quatorze ans ne sont pas éligibles pour être envoyés en Europe. Durant le repas du soir les dix orphelins que nous sommes sont de nouveau assis autour d'une grande table. Je me sens comme enveloppée par l'odeur délicieuse de la nourriture. A la fin du repas il m'est impossible de laisser sur la table la cuillère et la fourchette que je viens d'utiliser. Il faut que je les garde. Mon cœur bat aussi fort que si j'étais sous le coup d'une menace de mort. Je me sauve le plus vite possible, contente d'avoir enfin quelque chose à moi. Je les enfouis sous mon matelas en me disant que je rapporterai d'autres couverts le lendemain. Ce qui ne m'empêche pas de me dire que je ne suis pas une voleuse mais, qu'ainsi, dans ma future maison, je ne manquerai de rien. Puis je m'allonge dans un lit douillé. Dehors la nuit est froide et je m'endors instantanément malgré mon mal au ventre. C'est ma première nuit en France.

    Le lendemain matin au petit déjeuner je rencontre des jeunes filles anglaises qui font des études en France. Nous bavardons et elles me racontent leur vie quotidienne. Curieuse et pressée de découvrir ce qui m'entoure, je demande de les accompagner au supermarché. Comme je n'ai pas d'argent je ne peux rien acheter mais dès le jour suivant, munie des 50 francs alloués chaque semaine par le centre, j'entraîne mon cousin Rith dans une deuxième excursion dans ce lieu de toutes mes envies. Nous nous arrêtons à tous les rayons. Je m'attarde longuement devant une poupée blonde aux yeux bleus, élégamment vêtue. Puis l'odeur de pâtisseries me fait saliver. Finalement je finis par calculer que je peux acheter dix tablettes de chocolat noir pour la somme de 12F50! Au moment de payer je me fais regarder de travers parce que j'ignore alors qu'il faut faire la queue à la caisse et que je suis allée payer directement. C'est à regret qu'il me faut quitter cette sorte de palais des merveilles pour rentrer au centre avec une seule idée en tête: y retourner le plus rapidement possible renouveler ma provision de chocolat. J'ai en effet englouti toutes les tablettes en une seule fois.

    A mon retour, ma cousine Ny vient vers moi pour m'annoncer qu'elle a essayé en vain de joindre au téléphone notre grand-père Sdach Ta⁴. Ce dernier vit en France avec sa femme et ses enfants depuis plusieurs années et il n'a pas eu à souffrir de la guerre. Je ne me tiens pas d'impatience de le revoir tout en ignorant quel soutien il va pouvoir nous apporter. Je rêve toujours d'être adoptée par une famille française même si j'ai bien conscience qu'à mon âge il n'y a guère de chance que cela puisse se produire. Qui voudrait adopter une jeune fille de dix huit ans? En outre je n'imagine pas être séparée de mes trois cousins, seuls survivants de notre famille. Avons-nous survécu par miracle pour être abandonnés à nouveau sur une terre étrangère?

    Le responsable du camp a interrompu le cours de mes réflexions en nous faisant appeler à tour de rôle. J'ai brutalement l'intime conviction que je remets ma vie en jeu en lui déclarant haut et fort que j'ai bien dix huit ans et non quatorze comme l'indiquent mes papiers établis dans le camp de Khao-I-Dang par une «mère responsable» afin de me protéger. Je veux qu'il comprenne que je me refuse à tromper qui que ce soit, et cela avec d'autant plus de force que j'ai la pénible conviction qu'il m'est hostile. Son rôle se confond pour moi avec celui des soldats qui m'ont envoyée planter du riz et construire des routes. Il veut m'envoyer dans un centre de jeunes travailleurs et moi je n'ai qu'une obsession, celle de retourner à l'école pour reprendre des études. Il me fixe comme s'il allait me dire quelque chose de très grave. Je me sens happée dans un trou noir sans rien de solide à quoi me raccrocher. J'ai alors la certitude que si j'avais un fusil entre les mains je me suiciderais sur le champ. Après tant d'années de guerre je ne supporte plus rien.

    Mes doigts tremblent de faim. Quand j'ai un peu de riz je le laisse fermenter au soleil dans un bout de feuille de bananier pour obtenir quelques jours après du moisi et des vers; je peux ainsi calmer ma faim avec un aliment plus appétissant et nourrissant et rester debout. Quelquefois on donne pour toute la famille une louche de grains de maïs grillé et puis des mois et des mois plus rien. Chaque jour je me sens plus faible au point de ne plus pouvoir marcher. J'avale n'importe quoi, des vers blancs que je trouve dans la terre sous les feuilles mortes, des plantes sauvages qui grattent la langue, des champignons vénéneux. J'engloutis tout ce que mon estomac accepte. J'ai des douleurs au ventre, je vomis, j'ai la diarrhée, de forts accès de fièvre et de gros boutons qui me font mal dans le dos. Quand tombe la nuit je vois des rats qui se promènent autour de la fosse qui nous sert de latrines. L'un d'eux que j'essaye d'attraper me mord le doigt. Mais je n'en ai plus peur. Je le serre très fort de mes deux mains en m'appuyant sur mes pieds et je lui tords le cou pour le faire mourir rapidement. Puis je le fais brûler dans un coin du feu de l'hôpital que les infirmières utilisent pour faire bouillir les seringues et les aiguilles destinées aux malades. Ensuite j'enlève les poils et je le mange presque cru en trouvant que c'est bon à l'exception de la cervelle qui, elle, n'a pas très bon goût. Je suis devenue une enfant sauvage.

    Jour après jour mes yeux scrutent le sol à la recherche de reptiles. Dans les rizières j'ai peur des sangsues qui se collent sur mes pieds, entre les orteils. Mon pantalon est fendu et comme je n'ai pas de slip les sangsues pénètrent dans toutes les parties intimes de mon corps. Elles deviennent rapidement aussi grosses que le pouce. Parfois une dizaine de sangsues s'accrochent sous mes bras, sur mes cuisses, mon dos et je hurle de peur et de désespoir. Je me jette sur la rive, je me roule par terre, je crie, je pleure, je veux

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