La théorie des nullités en droit pénal: Et la jurisprudence Antigone
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À propos de ce livre électronique
La question de la régularité de la preuve au pénal est un enjeu majeur de l’État de droit et de la démocratie. La théorie des nullités qui règle le sort des preuves irrégulières a suscité de très vifs débats dans la doctrine depuis plus de dix ans. La loi du 24 octobre 2013 vient de fournir une base légale à la jurisprudence Antigone.
C'est l'occasion idéale de faire le point sur la genèse, sur les enjeux et sur l'évolution de la théorie des nullités tant en droit belge que dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Toutes les phases du procès pénal sont concernées par la régularité des preuves. Quels sont les actes d'instruction prescrits à peine de nullité ? À quel moment la question de la régularité de la preuve doit-elle être tranchée ? Quelles sont les sanctions prévues?
L'ambition de cet ouvrage est de fournir un cadre théorique général mais également de répondre aux questions concrètes des praticiens.
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Aperçu du livre
La théorie des nullités en droit pénal - Collectif
La collection du Jeune Barreau de Charleroi
Cette collection rassemble les actes des colloques organisés par la Conférence du Jeune Barreau de Charleroi. Ils couvrent toutes les matières du droit et sont destinés aux praticiens.
Ouvrages parus :
Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), Le droit social et les jeunes, 2011.
Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), La réforme de la cour d’assises, 2011.
Chr. Guillain et A. Wustefeld (dir.), Le rôle de l’avocat dans la phase préliminaire du procès pénal à la lumière de la réforme Salduz, 2012.
Ch.-É. Clesse et A. Nayer (dir.), Du risque professionnel au bien-être, 2012.
I. Bouioukliev (dir.), La force majeure, 2013.
Ch.-É. Clesse et St. Gilson (dir.), La concurrence loyale et déloyale du travailleur, 2013.
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications sprl (Limal) pour le © Anthemis s.a.
47039.pngLa version en ligne de cet ouvrage est disponible sur la bibliothèque digitale Jurisquare à l’adresse www.jurisquare.be.
© 2014, Anthemis s.a.
Place Albert I, 9 B-1300 Limal
Tél. 32 (0)10 42 02 90 – info@anthemis.be – www.anthemis.be
ISBN : 978-2-87455-872-6
Toutes reproductions ou adaptations totales ou partielles de ce livre, par quelque procédé que ce soit et notamment par photocopie, réservées pour tous pays.
Mise en page : Communications s.p.r.l.
Couverture : Vincent Steinert
Sommaire
Le régime général des nullités des preuves irrégulières en Belgique et à l’étranger
Paul D
haeyer
La question des nullités, Salduz et mandat d’arrêt
Pierre M
onville
et Damien H
olzapfel
La recevabilité des preuves en matière pénale dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme: nouvel état de la question
Marie-Aude B
eernaert
La purge des nullités et le règlement de la procédure
Damien V
andermeersch
Les actes d’instruction prescrits à peine de nullité
Dimitri
de Beco
L’emploi des langues dans la justice pénale après la sixième réforme de l’État et quelques autres questions
Benoît D
ejemeppe
Le régime général des nullités des preuves irrégulières en Belgique et à l’étranger
Paul Dhaeyer
Juge d’instruction au tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi
Assistant à l’Université Saint-Louis – Bruxelles
Introduction
Jamais le législateur n’aura rendu un plus bel hommage à la jurisprudence. Il vient par un curieux renversement de perspective, de couler dans un texte l’interprétation jurisprudentielle de la loi. Est-ce utile de modifier ou de compléter la loi au motif qu’il convient d’en consacrer une interprétation pertinente ? On aurait pu imaginer que le législateur intervienne pour corriger la loi ou pour clarifier son interprétation. Mais sans doute cette vision du rôle du législateur est-elle un peu désuète et renvoie-t-elle aux utopies des jurisconsultes du XVIIIe siècle.
De même convient-il de s’interroger sur l’apparente unanimité qui semble avoir animé les députés et les sénateurs lorsqu’ils ont approuvé par la loi du 24 octobre 2013, l’article 32 du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle. Nous verrons que la construction du modèle « Antigone » a nécessité des affinements et a suscité des controverses parfois vives dans la doctrine. Nous nous pencherons dans un premier temps sur cette jurisprudence Antigone, sur sa genèse, ses affinements et sur ses dernières évolutions.
Ensuite, une brève analyse des travaux préparatoires, ou devrions-nous dire plutôt des propositions de loi, s’imposera puisque, contre toute attente, plusieurs systèmes avaient été envisagés avant que le législateur en revienne à la théorie désormais classique des nullités.
Parmi ces propositions, deux s’inspiraient directement du système néerlandais. Dans la mesure où ce régime des nullités et les critères jurisprudentiels qu’il a générés ont, dans une certaine mesure, inspiré notre propre jurisprudence, il nous a semblé judicieux d’en brosser les principales caractéristiques.
Enfin, nous ne pourrons terminer cette contribution sans évoquer le régime des preuves irrégulières obtenues à l’étranger et utilisées dans le cadre de procédures pénales belges. L’article 32 du Titre préliminaire qui est désormais le siège de la matière n’est pas la première consécration légale de la jurisprudence Antigone. De façon assez curieuse, la loi belge s’est d’abord intéressée aux preuves irrégulières produites à l’étranger avant de songer à celles produites sur notre territoire. Les subtilités de la jurisprudence produite dans ce cadre permettront sans doute d’enrichir le débat général.
Section 1
Aux origines de la jurisprudence Antigone
Sous-section 1
1923 : dura lex, sed lex
Le régime des nullités tel que nous le connaissons aujourd’hui est le fruit d’une longue maturation. Il trouve sa source dans un arrêt de la Cour de cassation de 1923¹. À l’époque, la Cour de cassation décida qu’une preuve irrégulière ne pouvait servir à établir l’existence d’une infraction et que le juge répressif devait écarter cette preuve irrégulière². Le juge gardait in fine une très large marge de manœuvre puisque rares sont les nullités instituées par la loi. Le juge pouvait donc décider quelles étaient les conséquences à attacher aux irrégularités qu’il constatait dans la production des preuves. C’est de cette marge de manœuvre que la Cour de cassation se servira pour amorcer un revirement de jurisprudence dès son arrêt du 17 juin 1990³. Lors de la dernière modification importante de notre Code d’instruction criminelle, lorsqu’il inséra les articles 235 et 135 dans ledit code, le législateur avait manifestement à l’esprit cette vision rigoriste des nullités.
Par cet arrêt de 1990, elle y considéra pour la première fois qu’une preuve obtenue par le biais d’une irrégularité commise par un particulier n’est pas nécessairement à écarter des débats. L’action publique qui se fonde sur des éléments illégalement obtenus par un tiers n’est pas irrecevable pour autant que les autorités chargées des poursuites n’aient pas sciemment et volontairement provoqué cette irrégularité⁴. En outre, il ne peut exister de lien direct entre l’illégalité commise et la transmission des pièces litigieuses⁵.
Dans un arrêt du 23 décembre 1998, la Cour décida qu’en principe, lorsque la pièce produite est le fruit d’une infraction commise par le dénonciateur, la pièce doit être écartée⁶. Le simple fait de la violation d’une obligation de confidentialité ne suffit pas à asseoir cette irrégularité⁷. Il faut, pour que la pièce irrégulière soit écartée, que le dénonciateur ait commis une infraction.
Sous-section 2
2003 : la révolution Antigone
Par son arrêt du 14 octobre 2003⁸, prononcé à la suite d’une opération de police anversoise surnommée « Antigoon », la Cour de cassation a énoncé une véritable théorie des nullités, dont s’est inspiré le législateur belge. Depuis cet arrêt, les cas où une preuve illicite doit être nécessairement écartée des débats sont limités à trois hypothèses⁹ :
1° lorsqu’une règle prescrite à peine nullité a été violée ;
2° lorsque l’irrégularité commise entache la fiabilité de la preuve ;
3° lorsque l’usage de cette preuve compromet le droit à un procès équitable.
Dans les conclusions précédant cet arrêt, le ministère public amorça un virage important en concluant que l’évolution du droit de la procédure devait impérativement suivre celui de la délinquance. La complexification de la délinquance exigeait que les autorités de poursuites puissent lutter à armes égales avec ces nouveaux délinquants puisque « cette évolution est aussi due à d’autres formes de criminalité et à la nécessité d’une répression efficace »¹⁰. Certes, en 2003, la Cour de cassation a maintenu la possibilité d’écarter une preuve irrégulière, mais elle a ôté à cette exclusion son caractère absolu et automatique.
Pour reprendre l’expression de l’avocat général De Swaef¹¹, la théorie de l’exclusion automatique avait déjà été mise à mal en raison du fait que bon nombre d’irrégularités étaient en réalité commises par des tiers et non par les agents et magistrats chargés de la recherche et de la poursuite des infractions. L’exclusion automatique de tout élément de preuve entaché d’irrégularité est apparue comme une sanction injustifiée du travail accompli par ces autorités.
Cette volonté d’éviter tout rigorisme excessif ressort encore plus nettement du propos de l’avocat général De Swaef notant que « même le meilleur fonctionnaire de police peut commettre des erreurs lorsqu’il effectue des actes de recherche. Cela peut résulter d’une erreur ou d’une appréciation inexacte en fait ou en droit. La possibilité de poser un acte erroné serait d’autant plus importante que les règles de droit à suivre sont vagues, compliquées ou susceptibles de modifications légales successives. »
Sous-section 3
2004 : le test Antigone pointe à l’horizon
La Cour de cassation va introduire au cours de l’année 2004 le principe de la contextualisation et de la proportionnalité dans sa jurisprudence relative aux preuves irrégulières.
En effet, par son arrêt du 23 mars 2004¹², la Cour de cassation maintient qu’en principe, une preuve obtenue par les autorités chargées des poursuites ou par un dénonciateur contrairement aux règles de la procédure pénale en violation du droit à la vie privée, des droits de la défense ou de la dignité humaine n’est, en règle, pas admissible.
Toutefois, le juge doit également placer la preuve illicite dans un contexte plus large et opérer un contrôle du respect de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte des droits civils et politiques¹³. Selon la Cour de cassation, le juge prendra ainsi en compte la gravité de l’infraction mise au jour par la preuve irrégulière et le fait que l’autorité chargée de la poursuite ou de l’instruction de l’affaire a ou non posé elle-même l’acte irrégulier.
La Cour de cassation précisera sa pensée par son arrêt du 16 novembre 2004¹⁴. Elle renverse en quelque sorte la perspective, en décidant qu’il ne découle d’aucune disposition légale, pas même de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’une preuve irrégulière n’est jamais admissible. Hormis les quelques règles prescrites à peine de nullité, c’est au juge qu’il revient de déterminer si une preuve irrégulière peut ou non servir de fondement à l’action publique¹⁵.
Sous-section 4
2005 : la confirmation du test Antigone
En 2005, la jurisprudence de la Cour a connu une nouvelle évolution. Dans une affaire désormais célèbre, un chocolatier belge avait installé, à l’insu de ses salariés, des caméras de surveillance destinées à surprendre les faits et gestes des employés du magasin. Le chocolatier surprit à cette occasion un vol domestique. Il licencia l’employée indélicate. Celle-ci estima que son droit à la vie privée avait été violé, puisqu’elle n’avait pas été mise au courant de l’existence de ces caméras.
La Cour de cassation ne suivit pas le raisonnement de cette employée et rappela dans son arrêt du 2 mars 2005¹⁶, comme elle le fit dans son arrêt précédent, qu’il ne résulte ni de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ni d’aucune disposition de droit interne, que du fait que l’employeur n’ait pas informé préalablement ses employés de l’existence d’une vidéo surveillance, les poursuites pénales intentées sur la base de preuves ainsi obtenues seraient nécessairement irrecevables. Elle en conclut dès lors que cette irrégularité aurait pour conséquence de ne pas entraîner la nullité¹⁷. En outre, la Cour constate que l’irrégularité de la preuve ne vicie pas sa fiabilité et qu’en l’espèce, cette irrégularité ne compromet pas le droit à un procès équitable.
Aucun des trois cas d’exclusion automatique d’une preuve n’étant présent, la Cour renvoie à l’appréciation du juge du fond à qui il revient de déterminer quelle doit être concrètement la sanction à attacher à cette irrégularité.
Cette jurisprudence nous semble avoir concilié l’impératif de légalité, en consacrant l’exclusion de la preuve irrégulière lorsque la loi le prévoit expressément, avec celui de l’effectivité de la procédure pénale. Le but de la procédure pénale est en effet de permettre à la vérité d’éclore dans le respect des droits des parties, en s’appuyant sur des preuves fiables et produites dans des conditions qui respectent les droits humains. La jurisprudence de la Cour de cassation revient à limiter les cas d’exclusion automatique de la preuve irrégulière aux cas, fort limités, où la sanction est prévue à peine nullité et aux cas où la preuve a été recueillie avec malice ou par ruse de sorte que la qualité de la preuve s’en trouve entachée. Hormis ces hypothèses, la Cour de cassation s’en remet au juge du fond pour déterminer la sanction adéquate. Le juge doit notamment tenir compte de la gravité relative de l’irrégularité et de la gravité de l’infraction poursuivie. Cette marge de manœuvre relativement large a fait l’objet d’une critique d’une partie importante de la doctrine¹⁸.
Section 2
L’organisation des cours et tribunaux : un quatrième critère d’exclusion ?
La Cour de cassation a semble-t-il introduit par son arrêt du 24 avril 2013¹⁹ un quatrième cas d’exclusion automatique de la preuve irrégulière : lorsque l’irrégularité touche à l’organisation des cours et tribunaux, la preuve ainsi récoltée est nulle de plein droit. En l’espèce, une perquisition avait été effectuée sur la base d’une ordonnance du juge de police, alors que seul le juge d’instruction est compétent pour ordonner une telle mesure. L’irrégularité est à ce point substantielle que la Cour a décidé qu’elle ne pouvait être réparée. En réalité, il ne s’agit pas réellement d’un affinement de la jurisprudence Antigone, puisque dans ce cas, le juge du fond doit écarter la preuve sans devoir procéder au préalable au test Antigone. Il s’agit davantage de sanctionner une atteinte à l’ordre public. Admettre en effet qu’une autorité non compétente puisse produire des preuves qui sont susceptibles d’emporter la conviction du juge du fond reviendrait à saper les fondements même de l’État de droit. Ce critère d’exclusion n’a pas été retenu expressément par le législateur dans le texte du nouvel article 32 du Titre préliminaire du Code d’instruction criminelle. Certains parlementaires voulaient semble-t-il éviter un excès de formalisme²⁰. D’autres estimaient que l’exclusion d’une preuve produite sciemment par une autorité incompétente est une évidence. Si nous pensons également qu’il ne s’agit pas d’un critère supplémentaire d’exclusion de la preuve irrégulière, mais davantage d’un principe général touchant à l’ordre constitutionnel de l’État, nous nous réjouissons toutefois que la Cour de cassation ait rappelé ce principe par cet arrêt. Il nous aurait semblé dangereux d’admettre des preuves touchant aux libertés publiques qui n’auraient pas été produites par les autorités judiciaires indépendantes et impartiales légalement compétentes, sous prétexte que la loi Antigone n’en dit mot. Il eût été dangereux, qu’à l’aune du test Antigone que nous allons développer dans un instant, on admette des preuves recueillies par des autorités fiscales à l’occasion d’une visite domiciliaire irrégulière aux motifs que l’erreur d’appréciation sur la compétence de ces services administratifs ne touche ni à la fiabilité de la preuve, ni aux droits de la défense. La question de la compétence des autorités judiciaires de poursuites et d’instruction touche à la séparation des pouvoirs et aux fondements même de l’État de droit. Il nous semble que c’est à la lumière de cette évidence que le refus du législateur d’inscrire ce critère dans la loi Antigone doit être compris.
Section 3
Les critères d’appréciation du test Antigone
La Cour de cassation a donc délimité nettement les cas d’exclusion de la preuve irrégulière. Au-delà de ces exclusions « automatiques », le juge doit opérer pour toutes les autres irrégularités ce que l’on a désormais coutume d’appeler le test Antigone.
Ce test laisse au juge une très large marge de manœuvre dans l’appréciation des suites à donner aux irrégularités qu’il constate. La jurisprudence de la Cour fournit un certain nombre d’indicateurs qui doivent guider le juge du fond dans sa décision sur le sort qu’il réservera à la preuve irrégulière²¹.
La Cour de cassation fournit au juge plusieurs critères indicatifs qu’il lui est loisible de mettre dans la balance du test Antigone²² :
– le caractère volontaire ou involontaire de l’irrégularité;
– le critère de proportionnalité entre la gravité de l’irrégularité commise et la gravité de l’infraction faisant l’objet des poursuites;
– la circonstance que l’irrégularité commise ne concerne qu’un élément matériel constitutif de l’infraction;
– le fait que l’irrégularité n’est que purement formelle;
– le fait que l’irrégularité est sans incidence sur la liberté protégée.
En réalité, la Cour de cassation avait, pour rappel, déjà dessiné les contours de ce qui deviendra plus tard sa jurisprudence Antigone par son arrêt du 17 juin 1990²³ en disant que l’irrégularité commise par un particulier n’entraîne pas automatiquement l’exclusion de la preuve. Sauf lorsque les autorités chargées des poursuites ont sciemment et volontairement provoqué cette irrégularité²⁴, il n’y a pas d’irrecevabilité automatique de l’action publique qui se fonderait sur une telle preuve. Pour écarter la pièce irrégulière, le juge doit constater l’existence d’un lien direct entre l’illégalité commise et la transmission des pièces litigieuses²⁵. En décidant que les irrégularités commises par un tiers n’entraînent pas automatiquement l’exclusion de la preuve entachée par cette irrégularité la Cour avait, nous semble-t-il ouvert la voie au test Antigone : les irrégularités commises par un particulier doivent être appréciées moins sévèrement que celles commises par des agents de recherche ou de poursuites. Ensuite, elle remit en cause le caractère automatique de l’exclusion.
Le juge doit placer la preuve illicite dans un contexte plus large et opérer un contrôle du respect de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de l’article 14 du Pacte des droits civils et politiques²⁶. Selon la Cour de cassation, le juge prendra ainsi en compte la gravité de l’infraction mise au jour par la preuve irrégulière et le fait que l’autorité chargée de la poursuite ou de l’instruction de l’affaire a ou non posé elle-même l’acte irrégulier.
La chambre néerlandophone de la Cour de cassation a rendu à cet égard un arrêt intéressant le 4 décembre 2007²⁷. La Cour y rappelle, qu’en dehors des cas où la loi prévoit la nullité de la preuve irrégulière, il appartient au juge du fond d’apprécier le sort à réserver à celle-ci, au regard de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en tenant compte de l’ensemble des faits de la cause et des circonstances précises dans lesquelles l’irrégularité a été commise.
Si les critères indicatifs que nous avons évoqués ci-avant ne sont évidemment pas cumulatifs, le juge du fond est en revanche obligé de soumettre la preuve irrégulière à un examen à l’aune d’un de ces critères. Le refus de soumettre une preuve irrégulière au test Antigone peut entraîner une cassation.
À titre d’exemple, la Cour de cassation cassa par son arrêt du 30 avril 2014²⁸ la décision de la Cour d’appel de Bruxelles qui avait fait l’économie de ce contrôle en excluant d’office une preuve issue d’une perquisition irrégulière.
Le juge du fond est autorisé à opérer une balance des valeurs entre le droit que protège la norme procédurale et la valeur protégée par la norme enfreinte par le prévenu ou le suspect. Les règles de procédure pénale sont elles-mêmes protégées par des dispositions pénales spécifiques. Citons à titre d’exemple la prévention de violation de domicile qui viendrait à s’appliquer en cas de perquisition opérée sciemment sans mandat. On songe également à l’article 314bis du Code pénal qui protège le caractère privé des télécommunications. Une balance des intérêts paraît à cet égard plus aisée entre la violation d’une telle règle de procédure et la nécessité de réprimer les infractions du droit pénal commun.
Dans cet arrêt, précité, la Cour de cassation franchit nous semble-t-il un pas supplémentaire. L’irrégularité consistait en une audition sous serment réalisée à l’étranger d’une personne contre laquelle pesaient d’importants soupçons de culpabilité. Nous reviendrons dans un instant sur le sort à réserver aux preuves irrégulières recueillies à l’étranger. La cour d’appel avait considéré que l’audition sous serment du prévenu par la police française, en présence des enquêteurs belges, avait violé son droit au silence. Elle avait conclu à la violation du droit au procès équitable. La Cour de cassation a pourtant cassé cet arrêt parce que la Cour d’appel de Bruxelles n’avait effectué aucun test Antigone.
Nous l’avons dit, le troisième cas d’exclusion « automatique » de la jurisprudence Antigone se rapporte à la violation du droit à un procès équitable. Dans ce cas, l’exclusion de la preuve irrégulière devrait s’opérer de plein droit. La Cour de cassation va cependant apporter une nuance qui a toute son importance.
La Cour rappelle dans un premier temps que le contrôle par le juge du fond du respect des droits de la défense et par conséquent du droit à un procès équitable doit s’opérer au regard de l’ensemble de la procédure. Il se peut en effet qu’une entorse aux droits ait pu être compensée dans la suite de la procédure. Puisqu’il s’agit d’une exigence découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, il est essentiel que le juge constate que le prévenu a pu bénéficier d’une réelle égalité des armes, c’est-à-dire de la possibilité de contester l’origine, l’authenticité et la valeur probante d’une preuve qui est rapportée contre lui.
La Cour introduit à cette occasion un concept nouveau dans le test Antigone. Elle commence par énoncer que l’équilibre des droits entre le ministère public et les prévenus n’épuise pas la notion de procès équitable. Il faut, dit la Cour de cassation, que le juge prenne « l’idéal de justice » en considération dans son test Antigone. Pour la Cour de cassation, l’intérêt public à la poursuite d’une infraction et au jugement de ses auteurs peut