Actualités du droit disciplinaire
Par Éditions Larcier
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À propos de ce livre électronique
Le droit disciplinaire est abordé sous divers angles dans le présent volume.
Au plan international d’abord, diverses conventions, dont essentiellement la Convention européenne des droits de l’homme, ont légitimé les juridictions disciplinaires, mais en les soumettant aux règles du procès équitable avec quelques aménagements. L’état actuel de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est donc fondamental.
Au plan européen ensuite, l’importante fonction publique européenne est soumise à un statut spécifique, dont les aspects disciplinaires seront examinés.
Quant à la fonction publique belge, elle obéit à des règles générales s’appliquant au service public. Elle sera traitée sous deux aspects : la fonction publique en général et les règles spécifiques de la magistrature.
Comme il était impossible, dans le cadre d’une formation, de prendre en compte l’ensemble des professions réglementées, les professions juridiques suivantes sont abordées : le barreau, le notariat, les juristes d’entreprise et les huissiers de justice.
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Actualités du droit disciplinaire - Éditions Larcier
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© Goupe Larcier s.a., 2016
Éditions Larcier
Espace Jacqmotte
Rue Haute, 139 – LOFT 6 – B-1000 Bruxelles
EAN 978-2-8044-9512-1
Tous droits réservés pour tous pays.
Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
Titres parus dans le cadre
de la Commission Université-Palais (CUP)
Pour les titres parus antérieurement à 2010 et leur état de disponibilité, voyez le site de la Commission Université-Palais (http://local.droit.ulg.ac.be/sa/CUP/), sous l’onglet « Éditions ».
Sommaire
1 – Le droit disciplinaire au regard de la Convention européenne des droits de l’homme
Frédéric Krenc
avocat
maître de conférences invité à l’U.C.L.
chercheur associé à l’Université Saint-Louis Bruxelles
Françoise Tulkens
ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits
de l’homme
professeure émérite de l’U.C.L.
membre associée de l’Académie royale de Belgique
2 – Le régime disciplinaire de la fonction publique européenne : un modèle à suivre ?
Anaïs Guillerme
avocate au barreau de Paris et au barreau de Bruxelles (liste E)
Thierry Bontinck
avocat au barreau de Bruxelles et au barreau de Paris (liste européenne)
3 – Actualités du droit disciplinaire dans la fonction publique
Eric Lemmens
avocat au barreau de Liège,
ancien bâtonnier,
spécialiste en droit administratif et en droit constitutionnel
4 – La discipline judiciaire
Christine Matray
conseiller honoraire à la Cour de cassation
5 – Le droit disciplinaire des avocats
François Bruyns
avocat au barreau de Bruxelles
6 – Le droit disciplinaire notarial : entre tradition et modernité
Matthieu Van Molle
notaire
chargé de cours à l’U.Lg.
maître de conférences à l’U.L.B.
7 – Le droit disciplinaire des juristes d’entreprise
Jean Cattaruzza
juriste d’entreprise
Christian Jammaers
juriste d’entreprise
8 – L’huissier de justice et la discipline
Patrick Gielen
huissier de justice à Bruxelles
Préface
De même que les règles et usages déontologiques ont une vie autonome, aux côtés du droit civil et du droit pénal, comme du droit administratif, mais en lien avec eux, ainsi les procédures disciplinaires suivent-elles un cours autonome, à l’écart des procédures civiles, pénales ou administratives, mais en s’inspirant d’elles.
Nous avons donc retenu ce thème, qui sera abordé sous divers angles.
Au plan international d’abord, diverses conventions internationales, dont essentiellement la Convention européenne des droits de l’homme, ont légitimé les juridictions disciplinaires, mais en les soumettant aux règles du procès équitable avec quelques aménagements. L’état actuel de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est étudié par Frédéric Krenc et Françoise Tulkens.
Au plan européen ensuite, l’importante fonction publique européenne est soumise à un statut spécifique, dont les aspects disciplinaires sont examinés par Anaïs Guillerme et Thierry Bontinck.
Quant à la fonction publique belge, elle obéit à des règles générales s’appliquant au service public, étudiées par Eric Lemmens. La magistrature est soumise à des règles spécifiques décrites par Christine Matray.
Il était impossible, dans le cadre de cet ouvrage de prendre en compte l’ensemble des professions réglementées. Nous nous en sommes tenus aux professions juridiques étudiées par les auteurs suivants : le barreau (François Bruyns), le notariat (Matthieu Van Molle), les juristes d’entreprise (Jean Cattaruzza et Christian Jammaers) et les huissiers de justice (Patrick Gielen).
Une constatation s’impose à la lecture de ces textes : l’extrême diversité des règles de procédure et des sanctions. Mais cette diversité ne doit pas surprendre. Elle a d’abord des origines historiques, chaque profession ayant des traditions plus ou moins anciennes qui se traduisent par exemple dans les termes utilisés, mais elle est aussi fonctionnelle. On comprend aisément que les règles disciplinaires de la fonction publique belge diffèrent de celles de la fonction publique européenne, que la discipline des magistrats soit spécifique en raison du statut particulier des juges et membres du ministère public, ou que l’indépendance du barreau requière des spécificités dans le monopole des poursuites, la composition des conseils de discipline et le rôle du parquet général dans ces procédures. Et l’on pourrait poursuivre ainsi cette énumération.
Mais par-delà ces disparités est apparu un tronc commun, qui est l’application à la matière disciplinaire de la Convention européenne des droits de l’homme. Le principe du procès équitable de l’article 6 et une série d’autres dispositions de la Convention ont donné lieu à une abondante jurisprudence, qui a profondément remodelé tant les règles de fond que les règles de procédure. Cette jurisprudence a d’ailleurs entraîné des modifications législatives non négligeables.
Aller vers une plus grande cohérence, tout en respectant les spécificités de chaque profession, telle est l’actuelle évolution globalement positive du droit disciplinaire. Le présent volume, dû à la plume d’éminents auteurs, en est une parfaite illustration.
Georges-Albert Dal
ancien bâtonnier
pofesseur émérite de l’U.C.L.
1
Le droit disciplinaire au regard de la Convention européenne des droits de l’homme
L’état actuel de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
Frédéric Krenc
avocat
maître de conférences invité à l’U.C.L.
chercheur associé à l’Université Saint-Louis Bruxelles
Françoise Tulkens
ancienne juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits
de l’homme
professeure émérite de l’U.C.L.
membre associée de l’Académie royale de Belgique
Sommaire
Introduction
Section 1
Les droits substantiels
Section 2
Les droits procéduraux
Conclusion
Introduction
S’il y a un domaine qui a été profondément marqué, pour ne pas dire bouleversé, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, c’est bien le droit disciplinaire. Au départ des arrêts Le Compte rendus il y a plus de trente-cinq ans¹, cette jurisprudence a exercé une influence déterminante sur la manière dont est administrée aujourd’hui la justice disciplinaire.
Il faut bien reconnaître qu’à l’époque, cet assujettissement du disciplinaire aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme s’est accompagné dans l’ordre interne de réticences et de résistances, parfois fortes. C’est une période révolue² et nous n’y reviendrons plus³. Nul ne conteste aujourd’hui l’autorité ni l’utilité de cette jurisprudence. Ainsi, si le droit disciplinaire a pu être le terrain de divergences entre le juge européen et le juge national, il est aussi remarquable de constater qu’il reste le domaine sur lequel les premiers jalons de l’autorité de la chose interprétée des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ont été posés dans notre Royaume⁴.
Dès lors, évoquer en 2016 les rapports entre le droit disciplinaire et la Convention européenne des droits de l’homme, c’est revenir sur une importante œuvre jurisprudentielle, édifiée progressivement depuis quelques décennies, au fil d’arrêts successifs. C’est prendre la mesure de cette lecture dynamique et autonome – d’aucuns diront audacieuse – de la Convention par la Cour. C’est encore montrer la percée de la Convention dans un domaine dont on a pourtant vanté si fréquemment la spécificité⁵.
En l’occurrence, notre objectif est de « faire le point » sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière disciplinaire, en mettant en exergue les avancées, questions et controverses les plus récentes. Dans une perspective qui se veut surtout pratique, nous envisagerons cette jurisprudence autour de l’ensemble des dispositions de la Convention qui sont susceptibles de s’appliquer au droit disciplinaire. Même si, comme nous le verrons, nous assistons à un mouvement de procéduralisation des droits substantiels⁶, en ce sens que les garanties procédurales découlent bien souvent des droits substantiels, nous commencerons par examiner ceux-ci (infra, sect. 1) avant de poursuivre par l’examen des droits procéduraux qui sont le terrain naturel d’élection et du développement des garanties de la Convention en matière disciplinaire (infra, sect. 2).
Section 1
Les droits substantiels
Par souci de clarté et pour permettre, dans des cas concrets, d’invoquer à bon escient les garanties de la Convention européenne des droits de l’homme qui peuvent être pertinentes en matière de droit disciplinaire, nous suivrons l’ordre des dispositions de la Convention.
A. L’interdit de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants
L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme est un droit absolu, indérogeable. Selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, un mauvais traitement ne rentre dans le champ d’application de cette disposition que s’il « [atteint] un minimum de gravité ». À cet égard, la Cour précise que « l’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. »⁷. Hormis le cas de sanctions prises dans un contexte carcéral à l’égard de détenus, ce n’est que dans des circonstances extrêmes que l’on pourra déceler une violation de l’article 3 de la Convention dans l’imposition d’une sanction disciplinaire pour manquement à l’honneur ou à la dignité de la profession.
Ainsi, il a été soutenu et même jugé par certaines juridictions belges que la suspension préventive d’un fonctionnaire assortie d’une privation totale voire partielle de traitement pouvait constituer un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention⁸. Plus largement, la Cour de cassation semble admettre qu’une sanction disciplinaire « manifestement disproportionnée » peut emporter violation de l’article 3 de la Convention⁹.
Tel pourra être le cas si la sanction disciplinaire tend à humilier ou à avilir la personne. L’arrêt Bouyid c. Belgique rendu par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 28 septembre 2015 précise en ce sens que « dès lors que le traitement humilie ou avilit un individu, témoignant d’un manque de respect pour sa dignité humaine ou la diminuant, ou qu’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique, il peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 3 ». Aux yeux de la Cour, « il peut suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l’est pas à ceux d’autrui »¹⁰.
B. La légalité des délits et des peines
Sur le plan des principes généraux, la grande chambre de la Cour a récemment rappelé dans l’arrêt Vasiliauskas c. Lituanie du 20 octobre 2015 que « l’article 7 [de la Convention] ne se borne (…) pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé : il consacre aussi, d’une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par le droit, qu’il soit national ou international. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux et d’un avis juridique éclairé, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale. À cet égard, la Cour a indiqué que la notion de ‘droit’ (‘law’) utilisée à l’article 7 correspond à celle de ‘loi’ qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit écrit comme non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles de l’accessibilité et de la prévisibilité »¹¹. Entendu de la sorte, cet article 7 trouve-t-il à s’appliquer en matière disciplinaire où les incriminations sont souvent formulées en des termes larges¹² ?
En principe, les procédures relatives aux sanctions disciplinaires ne portent pas sur le « bien-fondé d’une accusation en matière pénale »¹³ et, dès lors, l’article 7 ne sera généralement pas réputé applicable à ces sanctions. En fait, il ne trouvera à entrer en jeu que si les sanctions disciplinaires peuvent être qualifiées de « peines » au sens autonome de cette disposition dans la Convention. À cet égard, il faut rappeler que si les États membres demeurent souverains pour déterminer la nature juridique des sanctions prévues en droit interne, la Cour européenne des droits de l’homme se réserve le pouvoir de contrôler cette qualification afin d’éviter qu’elle ne conduise à des résultats incompatibles avec le but et l’objet de la Convention¹⁴. Il en résulte, dès lors, que certaines sanctions qui n’étaient pas qualifiées de peines en droit interne ont pu être considérées comme relevant de la « matière pénale » au sens de la Convention. C’est ainsi que la Cour a pu décider qu’une sanction disciplinaire, appliquée à des militaires en vertu d’une loi néerlandaise de 1903, relève de la matière pénale en raison du « degré de sévérité de la sanction »¹⁵ ou encore qu’une sanction disciplinaire de 570 jours de perte de remise de peine infligée au Royaume-Uni dans un établissement pénitentiaire « s’est apparentée à une privation de liberté, même si juridiquement elle n’en constituait pas une »¹⁶. Il en va de même en ce qui concerne une amende disciplinaire prévue par le Code vaudois de procédure pénale, de même qu’une amende disciplinaire prévue par la législation maltaise s’appliquant chacune à une infraction qui « concerne virtuellement la population tout entière » et présentant donc l’une et l’autre « un caractère pénal », d’autant plus que « l’enjeu revêtait une importance assez grande pour entraîner la qualification pénale »¹⁷. Une amende disciplinaire pour abus de procédure inscrite dans le Code de procédure civile dont le montant est élevé et qui peut être transformée en emprisonnement à défaut de paiement, a été aussi considérée comme suffisamment importante pour revêtir la nature pénale¹⁸.
Enfin, notons qu’il est également fait référence à la peine à l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention qui garantit le droit à ne pas être jugé ou puni deux fois¹⁹. À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme précise que « la notion de peine ne saurait avoir des acceptions différentes selon les différentes dispositions conventionnelles »²⁰.
C. Le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance
En tant qu’elles constituent des « ingérences » dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, les sanctions disciplinaires doivent, tout d’abord, satisfaire à l’exigence de légalité posée par le second paragraphe de cette disposition. Ces ingérences doivent, en effet, être « prévues par la loi », ce qui implique que les sanctions disciplinaires doivent reposer sur une base légale. La « loi » doit aussi revêtir certaines qualités, notamment être accessible aux personnes intéressées, mais aussi prévisible « pour leur permettre (…) de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé »²¹. Notons que cette exigence de légalité est commune aux autres droits à protection relative garantis par les articles 10 et 11 de la Convention que nous examinerons plus loin.
La Cour européenne des droits de l’homme semble néanmoins faire preuve d’une relative souplesse en matière disciplinaire. Ainsi, dans l’arrêt Vereinigung Demokratischer Soldaten Osterreichs et Gubi c. Autriche du 19 décembre 1994 qui concerne la discipline militaire, elle estime qu’« en [cette] matière, la rédaction de dispositions décrivant le détail des comportements ne se conçoit guère. Aussi les autorités peuvent-elles se voir contraintes de recourir à des formulations plus larges. Encore faut-il que celles-ci offrent une protection suffisante contre l’arbitraire et permettent de prévoir les conséquences de leur application »²². Plus tard, dans l’arrêt Oleksandr Volkov c. Ukraine du 9 janvier 2013, la Cour juge que, « s’agissant des normes disciplinaires, il faut adopter une approche raisonnable pour apprécier la précision de la loi car il est objectivement nécessaire que l’actus reus de ces fautes soit formulé en termes généraux. À défaut, le risque serait que le texte ne couvre pas la question de manière complète et doive constamment être révisé au gré des nombreuses circonstances nouvelles qui pourraient survenir en pratique »²³. La Cour est néanmoins parvenue, en l’espèce, à un constat de violation de l’article 8 de la Convention pour défaut de prévisibilité²⁴. Ainsi, si l’exigence de légalité peut être entendue plus souplement en matière disciplinaire, il importe que des lignes directrices puissent être dégagées de la pratique, sous peine de verser dans l’imprévisibilité et in fine dans l’arbitraire. En outre, il nous semble essentiel d’assurer la publicité de la jurisprudence disciplinaire afin de garantir l’accessibilité et la prévisibilité requises par le principe de légalité²⁵.
Outre la condition de légalité qui vient d’être rappelée, toute ingérence dans les droits garantis par l’article 8 doit, pour être licite, respecter les principes de légitimité et de proportionnalité. Sur ce dernier terrain de la proportionnalité, un contentieux classique est celui du droit disciplinaire dans la fonction publique²⁶. De manière générale, doctrine et jurisprudence s’accordent à dire que, dans sa vie privée, le fonctionnaire doit s’abstenir de tout comportement contraire à la dignité de ses fonctions et, en dehors de l’exercice de celles-ci, éviter toute attitude qui puisse ébranler la confiance du public dans son service. En réprimant de tels agissements, l’autorité disciplinaire ne porte pas, en principe, une atteinte disproportionnée à l’article 8 de la Convention.
Ainsi, des faits relevant de la vie privée du fonctionnaire peuvent justifier une répression disciplinaire s’ils ont une incidence négative sur son activité professionnelle ou sur le fonctionnement du service dans lequel il travaille. On en trouve un exemple dans l’affaire Laloyaux c. Belgique, où le requérant reprochait à l’autorité disciplinaire d’avoir fondé sa révocation sur des faits touchant à sa vie privée. À la suite du Conseil d’État, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté, dans une décision d’irrecevabilité rendue le 14 novembre 2002, que l’autorité ne s’était référée à ces faits que dans la mesure où ils avaient eu une répercussion négative sur le service du requérant, en sorte que ce dernier n’avait pas subi une atteinte disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée et familiale²⁷.
Plus récent et plus controversé est l’arrêt Barbulescu c. Roumanie du 12 janvier 2016 concernant la compatibilité avec l’article 8 de la Convention du licenciement d’un ressortissant roumain pour avoir utilisé à des fins privées, et pendant les heures de travail, un compte Yahoo Messenger au mépris du règlement interne de la société qui l’employait. Après avoir considéré que le respect de la vie privée et de la « correspondance » du requérant était en jeu, la Cour n’a pas jugé abusif le fait qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles durant leurs heures de travail. Elle a relevé en l’espèce que l’employeur avait accédé au compte du requérant en pensant qu’il renfermait des communications avec des clients. Elle a également souligné que le requérant a pu faire valoir ses moyens de défense relatifs à la violation alléguée de sa vie privée et de sa correspondance devant les juridictions nationales et qu’il n’a été fait aucune mention du contenu concret des communications du requérant. Par conséquent, la Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention. Cette conclusion et les motifs qui la soutiennent²⁸, demeurent cependant provisoires dès lors que l’affaire a été renvoyée devant la grande chambre de la Cour, laquelle est donc appelée à réexaminer l’affaire. Affaire à suivre.
L’article 8 de la Convention pourrait également connaître des développements importants dans le domaine du droit du sport, et singulièrement de la lutte contre le dopage, une question d’une singulière actualité²⁹. Il faudra à cet égard suivre avec attention l’évolution des affaires Fédération Nationale des Syndicats Sportifs et autres c. France³⁰ et Longo et Ciprelli c. France³¹. Dans la première affaire, les requérants sont la Fédération nationale des syndicats sportifs, le Syndicat national des joueurs de rugby, l’Union nationale des footballeurs professionnels, l’Association des joueurs professionnels de handball, le Syndicat national des basketteurs et 99 joueurs professionnels de handball, de football, de rugby et de basket. Les requérants, personnes physiques, se plaignent en particulier, en tant que sportifs professionnels, de devoir justifier de leur emploi du temps, à tout moment, et de subir des contrôles pendant des périodes de congé et de vie quotidienne. Ils font valoir que la loi française aligne les horaires de localisation antidopage sur les horaires de perquisition. Ils dénoncent une intrusion injustifiée dans leur vie familiale. Les requérants soutiennent également que l’obligation de localisation permanente est contraire à la liberté d’aller et de venir, telle que celle-ci est garantie par l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention. Ils dénoncent à cet égard un système de contrôle inconditionné et dépourvu de limites géographiques et temporelles, qui n’est pas proportionné au but poursuivi, en particulier dans la mesure où les statistiques font apparaître un taux de contrôle positif extrêmement faible. Dans la seconde affaire, la première requérante, une coureuse cycliste de renommée internationale, se plaint de l’obligation de localisation dont elle fait l’objet, celle-ci appartenant à un « groupe cible », en vue de la réalisation de contrôles antidopage inopinés. Jeannie Longo soutient que cette obligation constitue une intrusion injustifiée dans sa vie privée et familiale.
D. La liberté d’expression
Des parlementaires, des avocats mais aussi des magistrats, des fonctionnaires ainsi que des travailleurs du secteur privé ont contesté avec succès devant la Cour les sanctions disciplinaires qui leur ont été infligées en raison des propos parfois critiques et virulents qu’ils ont tenus. Il faut rappeler que la liberté d’expression étant consubstantielle à la démocratie, toute restriction à cette liberté doit reposer sur un besoin social impérieux. Au demeurant, l’article 10 de la Convention qui garantit cette liberté d’expression, est aussi le siège d’obligations procédurales.
L’affaire Karácsony et autres c. Hongrie en est l’illustration. Elle porte sur des mesures disciplinaires adoptées à l’encontre de parlementaires. Il s’agit de la première affaire dans laquelle la Cour a été appelée à examiner dans quelle mesure un parlement peut réglementer de manière autonome ses affaires internes et, en particulier, restreindre les droits d’expression de ses membres dans son enceinte. En ce qui nous concerne, l’intérêt de cet arrêt porte sur les garanties procédurales qui doivent entourer les procédures disciplinaires, lesquelles, dans cette affaire, avaient été ouvertes contre des députés qui avaient agi d’une manière jugée offensante pour l’ordre parlementaire³².
D’une part, la Cour confirme sa jurisprudence selon laquelle la proportionnalité des ingérences doit être examinée en tenant compte des garanties procédurales de l’article 10 de la Convention³³. D’autre part, sur la proportionnalité de l’ingérence en l’espèce, la grande chambre axe son analyse sur la question de savoir si la restriction s’accompagnait de « garanties effectives et adéquates contre les abus »³⁴. Malgré la marge d’appréciation étendue fondée sur le principe de l’autonomie parlementaire, elle estime que certaines garanties procédurales doivent, au minimum, exister lors de la procédure disciplinaire parlementaire. La première est le