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Théorie générale des obligations et contrats spéciaux: Questions choisies
Théorie générale des obligations et contrats spéciaux: Questions choisies
Théorie générale des obligations et contrats spéciaux: Questions choisies
Livre électronique936 pages11 heures

Théorie générale des obligations et contrats spéciaux: Questions choisies

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage développe des questions d’actualité touchant à la théorie générale des contrats, au régime général des obligations ou à certains contrats spéciaux.

Sont traités des sujets aussi divers que :
- la portée du principe général du droit Fraus omnia corrumpit ;
- l’étude de certains vices de consentement ;
- l’intuitus personae et l’exécution de l’obligation contractuelle ;
- les différentes facettes du contrôle judiciaire exercé en matière de clauses contractuelles ;
- la transmission des obligations et des contrats ;
- la transmission du bien loué en bail commercial ;
- la solidarité passive ;
- la garantie légale des biens de consommation.
LangueFrançais
Date de sortie18 oct. 2016
ISBN9782804495565
Théorie générale des obligations et contrats spéciaux: Questions choisies

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    Théorie générale des obligations et contrats spéciaux - Éditions Larcier

    Théorie générale des obligations et contrats spéciauxThéorie générale des obligations et contrats spéciaux

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Communications sprl (Limal) pour le © Groupe Larcier s.a.

    Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.

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    Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larciergroup.com

    © Goupe Larcier s.a., 2016

    Éditions Larcier

    Espace Jacqmotte

    Rue Haute, 139 – LOFT 6 – B-1000 Bruxelles

    EAN 978-2-8044-9556-5

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    Titres parus dans le cadre

    de la Commission Université-Palais (CUP)

    Pour les titres parus antérieurement à 2010 et leur état de disponibilité, voyez le site de la Commission Université-Palais (http://local.droit.ulg.ac.be/sa/CUP/), sous l’onglet « Éditions ».

    Sommaire

    1 – Le principe général du droit Fraus omnia corrumpit : difficultés et possibilités en droit privé belge

    Annekatrien Lenaerts

    référendaire près la Cour de cassation

    chercheur affilié, Instituut voor verbintenissenrecht, KU Leuven

    2 – Erreur, dol et lésion qualifiée

    Chronique de jurisprudence (2006-2016)

    Gauthier Fiévet

    assistant à l’U.C.L.

    avocat

    3 – L’intuitus personae et l’exécution des obligations contractuelles :

    questions choisies à propos du paiement de la dette par un tiers

    Pierre Bazier

    assistant et doctorant à l’U.C.L.

    4 – Le contrôle judiciaire relatif aux clauses applicables à un manquement contractuel : un contrôle aux multiples facettes

    Patrick Wéry

    professeur ordinaire à l’U.C.L.

    5 – La transmission des obligations : la cession de créance, la cession de dette et la cession de contrat

    Valérie Withofs

    stagiaire judiciaire

    collaborateur scientifique à la KU Leuven

    6 – Le bail commercial et la transmission du bien loué

    Alexandra Vanhoudenhoven

    assistante à l’U.L.B.

    juriste d’entreprise SFPI-FPIM

    7 – Deux questions en matière de solidarité : ses aménagements conventionnels et la portée du recours contributoire

    Andrea Cataldo

    assistant à l’UNamur

    avocat

    Marie Nounckele

    assistante à l’UNamur

    8 – La garantie de conformité des biens de consommation

    Chronique de jurisprudence (2005-2015)

    Catherine Delforge

    professeure à l’Université Saint-Louis – Bruxelles

    Yannick Ninane

    chargé d’enseignement à l’Université Saint-Louis – Bruxelles

    avocat

    1

    Le principe général du droit Fraus omnia corrumpit : difficultés et possibilités en droit privé belge

    Annekatrien Lenaerts

    référendaire près la Cour de cassation

    chercheur affilié, Instituut voor verbintenissenrecht, KU Leuven¹

    Sommaire

    Introduction

    Section 1

    Définition et caractère juridique de l’adage Fraus omnia corrumpit

    Section 2

    Applications de l’adage Fraus omnia corrumpit

    Section 3

    Conditions d’application de l’adage Fraus omnia corrumpit

    Section 4

    Effets juridiques de l’adage Fraus omnia corrumpit

    Section 5

    Fonction de l’adage Fraus omnia corrumpit et délimitation par rapport à l’interdiction de l’abus de droit et de la fraude à la loi

    Conclusion

    Introduction

    1. Plan de la contribution. Le principe général du droit Fraus omnia corrumpit (­ci-après : « l’adage Fraus ») signifie que personne ne peut invoquer sa propre fraude, ni dans les relations contractuelles ni dans les relations extracontractuelles, en vue de justifier l’application à son profit d’une règle de droit². La fraude constitue donc une exception à toutes les règles de droit. Cet adage jouit d’une reconnaissance générale et connaît des applications traditionnelles en droit des obligations, dans le cadre de la conclusion ou de la mise en œuvre d’actes juridiques (tels que l’article 1116 du Code civil concernant le dol ou l’article 1167 du Code civil concernant la fraude paulienne). Dans la jurisprudence et la doctrine récentes, de nouvelles applications de cet adage sont apparues, parfois surprenantes et dépassant le cadre traditionnel des actes juridiques. À défaut de contours fixes, l’adage Fraus semble être invoqué comme un deus ex machina, comme l’ultime remède afin d’obtenir gain de cause. Cette tendance à un élargissement des applications de l’adage Fraus suscite des questions fondamentales, auxquelles la jurisprudence et la doctrine n’ont, jusqu’à présent, pas répondu d’une façon uniforme ou suffisamment étayée. Ceci risque de créer une importante insécurité juridique. Afin de donner à l’adage Fraus la valeur qu’il mérite dans notre système juridique et d’éviter que ce principe soit invoqué à tort et à travers, nous avons tenté, dans notre thèse de doctorat, de déterminer les contours de ce principe en droit privé belge³.

    La question centrale de la recherche concerne la détermination de la portée et de la fonction de l’adage Fraus en droit privé belge. À cette fin, le concept de la fraude sera, tout d’abord, défini (infra, sect. 1). Ensuite, le champ d’application de l’adage Fraus sera délimité (infra, sect. 2). De ces applications seront déduits les conditions d’application (infra, sect. 3) et les effets de notre adage (infra, sect. 4). Finalement, la fonction de l’adage Fraus sera déterminée et l’adage sera délimité par rapport au principe général de l’interdiction de l’abus de droit et à l’interdiction de la fraude à la loi (infra, sect. 5).

    2. Exemples concrets. Afin de concrétiser le cadre de pensée théorique, plusieurs applications concrètes de l’adage Fraus seront analysées dans notre exposé. Les faits qui sont à l’origine des divers cas d’application sont les suivants :

    1er casus (le transfert d’actions) : dans le cadre d’un transfert d’actions d’une entreprise, un vendeur donne intentionnellement des informations inexactes à l’acheteur. Il exagère le montant de ses actifs et sous-­estime le montant de ses passifs dans sa comptabilité. Dès lors, l’acheteur demande l’annulation du transfert pour cause de dol. Or, le vendeur estime que l’acheteur ne peut demander une telle annulation, puisque l’acheteur a été ­lui-même gravement négligent et aurait pu facilement découvrir l’inexactitude des informations⁴.

    2e casus (le contrat de bail commercial) : un bailleur conclut un contrat de bail commercial avec un professionnel. ­Celui-ci veut exploiter un carwash dans l’immeuble et le bailleur le sait. Cependant, le bailleur omet intentionnellement de mentionner qu’un locataire précédent n’avait pas obtenu d’autorisation pour une telle exploitation. Le professionnel, qui a fait de lourds investissements architecturaux, subit un dommage suite à cette réticence dolosive. Il demande une réparation intégrale du dommage pour cause de dol. Or, le bailleur fait valoir que le professionnel a ­lui-même commis une faute lourde : comme spécialiste dans le secteur et assisté par des experts, il aurait dû s’occuper des autorisations nécessaires. Ainsi, le bailleur allègue qu’il ne peut être condamné à la réparation de l’intégralité du dommage, mais que la charge du dommage doit être partagée⁵.

    3e casus (la banque escroquée) : un fraudeur escroque à une banque une somme de plusieurs millions d’euros en commettant des faux en écriture. La banque subit un dommage, mais elle a commis une faute par négligence, suite à une défaillance dans son système de surveillance. La banque demande une réparation intégrale du dommage qu’elle a subi suite à la faute intentionnelle. Toutefois, le fraudeur plaide en faveur d’un partage de responsabilités, puisque la banque a elle-même commis une faute non intentionnelle⁶.

    4e casus (l’assurance responsabilité en matière de véhicules automoteurs) : lors de la conclusion d’un contrat d’assurance de la responsabilité automobile, l’assuré omet intentionnellement de mentionner d’importantes informations. Après avoir fait d’importants décaissements pour indemniser l’assuré, qui était victime d’un accident de circulation, l’assureur découvre la réticence frauduleuse. L’assureur intente une action récursoire contre l’assuré, afin de récupérer les sommes payées. Or, un courtier en assurances a commis une faute par négligence, puisqu’il n’avait pas signalé l’omission, suite à une organisation inefficace de son bureau. Dès lors, malgré sa faute intentionnelle, l’assuré dirige un recours contributoire contre le courtier pour récupérer une part de l’indemnité due⁷.

    5e casus (l’action en justice prescrite) : un débiteur tient frauduleusement son créancier en haleine jusqu’à ce que soit atteint le terme du délai de prescription. Le créancier veut exceptionnellement faire valoir sa créance en justice après l’acquisition de la prescription. Il allègue que le débiteur l’a empêché d’agir en justice en temps utile par des manœuvres frauduleuses et que, suite à la fraude, il ne pouvait connaître l’existence et/ou l’exigibilité de sa créance plus tôt. Toutefois, le débiteur oppose que le créancier ne peut plus intenter son action en justice puisque, formellement, le délai de prescription s’est écoulé.

    Section 1

    Définition et caractère juridique de l’adage Fraus omnia corrumpit

    A. Définition de la fraude

    3. Conception large de la faute volontaire et conception stricte de la fraude. Le concept de la fraude doit être défini avec précision. Le dol ou la fraude se distinguent des autres fautes par l’intention avec laquelle ils sont causés. Cet élément intentionnel, nécessaire au dol ou à la fraude, peut être défini de deux manières⁸. D’une part, l’intention peut porter sur la violation d’une règle de droit. Une règle de droit est enfreinte d’une façon consciente et volontaire, mais sans que les conséquences dommageables soient nécessairement voulues (conception large ou faute consciente et volontaire). Cette conception est sévère pour l’auteur de l’acte intentionnel, puisque l’existence d’une faute consciente et volontaire pourrait être établie assez aisément. D’autre part, l’intention peut porter sur les conséquences dommageables elles-mêmes. Dans ce cas, les conséquences sont causées d’une façon consciente et volontaire (conception stricte ou fraude). Cette conception paraît plus indulgente pour l’auteur de l’élément intentionnel, parce qu’il sera difficile d’établir l’existence d’une véritable intention de causer le dommage.

    Quant au concept de la fraude, la doctrine fait traditionnellement une distinction entre la fraude objective, pour laquelle il suffit que l’auteur de la fraude ait eu, ou ait dû, avoir connaissance du dommage, et la fraude subjective, où le fraudeur doit effectivement avoir l’intention de causer le dommage⁹. À notre avis, cette distinction ne peut être maintenue, car elle s’avère bien artificielle. Les cas pratiques du dol et de l’action paulienne démontrent, en effet, qu’en cas de fraude, il y a toujours, ­au-delà de la connaissance du dommage, une intention de nuire (voy. infra, nos 9, 10 et 16)¹⁰. C’est pourquoi nous ne retenons qu’un seul concept de la fraude, dont la conception subjective est un élément constitutif. L’intention de nuire doit cependant être définie d’une manière large. En effet, généralement, le fraudeur recherche, en premier lieu, à obtenir un avantage illégitime de sa fraude. Or, l’avantage pour le fraudeur consistera par définition en un désavantage pour autrui (une partie contractante ou un tiers). Partant, en voulant obtenir un avantage personnel, le fraudeur accepte, comme revers de la médaille, qu’un dommage soit causé à autrui¹¹. Ainsi, l’intention de nuire peut se définir comme la conscience, dans le chef de la personne concernée, des conséquences dommageables de sa décision et la volonté de les causer néanmoins¹².

    4. La fraude dans sa conception stricte requise pour l’adage Fraus. Dans un arrêt du 3 octobre 1997, la Cour de cassation a, pour la première fois, défini de manière générale l’élément intentionnel requis pour l’application de l’adage Fraus. La Cour décide que « [l]’application du principe général du droit Fraus omnia corrumpit suppose l’existence d’une fraude, laquelle implique la volonté malicieuse, la tromperie intentionnelle, la déloyauté dans le but de nuire ou de réaliser un gain »¹³. Cette définition équivaut au concept de la fraude, comme nous la retenons dans sa conception subjective d’une intention de nuire. La définition que De Page avait donnée à la fraude dans le cadre de l’adage Fraus, à savoir « la volonté malicieuse, la tromperie intentionnelle, la déloyauté dans le but de nuire ou de réaliser un gain »¹⁴, a peut-être inspiré la Cour de cassation. ­Celle-ci a confirmé cette définition subjective de la fraude dans sa jurisprudence ultérieure¹⁵. Les termes « dans le but de nuire ou de réaliser un gain » confirment d’ailleurs l’idée que l’intention de nuire est souvent la contrepartie de la volonté de l’auteur de la fraude d’obtenir un avantage illégitime.

    En conséquence, une conception objective, qui nécessite la seule connaissance du dommage par l’auteur de la fraude, ne semble pas suffire pour l’application de l’adage Fraus¹⁶. Ainsi, par un arrêt récent du 16 novembre 2015, la Cour de cassation a confirmé que « pour être constitutif de fraude, l’acte déloyal doit être accompli dans l’intention de causer un dommage ou d’obtenir un gain. Le moyen, qui repose sur le soutènement qu’il suffit que l’acte déloyal soit volontaire et cause de la sorte un dommage, manque en droit »¹⁷.

    B. Caractère juridique de l’adage Fraus

    5. Procès inductif-­déductif. La naissance de l’adage Fraus est le résultat d’un processus inductif et déductif dans la jurisprudence. Dans un premier temps, l’adage est induit de règles légales spécifiques sanctionnant la fraude par la neutralisation des effets d’un acte frauduleux (par exemple, l’article 1116 du Code civil relatif au dol ou l’article 1167 du Code civil relatif à l’action paulienne). Ensuite, l’adage est appliqué par déduction à d’autres hypothèses que celles expressément prévues dans la loi (par exemple, en matière de responsabilité extracontractuelle ou de prescription)¹⁸.

    6. Principe général du droit et source formelle du droit. Dans un arrêt du 23 janvier 1968, la Cour de cassation a érigé l’adage Fraus en principe général du droit¹⁹. Dans cette affaire, sur la base de cet adage, il était interdit au créancier de se prévaloir de certificats falsifiés. Dans sa mercuriale prononcée lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation le 1er septembre 1970²⁰, le Procureur général Ganshof van der Meersch a explicitement reconnu un caractère juridique à l’adage Fraus, en y voyant un principe général du droit. La Cour de cassation l’a confirmé à maintes reprises²¹. Les doctrines belge²² et française²³ acceptent unanimement que l’adage Fraus constitue un principe général du droit. Ainsi, l’adage Fraus, faisant partie du droit positif, constitue une source formelle du droit dont la violation peut être directement invoquée devant la Cour de cassation²⁴.

    7. Ordre public. Nous estimons que l’adage Fraus touche à l’ordre public au sens de l’article 6 du Code civil. En effet, cet adage a comme objectif de préserver l’ordre social. Il relève des intérêts essentiels de la société que tout acte frauduleux, posé avec une intention de nuire à une partie contractante ou à un tiers, soit absolument interdit et que les effets nuisibles d’un tel acte soient entièrement neutralisés²⁵.

    Il en résulte que l’application de l’adage Fraus doit être soumise aux mêmes garanties procédurales que pour la violation de toute autre règle d’ordre public²⁶. Ainsi, l’adage Fraus doit pouvoir être invoqué par toute personne – une partie contractante ou un tiers – ayant un intérêt à agir. Le ministère public doit également pouvoir invoquer cet adage. En outre, l’adage Fraus doit pouvoir être soulevé à tout stade du litige, même pour la première fois devant la Cour de cassation²⁷. Le juge peut appliquer d’office l’adage Fraus. En droit actuel, le juge semble même avoir l’obligation d’appliquer d’office au litige la règle de droit correcte²⁸. Enfin, il résulte du caractère d’ordre public de l’adage Fraus qu’il est toujours interdit de renoncer au bénéfice de cet adage, même après la naissance du litige.

    Section 2

    Applications de l’adage Fraus omnia corrumpit

    8. Plan. Après avoir défini le concept de la fraude, le champ d’application de l’adage Fraus doit être strictement délimité. Ce champ d’application est très large. Les applications les plus importantes seront examinées ­ci-­dessous. Ainsi, dans le cadre de la conclusion ou de la mise en œuvre d’actes juridiques (infra, A.), l’adage Fraus connaît deux applications traditionnelles : le dol, consacré par l’article 1116 du Code civil (infra, 1.), et la fraude paulienne, sanctionnée par l’article 1167 du Code civil (infra, 2.). Par ailleurs, l’application de cet adage a été élargie aux domaines de la responsabilité extracontractuelle (infra, B.) et de la prescription (infra, C.).

    A. L’adage Fraus dans le cadre de la conclusion ou de la mise en œuvre d’actes juridiques

    1. Le dol

    9. L’existence d’une fraude dans sa seule conception subjective. Une première application traditionnelle de l’adage Fraus, dans le cadre de la conclusion d’actes juridiques, concerne le dol comme vice de consentement (C. civ., art. 1116). Le dol implique une manœuvre par une partie contractante, posée avec l’intention de tromper la partie adverse et de l’amener ainsi à conclure le contrat²⁹. Selon une partie de la doctrine, parmi laquelle Cornelis et Romain, cette intention de tromper nécessite toujours une intention spécifique de causer un dommage à la partie adverse (dol subjectif)³⁰. Une autre partie de la doctrine, parmi laquelle De Boeck, Wéry et Ghestin, estime, au contraire, qu’il n’est pas requis que l’auteur du dol ait effectivement voulu causer un dommage à l’autre partie. Il suffit que l’auteur du dol ait connaissance du caractère frauduleux de son acte et du dommage qui en résultera pour la partie adverse (dol objectif)³¹.

    Toutefois, la distinction entre ces deux conceptions est artificielle. Il n’y a pas de cas pratiques où l’auteur du dol a uniquement connaissance du dommage, sans avoir l’intention de causer ce dommage. En effet, l’auteur du dol cherche à obtenir un avantage illégitime suite à la conclusion d’un contrat. Par définition, il veut donc causer un dommage à la partie adverse en lui imposant un contrat préjudiciable contre son gré. Il en résulte que le dol requiert toujours une intention de nuire, c’est-à-dire la conscience du dommage pour l’autre partie et la volonté de le causer néanmoins. Cette conception équivaut à la seule définition de la fraude que nous retenons et dont l’élément subjectif constitue une part intégrante (voy. supra, no 3). Ainsi, l’adage Fraus, qui exige lui aussi une intention de nuire, constitue le fondement juridique du dol.

    10. Exception à la condition de l’excusabilité de l’erreur en cas de dol. L’adage Fraus joue un rôle important dans la sanction du dol lorsque la victime a elle-même commis une faute par négligence. Ainsi, la Cour de cassation a implicitement reconnu le rôle de l’adage Fraus dans un arrêt de principe du 23 septembre 1977³².

    Les faits qui sont à la base de cet arrêt sont succinctement mentionnés dans le 1er casus (le transfert d’actions). Dans le cadre d’un transfert d’actions d’une entreprise, le vendeur avait intentionnellement donné des informations inexactes à l’acheteur lors des pourparlers préparatoires, en exagérant le montant de ses actifs et en sous-­estimant le montant de ses passifs dans sa comptabilité. Dès lors, l’acheteur demande l’annulation du contrat de vente pour cause de dol. Le tribunal de première instance de Gand accueille partiellement cette demande sur la base de l’existence d’un dol incident. La cour d’appel attribue des dommages-­intérêts à l’acheteur pour cause de dol incident sous la forme d’une réduction du prix des actions et d’une diminution parallèle de la garantie envers les tiers. Concernant la sous-­estimation du passif, la cour d’appel juge que les acheteurs pouvaient difficilement déceler l’inexactitude des montants. Concernant l’exagération de l’actif, la cour d’appel décide que le dol du vendeur était prouvé, mais « [q]u’il ressort des pièces qu’à cet égard les acheteurs ont été négligents et ont pris des risques d’une manière inexcusable ». Le vendeur allègue en cassation que la cour d’appel ne pouvait considérer l’exagération de l’actif comme dol, lorsqu’elle décide en même temps que les acheteurs ont, à cet égard, fait preuve de négligence et ont pris des risques de manière inexcusable.

    La Cour de cassation ne suit pas cette argumentation. La Cour estime que « [l]orsque, d’après les constatations souveraines du juge du fond, le dol a déterminé le consentement, le cocontractant ne peut invoquer l’imprudence ni même la négligence grave et inexcusable de la victime du dol ; ladite imprudence ou négligence ne saurait avoir pour conséquence de rendre le dol excusable à son tour, ni d’empêcher l’annulation de la convention ou l’octroi de dommages-­intérêts ».

    Dès lors, la Cour de cassation a reconnu que pas plus l’imprudence que la négligence grave et inexcusable de la victime du dol ne sauraient avoir pour conséquence de neutraliser le dol ni d’empêcher l’annulation de la convention ou l’octroi de dommages-­intérêts. Ainsi, la mise en évidence d’un dol permet de faire exception à la condition selon laquelle l’erreur doit être excusable pour que la victime puisse invoquer la nullité du contrat³³. Cette condition d’excusabilité ne s’applique que lorsque l’erreur de la victime n’a pas été provoquée par le dol³⁴. Dans ses conclusions, l’Avocat général Krings se base expressément sur l’adage Fraus³⁵.

    11. Exception à la règle du partage de responsabilités en cas de dol. D’autre part, la Cour de cassation a implicitement reconnu le rôle de l’adage Fraus dans un arrêt du 29 mai 1980, concernant la responsabilité précontractuelle³⁶. Cette affaire concernait un transfert d’actions par une société anonyme, qui était engagée dans une procédure de faillite. La société avait seulement obtenu un consentement au transfert d’actions au moyen de manœuvres dolosives. Or, la partie cocontractante avait éventuellement été négligente, parce qu’elle s’était laissée convaincre par les ruses du vendeur. La Cour de cassation juge que « [l]orsque le dol a déterminé le consentement, la partie qui a commis le dol ne peut invoquer l’imprudence ou la négligence de son cocontractant ; ladite imprudence ou négligence ne saurait dispenser l’auteur du dol d’en réparer entièrement les conséquences dommageables, subies par la victime ».

    Ainsi, la Cour de cassation a reconnu, dans le cadre de la responsabilité précontractuelle, que la partie contractante qui a commis un dol doit entièrement réparer les conséquences dommageables du dol, même si la victime a commis elle-même une imprudence ou une négligence même grave et inexcusable. Ce principe constitue une exception à la règle du partage de responsabilités et à la théorie de l’équivalence des conditions, selon laquelle chaque faute, se trouvant dans un lien de causalité nécessaire avec tout le dommage, contribue de manière égale à la réalisation du dommage³⁷.

    12. Confirmation par l’arrêt de la Cour de cassation du 18 mars 2010. Dans un arrêt du 18 mars 2010, la Cour de cassation a explicitement fondé cette exception sur l’adage Fraus³⁸. Les faits qui sont à l’origine de cet arrêt ont été expliqués dans le 2e casus (le contrat de bail commercial). Lors de la conclusion d’un contrat de bail commercial avec un professionnel qui veut exploiter un carwash dans l’immeuble, un bailleur omet intentionnellement de mentionner qu’un locataire précédent n’avait pas obtenu d’autorisation pour une telle exploitation. Le professionnel, qui avait fait d’importants investissements architecturaux, subit un dommage suite à cette réticence dolosive. La cour d’appel juge que le bailleur doit intégralement réparer le dommage. Cependant, le juge du fond avait constaté que le professionnel, qui est un spécialiste dans le secteur et qui s’est fait assister par des experts, avait ­lui-même commis une faute lourde en négligeant de s’occuper des autorisations nécessaires. Le bailleur soutient en cassation qu’il ne peut être condamné à la réparation de l’entièreté du dommage, dès lors que la victime a elle-même commis une faute lourde.

    La Cour de cassation ne suit pas ce raisonnement. La Cour juge que « [l]e principe général du droit Fraus omnia corrumpit fait obstacle à ce que le dol procure un avantage à son auteur. Lorsque le dol donne lieu à l’annulation de la convention, l’auteur du dol ne peut invoquer l’imprudence ou la négligence même grave et inexcusable du cocontractant et reste tenu d’indemniser totalement le dommage, même si la victime du dol a commis semblable faute. »

    Ainsi, la Cour de cassation a confirmé, dans le cadre de la responsabilité précontractuelle, que l’auteur du dol doit intégralement réparer le dommage, malgré la faute non intentionnelle de la victime. Cette décision n’est pas surprenante puisque, dans un arrêt du 6 novembre 2002, la Cour de cassation avait déjà reconnu, dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle, que l’adage Fraus peut exclure l’application normale de la règle du partage de responsabilités sur la base de la théorie de l’équivalence des conditions (voy. infra, no 19). Or, la responsabilité précontractuelle constitue une application particulière de la responsabilité extracontractuelle en vertu de l’article 1382 du Code civil.

    13. Évaluation. Cette jurisprudence doit être approuvée. Il est vrai qu’une partie de la doctrine défend une conception objective du dol, selon laquelle il suffirait que l’auteur du dol ait connaissance de l’acte frauduleux et du dommage qui en résultera pour la partie adverse (voy. supra, no 9). Dans cette optique, la jurisprudence de la Cour de cassation ne pourrait être suivie que dans le cas où, de manière complémentaire, l’existence d’un dol subjectif est démontrée, c’est-à-dire l’intention particulière de nuire à l’autre partie. Dans ce seul cas, l’adage Fraus pourrait justifier la sanction du dol. Lorsqu’il s’avèrerait, au contraire, qu’une partie a seulement commis un dol objectif, sans intention spécifique de nuire à la partie adverse, la condition de l’excusabilité de l’erreur et la règle du partage de responsabilités devraient à nouveau trouver application, puisque l’adage Fraus ne serait pas applicable. Le dol, prenant souvent la forme d’une réticence dolosive, devrait dans ce cas être opposé à la faute par négligence de la victime, consistant généralement dans un manquement à l’obligation de s’informer. Ce raisonnement, qui est fondé sur la conception majoritaire dans la doctrine et qui a été développé dans une première phase de notre recherche doctorale³⁹, s’avère intenable. En effet, il n’existe pas de cas pratiques où une partie a connaissance du dommage qui sera causé à la partie adverse, sans avoir, en même temps, l’intention particulière de le provoquer.

    Sur la base de la conception unitaire du dol, dont l’élément subjectif forme une part intégrante (voy. supra, no 3), l’adage Fraus constitue le fondement juridique du dol, exigeant toujours une intention de nuire. Dans les exemples développés ­ci-­dessus, un tel dol est toujours présent : l’auteur de la fraude vise à obtenir un avantage personnel et, corrélativement, à nuire à la partie adverse. La jurisprudence de la Cour de cassation doit donc être accueillie sans réserve. Le but de l’adage Fraus consiste à exclure exceptionnellement l’application normale des règles de droit, en l’espèce, la condition de l’excusabilité de l’erreur pour l’invocation de la nullité du contrat ou la règle du partage de responsabilités sur la base de la théorie de l’équivalence des conditions. Ainsi, on empêche que la partie qui commet un dol puisse profiter de l’application de ces règles de droit.

    2. Action paulienne

    14. Doctrine traditionnelle : évolution vers une fraude paulienne objective. Une seconde application de l’adage Fraus, relative à la mise en œuvre des actes juridiques constitue l’action paulienne (C. civ., art. 1167). Sur cette base, les créanciers peuvent, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits.

    La jurisprudence ancienne exigeait, selon une conception subjective de la fraude, que le créancier prouve que son débiteur avait agi avec une intention spécifique de lui nuire⁴⁰. La jurisprudence actuelle considère, en revanche, qu’il suffit que le créancier prouve que l’acte avait un caractère anormal et que le débiteur a agi en sachant – ou selon certains⁴¹, en devant savoir – que les créanciers seraient préjudiciés⁴². La doctrine actuelle interprète cette jurisprudence comme une évolution vers une conception large, objective du concept de la fraude⁴³. En effet, la majorité de la jurisprudence⁴⁴ et de la doctrine⁴⁵ estime que l’action paulienne trouve son fondement dans la responsabilité extracontractuelle. La Cour de cassation a confirmé ce point de vue dans deux arrêts récents du 26 avril 2012⁴⁶ et du 25 janvier 2013⁴⁷, en subordonnant l’action paulienne au double délai de prescription applicable aux actions en réparation, visé à l’article 2262bis, § 1er, alinéas 2 et 3, du Code civil. Dans ces affaires, l’action paulienne était dès lors prescrite, puisque le délai de cinq ans prévu à l’article mentionné s’était écoulé.

    Ainsi, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 26 avril 2012, une épouse avait une créance ­vis-à-vis de son ex-­conjoint suite à des arriérés de paiement d’une pension alimentaire. Après la naissance de cette créance, le patrimoine des parents de l’ex-­conjoint est réparti entre vifs, de telle sorte que tous les biens immeubles sont transférés par donation aux frères de l’ex-­conjoint. L’ex-­conjoint ­lui-même ne reçoit que de l’argent et des biens meubles, qui sont plus difficilement saisissables pour l’ex-­épouse. Dès lors, l’ex-­épouse intente une action paulienne et demande l’inopposabilité de ces donations frauduleuses. La cour d’appel d’Anvers juge que l’action paulienne est une application de l’article 1382 du Code civil et que, partant, elle est soumise au double délai de prescription pour actions en réparation du dommage sur la base de la responsabilité extracontractuelle (C. civ., art. 2262bis, § 1, al. 2 et 3). Selon la cour d’appel, le délai de cinq ans prévu pour de telles actions a pris fin, de sorte que l’action paulienne est prescrite. En conséquence, la cour d’appel déclare l’action paulienne non fondée.

    L’ex-­épouse fait valoir en cassation que l’action paulienne n’est pas une action en réparation d’un dommage, mais que ­celle-ci se fonde sur l’adage Fraus. Cette action vise, en effet, à faire déclarer inopposable un acte frauduleux par rapport au créancier lésé. C’est pourquoi l’ex-­épouse estime que l’action paulienne doit être soumise au délai de dix ans pour actions personnelles (C. civ., art. 2262bis, § 1, al. 1). Or, ce délai ne s’est pas encore écoulé, de sorte que, dans cette conception, l’action paulienne n’est pas encore prescrite.

    La Cour de cassation ne suit pas cet argument. La Cour estime, en confirmant ainsi l’arrêt de la cour d’appel, que l’action paulienne « [t]end à la réparation du dommage causé au créancier par l’appauvrissement frauduleux du débiteur. Cette action paulienne est soumise aux délais de prescription de l’article 2262bis, § 1, alinéas 2 et 3 du Code civil ».

    15. Doctrine traditionnelle : nécessité d’une fraude paulienne subjective en l’absence d’antériorité de la créance. La doctrine traditionnelle considère que ce n’est que pour l’exclusion de la condition de l’antériorité de la créance que l’existence d’une fraude objective du débiteur est insuffisante. En principe, la créance doit être antérieure à l’acte frauduleux incriminé, pour que le créancier puisse recourir à l’action paulienne. Toutefois, si certains actifs sont soustraits au patrimoine du débiteur avec la seule intention de nuire aux créanciers postérieurs, ces créanciers peuvent intenter une action paulienne. Ainsi, selon la doctrine actuelle, la condition de l’antériorité de la créance est écartée en cas de fraude subjective du débiteur, organisée contre des créanciers futurs. La doctrine justifie cette exception sur la base de l’adage Fraus⁴⁸.

    16. Prise de position : l’existence d’une fraude paulienne dans sa seule conception subjective. La distinction entre la fraude paulienne objective et subjective ne peut toutefois être retenue. Il n’existe qu’un seul concept de la fraude paulienne, à laquelle la conception subjective est inhérente. En effet, en diminuant intentionnellement son patrimoine ou en augmentant son insolvabilité, le débiteur veut obtenir un avantage illégitime et, partant, susciter des conséquences dommageables pour son créancier. Déjà en droit romain, le principe de base était que la fraude paulienne supposait, en tout cas, une intention du débiteur de nuire à son créancier. Sur le plan probatoire, une présomption d’existence d’une telle intention de nuire au créancier était toutefois déduite d’un acte conscient et volontaire posé par le débiteur avec la connaissance du préjudice qui en résultera pour le créancier⁴⁹.

    À l’instar du droit romain et à la suite de Josserand, Planiol et Ripert et, plus récemment, Terré, Simler et Lequette, il faut admettre qu’il n’existe pas deux définitions différentes de la fraude paulienne, une objective et une subjective : il ne s’agit que de deux critères différents au niveau de l’administration de la preuve⁵⁰. Le concept de la fraude est toujours conçu d’une façon subjective : lorsque le débiteur diminue consciemment et volontairement son patrimoine ou augmente son insolvabilité dans des circonstances anormales, il le fera afin d’obtenir un avantage personnel et, partant, de nuire à ses créanciers. Sur le plan probatoire, cependant, lorsque le débiteur a posé un acte anormal et que la créance est antérieure à l’acte incriminé, il suffit que le créancier prouve que le débiteur était conscient de son acte et du préjudice qu’il causera à ses créanciers. L’acte anormal constituera une indication importante d’une telle conscience⁵¹. Ainsi, la connaissance du préjudice par le débiteur crée une présomption de son intention de nuire au créancier. Il s’agit toutefois d’une présomption réfragable, de sorte que le débiteur a la possibilité de démontrer l’absence d’une intention de nuire.

    Lorsque le débiteur a posé un acte normal ou lorsque la créance est postérieure à l’acte incriminé, l’administration de la preuve est plus sévère. Le créancier devra expressément prouver l’intention de nuire du débiteur pour pouvoir recourir à l’action paulienne. En effet, en principe, un acte juridique normal est étranger à la fraude. Aussi, en l’absence d’antériorité de la créance, un acte conscient et volontaire posé par le débiteur n’est, en principe, pas entaché de fraude à l’égard des créanciers futurs. Tant que la créance n’est pas née, le débiteur peut librement disposer de son patrimoine. Il est logique que les créanciers postérieurs n’aient pu compter sur les éléments d’actifs dont le débiteur a déjà disposé⁵². La seule connaissance du dommage qui peut être causé aux créanciers ne peut justifier une présomption d’intention de nuire à ces créanciers. Le créancier qui se prévaut de l’action paulienne devra expressément apporter la preuve d’une telle intention frauduleuse.

    Suite à la définition subjective du concept de la fraude, requérant une intention de nuire, l’adage Fraus, qui exige également une intention de nuire, constitue le seul fondement juridique adéquat pour sanctionner la fraude paulienne du débiteur⁵³. Il en résulte que, contrairement à la solution retenue dans les arrêts du 26 avril 2012 et du 25 janvier 2013, l’action paulienne devrait être subordonnée au délai de prescription de dix ans applicable aux actions personnelles prévu à l’article 2262bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil. Ceci peut avoir d’importantes conséquences pratiques, puisque, dans ces affaires, l’action paulienne n’aurait pas dû être considérée comme étant prescrite.

    17. Exception à la règle de l’opposabilité des actes juridiques aux tiers en cas de fraude. L’action paulienne rend l’acte incriminé inopposable au créancier qui l’a exercée⁵⁴. L’acte frauduleux n’est pas annulé : il sortit encore ses effets entre les parties contractantes, à savoir le débiteur et son cocontractant. L’inopposabilité a un effet relatif. Elle ne bénéficie qu’au créancier poursuivant, qui peut agir comme si les biens aliénés par le débiteur n’avaient jamais quitté le patrimoine de ce dernier. Les autres créanciers qui ne se sont pas joints à l’action ne pourront saisir ces biens : l’acte incriminé leur est toujours opposable⁵⁵.

    Dans les rapports entre le créancier poursuivant et le débiteur, la sanction de l’inopposabilité trouve son fondement dans l’adage Fraus⁵⁶. Elle ne peut être considérée comme une réparation en nature du dommage causé au créancier⁵⁷. Un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne confirme ce point de vue, à propos de l’application de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale⁵⁸. En principe, le défendeur est attrait devant les juridictions de l’État membre où est situé son domicile (art. 2). Néanmoins, en matière délictuelle ou quasi-­délictuelle, le débiteur peut être exceptionnellement attrait devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit (art. 5, al. 3). La Cour décide cependant que cet article ne s’applique pas à l’action paulienne, puisque cette action ne tend pas à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur⁵⁹. Selon la Cour, l’objet de l’action paulienne « [n]’est pas de faire condamner le débiteur à réparer les dommages qu’il a causés à son créancier par son acte frauduleux, mais de faire disparaître, à l’égard du créancier, les effets de l’acte de disposition passé par son débiteur »⁶⁰. La neutralisation des effets de l’acte frauduleux ­vis-à-vis du créancier constitue précisément une expression de l’adage Fraus. Cet adage a comme objectif d’exclure l’application normale de la règle de l’opposabilité des actes juridiques aux tiers, afin que le débiteur ne puisse pas en profiter⁶¹.

    L’action paulienne est dirigée contre le tiers qui a traité avec le débiteur, pour des raisons pratiques⁶². En effet, d’ordinaire, les actifs faisant l’objet de l’acte incriminé se trouveront, en réalité, dans le patrimoine du tiers, où le créancier pourra saisir ces biens. Or, dans la relation entre le créancier poursuivant et le tiers, l’inopposabilité peut être considérée comme une réparation en nature du dommage subi personnellement par le créancier⁶³. En effet, dans le cas d’un acte conclu à titre onéreux, le comportement du tiers complice, qui a traité avec le débiteur en sachant que l’acte juridique en question portera atteinte aux intérêts des créanciers de ­celui-ci, constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil⁶⁴.

    Toutefois, une réparation en nature ne sera pas toujours possible, par exemple lorsque le bien est déjà sorti du patrimoine du tiers. Ce dernier peut avoir transféré ce bien à un tiers de bonne foi. Dans ce cas, le créancier peut réclamer la réparation par équivalent au tiers complice, qui prendra en principe la forme de dommages-­intérêts⁶⁵. Ainsi, dans la relation entre le créancier lésé et le tiers, l’action paulienne a une fonction indemnitaire : le créancier ne peut que procéder à l’exécution ou obtenir une indemnité correspondant au montant du dommage subi. En d’autres termes, l’action paulienne ne peut pas enrichir le créancier par rapport à la situation dans laquelle il se serait trouvé si le débiteur avait correctement rempli ses obligations⁶⁶.

    18. Ordre public. Puisque la sanction de la fraude paulienne du débiteur est fondée sur l’adage Fraus, ­celle-ci touche à l’ordre public (voy. supra, no 7). L’acte frauduleux, posé par le débiteur en vue de nuire à son créancier, cherche à atteindre un but qui enfreint l’ordre social. C’est pourquoi il relève de l’intérêt général que les effets juridiques d’un tel acte soient entièrement neutralisés à l’égard de la victime de la fraude. L’application de l’article 1167 du Code civil doit donc être soumise aux garanties procédurales strictes qui s’imposent pour la violation de toute règle d’ordre public.

    B. L’adage Fraus dans le cadre de la responsabilité extracontractuelle

    19. Exception à la règle du partage de responsabilités en cas de concours d’une faute intentionnelle du prévenu et d’une faute non intentionnelle de la victime : l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2002. La Cour de cassation a élargi le champ d’application de l’adage Fraus au domaine de la responsabilité extracontractuelle. Dans un arrêt important du 6 novembre 2002, la Cour a reconnu une exception à la règle du partage de responsabilités en cas de concours d’une faute intentionnelle de l’auteur du dommage et d’une faute par négligence de la victime.

    Les faits qui sont à la base de cet arrêt ont été annoncés dans le 3e casus (la banque escroquée). Un prévenu avait escroqué à une banque une somme de plus de 4,5 millions d’euros. Il avait été aidé par un préposé de la banque. Le prévenu est condamné pénalement pour faux et escroqueries. Au civil, la cour d’appel de Liège a admis un partage de responsabilités. En effet, le prévenu avait commis une faute intentionnelle, mais la cour d’appel estime que la victime avait, elle aussi, commis une imprudence, en raison de défaillances dans son système de surveillance. Partant, selon la cour d’appel la victime doit subir elle-même un tiers de la charge du dommage. La banque soutient en cassation que l’adage Fraus prohibe qu’un acte frauduleux soit invoqué en vue de justifier l’application à son profit d’une règle de droit. Puisque la faute du prévenu est intentionnelle, ­celui-ci ne pourra invoquer une faute par négligence de la victime pour obtenir un partage de responsabilités. La Cour de cassation suit cette argumentation. Elle décide que « le principe général du droit Fraus omnia corrumpit, qui prohibe toute tromperie ou déloyauté dans le but de nuire ou de réaliser un gain, exclut que l’auteur d’une infraction intentionnelle engageant sa responsabilité civile puisse prétendre à une réduction des réparations dues à la victime de cette infraction en raison des imprudences ou des négligences qu’elle aurait commises »⁶⁷.

    L’auteur d’une fraude devra donc exceptionnellement subir l’intégralité de la charge du dommage, même si la victime a commis une faute non intentionnelle. La Cour a ainsi écarté, dans ce cas, l’application de la théorie de l’équivalence des conditions, qui établit le principe du partage de responsabilités (voy. supra, no 11). Cette théorie exige, en effet, que tout auteur dont la faute a nécessairement contribué à la réalisation du dommage, répare une part du dommage⁶⁸. Or, l’application de cette règle aurait permis à l’auteur de la fraude de profiter – partiellement – d’un tel partage de responsabilités⁶⁹. Selon la Cour, l’adage Fraus y fait obstacle.

    La Cour de cassation a ainsi appliqué la thèse de Romain, à laquelle fait référence l’Avocat général Spreutels dans ses conclusions⁷⁰. Romain défend le principe général que l’auteur d’une faute intentionnelle ne peut invoquer la faute commise par une autre personne⁷¹. Cet auteur estime en effet que l’adage Fraus exclut que l’auteur de la fraude puisse se prévaloir de certaines règles de droit positif normalement applicables dont il pourrait tirer un bénéfice⁷². La Cour de cassation a confirmé cet arrêt dans sa jurisprudence ultérieure⁷³.

    20. Application de l’exception à la règle du partage de responsabilités à l’égard du commettant qui répond d’une faute intentionnelle de son préposé. Par un arrêt récent du 30 septembre 2015, la Cour de cassation a appliqué l’exception au principe du partage de responsabilités à l’égard d’un commettant qui doit civilement répondre d’une infraction intentionnelle de son préposé, sur la base de l’article 1384, alinéa 3, du Code civil. La Cour décide que cette disposition prévoit une présomption irréfragable de responsabilité à charge du commettant pour le dommage causé par la faute du préposé dans les fonctions auxquelles il l’a employé. Selon la Cour, le commettant de l’auteur d’une infraction intentionnelle ne peut dès lors, pas plus que l’auteur ­lui-même, prétendre à une réduction des réparations dues à la victime en raison des imprudences ou négligences qu’elle aurait commises, sur la base de l’adage Fraus⁷⁴.

    Cette solution doit être approuvée. En effet, en vertu de l’article 1384, alinéa 3, du Code civil, les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. La doctrine majoritaire, à laquelle nous nous rallions, considère que cet article instaure une responsabilité objective au nom de l’intérêt social⁷⁵. Ainsi, le législateur offre une garantie supplémentaire à la victime du dommage, qui aura un recours contre la partie qui est considérée comme la plus solvable⁷⁶.

    La responsabilité objective de l’article 1384, alinéa 3, du Code civil est dissociée d’une faute du commettant. Elle explique dès lors le caractère irréfragable de la présomption de responsabilité du commettant : ­celui-ci ne peut se dégager de sa responsabilité en prouvant l’absence de sa faute personnelle ou en invoquant une cause d’exonération qui lui est propre⁷⁷. En effet, selon De Page, ainsi que Dalcq et Mazeaud, l’interdiction de la preuve contraire a pour conséquence que le sort du commettant est indissolublement lié à celui du préposé. Il fait définitivement corps avec lui⁷⁸. Même la cause étrangère, telle que la force majeure ou la faute d’un tiers ou de la victime, ne libère le commettant que dans la mesure où elle libère le préposé ­lui-même⁷⁹. Seule une cause d’exonération applicable au comportement du préposé peut exclure la responsabilité du commettant⁸⁰.

    En conséquence, le commettant, qui suit le sort du préposé qui a commis une infraction intentionnelle dans ou à l’occasion de ses fonctions, ne peut, pas plus que le préposé ­lui-même, prétendre à une réduction de sa responsabilité suite à une faute par négligence de la victime, sur la base de l’adage Fraus. Ainsi, en raison du caractère irréfragable de la présomption de responsabilité visée à l’article 1384, alinéa 3, du Code civil, les effets de l’adage Fraus se répercutent sur le commettant de l’auteur d’une infraction intentionnelle⁸¹.

    21. Application de l’exception à la règle du partage de responsabilités à l’égard de la victime qui a commis une faute intentionnelle. L’exception à la règle du partage de responsabilités doit s’appliquer mutatis mutandis, lorsque la victime a commis une faute intentionnelle et que l’auteur du dommage n’a commis qu’une faute par négligence⁸². Sur la base de l’adage Fraus, la victime, qui a agi d’une manière intentionnelle, ne peut avoir aucun recours en indemnité contre l’auteur du dommage qui a commis une simple faute par négligence. Par exemple, les héritiers d’une victime qui se jette devant une voiture pour se suicider, n’ont pas le droit de réclamer une indemnité à l’égard du chauffeur qui roulait trop vite par négligence.

    Ainsi, par un arrêt récent du 2 mars 2016, la Cour de cassation a reconnu que la victime d’une infraction qui a commis une faute intentionnelle qui est commune à celle de l’auteur de l’infraction génératrice du dommage, n’a pas droit à la réparation du dommage résultant de cette faute, sur la base de l’adage Fraus. Dans cette affaire, une société, déclarée en faillite, avait pour objet principal le développement et l’exploitation d’un casino. Or, dans le cadre de l’exploitation du casino, les dirigeants et les employés du casino et de la société avaient commis une fraude qui consistait à déclarer officiellement des recettes inférieures à la réalité, la différence étant prélevée et non déclarée. Ainsi, les dirigeants et les employés de la société avaient détourné à leur profit d’importantes sommes d’argent appartenant à la société. Ils sont condamnés pénalement pour faux, usage de faux et corruption. Au civil, la cour d’appel de Liège condamne les prévenus à la réparation du dommage que la société avait subi suite à la fraude.

    Les prévenus invoquent en cassation que, sur la base de l’adage Fraus, la société n’avait pas droit à une telle réparation, puisque l’ensemble de la fraude avait été imaginée et mise en œuvre par les organes de la société (ses dirigeants et employés).

    La Cour de cassation a reconnu, à juste titre selon nous, que « [l]e principe Fraus omnia corrumpit empêche que le dol procure un avantage à l’auteur. Ce principe s’oppose à ce que la victime d’une infraction obtienne la réparation du dommage résultant d’une faute intentionnelle commise par elle et qui est commune à celle de l’auteur de l’infraction génératrice du dommage ». La Cour décide toutefois que les juges d’appel ont correctement considéré que la société n’avait pas commis elle-même une fraude de nature à réduire la réparation due à ­celle-ci. En outre, en commettant les infractions intentionnelles, les organes ne sont pas restés dans les limites de leurs attributions légales, de sorte que la société ne répond pas de ces infractions. Enfin, les actes dommageables commis par les organes constituent un abus de fonction grave et intentionnel sans relation avec l’objet social de la société. Sur cette base, la Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel⁸³.

    22. Exception à la règle de la responsabilité in solidum en cas de concours d’une faute intentionnelle et d’une faute non intentionnelle de plusieurs co-­auteurs – Rejet par l’arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2009. Dans un arrêt du 2 octobre 2009, la Cour de cassation a refusé d’admettre une exception à la règle de la responsabilité in solidum en cas de concours d’une faute intentionnelle d’un auteur in solidum et d’une faute par négligence d’un ou plusieurs co-­auteur(s)⁸⁴.

    Les faits donnant lieu à cet arrêt sont expliqués dans le 4e casus (l’assurance responsabilité en matière de véhicules automoteurs). Un assureur de la responsabilité automobile effectue d’importants décaissements pour indemniser un assuré, qui a été victime d’un grave accident de circulation. Toutefois, l’assuré avait intentionnellement omis de mentionner dans la déclaration du risque qu’il avait déjà fait l’objet d’une condamnation et avait déjà été impliqué dans des accidents de circulation auparavant. C’est pourquoi l’assureur intente une action récursoire contre l’assuré, afin de récupérer les sommes payées. En outre, un courtier en assurances avait commis une négligence, puisqu’il n’avait pas signalé l’omission de l’assuré en raison d’une organisation inefficace de son bureau. Dès lors, malgré sa faute intentionnelle, l’assuré dirige un recours contributoire contre le courtier, pour récupérer une part de l’indemnité due. Le tribunal de première instance de Verviers, statuant en degré d’appel, décide que les fautes concurrentes de l’assuré et du courtier sont toutes deux à l’origine des décaissements de l’assureur. Ils sont donc condamnés in solidum à indemniser l’assureur. Le courtier allègue en cassation que l’assuré, auteur d’une faute intentionnelle, n’a pas le droit, compte tenu de l’adage Fraus, d’intenter un recours contributoire à son égard. La Cour de cassation ne suit pas cet argument. Elle décide que pour l’application du recours contributoire, il est indifférent que certaines des fautes concurrentes soient intentionnelles alors que d’autres ne le sont pas. La Cour accepte ainsi que l’auteur d’une faute intentionnelle qui a indemnisé la victime a un droit de recours contre ses co-­auteurs qui n’ont commis qu’une simple négligence ou imprudence.

    23. Confirmation par l’arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2011. La Cour de cassation a confirmé son point de vue dans un arrêt du 16 mai 2011. Dans cette affaire, un agent d’exécution falsifie, dans le cadre de l’accomplissement de sa mission pour le cabinet d’expertise comptable où il travaille, un ordre de virement par lequel un client du cabinet avait donné l’ordre d’effectuer le payement d’une somme importante. Le fraudeur a remplacé le numéro de compte du bénéficiaire par le numéro de compte d’une personne morale qu’il contrôlait. L’ordre de virement est exécuté et la somme d’argent tombe sous les mains de la personne morale contrôlé par le prévenu, qui, ensuite, détourne les fonds. Le cabinet d’expertise comptable est tenu responsable de l’infraction intentionnelle commise par son agent d’exécution. Or, l’assureur du cabinet soutient que la banque qui a exécuté l’ordre de virement est co-­responsable, puisque ­celle-ci n’a pas effectué les contrôles nécessaires pour découvrir la fraude. Ainsi, selon l’assureur du cabinet d’expertise comptable, la banque a commis une faute non intentionnelle qui est, elle aussi, une cause du dommage. C’est pourquoi l’assureur intente un recours contributoire contre la banque, afin de récupérer une partie de l’indemnité qu’il devait payer. La cour d’appel de Bruxelles déclare cette action fondée, mais estime que la part du cabinet d’expertise comptable, qui répond des actes de son agent d’exécution, doit être considérée comme plus lourde par rapport à la part de la banque dans la charge du dommage, qui n’a commis qu’une négligence.

    La banque allègue en cassation que l’adage Fraus exclut que la personne qui répond d’une infraction intentionnelle commise par son agent d’exécution, puisse introduire un recours contributoire contre un co-­auteur, qui a commis une faute par négligence. La Cour de cassation rejette cet argument. La Cour estime que « [l]e principe général du droit Fraus omnia corrumpit, qui fait obstacle à ce que la fraude profite à son auteur, ne s’oppose pas à ce que la personne qui est tenue à l’égard du préjudicié de répondre de l’infraction volontaire commise par la personne dont elle répond, réclame au co-­auteur sa part dans le préjudice ». Ainsi, la Cour confirme qu’aussi une personne qui répond d’un auteur d’une infraction intentionnelle a un droit de recours contre un co-­auteur, qui n’a commis qu’une faute par négligence⁸⁵.

    24. Évaluation critique. Cette jurisprudence est surprenante, particulièrement à la lumière du principe posé dans l’arrêt du 6 novembre 2002⁸⁶. Le principe général, selon lequel une règle de droit doit être écartée lorsqu’elle permet à l’auteur d’une fraude d’en obtenir un avantage, doit également valoir dans le cadre de la responsabilité in solidum. Ce principe doit, selon Fagnart et Van Ommeslaghe, s’appliquer de manière générale aux fautes présentant un caractère frauduleux⁸⁷. Or, dans l’arrêt du 2 octobre 2009, il est évident que l’omission intentionnelle dans la déclaration du risque par l’assuré constituait une faute frauduleuse, impliquant une intention de nuire ou de réaliser un gain. Dans l’arrêt du 16 mai 2011, la falsification d’un ordre de virement par l’agent d’exécution constituait également une faute frauduleuse, commise avec une intention de nuire.

    Pour l’application de l’adage Fraus dans la relation entre codébiteurs in solidum, il est indifférent que l’auteur de la faute intentionnelle ait l’intention de nuire à la victime (l’assureur), et non à son co-­auteur (le courtier)⁸⁸. En effet, l’objectif principal de l’adage Fraus consiste à sanctionner une intention frauduleuse⁸⁹. Seul l’élément intentionnel du comportement de l’auteur de la fraude est décisif. Il est moins important de savoir qui est visé par cette intention de nuire. Par ailleurs, il résulte du caractère d’ordre public de l’adage Fraus que toute personne ayant un intérêt à agir peut invoquer cet adage à l’égard de l’auteur de la fraude (voy. supra, no 7). Or, tant la victime, qu’un co-­auteur in solidum ont un intérêt à invoquer l’adage Fraus, puisque l’application de cet adage leur permet d’échapper à la règle de la responsabilité in solidum.

    Dès lors, le principe posé dans l’arrêt du 6 novembre 2002 devrait s’appliquer, d’une manière analogue à la relation entre co-­auteurs in solidum⁹⁰. Sur cette base, l’auteur d’une faute intentionnelle qui a indemnisé la victime ne devrait pas pouvoir invoquer la faute par négligence de son co-­auteur, afin d’obtenir un recours contributoire contre ce dernier. Suite à son acte frauduleux, il devrait perdre tout droit à un recours contributoire. Au niveau de la contribution à la dette, la charge totale du dommage incomberait ainsi exceptionnellement à l’auteur de la fraude. Ainsi, l’application de la théorie de l’équivalence des conditions, qui impose le principe de la responsabilité in solidum, devrait être écartée au nom de l’adage Fraus. En principe, au niveau de la contribution à la dette, cette théorie a pour conséquence que chacun des responsables, tenu pour le tout ­vis-à-vis de la victime, doit nécessairement supporter une part, même infime, du dommage. Or, l’adage Fraus justifie une exception à cette théorie. Dans le cas contraire, l’application pure et simple de la règle permettrait à l’auteur d’actes frauduleux d’obtenir un gain de sa fraude. En droit français, la solution que nous préconisons est retenue. Des arrêts refusent à celui qui a commis une faute intentionnelle la possibilité d’intenter un recours contributoire contre un coresponsable, auteur d’une simple négligence⁹¹.

    Cette solution signifie, pour l’arrêt du 2 octobre 2009, que l’assuré, qui a commis une faute intentionnelle, ne pourra se prévaloir de la faute par négligence du courtier pour récupérer une partie des sommes dues.

    Dans l’arrêt du 16 mai 2011, le cabinet d’expertise comptable est, en tant que commettant, contractuellement responsable pour le dommage que son client a subi suite à la faute intentionnelle de son auxiliaire. Dès lors, la théorie de l’identification ou de la représentation matérielle s’applique. Selon cette théorie, un auxiliaire peut être matériellement ou économiquement assimilé à son commettant, de sorte que sa position juridique correspond à celle du commettant⁹². Ainsi, lorsque l’auxiliaire commet une faute dans l’accomplissement de sa mission, qui cadre dans l’exécution du contrat principal entre le commettant et son cocontractant, le commettant sera tenu personnellement responsable pour cette faute, comme s’il l’avait ­lui-même commise ­vis-à-vis de son cocontractant⁹³. Or, il résulte des faits de l’arrêt du 16 mai 2011 que l’auxiliaire a commis une infraction intentionnelle dans l’accomplissement de sa mission pour le cabinet d’expertise comptable pour lequel il travaillait, qui était son commettant. Cette infraction devra donc être considérée comme celle du commettant ­lui-même. Dès lors, le cabinet d’expertise comptable, qui est estimé être ­lui-même l’auteur de la faute intentionnelle, ne pourra se prévaloir d’une faute concurrente par négligence de la banque pour obtenir un partage de la charge du dommage, sur la base de l’adage Fraus.

    25. L’adage Fraus comme seul fondement juridique correct. En France, le fondement des exceptions examinées se situe toutefois sur le terrain de la causalité : en cas de concours entre une faute intentionnelle et une faute par négligence, la causalité de la faute intentionnelle absorberait celle de la faute plus légère, non intentionnelle. Sur la base de la théorie de la causalité adéquate, seule la faute intentionnelle est retenue comme cause adéquate du dommage, tel que l’auteur de cette faute doit réparer l’entièreté du dommage⁹⁴. En Belgique, un tel fondement serait contraire à la théorie de l’équivalence des conditions, qui établit la causalité nécessaire entre chaque faute et le dommage. Sur la base de cette théorie, il est interdit de faire une sélection entre les différentes causes du dommage selon la gravité des fautes respectives⁹⁵.

    À notre avis, ce fondement est également contraire à la théorie de la causalité adéquate, appliquée d’une façon

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