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Réformer le droit des contrats ?: Analyse comparée autour du droit luxembourgeois
Réformer le droit des contrats ?: Analyse comparée autour du droit luxembourgeois
Réformer le droit des contrats ?: Analyse comparée autour du droit luxembourgeois
Livre électronique1 678 pages27 heures

Réformer le droit des contrats ?: Analyse comparée autour du droit luxembourgeois

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À propos de ce livre électronique

À un moment où la France a adopté une importante réforme de son droit des obligations, et où la Belgique s’apprête à faire de même dans le cadre d’une refonte générale de son Code civil, le Luxembourg, troisième pays à avoir conservé le code de 1804 comme base de sa législation civile, se trouve confronté à la question de savoir s’il doit, lui aussi, procéder à une réforme similaire, et, si oui, quelles voies il doit suivre dans cette réforme. Doit-il coller au plus près au système français qui lui servait jusque-là principalement de modèle ? Doit-il, compte tenu du contexte luxembourgeois spécifique, choisir sa propre voie, en combinant des solutions issues des réformes française et belge avec des solutions venues d’autres traditions, et en s’inspirant éventuellement des textes internationaux et des projets européens ?

Le présent ouvrage est tiré des travaux d'un colloque qui s'est tenu à l'Université du Luxembourg les 22 et 23 novembre 2018. Il rassemble des contributions actualisées d’auteurs allemands, anglais, belges, écossais, français, québécois et suisses qui présentent chacun leur droit ainsi que les instruments européens et internationaux pertinents autour de six thèmes fondamentaux du droit des contrats. Chaque chapitre est complété d'un riche matériel de droit comparé.

Au-delà d’une réflexion sur une future réforme du droit luxembourgeois, l’ouvrage devrait intéresser tous ceux qui souhaitent comprendre les ressemblances et les divergences d’approches dans les sept systèmes juridiques et les différents instruments européens et internationaux analysés sur les thèmes essentiels du droit des contrats retenus.
LangueFrançais
Date de sortie16 janv. 2020
ISBN9782807921313
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    Aperçu du livre

    Réformer le droit des contrats ? - Éditions Larcier

    978280792131_TitlePage.jpg

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web via www.larcier.com

    © Lefebvre Sarrut Belgium s.a., 2020

    Éditions Larcier

    Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 978-2-8079-2131-3

    La Collection de la Faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg, dirigée par André Prüm, est dédiée au droit luxembourgeois, au droit européen et au droit comparé.

    Elle accueille des études pratiques, des manuels de cours, des monographies, des actes de colloque et des thèses. Fruit des travaux des professeurs, assistant-professeurs et autres enseignants-chercheurs de la jeune et dynamique Université du Luxembourg, elle constitue le reflet d’une équipe de juristes paneuropéenne.

    Ancrés dans l’actualité et de haute qualité scientifique, les ouvrages de la Collection s’adressent aux praticiens et étudiants comme aux universitaires et chercheurs.

    Dans la même collection :

    A. Prüm (coord.), Le nouveau droit luxembourgeois des sociétés, 2008.

    D. Hiez (coord.), Le droit luxembourgeois du divorce. Regards sur le projet de réforme, 2008.

    S. Bot, Le mandat d’arrêt européen, 2009.

    A. Prüm (coord.), La codification en droit luxembourgeois du droit de la consommation, 2009.

    D. Hiez (dir.), Droit comparé des coopératives européennes, 2009.

    J. Gerkrath (coord.), Droit d’asile au Grand-Duché de Luxembourg et en Europe, 2009.

    A. Canel, D Hiez, V. Hoffeld, W. Meynet, Guide pratique des associations et fondations luxembourgeoises, 2010.

    C. Deschamp-Populin, La cause du paiement. Une analyse innovante du paiement et des modes de paiement, 2010.

    J. Gerkrath (coord.), La refonte de la Constitution luxembourgeoise en débat, 2010.

    P.-H. Conac (coord.), Fusions transfrontalières de sociétés, 2011.

    I. Corbisier, La société : Contrat ou institution ?, 2011.

    E. Poillot et I. Rueda, Les frontières du droit privé européen / The Boundaries of European Private Law, 2012.

    A. Sotiropoulou, Les obligations d’information des sociétés cotées en droit de l’Union européenne, 2012.

    C. Micheau, Droit des aides d’État et des subventions en fiscalité, 2013.

    N. R. Tafotie Youmsi, Build, operate and transfer, 2013.

    A. Quiquerez, La titrisation des actifs intellectuels, 2013.

    M. Hofmann, International regulations of space communications, 2013.

    T. Delille, L’analyse d’impact des règlementations dans le droit de l’Union européenne, 2013.

    M. Gennart, Le contrôle parlementaire du principe de subsidiarité, 2013.

    R. Ergec, Protection européenne et internationale des droits de l’homme, 3e édition, 2014.

    S. Menetrey et B. Hess (dir.), Les dialogues des juges en Europe, 2014.

    I. Pelin Raducu - Dialogue déférent des juges et protection des droits de l’homme, 2014.

    E. Poillot (dir.), L’enseignement clinique du droit, 2014.

    E. Neframi (dir.), Renvoi préjudiciel et marge d’appréciation du juge national, 2015.

    W. Tadjudje, Le droit des coopératives et des mutuelles dans l’espace OHADA, 2015.

    P. Ancel, Contrats et obligations conventionnelles en droit luxembourgeois, 2015.

    S. Menétrey, Procédure civile luxembourgeoise, 2016.

    M. Marty, V. Malabat, La légalité de la preuve dans l’espace pénal européen, 2016.

    M. Happold, M. Pichou, The Protection of Persons Fleeing armed Conflict and other Situations of armed Violence / La Protection de personnes fuyant un conflit armé et d’autres situations de violence, 2016.

    A. Prüm (dir.), Cent ans de droit luxembourgeois des sociétés, 2016.

    P. Ancel et L. Heuschling (dir.), La transnationalisation de l’enseignement du droit, 2016.

    Fr. Hilger, Droit familial luxembourgeois. L’union du couple, 2017.

    A. Prüm, La réforme du droit luxembourgeois des sociétés, 2017.

    S. Gonzalez, Les accords judiciaires de coopération internationale, 2018.

    H. Westendorf, Les sûretés et garanties du crédit en droit luxembourgeois, Tome 1, 2018.

    C. Sauer, Contrôle juridictionnel des lois au Luxembourg, 2019.

    F. Chaouche, Legitimate expectations in luxembourg tax law, 2019.

    Liste des contributeurs

    Pascal Ancel Professeur émérite de l’Université du Luxembourg

    Laurent Aynès Professeur émérite de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne),

    Agrégé des facultés de droit (France), Avocat associé (AARPI Darrois Villey Maillot Brochier)

    Rémy Cabrillac Professeur à la Faculté de droit et de science politique de Montpellier, Agrégé des facultés de droit (France), Chaire d’excellence de l’Université Carlos III de Madrid (2019/2020)

    Arnaud Campi Docteur en droit, Post-doctorant boursier (Fonds national suisse de la recherche scientifique)

    John Cartwright Professeur émérite de l’Université d’Oxford

    Michelle Cumyn Professeure titulaire de la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon, Faculté de droit de l’Université Laval

    Olivier Deshayes Professeur de droit privé à l’Université Paris Nanterre

    Yannik Didlinger Magistrate à Luxembourg

    Beate Gsell Professeure à l’Université Ludwig-Maximilians, München

    Sebastian Henke Collaborateur scientifique à l’Université Ludwig-Maximilians, München

    David Hiez Professeur de droit privé à l’Université du Luxembourg

    Stefan Huber Professeur à l’Université de Tübingen

    Patrick Kinsch Avocat au barreau de Luxembourg, Professeur invité à l’Université du Luxembourg

    Jens Kleinschmidt Professeur à l’Université de Trier

    Benoît Kohl Professeur ordinaire à l’Université de Liège, Professeur invité à l’Université de Paris 2 (Panthéon-Assas), Avocat au barreau de Bruxelles

    Matthias Lehmann Professeur à l’Université de Bonn

    Hector L MacQueen CBE FBA FRSE, Professeur à l’Université d’Edinburgh

    Denis Philippe Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg, Professeur extraordinaire à l’Université de Louvain et à l’Ichec, chargé de cours à l’Université de Paris Nanterre

    Olivier Poelmans Avocat au barreau de Luxembourg, chargé de cours à l’Université du Luxembourg

    André Prüm Professeur à l’Université du Luxembourg, Agrégé des facultés de droit (France)

    Oliver Remien Professeur ordinaire à l’Université Julius-Maximilians, Würzburg

    Thomas Rüfner Professeur à l’Université de Trier

    Carine Signat Maître de conférences à l’Université de Lorraine

    Dean Spielmann Ancien Président de la Cour européenne des droits de l’homme, Juge au Tribunal de l’Union européenne

    Sophie Stijns Professeure ordinaire à la KU Leuven

    Luc Thévenoz Professeur à l’Université de Genève

    Nathalie Vézina Professeure titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

    Patrick Wéry Professeur ordinaire à l’UCLouvain

    Claude Witz Professeur émérite de l’Université de la Sarre, Agrégé des facultés de droit (France), Directeur honoraire du Centre Juridique Franco-Allemand

    Sommaire

    Liste des contributeurs

    Introduction

    Pascal Ancel & André Prüm

    Chapitre 1

    Le processus de formation du contrat

    Rapport introductif

    Yannik Didlinger

    Rapport luxembourgeois

    Yannik Didlinger

    Rapport français

    Olivier Deshayes

    Rapport belge

    Patrick Wéry

    Rapport allemand

    Jens Kleinschmidt

    Rapport anglais/écossais

    Hector L MacQueen

    Rapport québécois

    Michelle Cumyn

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens

    Claude Witz

    Annexes

    Chapitre 2

    La disparition de la cause du contrat

    Rapport introductif

    André Prüm

    Rapport luxembourgeois

    Patrick Kinsch

    Rapport français

    Laurent Aynès

    Rapport belge

    Sophie Stijns

    Rapport allemand

    Thomas Rüfner

    Rapport anglais

    John Cartwright

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens

    Rémy Cabrillac

    Annexes

    Chapitre 3

    Lésion, violence économique et clauses abusives

    Rapport introductif

    Pascal Ancel

    Rapport luxembourgeois

    Pascal Ancel

    Rapport français

    Olivier Deshayes

    Rapport belge

    Patrick Wéry

    Rapport allemand

    Oliver Remien

    Rapport suisse

    Arnaud Campi

    Rapport anglais

    John Cartwright

    Rapport québécois

    Nathalie Vézina

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens

    Pascal Ancel

    Annexes

    Chapitre 4

    Théorie de l’imprévision

    Rapport introductif

    Pascal Ancel

    Rapport luxembourgeois

    Dean Spielmann

    Rapport français

    Carine Signat

    Rapport belge

    Denis Philippe

    Rapport allemand

    Matthias Lehmann

    Rapport anglais

    John Cartwright

    Annexes

    Chapitre 5

    Sanctions de l’inexécution

    Rapport introductif

    Pascal Ancel

    Rapport luxembourgeois

    Olivier Poelmans

    Rapport français

    Rémy Cabrillac

    Rapport belge

    Sophie Stijns

    Rapport allemand

    Beate Gsell/Sebastian Henke

    Rapport suisse

    Luc Thévenoz

    Rapport anglais/écossais

    Hector L MacQueen

    Rapport québécois

    Nathalie Vézina

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens

    Carine Signat

    Annexes

    Chapitre 6

    Cession de créance, de dette et de contrats

    Rapport introductif

    David Hiez

    Rapport luxembourgeois

    David Hiez

    Rapport français

    Laurent Aynès

    Rapport belge

    Benoît Kohl

    Rapport allemand

    Stefan Huber

    Rapport suisse

    Luc Thévenoz

    Rapport québécois

    Michelle Cumyn

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens

    André Prüm

    Annexes

    Table des matières

    Introduction

    Pascal Ancel & André Prüm

    1. Le présent ouvrage est le fruit du colloque qui s’est tenu à l’Université du Luxembourg, les 22 et 23 novembre 2018, autour de collègues venant du Luxembourg et de ses pays immédiatement voisins, du Québec, du Royaume-Uni et de Suisse pour débattre de l’opportunité et du contenu d’une réforme du droit luxembourgeois des contrats.

    2. Alors qu’un vent de modernisation souffle à travers l’Europe sur le droit des obligations, le Luxembourg continue à vivre avec les textes qu’il a hérités, du Code Napoléon il y a plus de deux cents ans¹. La réforme adoptée récemment en France et celle en cours de discussion en Belgique² proposent, à leur manière, une modernisation importante du droit des contrats. À la simple lecture de l’exposé des motifs de ces réformes, on ne peut que s’interroger s’il n’est pas grand temps de se lancer dans la même aventure au Luxembourg. En l’état actuel son droit des contrats risque de ne plus répondre aux attentes de ses utilisateurs et, du fait des réformes, d’être au surplus déconnecté du modèle sur lequel il repose.³

    3. La réponse ne nous paraît guère prêter à de grandes hésitations. Nous sommes, l’un et l’autre, convaincus que le Luxembourg ne peut se passer d’une réforme de son droit des contrats, voire de tout le droit des obligations. Nous allons d’abord tenter de vous faire partager cette conviction.

    4. Le vrai enjeu devient ensuite celui de la voie que doit prendre une telle réforme. Il présente, en réalité, une double face puisqu’il soulève à la fois une question de méthode et de contenu, qui seulement pris ensemble permettent de déterminer l’orientation d’une modernisation du droit luxembourgeois des contrats. Dans les présents propos introductifs nous nous contenterons d’explorer les options méthodologiques à partir principalement de la question de savoir si le législateur luxembourgeois devrait suivre, pour l’essentiel, la réforme française ou envisager d’emprunter d’autres voies. Nos conclusions sur cette question de méthode ne visent cependant d’aucune manière à préjuger des choix substantiels qui peuvent paraître les plus opportuns. Ceux-ci formeront la matière des six thèmes auxquels est consacré le présent ouvrage, en écho aux tables rondes du colloque, à savoir : le processus de formation des contrats, la cause comme condition de validité du contrat, les régimes de la lésion, de la violence économique et des clauses abusives, le traitement des situations d’imprévision, les sanctions de l’inexécution et les cessions de créance, de dette et de contrat.

    I. – Plaidoyer pour une réforme

    5. De prime abord, la réforme semble s’imposer en raison de la forte dépendance du droit civil luxembourgeois par rapport au modèle français, surtout dans la matière du droit des obligations dont la réforme en France semble laisser le droit luxembourgeois en quelque sorte orphelin (A). Cependant, au-delà de cette considération, qui n’est peut-être par incontournable, ce sont surtout des raisons de fond, liées au vieillissement du code, qui justifient qu’une réforme soit entreprise au Luxembourg comme elle l’a été dans les deux autres pays du Code civil (B).

    A. Le droit luxembourgeois, un droit orphelin ?

    6. Il convient d’abord de rappeler brièvement les liens étroits qui unissent actuellement le droit luxembourgeois – du moins le droit civil – et le droit français. Le Luxembourg, chacun le sait ici, a conservé au XIXe siècle, de manière presque accidentelle, le Code civil français, et son droit est, depuis, profondément enraciné dans la tradition française⁴. Bien sûr, les textes du Code ont connu, depuis son implantation au Luxembourg, diverses modifications (beaucoup moins nombreuses qu’en France cependant), mais celles-ci, à de rares exceptions près, ont très souvent été influencées par les réformes françaises et n’en sont parfois qu’un recopiage (la réforme de la clause pénale en 1987 en est un exemple caractéristique). En droit des obligations, on peut cependant noter deux réformes remarquables qui se sont éloignées du texte français : une loi de 1987 qui a notamment introduit à l’article 1118 un mécanisme de lésion qualifiée très nettement inspiré des droits germaniques, et une loi de 1994 qui a modifié le mécanisme de la cession de créance. Mais, pour le reste, le texte luxembourgeois demeure conforme à ce qu’il était en 1830, c’est-à-dire au texte français d’avant la réforme de 2016. Mais, ce qui est surtout remarquable dans ce domaine, c’est la profonde influence de la doctrine et de la jurisprudence françaises sur la jurisprudence luxembourgeoise pour l’interprétation des textes jusque-là identiques : de manière presque systématique, les juridictions luxembourgeoises (et notamment la cour d’appel qui est la principale source de la jurisprudence) se réfèrent dans leurs décisions aux sources françaises et suivent très habituellement les solutions consacrées par la Cour de cassation française – à tel point que, comme l’a dit un auteur luxembourgeois, on a parfois l’impression que celle-ci est la cour suprême du Grand-Duché⁵. Les raisons de ce suivisme sont multiples : la faiblesse quantitative du contentieux au Luxembourg qui limite la formation de précédents spécifiquement luxembourgeois, le fait que, en l’absence jusqu’à une période récente d’une université au Luxembourg, la grande majorité des magistrats luxembourgeois et des avocats qui y opèrent ont été formés en France, et, pour la même raison le faible développement d’une doctrine civiliste au Luxembourg (même si, sur ce terrain, les choses commencent à changer). De ce point de vue, la situation au Luxembourg est très différente de celle de la Belgique où l’existence depuis le XIXe siècle de plusieurs grandes universités a permis d’assurer la formation des juristes dans le pays, ainsi que l’éclosion d’une doctrine spécifiquement belge, dont une partie néerlandophone moins attachée au modèle français, ce qui a favorisé le développement d’une jurisprudence qui, sur plusieurs points, s’écarte assez nettement de ce modèle⁶. Ce droit civil belge en forte autonomisation influence parfois le législateur luxembourgeois : la loi sur la cession de créance de 1994 est relativement proche de la loi belge votée quelques mois plus tôt. Il faut en outre rappeler que le Luxembourg et la Belgique dont partie du Benelux ce qui, sur quelques questions, a amené une législation commune : ainsi, dans le domaine qui nous intéresse, de la réglementation de l’astreinte. Mais la jurisprudence luxembourgeoise, en droit des obligations tout au moins, reste très largement fidèle au droit français et, à quelques exceptions près, les magistrats ne semblent guère s’intéresser aux solutions divergentes belges.

    7. Dans ce contexte, on peut penser que la réforme française intervenue en 2016 va poser un sérieux problème aux juges et aux praticiens luxembourgeois qui vont perdre, sur de nombreux points, leur modèle de référence.

    8. Si, jusqu’à présent, le droit français des contrats a servi de modèle de référence quasi absolu pour le droit luxembourgeois, la réforme opérée en France avec l’ordonnance du 10 février 2016 change manifestement la donne. Mais, cela signifie-t-il que le juriste luxembourgeois devra désormais détourner complètement son regard de la nouvelle jurisprudence et de la doctrine française postérieure à la réforme ? Ce serait certainement exagérer la portée de celle-ci puisqu’elle n’a pas eu ni pour but, ni pour effet de bouleverser entièrement le droit français des contrats. Tout sera donc une question d’appréciation au cas par cas. Le juriste luxembourgeois devra vérifier pour le sujet précis qui l’occupe si la solution que lui réserve dorénavant le droit français est en rupture ou non avec celle en vigueur auparavant.

    9. Cela peut paraître simple. Ne suffit-il pas, en effet, de vérifier si le texte en question introduit ou non une nouvelle solution ? L’analyse des textes issus de la réforme montre que l’appréciation n’est pas aussi aisée, loin s’en faut, car celle-ci n’est pas seulement faite de continuités ou de franches ruptures mais aussi d’éléments formant des « zones grises » dont il est difficile savoir si elles s’inscrivent dans un mouvement de renouveau ou reflètent des voies déjà perceptibles dans la jurisprudence et la doctrine. Et même lorsque la situation est a priori claire parce qu’on est en présence soit d’un point sur lequel le droit ancien a été maintenu, soit d’une règle nouvelle, on peut encore avoir des hésitations.

    10. Quelques exemples permettent de mieux l’illustrer notre propos.

    11. Une bonne partie des nouvelles dispositions du Code civil français ne poursuivent d’autre objectif que d’ajuster le texte des articles afin qu’ils reflètent plus précisément le droit positif, et ce dans des termes plus explicites et utilisant un langage plus moderne. Il s’agit, pour reprendre l’expression de Denis Mazeaud, d’« innovations fatales »⁷ dont le but n’est pas de modifier les solutions en cours sous les anciens textes. Ces retouches représentent « l’apport majeur de la réforme, du moins du point de vue quantitatif ». Pour l’essentiel, ces changements ne devraient donc pas dérouter le juriste luxembourgeois qui pourra continuer à s’y référer ainsi qu’à la jurisprudence qui les mettra en œuvre.

    12. La situation n’est cependant pas toujours aussi nette qu’il n’y paraît à première vue car même sur les points où la réforme se contente en apparence de moderniser le langage d’un article ou de codifier des solutions jurisprudentielles antérieures, elle le fait souvent avec des précisions ou des nuances qui peuvent prêter à discussion si le droit a été maintenu exactement dans son état antérieur ou non. La reformulation des règles d’interprétation des contrats en fournit un exemple.

    13. Le deuxième cas de figure qui ne devrait pas poser difficulté est celui où la réforme innove ou rompt de façon franche avec le droit antérieur puisque dans ce cas il est clair que le juriste luxembourgeois devrait s’en tenir aux textes et à la jurisprudence d’avant la réforme. L’introduction de la théorie de l’imprévision offre l’illustration probablement la plus topique d’une telle rupture. La manière dont s’articule le contrôle des causes abusives à partir de la distinction entre les contrats de gré à gré et les contrats d’adhésion, que la doctrine française a pointée comme l’une des innovations majeures de la réforme, fournit un autre exemple. Il faut noter cependant que sur des points isolés les innovations de la réforme ont, en réalité, rapproché à nouveau le droit français du droit luxembourgeois. Tel est le cas, d’une certaine mesure en matière de lésion qualifiée où il s’agit de sanctionner l’exploitation abusive par l’un des contractants de la situation de dépendance économique de son partenaire contractuel que le droit luxembourgeois reconnaît depuis 1987 et qui vient de faire son entrée dans le Code civil français.

    14. Tout comme pour les points de continuité, certaines ruptures risquent cependant d’être moins franches qu’il n’y paraît de sorte que le droit français pourrait continuer néanmoins à servir de boussole au droit luxembourgeois. L’élimination de la cause comme condition de validité du contrat apparaît à certains égards comme une petite révolution. En même temps, ses principales fonctions se retrouvent exprimées sous d’autres formes par le nouveau texte. Les juges luxembourgeois peuvent toujours s’inspirer des solutions qui seront dégagées par la jurisprudence française sur la base de ces règles de substitution. Mais ils n’y seront pas limités et devront déterminer de manière autonome quelle portée ils entendent à l’avenir réserver à un concept formellement banni du droit français. Ils ne pourront pas cependant, au vu des articles 1108 et 1131 du Code civil, admettre que tout engagement contractuel pourrait désormais être parfaitement abstrait.

    15. Les véritables incertitudes naissent cependant des « zones grises » de la réforme, c.à.d. des dispositions qui ne constituent pas une nouveauté ou rupture nettes et qui, en même temps, ne peuvent pas non plus être considérées comme un maintien pur et simple du droit antérieur.

    16. Le rôle renforcé reconnu à la bonne foi, spécialement par le nouvel article 1104 du Code civil, ressort clairement de cette hypothèse. La multiplication de références à ce qui est raisonnable, abusif, excessif, significatif ou manifeste constitue un autre terrain sur lequel il est loin d’être toujours aisé d’apprécier s’il s’agit ou non d’une simple reformulation des solutions antérieures.

    17. Mesurer les devoirs ou le comportement d’un contractant sur la base de tels standards n’est certes pas une nouveauté. La jurisprudence antérieure à la réforme recèle d’exemples. Pour autant, l’insistance avec laquelle le législateur s’y réfère dans les nouvelles dispositions ne paraît pas anodine. Vu l’objectif général de la réforme d’instaurer une nouvelle justice contractuelle, il est difficile de ne pas y voir une invitation lancée aux juges de modeler les relations contractuelles en fonction d’une exigence renforcée de bonne foi, ou sur base de critères de raisonnabilité, d’abus, d’excès …. En d’autres mots, et pour reprendre la formule du professeur Aynès,⁸ il s’agit de reconnaître aux juges un pouvoir de modération quasi normatif.

    18. Ce que les juges français en feront concrètement n’est pas encore écrit. Une évolution vers un interventionnisme judiciaire accru ne se fera que graduellement. Mais sa simple éventualité laisse le juriste luxembourgeois dès à présent perplexe pour savoir si certaines dispositions nouvelles n’augurent pas d’un changement bien plus profond du droit français qu’il n’y paraît à première vue et donc s’il peut toujours s’y référer sans courir le risque de se lier à une évolution encore imperceptible.

    19. En somme et malgré le fait que la réforme française ne bouleverse pas complètement le droit des contrats, elle crée une distance suffisante avec le droit luxembourgeois qui rend à l’avenir l’interprétation de celui-ci en fonction du droit français, incertaine, sinon aléatoire. Le droit luxembourgeois est bien devenu un droit largement orphelin de son modèle de référence.

    20. Peut-il se permettre de rester dans cette situation ? Le cas de figure n’est pas totalement inédit. L’adoption en France du Nouveau Code de procédure civile n’a pas été considérée au Luxembourg comme une raison suffisante d’échanger immédiatement l’ancien contre le nouveau. Même si par la suite des innovations clés du nouveau texte français ont bien été reprises.

    21. En droit des contrats, la perte du modèle historique est cependant d’une autre magnitude. Le droit des contrats que le Grand-Duché a hérité du Code Napoléon vit véritablement à travers son interprétation par les tribunaux et sa systématisation par la doctrine. Or, le volume du contentieux luxembourgeois reste tout simplement trop modeste pour impulser cette vie comme il serait illusoire aussi de compter sur une doctrine suffisamment ample et nourrie.

    22. Laisser, dans ces conditions, le droit des contrats luxembourgeois sans modèle de référence le rendra à terme inévitablement incertain. Le Luxembourg peut d’autant moins se le permettre que les textes de 1804 accusent aujourd’hui franchement le poids de l’âge.

    B. Le poids de l’âge

    23. Même si on peut penser que la jurisprudence luxembourgeoise a une capacité d’autonomisation suffisamment grande pour pouvoir évoluer sans heurts malgré la perte (partielle) de son modèle, l’idée qu’il serait souhaitable de réformer le droit des obligations au Luxembourg se justifie, d’abord, par des raisons de fond, qui y sont peut-être plus sensibles que dans les deux autres pays.

    1) Une situation commune aux trois pays

    24. Ces raisons sont en premier lieu les mêmes que celles qui ont amené les deux autres pays du Code civil à entreprendre leur réforme dans la période récente. Datant, pour l’immense majorité des textes qui le composent, de 1804, le Titre III du Livre III paraît aujourd’hui largement frappé d’obsolescence : il ne correspond plus ni aux besoins de notre monde moderne, ni aux valeurs qui s’y sont affirmées. Conçus pour une société essentiellement rurale, à partir du modèle du seul contrat de vente (et spécialement de la vente immobilière), contrat à exécution instantanée conclu de gré à gré entre les parties, les articles 1101 et suivants paraissent aujourd’hui dépassés dans un monde où les types de contrats se sont considérablement diversifiés, où coexistent des contrats de masse souvent conclus par un simple clic et de gros contrats d’affaires longuement négociés dont les enjeux dépassent largement les frontières et dont l’exécution s’échelonne dans le temps, et où de nombreux contrats sont liés les uns avec les autres dans des ensembles interdépendants. Pensés dans une optique libérale à partir du mythe de contractants égaux et maîtres de leurs intérêts, les textes du Code ne font aucune place à la protection des contractants en situation de faiblesse (à l’exception des incapables) ni au souci d’assurer une certaine équité dans les échanges. Il en résulte à la fois une grande inadaptation des solutions et de grandes lacunes dans la réglementation du Code : rien sur le processus de formation du contrat, conçu comme un moment magique de la rencontre de deux volontés sans que soit prise en compte la période qui précède cette rencontre, rien sur les contrats de masse préétablis par une partie et conclus à des millions d’exemplaires, rien sur la durée d’exécution des contrats, pas plus que sur les possibilités de sortir du lien contractuel ou sur les incidences possibles des changements de circonstances pouvant intervenir pendant cette durée… Certes, dans les trois pays du Code civil, ces lacunes ont pu être comblées par la jurisprudence, aiguillonnée par une doctrine particulièrement riche, et ces sources ont su largement remédier au vieillissement des textes en procédant à une interprétation créatrice allant parfois totalement à l’encontre de celle qu’une lecture littérale pourrait suggérer. Mais cette transformation du droit des obligations en droit jurisprudentiel, si elle a permis de salutaires évolutions, présente de grands inconvénients. D’une part, elle a créé un décalage fâcheux entre le droit écrit et le droit effectivement appliqué, contribuant ainsi à rendre les solutions peu accessibles, notamment pour les juristes étrangers. D’autre part, contrairement au système de common law, où le juge est vu comme le premier créateur de normes, la jurisprudence des pays du Code civil n’est, et ne peut être qu’un moyen de réparer, à la marge, des imperfections manifestes, et qui doit toujours trouver un support (même simplement formel) dans les textes. Il en résulte que les juges n’ont pu procéder qu’à des adaptations limitées, sans comparaison avec ce qui est possible dans les droits de common law, et que, sur de nombreux points, on observe – surtout au Luxembourg – une certaine réticence à aller au-delà des textes, d’où des hésitations et des allers-retours dans l’interprétation, qui exposent les justiciables aux aléas d’une jurisprudence incertaine. Tout ceci nuit considérablement à l’attractivité du droit des obligations, dans un contexte de mondialisation, ce qui devrait alerter tout particulièrement dans un pays comme le Luxembourg.

    2) Enjeux critiques pour un pays ouvert aux relations internationales

    25. L’intensité du commerce qu’un pays entretient avec des partenaires situés au-delà de ses frontières est sans doute inversement proportionnelle à sa taille. C’est certainement le cas pour le Luxembourg dont le marché domestique n’a pas la taille critique pour assurer la viabilité de son économie. De tout temps, celle-ci s’est tournée vers les échanges internationaux. La place financière – son principal pilier – ne vit qu’à travers son activité internationale, les produits industriels à haute valeur ajoutée qui sont encore fabriqués sur place sont tous destinés à l’exportation, sans parler des services informatiques ou des communications satellitaires qui ne connaissent par nature pas de frontière, ou encore des ambitions récentes, sans doute plus anecdotiques, d’exploitation des ressources de l’espace extraterrestre. La situation du Luxembourg se distingue encore par le nombre important d’investisseurs étrangers qui détiennent la majorité des 130 000 sociétés commerciales établies au Grand-Duché, dont le nombre est loin d’être en rapport avec celui de la population. Enfin, et l’enjeu est stratégique, le Grand-Duché héberge une partie non négligeable des institutions européennes parmi lesquelles celles qui entretiennent le plus important réseau de relations contractuelles internationales, comme c’est le cas en particulier de la Banque européenne d’investissement, du Fonds européen d’investissement ou du Fonds européen de stabilité financière.

    26. Une réflexion sur une possible réforme du droit des contrats ne peut ignorer cette situation particulière. Pour le Luxembourg, l’enjeu n’est pas seulement de disposer d’un droit sûr et équilibré pour les contrats conclus entre nationaux, mais aussi et peut-être avant tout d’offrir une solution performante aux échanges internationaux auxquels sont parties les entreprises et institutions installées sur place. Sinon, celles-ci vont inévitablement contracter sous un droit étranger. Un tel choix peut évidemment se justifier ponctuellement, ne serait-ce que parce que le partenaire luxembourgeois n’est pas toujours en position pour imposer son droit. Mais l’élection systématique de droits étrangers pour gouverner les relations contractuelles nouées avec des parties luxembourgeoises ou européennes installées au Grand-Duché aurait de sérieux inconvénients. L’impression généralisée que le droit luxembourgeois des contrats, trop vieilli, serait déconsidéré en tant qu’option pour des échanges internationaux ne manquerait pas de rejaillir sur l’image que le pays s’efforce de soigner d’une économie ouverte, fondée sur une infrastructure législative attractive. Bien plus que ses voisins qui peuvent s’appuyer sur un large marché domestique, le Luxembourg est contraint de maintenir sa législation en tout domaine qui touche l’économie à la pointe du progrès. C’est particulièrement vrai pour son droit des contrats.

    27. Au vu des arguments développés à ce stade, une première conclusion s’impose : le Luxembourg ne nous paraît pas avoir le choix de garder son droit des contrats en l’état. La réforme française a largement amputé le droit luxembourgeois de sa base référentielle. Cette déconnexion le fragilise et à terme risque de le rendre incertain, voire impuissant à accomplir de façon satisfaisante sa fonction. Au surplus, les principales raisons qui ont conduit le législateur français à moderniser son droit des obligations et le législateur belge à lui emboîter le pas sont encore plus vraies pour le Luxembourg dont le droit des contrats est exposé à l’arbitrage permanent des opérateurs économiques installés au Grand-Duché.

    28. La question, n’est donc point de savoir s’il faut réformer le droit luxembourgeois des contrats, mais comment on doit s’y prendre.

    II. – Options méthodologiques

    29. Le contenu précis d’une réforme du droit des contrats découle de choix politiques qu’il ne s’agit pas définir dans la présente introduction. Les contributions sur les six grands thèmes qui forment le présent ouvrage fournissent par contre un matériau précieux pour évaluer les options.

    30. La réflexion qui s’impose en amont de ces choix substantiels est celle de la méthode. C’est d’elle que dépendra aussi la cohérence d’une réforme.

    31. Deux voies s’offrent a priori au législateur luxembourgeois : une première consistant à saisir l’occasion pour reconstruire entièrement son droit des contrats et une seconde qui, plus modestement, viserait à s’inscrire dans la lignée de la réforme française en s’en inspirant largement. Si ce clivage entre la table rase et l’alignement sur la réforme française risque de paraître exagérément schématique, il permet cependant d’analyser les atouts et les faiblesses des deux options et de nous guider dans le choix qui paraît le plus adéquat.

    A. Faire table rase

    1) Arguments en faveur d’un détachement du modèle français

    32. Puisque de toute façon le modèle de référence a été modifié, on pourrait avoir la tentation d’en profiter pour tout remettre à plat et pour tout reconstruire. Le Luxembourg, on vient de le dire, se caractérise par l’extraordinaire ouverture de son économie et de sa société vers l’Europe et le monde. N’est-ce pas dès lors le pays idéal pour construire un droit original, d’inspiration européenne et internationale, qui pourrait se révéler particulièrement attractif pour les milieux d’affaires ? Le Luxembourg pourrait être en quelque sorte un laboratoire de la construction d’un droit européen des obligations – tout comme, sur le plan universitaire, il est un laboratoire d’un enseignement du droit à caractère transnational⁹.

    33. Un détachement du droit français pourrait aussi présenter l’avantage de se libérer d’une situation de dépendance. Certes le Luxembourg n’a pas souffert jusqu’à présent de vivre sous l’empire d’un Code Napoléon qui lui a été octroyé plus qu’il ne l’a choisi. Il n’en demeure pas moins que la réforme française place pratiquement le Grand-Duché devant une situation de fait accompli. Si elle n’emporte pas un bouleversement profond du droit des contrats, elle comporte cependant une série de changements qui pourrait à terme en modifier l’équilibre, notamment en fonction de l’usage qui pourrait être fait de la notion de bonne foi ou des autres notions générales. Sous l’objectif de promouvoir une nouvelle équité contractuelle, les nouveaux textes, vus du Luxembourg du moins, peuvent apparaître comme autorisant sinon encourageant les juges à s’impliquer dans les relations contractuelles bien plus qu’ils n’osaient le faire jusqu’à présent, et cette orientation, à tort ou à raison, fera sans doute peur à certains dans ce pays. Au surplus, la direction dans laquelle la jurisprudence française fera effectivement ou non évoluer le droit des contrats sur la base des nouveaux textes ne peut être connue aujourd’hui. Cette incertitude pourrait constituer une raison supplémentaire pour le Luxembourg de se détacher d’un modèle dont il ne maîtrisera pas la destinée.

    34. Ce détachement par rapport au modèle, et cette reconstruction d’un droit nouveau nourri de multiples influences, on pourrait avoir l’impression que c’est ce que la Belgique essaie de faire dans le cadre de sa réforme en cours. Dans l’exposé des motifs, la réforme française n’est pas citée comme un exemple à suivre de manière privilégiée : le droit français n’est évoqué que comme une source d’inspiration parmi d’autres, sur le même plan que le droit néerlandais, le droit allemand, et les projets d’harmonisation du droit privé. Et, lorsqu’on regarde le texte lui-même, on ne peut qu’être frappé par son éloignement formel par rapport au droit français, qu’il s’agisse du droit ancien ou du nouveau droit : le droit des obligations y apparaît, sur le modèle du Burgerlijk Wetboek néerlandais, comme le cinquième des neuf livres d’un Code civil entièrement restructuré, chaque livre ayant sa propre numérotation, laquelle, donc n’a plus rien à voir avec la numérotation traditionnelle. Et la structure même de ce livre V révèle des différences sensibles avec celle du nouveau droit français, en particulier en raison de l’intégration dans le titre relatif au régime général de l’obligation de règles relatives à l’inexécution des obligations et à leur exécution (qui, en France, ont toutes été rattachées au contrat) – par où on peut reconnaître une certaine influence germanique. Ces innovations formelles, cependant, ne doivent pas faire illusion. Sur le fond, cependant, le futur nouveau droit belge des contrats continue de s’inscrire très nettement dans la tradition française – y compris lorsqu’elle a été abandonnée en France même (on pense au maintien de la cause). Au-delà de l’originalité de certaines solutions, le juriste français y reconnaîtra aisément ses grandes catégories : erreur, dol et violence, nullités relatives et absolues, effet relatif et opposabilité, force majeure, quasi-contrats etc. Malgré les apparences, donc, la réforme belge n’offre pas l’exemple d’une franche rupture avec la tradition, et elle illustre plutôt à l’inverse la difficulté que peut avoir un droit profondément enraciné dans un certain système de s’en détacher. Cette difficulté serait probablement encore plus grande au Luxembourg, où cet enracinement paraît nettement plus profond.

    2) Inconvénients d’une rupture avec la tradition

    35. Dans les grandes matières du droit, le législateur luxembourgeois a cherché jusqu’à présent à maintenir, autant que possible, la filiation originelle, selon les cas, avec le droit français ou le droit belge dont il a hérité ou auquel il a choisi de s’adosser. Les exemples sont nombreux et ce choix s’avère, en général, comme celui de la sagesse puisqu’il permet d’abord de bénéficier de l’expérience acquise dans le pays de référence et ensuite de profiter des efforts qui y sont faits pour interpréter les textes.

    36. Une orientation différente fondée sur des solutions originales et distinctes de celles des droits français ou belge n’a été retenue principalement que pour des législations spécifiques, tel par exemple certaines lois intéressant le secteur financier où l’intérêt d’innover pour assurer l’attractivité du droit luxembourgeois prime. De façon exceptionnelle la relation de maître à élève a pu alors même se trouver renversée, comme c’est le cas pour le contrat fiduciaire auquel le Luxembourg donné un régime dès 1983, rénové en 2003, bien avant que la France le consacre à son tour.¹⁰

    37. Si l’on s’en tient au Code civil, les réformes ont pratiquement toutes consisté à suivre des réformes entreprises en France. Il n’en est allé autrement que dans les rares situations où le droit français a tardé à se moderniser lui-même contraignant le Luxembourg à aller de l’avant sans pouvoir s’appuyer son modèle. Ce fut le cas dans les années 1970 pour les réformes du droit de la famille ou du droit des successions débarrassant le Code civil d’inégalités d’un autre temps.¹¹ Dans les deux cas, le droit français a rattrapé le droit luxembourgeois de sorte que le lien a été partiellement restauré.

    38. Ces exceptions ne doivent pas masquer l’attachement fidèle dont le législateur luxembourgeois témoigne vis-à-vis du droit civil français. Le Code civil fait autant partie de la culture juridique luxembourgeoise qu’il marque celle de son pays d’origine. Rompre avec cette tradition représenterait un changement profond et traumatisant pour la communauté des juristes luxembourgeois. Tout particulièrement dans une matière comme le droit des obligations, un détachement du droit français priverait les juges comme les praticiens de leur boussole. Les avantages apparents d’un droit autonome s’effaceraient rapidement derrière le désemparement de ceux qui doivent le comprendre et l’appliquer sans pouvoir se référer aux solutions et analyses dégagées en France, voire en Belgique. Car quelle que soit la précision de nouveaux textes, dans une matière aussi vaste que le droit des obligations, ils pourront difficilement acquérir une pleine efficacité en vase clos luxembourgeois.

    39. La voie d’une table rase n’est pas une option réaliste, et il paraît plus sage de rester dans la mouvance française, mais sans suivisme aveugle.

    B. Rester dans la mouvance française

    40. Le choix de la direction à suivre par rapport au modèle français traditionnel n’est évidemment pas entre le tout et le rien. On peut tout à la fois rester dans la mouvance française, considérer que le nouveau droit français doit rester le point de départ d’une éventuelle réforme luxembourgeoise, tout en se laissant toute latitude pour écarter certains aspects de l’ordonnance de 2016 qui ne paraîtraient pas adaptés au Luxembourg, et pour adopter des solutions originales sur certains points. On doit ici distinguer entre le cœur du système, constitué par les structures fondamentales et les grandes catégories du droit des obligations, qu’il paraît difficile d’abandonner, et les solutions particulières sur tel ou tel point. On pourrait ainsi concilier la cohérence et la sécurité du nouveau droit – en ce que les juges et les praticiens luxembourgeois pourraient continuer à puiser dans la doctrine et dans la jurisprudence française – avec l’adaptation aux besoins spécifiques du Grand-Duché. Il y aura évidemment ici des choix politiques à effectuer en fonction des intérêts du pays, tels qu’ils sont actuellement compris : doit-on aller plutôt vers une orientation axée sur la liberté contractuelle et la sécurité des transactions ou vers un droit faisant une place plus grande au juge sur la base de standards de bonne foi ? De ce point de vue, on sent bien que certaines des solutions admises en France lors de la réforme, non sans débats du reste, pourraient donner lieu à des discussions sérieuses au Luxembourg (on pense notamment à la révision du contrat pour imprévision ou à la généralisation du contrôle des clauses abusives), tandis que d’autres semblent pouvoir être admises sans trop de difficultés.

    41. Rien n’empêche aussi de combiner le maintien de la filiation avec le droit français avec d’autres sources d’inspiration. Le projet de réforme belge vient ici immédiatement à l’esprit. Le nouvel ordonnancement qu’il propose de la matière pourrait constituer une réelle plus-value. Certains choix, par le projet par lequel il se démarque de la réforme française, pourraient également fournir des solutions nouvelles. Les retouches apportées au droit des contrats luxembourgeois en 1987, montrent que celui-ci peut, sans rupture d’harmonie, intégrer également des éléments provenant d’autres pays, comme c’était à l’époque le cas pour les inspirations puisées en Suisse et en Allemagne. Pourquoi ne pas se tourner alors ponctuellement aussi vers le droit écossais ou québécois avec lesquels nous partageons des origines communes voire même le droit anglais dont le pragmatisme ne manque pas d’attractivité. La Convention de Vienne dont les règles sont susceptibles de fournir des solutions bien au-delà de la vente internationale de marchandises, les Principes UNIDROIT sur les contrats internationaux, régulièrement cités par des sentences arbitrales comme reflet de la lex mercatoria ou encore les œuvres à caractère plus doctrinal élaborées pour stimuler une harmonisation du droit des contrats entre États européens tels les principes Lando, le code Gandolfi ou le Cadre Commun de références forment un fonds commun dans lequel ont puisé toutes les réformes nationales récentes en la matière. Ils traduisent de manière générale une approche libérale et ouverte sur les échanges internationaux qui pourraient bien convenir à la situation luxembourgeoise.

    42. C’est dans cette optique d’ouverture que nous avions conçu toute l’organisation du colloque. Parce que nous n’avions pas voulu nous enfermer au départ dans le modèle français traditionnel, nous avions invité des collègues représentant non seulement les deux « systèmes de référence » (France et Belgique) dont les réformes pourraient particulièrement inspirer le législateur luxembourgeois, mais aussi d’autres systèmes, plus ou moins éloignés du droit luxembourgeois actuel, et en faisant aussi une place dans les débats aux solutions des textes internationaux et des projets européens. Et pour permettre une confrontation plus pointue des différentes voies possibles, nous avions souhaité que ce colloque ne prenne pas la forme d’une succession d’exposés, mais de tables rondes au cours desquelles devraient s’instaurer de véritables discussions sur les points cruciaux. On trouvera trace de cette organisation particulière dans le présent ouvrage.

    Structure de l’ouvrage

    43. Les différents chapitres de l’ouvrage reprennent les six tables rondes du colloque. Celles-ci ne couvrent pas l’ensemble de la matière : plutôt que de nous livrer à un survol très superficiel de toutes les questions, nous avons préféré concentrer les débats sur un certain nombre de points cruciaux, qui sont ceux sur lesquels le modèle de référence français a le plus évolué – soit parce que la réforme a comblé des lacunes du Code de 1804 (cas de la première table ronde et en partie de la dernière sur la cession de contrat), soit parce que l’ordonnance française de 2016 a consacré des solutions nouvelles en rupture avec celles qui étaient jusque-là admises (et suivies au Luxembourg) : abandon de la cause, admission d’un texte général sur les clauses abusives, consécration de la révision pour imprévision, restructuration des sanctions de l’inexécution, admission de la cession de dette. En tête de chaque chapitre, nous avons fait figurer le questionnaire qui avait été transmis par chaque animateur de table ronde aux différents participants de celle-ci. Les contributions qui suivent constituent d’abord des réponses à ces questionnaires, même si la plupart d’entre elles ont été complétées et restructurées en vue de leur publication. Enfin chaque chapitre est complété par une liste des sources utilisées par les différents intervenants, assortie des liens qui permettent d’y accéder sur Internet et, pour les sources jurisprudentielles qui n’y sont pas accessibles, d’extraits significatifs des décisions citées.

    1 Pour une présentation de la réception du Code civil français au Luxembourg, voy. Collectif d’auteurs du groupe luxembourgeois de l’Association Henri Capitant, Culture et droit civil au Luxembourg, dans Association Capitant, t. LVIII : Journées louisianaises : Droit et Culture, Paris, 2010, p. 159 et s.

    2 Avant-projet de loi portant insertion du livre VI « Les obligations » dans le Code civil et exposé des motifs rédigés par la Commission de réforme du droit des obligations, document du cabinet du ministre de la Justice, 7 déc. 2017, consultable sous https://justice.belgium.be/sites/default/files/avant-projet_loi_-_les_obligations.pdf.

    3 A. Prüm, « Faut-il réformer le droit luxembourgeois des contrats ? », Mélanges en l’honneur du professeur Claude Witz, LexisNexis, 2018, p. 701-723.

    4 Pour un aperçu plus complet de cet enracinement dans la matière du droit des contrats Voy. P. Ancel, « Le droit luxembourgeois des contrats, un droit sous influence », RDC n° 02, 2014 ; P. Ancel, Contrats et obligations conventionnelles en droit luxembourgeois, Approche comparative, Collection de la Faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg, Larcier, 2015, p. 23 et s.

    5 G. Ravarani, La responsabilité civile des personnes privées et publiques, 3e éd., Pasicrisie luxembourgeoise, 2014, p. 24, note 3.

    6 Sur les rapports entre le droit belge et le modèle français Voy. S. Bouabdallah, La réception du modèle français en droit civil belge. Exemple d’un transfert de droit, préf. P. Ancel, Bruylant, 2014.

    7 Observations conclusives : D. Mazeaud, « La Réforme du droit des contrats, quelles innovations ? », RDC, n° hors-série du 1er avril 2016, p. 14.

    8 L. Aynès, « Le juge et le contrat : nouveaux rôles : in La Réforme du droit des contrats, quelles innovations ? », RDC, n° hors-série du 1er avril 2016, p. 14.

    9 Sur l’enseignement transnational du droit à Luxembourg voy. P. Ancel et L. Heuschling (dir.), La transnationalisation de l’enseignement du droit, Collection de la Faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg, Larcier, 2016.

    10 Mais l’introduction de la fiducie au Luxembourg en 1983 s’est largement appuyée sur le travail d’un auteur français, C. Witz, La Fiducie en droit privé français, Economica, 1981.

    11 Réformes préparées au moins en ce qui concerne le droit de la famille par A. Colomer, professeur de droit français et Renard, professeur de droit belge.

    Chapitre 1

    Le processus de formation du contrat

    Sommaire

    Rapport introductif par Yannik Didlinger

    Rapport luxembourgeois par Yannik Didlinger

    Rapport français par Olivier Deshayes

    Rapport belge par Patrick Wéry

    Rapport allemand par Jens Kleinschmidt

    Rapport anglais/écossais par Hector L MacQueen

    Rapport québécois par Michelle Cumyn

    Rapport sur les textes internationaux et les principes européens par Claude Witz

    Annexes

    Rapport introductif

    Yannik Didlinger

    1. Le présent chapitre se rapporte aux échanges qui ont eu lieu à l’occasion de la première table ronde du colloque ayant trait au processus dynamique de la formation du contrat. Ce sujet qui, jusqu’en février 2016, constituait l’une des principales lacunes du Code civil en matière contractuelle en France et qui en constitue toujours une en Belgique et au Luxembourg, mais qui est réglementé par le Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) allemand depuis 1900¹, vise la question de savoir comment un contrat doit se former pour être reconnu comme tel par le droit et produire des effets juridiques.

    2. Selon l’analyse volontariste classique du Code civil de 1804, le cœur du contrat est l’accord de volontés qui en détermine la teneur, mais d’autres systèmes juridiques peuvent prévoir que ce n’est que l’intention des parties de créer un lien juridique ayant force obligatoire et susceptible d’exécution, portant nécessairement sur un transfert de valeur économique, comme la consideration exigée en common law, qui crée le lien contractuel². D’autres encore peuvent prévoir que l’engagement de simples négociations entraîne des obligations de nature contractuelle de protection à charge des parties, comme l’a admis la jurisprudence allemande suite à l’introduction du BGB sur base du concept doctrinal de la « culpa in contrahendo » développé par Rudolf von Jhering³.

    3. Indépendamment de l’approche choisie, l’expression de la volonté des parties restera toujours consubstantielle à la notion même de contrat et le débat porte sur les manières dont doit s’exprimer cette volonté pour fonder le lien contractuel.

    4. Contrairement à ce qu’avaient pu envisager les auteurs du Code napoléonien, les transactions économiques deviennent de nos jours de plus en plus complexes, de sorte que l’élaboration de l’accord des volontés ne constitue souvent plus une procédure instantanée, comme l’achat dans un magasin à prix fixe, mais qu’il est l’aboutissement d’un processus plus ou moins long de négociations contractuelles.

    5. D’un point de vue chronologique, la formation du contrat présente ainsi une période de gestation du contrat avant la naissance du contrat lors de la rencontre des volontés concordantes du pollicitant et de l’acceptant. Ces deux personnes ne se trouvant pas toujours en présence l’une de l’autre, la rencontre des volontés peut être différée dans le temps, de sorte que, dans de nombreux cas, on peut individualiser trois moments distincts avant que le contrat ne se forme : les pourparlers en vue de la conclusion du contrat, l’émission de l’offre et l’acceptation de cette offre.

    6. Les systèmes juridiques sous analyse, tout comme les projets européens et internationaux d’unification du droit des obligations contractuelles, connaissent tous ces trois aspects distincts du processus de formation du contrat, retenus comme ligne de conduite des discussions. Au sein de chacune des étapes visées, une multitude de questions juridiques sont susceptibles d’apparaître, mais, dans le respect du sujet du colloque, l’accent sera mis sur certaines spécificités qui pourraient intéresser plus particulièrement le législateur luxembourgeois désireux de réformer le droit des obligations dans un domaine presque exclusivement réglé par la jurisprudence et par la doctrine⁴.

    I. – La phase précontractuelle :

    7. Suite à la réforme de 2016, le Code civil français consacre toute une sous-section aux négociations contractuelles et le projet de réforme belge tend également à introduire un paragraphe dédié aux « négociations » dans la sous-section du Code civil traitant de « la conclusion dynamique du contrat ». Ces textes consacrent le principe de la liberté de négocier qui est également reconnue par les systèmes juridiques des autres pays représentés et par les divers projets d’unification du droit des contrats.

    8. Une différence notable apparaît cependant au niveau des limites posées à cette liberté de négocier, notamment par le biais du devoir de loyauté imposé aux parties négociatrices. L’intensité de ce devoir et les obligations concrètes qui en découlent varient de manière significative entre les systèmes juridiques continentaux et ceux du common law. Certaines sanctions retenues, même au sein des systèmes continentaux, se distinguent encore par leur originalité.

    A. Les obligations des parties :

    9. Le droit français attache une grande importance au devoir de négocier de bonne foi en disposant dans l’article 1104 du Code civil que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi et déclarant cette disposition d’ordre public. Le projet de réforme belge prévoit également que pendant les pourparlers contractuels, les parties doivent agir « conformément aux exigences de la bonne foi ». La même exigence ressort des articles 6 et 1375 du Code civil québécois et des projets européens et internationaux d’unification du droit des obligations. Ces derniers précisent, à l’instar du texte français, qu’il ne doit pas être dérogé au devoir de bonne foi⁵.

    10. Le droit allemand se distingue d’un point de vue conceptuel en ce qu’il retient la naissance d’obligations de nature contractuelle dès l’engagement de simples pourparlers ou dès l’exécution d’une mesure préparatoire à la conclusion d’un contrat. Ainsi, les parties à une négociation sont tenues de prendre en considération les droits, les biens et les intérêts du partenaire et la jurisprudence allemande se réfère à la bonne foi pour justifier l’existence de telles obligations de protection pendant la phase précontractuelle. Les juridictions ont également dégagé les obligations concrètes tenant à l’interdiction de rompre les pourparlers sans motif légitime et en trompant la confiance légitime du partenaire, au devoir de confidentialité et au devoir d’information précontractuel⁶.

    11. Ces mêmes devoirs, issus de la jurisprudence, sont actuellement codifiés en France et sont sur le point de l’être en Belgique. Les divers instruments d’uniformisation du droit des contrats y font également expressément référence et donnent des illustrations de situations concrètes prohibées⁷.

    12. Face aux solutions ainsi retenues, l’approche du common law qui ne connaît pas de principe général de bonne foi dans le droit des contrats, ni a fortiori lors de la formation du contrat, paraît beaucoup plus individualiste en ce qu’elle est fondée sur l’idée que toute relation contractuelle comprend nécessairement des intérêts opposés et que chaque partie doit veiller exclusivement à ses propres intérêts⁸. L’obligation précontractuelle de confidentialité et l’interdiction de rompre les pourparlers sans motif légitime ne sont ainsi pas concevables dans le common law⁹. Celui-ci n’envisage finalement l’obligation précontractuelle d’information que sous l’angle de la fausse déclaration au sujet de faits matériels essentiels à la conclusion du contrat, susceptible d’engager la responsabilité délictuelle de son auteur.

    13. Malgré l’approche politique libérale que reflète la solution retenue par le common law, il ne semble guère envisageable que le législateur luxembourgeois s’engage dans cette direction lors d’une éventuelle réforme du droit des obligations, eu égard à l’attachement traditionnellement manifesté au devoir de loyauté pendant la phase précontractuelle.

    B. Les sanctions :

    14. Mis à part le droit allemand, tous les systèmes juridiques examinés sanctionnent la violation du devoir de bonne foi pendant les pourparlers par la responsabilité délictuelle, avec allocation de dommages et intérêts. Il est intéressant de noter que l’envergure de l’indemnisation peut varier selon le système juridique concerné. La distinction se fait suivant les concepts d’intérêt négatif ou d’intérêt positif, représentant respectivement la perte éprouvée et le profit espéré.

    15. Ainsi, la réparation du dommage résultant d’une rupture abusive de pourparlers consistera dans tous les systèmes juridiques continentaux dans l’intérêt négatif, comprenant les frais engagés et la perte de l’opportunité de conclure un autre contrat. L’indemnisation de l’intérêt positif est discutée au Québec et elle est refusée en Allemagne, au Luxembourg, ainsi que par les projets d’unification du droit des contrats, en corollaire de la liberté de négocier. Le projet de réforme belge qui refuse également, dans son principe, l’indemnisation des gains espérés, la consacre cependant dans le cas très particulier où la confiance légitime que le contrat serait conclu a été suscitée. L’indemnisation correspondra alors à la perte des avantages nets attendus du contrat non conclu¹⁰. Il ne semble pas exclu que le législateur luxembourgeois puisse s’inspirer de cette disposition, étant donné qu’une partie de la jurisprudence plus ancienne avait déjà franchi ce pas dans certains cas d’espèce.

    16. La violation de l’obligation précontractuelle de confidentialité entraînera dans tous les systèmes juridiques continentaux l’allocation de dommages et intérêts dans l’hypothèse où un préjudice est accru au partenaire de négociation, mais les textes de droit souple prévoient également la restitution des profits qui auraient été obtenus par ce biais¹¹. Cette solution originale et dissuasive mériterait certainement une discussion dans le cadre d’une éventuelle réforme luxembourgeoise.

    17. Les systèmes juridiques continentaux, tout comme les textes de droit souple, admettent qu’un contrat conclu en violation de l’obligation précontractuelle d’information encourt l’annulation pour erreur, vice du consentement, voire pour dol, avec allocation de dommages et intérêts couvrant l’intérêt négatif. Les jurisprudences allemande et luxembourgeoise admettent également, lorsqu’il est certain qu’un contrat plus avantageux aurait été conclu si l’information pertinente avait été donnée, la réparation des avantages perdus du fait du contrat non conclu¹². Claude Witz expose que le Draft Common Frame of Reference prévoit finalement un moyen d’action à la fois inédit et audacieux en cas de manquement par un professionnel à son devoir d’information précontractuel, aboutissant à ce que le professionnel soit tenu des obligations contractuelles auxquelles l’autre partie pouvait se fier sur base du défaut d’information ou du caractère erroné de l’information fournie¹³. L’adoption par le Luxembourg d’une telle disposition susciterait certainement de vives discussions, eu égard au principe du consensualisme qui serait remis en cause.

    II. – L’offre de contracter :

    18. La pollicitation est destinée à être acceptée pour que le contrat se forme, mais que se passe-t-il si l’offre, parvenue à son destinataire, n’est pas destinée à être acceptée instantanément, si elle est assortie d’un délai ou si, selon la complexité de la matière, il faut admettre que le destinataire dispose d’un délai raisonnable pour répondre ? L’offre peut-elle être retirée pendant ce délai ? Le contrat peut-il se former, malgré le retrait de l’offre, en cas d’acceptation par le destinataire endéans le délai ? Ces questions trouvent leur réponse dans la qualification juridique de l’offre qui détermine son régime, l’effet que produisent sa rétractation et la sanction de son retrait illicite.

    19. Des discussions similaires apparaissent au sujet de la détermination de la sanction de la violation d’un contrat préparatoire, avec nécessairement d’autres solutions à la clé. La controverse porte, ici, exclusivement sur les sanctions à appliquer, la qualification de contrat n’étant pas discutée.

    A. L’offre et sa rétractation :

    20. Les contributions nationales échangées lors de la table ronde permettent de dégager deux approches différentes de la qualification juridique de l’offre qui sera considérée, par certains, comme acte juridique créateur d’une obligation unilatérale de maintien et, par d’autres, comme fait juridique générateur de responsabilité délictuelle.

    21. Dans un souci de protection de la confiance légitime du destinataire de l’offre, la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises, le droit allemand¹⁴, le droit québécois¹⁵ et les projets d’unification du droit des contrats¹⁶retiennent que l’offre parvenue à son destinataire et assortie d’un délai, ou devant être considérée comme soumise à un délai raisonnable, est irrévocable. Le droit allemand, les textes et projets internationaux diffèrent cependant du droit québécois en ce que les premiers retiennent qu’un éventuel retrait prématuré de l’offre est inefficace et que l’acceptation de l’offre forme le contrat, tandis que cette sanction n’est admise que par certains auteurs au Québec¹⁷. La solution retenue en droit allemand et dans les projets d’unification, est fondée sur l’idée que l’offre s’analyse en un engagement par la volonté unilatérale et qu’elle lie le pollicitant.

    22. La même idée déjà antérieurement présente en jurisprudence est retenue dans l’avant-projet de réforme belge dont Patrick Wéry cite l’article 5.23 alinéa 3 prévoyant que « l’offre demeure irrévocable durant le délai qui y est fixé ou, à défaut, durant un délai raisonnable ». La sanction y attachée en vertu des règles applicables aux obligations en général, consiste en l’exécution en nature de l’engagement entraînant la conclusion du contrat, sans préjudice du droit de la victime de demander l’exécution par équivalent¹⁸. Le projet de réforme belge traite encore de la relation entre le bénéficiaire de l’offre et le tiers de mauvaise foi qui connaissait l’existence de l’engagement unilatéral, ou qui devait le connaître, et qui a néanmoins contracté avec le pollicitant. Le contrat conclu en violation de l’offre initiale est inopposable au destinataire de l’offre qui, par son acceptation, peut former le contrat.

    23. Michelle Cumyn développe les dispositions du Code civil québécois (CCQ) qui décrit de façon précise la chronologie de la formation du contrat de vente à partir de l’offre à personne déterminée, convertie en promesse unilatérale de contrat, puis en promesse bilatérale de contrat et, accompagnée de délivrance et de possession, transformée finalement en vente¹⁹.

    24. La jurisprudence française d’avant la réforme, tout comme l’actuelle jurisprudence luxembourgeoise²⁰, ne permettent pas de trancher de manière définitive la question de la sanction d’un retrait prématuré de l’offre. Le nouvel article 1116 du Code civil français, à la différence des systèmes juridiques exposés ci-avant, refuse nettement l’idée d’une formation « forcée » du contrat en disposant qu’une telle rétractation « empêche la conclusion du contrat ». À l’instar de la sanction appliquée au Québec, seuls des dommages et intérêts sont alloués sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l’indemnisation de « la perte des avantages attendus du contrat » étant expressément exclue²¹.

    25. Les droits anglais et écossais refusent finalement d’accorder un quelconque effet juridique à l’offre, même assortie d’un délai, si le maintien de l’offre n’est pas accompagné d’une contrepartie économique ou, prévu dans un deed. La seule responsabilité encourue est de nature délictuelle et l’indemnisation est limitée aux frais engagés. Eu égard à l’insuffisance constatée de cette solution, la Scottish Law Commission recommande de reconnaître un caractère irrévocable à l’offre assortie d’un délai²².

    26. L’analyse globale permet de retenir que les régimes juridiques sous examen s’orientent majoritairement vers la reconnaissance d’un effet obligatoire à l’offre assortie d’un délai et vers l’inefficacité de sa révocation prématurée. Il est, ainsi, probable que le législateur luxembourgeois prenne en considération cette approche lors de l’éventuelle élaboration d’un texte concernant la formation du contrat.

    B. Les contrats préparatoires et leur violation :

    27. Le BGB ne connaît pas expressément des contrats préalables, mais la jurisprudence retient que ni l’Optionsvertrag, ni le Vorrechtsvertrag, issus d’une pratique courante, n’ont d’effet à l’égard des tiers. L’éventuel contrat conclu en violation d’un contrat préparatoire reste ainsi valable. Cette même solution est retenue par l’article 1397 du CCQ qui exclut la possibilité pour le bénéficiaire d’un contrat préparatoire d’attaquer le contrat conclu avec un tiers, même de mauvaise foi. Le droit québécois admet toutefois la possibilité pour le bénéficiaire d’une promesse unilatérale de contrat de forcer son cocontractant à conclure celui-ci²³.

    28. À l’instar de tous les droits continentaux exposés, le droit allemand prévoit le principe de la responsabilité contractuelle de la partie liée par un avant-contrat. Il permet l’indemnisation tant de l’intérêt négatif que des gains espérés du contrat violé, avec le cas échéant restitution des gains obtenus du contrat conclu avec le tiers²⁴. Ce ne sera que dans le cas rare de l’incitation à la rupture du contrat qu’un tiers risque de voir engager sa responsabilité délictuelle, avec allocation de dommages et intérêts, voire avec restitution, à titre de Naturalrestitution, de l’objet du contrat conclu en violation de l’avant-contrat.

    29. Dans le même effort de sanctionner la complicité de la violation d’un pacte de préférence ou d’une promesse unilatérale de contrat, la réforme projetée en Belgique prévoit que le bénéficiaire du contrat préparatoire peut demander au tiers la réparation du préjudice subi, mais également l’inopposabilité à son égard du contrat conclu, respectivement sa substitution au tiers dans le contrat conclu en violation du contrat préliminaire²⁵.

    30. L’article 1124, alinéa 2 du Code civil français retient l’inefficacité de la révocation de la promesse unilatérale de contrat pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter. S’agissant de la violation d’un avant-contrat conférant droit à la conclusion du contrat définitif, la formation de ce dernier est expressément admise. En ce qui concerne les relations avec les tiers, le texte retient, contrairement au droit allemand,

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