Le droit de la régulation audiovisuelle et le numérique
Par Éditions Larcier
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À propos de ce livre électronique
L’adoption des deux lois du 15 novembre 2013, relative à l’indépendance de l’audiovisuel public annonce peut-être un bouleversement à venir.
En effet, elles remodèlent à beaucoup d’égards l’organe français de régulation de l’audiovisuel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dont le statut et les procédures sont revues, mais ne le dotent que de rares pouvoirs nouveaux, alors pourtant que les besoins de régulation du secteur sont indéniables.
Ce faisant, elles anticipent assurément la réforme à venir, et combien plus difficile, de l’audiovisuel lui-même. Sa redéfinition est en effet nécessitée par la prise en compte de sa convergence croissante avec le numérique (le développement de nouvelles techniques et de nouveaux services aux frontières communes, tels les services de médias audiovisuels à la demande) et le constat que la régulation de ce dernier est déjà éclatée en France entre plusieurs organismes publics autres que le CSA (ANFR, ARCEP, ADLC, HADOPI, notamment), sans oublier évidemment l’influence croissante du droit européen en la matière.
C’est sur tous ces aspects et les interrogations qu’ils font naître, que les contributions réunies dans cet ouvrage entendent réfléchir.
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Aperçu du livre
Le droit de la régulation audiovisuelle et le numérique - Éditions Larcier
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.
Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.
Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
© Groupe Larcier s.a., 2016
Éditions Larcier
Rue Haute, 139 – Loft 6 – 1000 Bruxelles
Tous droits réservés pour tous pays.
Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
ISBN : 978-2-8044-9260-1
Collection Droit des technologies
Sous la direction de Étienne Wéry et Jérôme Huet
La collection rassemble des ouvrages traitant des aspects juridiques, régulatoires, voire éthiques des nouvelles technologies au sens le plus large. Ils s’adressent aux juristes mais aussi aux professionnels et utilisateurs de ces nouvelles technologies.
Chaque sujet est traité de façon complète mais concise, le plus souvent en droits européen, français et belge.
Déjà parus :
Thibault VERBIEST, Commerce électronique : le nouveau cadre juridique.
Publicité – Contrats – Contentieux, 2004
Étienne WÉRY, Sexe en ligne : aspects juridiques et protection des mineurs, 2004
Thibault VERBIEST, Le nouveau droit du commerce électronique.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique et la protection du cyberconsommateur, 2005
Valérie SEBAG, Droit et bioéthique, 2007
Étienne WÉRY, Paiements et monnaie électroniques.
Droits européen, français et belge, 2007
Étienne WÉRY, Facturer électroniquement. Droits européen, français et belge, 2007
Franklin DEHOUSSE, Thibault VERBIEST et Tania ZGAJEWSKI, Introduction au droit de la société de l’information. Synthèse en droits belge et européen.
Convergence télécoms – Audiovisuel – Internet, 2007
Philippe ACHILLEAS (dir.), Droit de l’espace. Télécommunication – Observation – Navigation – Défense – Exploration, 2009
Stéphanie LACOUR (dir.), Des nanotechnologies aux technologies émergentes, 2013
Pierre-François DOCQUIR et Muriel HANOT (dir.), Nouveaux écrans, nouvelles régulations ?, 2013
Sommaire
Avant-propos
Didier
Guével
Propos introductifs
Céline
Bloud-Rey
& Jean-Jacques
Menuret
Thème 1.
La réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel par les lois
du 15 novembre 2013 : annonce d’un bouleversement à venir ?
La place du Conseil supérieur de l’audiovisuel au sein
des autorités administratives indépendantes
Jean-Jacques
Menuret
L’attribution de la personnalité morale au Conseil supérieur de l’audiovisuel
Jean-Pierre
Camby
Les finalités de l’attribution de la personnalité morale
au Conseil supérieur de l’audiovisuel
Sébastien
Martin
La séparation des fonctions dans la procédure de sanction
du Conseil supérieur de l’audiovisuel
Hubert
Delzangles
La nouvelle composition du Conseil supérieur de l’audiovisuel
Guillaume
du Puy-Montbrun
L’activité normative du Conseil supérieur de l’audiovisuel
est-elle appelée à changer ?
Anne
Penneau
Le contrôle de l’activité du Conseil supérieur de l’audiovisuel
Benoît
Delaunay
Thème 2.
L’évolution du droit de l’audiovisuel face aux mutations technologiques et aux enjeux économiques
L’évolution du droit de l’audiovisuel face au spectre
radioélectrique
Céline
Bloud-Rey
Nouvelles missions et nouveaux pouvoirs du Conseil supérieur
de l’audiovisuel en lien avec le numérique
Véronique
Mikalef-Toudic
Quelques enjeux de régulation pour les industries de contenus à l’ère numérique
François
Moreau
Les opérateurs économiques face à l’extension de la régulation audiovisuelle par le Conseil supérieur de l’audiovisuel : le cas de la société Orange
Carole
Cunéo
Quelle place pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel face
à l’Autorité de la concurrence et à l’Autorité de régulation
des communications électroniques ?
Laurence
Calandri
La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet : bilan et perspectives
Catherine
Arnaud
La réforme de la directive « Services de medias audiovisuels »
Francisco Javier
Cabrera
Blázquez
Regards sur les autorités de régulation de l’audiovisuel
en Europe
Emmanuelle
Machet
Table des matières
Avant-propos
Didier Guével
Professeur de droit privé, Doyen de la Faculté de Droit, Sciences politiques et sociales de l’Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité
Encore un beau et courageux colloque organisé par deux des meilleurs laboratoires de la Faculté de Droit, Sciences politiques et sociales de l’Université Paris 13, Sorbonne Paris Cité, le Centre d’Études et de Recherches Administratives et Politiques (CERAP) et l’Institut de Recherche pour un Droit Attractif (IRDA) !
On se photographie avec son téléphone, on regarde des émissions de radiophonie désormais filmées, on consulte l’Internet sur un poste de télévision, on regarde la télévision sur une tablette, on communique avec la terre entière, on joue « en ligne », on paie et l’on prend l’avion en présentant son téléphone, tout est diffusable et diffusé par la voie hertzienne, la fibre optique, les câbles téléphoniques, les ondes radio locales… Les adeptes du critère de la substituabilité doivent y perdre leur latin.
Le volcan de la technologie explose dans un fascinant spectacle qui en dissimule les dangers.
Les instances chargées de préserver la liberté, de protéger les marchés contre les abus, de lutter contre l’indignité humaine, de diffuser la culture, de défendre les droits fondamentaux peuvent-elles encore être efficaces et n’ont-elles pas un inévitable retard par rapport aux incessantes innovations technologiques ?
J’étais récemment à l’étranger et j’ai voulu regarder une émission de télévision récente sur mon ordinateur portable. Un message s’est affiché m’indiquant que, pour des raisons juridiques, je n’avais pas l’accès à ces images dans le pays où je me trouvais ; mais, juste à côté, un encart m’offrait la possibilité de visionner gratuitement ladite émission sur un autre site et, je le confesse devant les spécialistes ici présents, j’ai cédé à la tentation encourant sans doute de graves sanctions.
Certes, un jour, la lave créatrice se refroidira et se cristallisera peut-être autour d’un grand écran plat familial et de petites extensions humaines qui n’auront plus le nom de téléphones et qui seront comme des mémoires et des membres ajoutés à chacun. L’on sait déjà combien nombreux sont ceux qui tiennent à leur téléphone portable comme à la prunelle de leurs yeux, support psychologique, objet transitionnel, doudou technologique autant qu’instrument…
En attendant, il est sans doute l’heure de faire le point.
Au siècle dernier, j’ai soutenu une thèse consacrée à la dispersion de la fonction juridictionnelle et, quelques années plus tard, j’ai contribué à la rédaction d’un gros rapport, sous la direction du Doyen Jean-Jacques Israël, sur les autorités administratives indépendantes. Il me semble que l’exemple de l’audiovisuel pourrait être prétexte à se reposer aujourd’hui la question de ce que peut ou doit être une régulation et celle de déterminer à qui la confier, sur une base et avec des concepts de Droit continental.
Je suis certain que les éminentes personnalités qui interviennent lors de ce colloque vont nous encourager dans cette voie. Il faut vivement remercier Madame Céline Bloud-Rey et Monsieur Jean-Jacques Menuret, deux collègues dont je connais le grand talent, de nous permettre d’écouter et d’interroger tous ces sachants. Remercions aussi Mesdames Claudine Moutardier et Sandrine Caron qui nous aident au quotidien dans nos travaux de recherche et, bien sûr, pour leur coutumière gentillesse, les responsables de l’indispensable haute assemblée qui accueille, aujourd’hui encore, ces travaux.
Compte tenu de l’importance du sujet de ces échanges, de son actualité et de sa constante évolution, je formule le vœu que cette réunion se pérennise et devienne, comme d’autres manifestations scientifiques de notre Faculté, un moment annuel de rencontres et d’innovation.
Propos introductifs
Céline Bloud-Rey & Jean-Jacques Menuret
Maîtres de conférences à la Faculté de Droit, Sciences politiques et sociales de l’Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité
1. Le droit de l’audiovisuel a connu depuis plus d’une vingtaine d’années de nombreuses transformations pour s’adapter aux évolutions que connait le secteur et répondre aux besoins croissants de régulation.
L’apparition et le développement du numérique dans les différents médias a sans doute accéléré les besoins de réforme de la régulation de l’audiovisuel, compte tenu de la convergence constatée entre les deux domaines.
Plusieurs lois se sont ainsi succédé en France pour essayer de rendre compte de cette évolution par petites touches successives, sans toutefois remettre en cause en profondeur le dispositif mis en place par la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication.
2. L’adoption des deux lois du 15 novembre 2013, relative à l’indépendance de l’audiovisuel public, tout en s’inscrivant dans la continuité des précédentes réformes, peut sans doute s’interpréter, nonobstant les hésitations des gouvernants, comme l’annonce d’un bouleversement plus important à venir, qui demeure encore attendu aujourd’hui.
En effet, tout en le pérennisant dans son existence, les nouveaux textes remodèlent à beaucoup d’égards l’organe français de régulation de l’audiovisuel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Son statut et ses procédures sont ainsi revus, même si le législateur ne dote l’organisme que de rares nouveaux pouvoirs, en dépit des besoins croissants de régulation du secteur de l’audiovisuel.
3. Ce faisant, les deux lois du 15 novembre 2013 ont assurément cherché à anticiper la réforme à venir, et combien plus difficile, de l’audiovisuel lui-même, dont la redéfinition est une nécessité.
Cette redéfinition s’impose d’abord en raison de la convergence croissante de l’audiovisuel et du numérique, par exemple avec le développement de nouvelles techniques et de nouveaux services aux frontières communes, tels les services de médias audiovisuels à la demande. Ce faisant, les deux domaines se transforment, se dédoublent, se superposent, parfois pour n’en faire plus qu’un, sans oublier évidemment l’influence croissante en la matière du droit européen.
Cette redéfinition s’impose ensuite par le constat que la régulation de l’audiovisuel est aujourd’hui en France, déjà éclatée entre plusieurs organismes publics qui coexistent, bon gré mal gré, avec le CSA.
Il en va ainsi, principalement, de plusieurs autres autorités indépendantes, telles l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), l’Autorité de la concurrence (ADLC) ou encore la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI) ; comme d’un établissement public, l’Agence nationale des fréquences (ANFR).
4. C’est sur tous ces aspects et les interrogations qu’ils font naître, qu’entendent réfléchir les contributions – d’universitaires, juristes et économistes, de représentants du CSA, d’observateurs et aussi d’opérateurs audiovisuels – réunies dans cet ouvrage.
Les deux parties de l’ouvrage rendent ainsi compte des deux demi-journées d’étude dont les contributions en sont issues : la première est consacrée à « la réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel par les lois du 15 novembre 2013 : annonce d’un bouleversement à venir ? » ; la seconde à « l’évolution du droit de l’audiovisuel face aux mutations technologiques et aux enjeux économiques ».
Thème 1.
La réforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel par les lois du 15 novembre 2013 : annonce d’un bouleversement à venir ?
La place du Conseil supérieur de l’audiovisuel au sein des autorités administratives indépendantes
Jean-Jacques Menuret
Maître de conférences de droit public à la Faculté de Droit, Sciences politiques et sociales de l’Université Paris 13 Sorbonne Paris Cité, membre du Centre d’études et de recherches administratives et politiques (EA 1629)
1. Afin d’introduire cette première demi-journée d’étude consacrée au droit de la régulation audiovisuelle à l’épreuve du numérique, et avant de nous interroger sur les éventuels bouleversements que pourraient annoncer les deux lois du 15 novembre 2013 relatives à l’indépendance de l’audiovisuel public (1), il m’a semblé intéressant de revenir sur la place occupée dans notre pays par l’autorité de régulation audiovisuelle qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), au sein de la catégorie des autorités administratives indépendantes (AAI).
2. L’histoire du droit de la régulation audiovisuelle a connu en France de nombreuses ruptures et une évolution chaotique, du moins en apparence. Ainsi que l’a rappelé le professeur Didier Truchet, « chaque événement politique important a eu sur lui des répercussions directes, souvent spectaculaires, toujours critiquées » (2).
Et en effet, il faut se souvenir que, de ses origines jusqu’en 1959, l’évolution de ce régime a été marquée par une prise en charge croissante de la radiodiffusion et de la télévision par l’État, qui a abouti à la mise en place d’un système de monopole étatique. Ce n’est qu’à compter de cette date qu’a commencé ensuite un lent mouvement de libéralisation du secteur, entendue sous toutes ses formes (soumission de la radio-télévision au droit privé, éclatement du service public, intervention croissante des personnes privées et privatisation des organismes publics, notamment).
La rupture n’a été consommée qu’avec la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle (3), qui a abrogé le monopole étatique et surtout affirmé le principe de liberté de la communication audiovisuelle et le droit pour les citoyens à une « communication audiovisuelle libre et pluraliste » (4).
Plus remarquable encore, la loi a proclamé que ladite liberté et l’exercice des droits qui en découlent étaient garantis, notamment, par une autorité nouvelle qu’elle a créée à cet effet et dénommée alors Haute autorité de la communication audiovisuelle (5).
3. Une telle création, nonobstant ses caractéristiques propres, n’aurait rien eu de singulier dans le mouvement de dérèglementation et de création d’AAI qui commençait à voir le jour dans la société française au cours de la décennie 1980 si, à l’occasion de l’examen de la conformité à la Constitution de ladite loi, le Conseil constitutionnel n’avait pas reconnu à la liberté de communication audiovisuelle ainsi proclamée sa valeur constitutionnelle (6).
Ainsi, de façon originale, l’autorité de régulation audiovisuelle s’est trouvée directement investie de la mission de veiller au respect de la mise en œuvre d’une liberté constitutionnelle. Et c’est avant tout cet aspect particulier de sa mission qui devait la caractériser durant toutes les années qui allaient suivre, au sein de la catégorie très hétérogène qu’est celle des AAI.
4. Alternance politique oblige, la loi du 29 juillet 1982 a ensuite été abrogée et remplacée, à l’exception de certaines de ses dispositions, par la loi du 30 septembre 1986, relative à la liberté de communication (7). À cette occasion, le législateur a également substitué à l’autorité de régulation audiovisuelle originelle, la Commission nationale de la communication et des libertés (8), qui a reçu à cette occasion des pouvoirs élargis.
Puis, une nouvelle fois avec la loi du 17 janvier 1989 (9), l’édifice législatif en matière audiovisuelle a été modifié, et l’autorité en place chassée par le nouveau CSA.
Si la loi du 30 septembre 1986 a ensuite connu de nombreuses modifications successives, et la matière qu’est l’audiovisuel un élargissement avec, notamment, le développement des infrastructures numériques, leur convergence avec les services et les contenus qu’elles acheminent, et spécialement l’apparition de nouveaux services qui ont repensé la télévision, tels les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), la dernière autorité de régulation audiovisuelle créée n’a pas été remplacée par une nouvelle, signe sans doute d’un apaisement politique sur la question, du moins en apparence.
5. En effet, il ne faut pas douter que c’est une réforme en profondeur du CSA qui a été réalisée par les lois du 15 novembre 2013.
Pour s’en convaincre, il suffit d’énumérer les changements les plus marquants qui ont été opérés à son égard par le législateur : attribution de la personnalité morale et donc reconnaissance d’une responsabilité propre ; exigence de critères de compétence pour le nouveau collège dont les règles de nomination, de composition et le statut sont entièrement revus ; séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de prononcé des sanctions et création d’un rapporteur, appelé à devenir le nouveau personnage central de la procédure ; extension des missions avec le développement du pouvoir de règlement des différends et la création d’une nouvelle compétence de conciliation des opérateurs économiques.
Alors sans doute, vues d’aujourd’hui, les lois du 15 novembre 2013 ne peuvent pas être considérées comme des textes de refondation du système entier de régulation de l’audiovisuel, sauf à anticiper l’avenir. Il faudra encore attendre la réforme du droit matériel de l’audiovisuel, déjà plusieurs fois annoncée, pour pouvoir mesurer leur véritable portée.
Il reste, toutefois, que ces lois modifient de façon importante le CSA et incitent à s’interroger sur la nécessité ou non de le percevoir d’une façon différente au sein de la catégorie des AAI.
À la lumière de l’évolution passée et des lois nouvelles, il convient donc de revenir d’abord sur la mission originelle de l’autorité de régulation audiovisuelle, à savoir la garantie de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle (I), avant de se demander si les modifications apportées à cet organe, présenté comme armé pour assurer désormais une mission de régulation économique, ne le détournent pas de son objectif initial (II).
I. Une autorité garante de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle
6. Dès sa création en France, l’autorité de régulation audiovisuelle a reçu pour mission d’être la garante de l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle.
Cette mission spécifique n’aurait peut-être pas eu de relief particulier au sein des AAI, si la liberté en cause, par l’effet des décisions du Conseil constitutionnel, n’avait pas reçu une consécration constitutionnelle, et si l’autorité chargée de sa protection n’avait été dans le même temps pérennisée du fait de cette mission (A). Quoi qu’il en soit, celle-ci n’a jamais été ensuite remise en question, malgré l’expression en la matière d’un volontarisme politique très fort qui s’explique sans doute par l’objet particulier de la liberté concernée (B).
A. Une autorité pérennisée en raison de sa mission d’ordre constitutionnel
7. Afin de comprendre que la reconnaissance de la valeur constitutionnelle de la liberté de communication audiovisuelle a eu pour effet de pérenniser l’autorité de régulation audiovisuelle, il faut d’abord se rappeler que, en même temps que la loi du 29 juillet 1982 proclamait en son article 1er la liberté de communication audiovisuelle, son article 4 précisait que cette liberté et l’exercice des droits qui en découlent étaient garantis, notamment, par une autorité nouvelle créée à cet effet.
La loi du 30 septembre 1986 a ensuite réaffirmé les mêmes principes et confirmé la mission confiée à l’autorité de régulation audiovisuelle, qui a alors été qualifiée d’ « autorité administrative indépendante » par le législateur. Et à ce jour, aucune des modifications législatives postérieures, notamment la loi du 17 janvier 1989 qui a créé le CSA, n’a remis en cause ces différents éléments (10).
Dans le même temps, le Conseil constitutionnel devait affirmer, par sa décision du 27 juillet 1982 (11), et sur le fondement de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, relatif à la liberté de communication des pensées et des opinions, que la liberté de communication audiovisuelle est une liberté de valeur constitutionnelle.
Cet édifice n’aurait toutefois révélé aucun véritable particularisme – d’autres AAI sont en effet chargées de faire respecter des libertés de rang constitutionnel – si le Conseil constitutionnel n’avait pas ensuite jugé, d’abord, par sa décision du 26 juillet 1984 (12) que « la désignation d’une autorité administrative indépendante du Gouvernement pour exercer une attribution aussi importante au regard de la liberté de communication que celle d’autoriser l’exploitation du service radio-télévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé, constitue une garantie fondamentale pour l’exercice d’une liberté publique et relève de la compétence exclusive du législateur », et ensuite, par sa décision du 18 septembre 1986 (13), « que la substitution à la Haute autorité de la communication audiovisuelle (…) de la Commission nationale de la communication et des libertés n’a pas, à elle seule, pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
Ce faisant, par ses décisions successives, le juge constitutionnel a intimement rattaché l’existence de l’autorité de régulation audiovisuelle à la garantie de l’exercice de la liberté fondamentale de la communication audiovisuelle.
En effet, si le législateur peut sans doute substituer une AAI à une autre, la singularité de la mission confiée ici à l’organe semble garantir, au nom de l’exigence démocratique, sa pérennité en tant qu’organe indépendant, sauf à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles (14).
C’est d’ailleurs cette singularité qui a permis à plusieurs reprises l’expression de la volonté officielle d’inscrire une telle autorité – et aucune autre – dans le texte constitutionnel, ainsi qu’en témoignent les rapports du Comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel, en février 1993, et du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions d’Edouard Balladur, en octobre 2007.
Cette volonté n’a toutefois pas été couronnée de succès à ce jour, puisque seul le Défenseur des droits, né de la fusion de quatre anciennes autorités indépendantes, a eu le privilège d’accéder à la Constitution, sans que cela en change toutefois la nature, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision du 29 mars 2011 (15).
Quoi qu’il en soit, à la différence des autres AAI dont l’existence est soumise à la volonté du législateur, l’autorité de régulation audiovisuelle semble donc jouir, au sein de la catégorie, d’une place à part en raison de sa mission spécifique d’ordre constitutionnel.
B. Une autorité devant faire face à un constant volontarisme politique
8. En dépit ou à cause de cette mission qui lui a été confiée dès l’origine, l’autorité de régulation de l’audiovisuel a toujours dû faire face à un fort volontarisme politique en la matière, qui ne s’est jamais démenti, sans doute en raison de l’objet spécifique de la liberté de communication audiovisuelle.
En effet, on ne compte pas d’autre AAI qui ait suscité autant de passion politique et subi autant de transformations répétées en l’espace d’une trentaine d’années.
Bien sûr, au-delà du simple changement d’appellation, certaines AAI ont aussi été réformées, connu des transformations de leurs organes ou de leurs missions, ou même fusionné, mais sans que les passions politiques n’aient eu autant à s’exprimer, avec constance, qu’en matière de communication audiovisuelle.
En atteste notamment la question de la restitution au CSA (16), par les lois de novembre 2013, du pouvoir de nomination des présidents des sociétés nationales de programmes, ô combien symbolique aux yeux de beaucoup et de faible intérêt juridique ici (sauf à relever que ce pouvoir de nomination est inhabituel pour une AAI), mais qui a pourtant concentré une partie des débats, du moins au sein de l’opinion publique (17).
L’explication de ce volontarisme politique doit d’abord être recherchée dans l’objet même de la liberté de communication audiovisuelle, prise dans un sens large, qu’est chargée de garantir l’autorité de régulation audiovisuelle. Si sa définition est incertaine, illustrant l’instabilité des lois relatives à l’audiovisuel et les constantes mutations techniques de ce domaine, il s’agit en tout cas d’une liberté intellectuelle, qui est relative de surcroit, pour reprendre l’expression d’un auteur, à un « fait de société majeur », parce qu’elle est considérée comme « un moyen de communication de masse » (18).
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la liberté de communication audiovisuelle présente ainsi deux caractéristiques principales. D’une part, elle jouit, au sein des droits et libertés constitutionnellement reconnus, d’une place privilégiée : c’est une liberté d’autant plus fondamentale que son exercice est l’une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés et de la démocratie (19). D’autre part, elle s’inscrit dans un ensemble plus vaste : ainsi l’audiovisuel est une des composantes essentielles de l’ensemble des moyens de communication dont la presse fait également partie (20).
Plus encore, l’objet même de la mission confiée depuis l’origine à l’autorité de régulation audiovisuelle conduit notamment celle-ci à exercer un contrôle, non sur les contenants mais sur les contenus audiovisuels, à la différence, par exemple, de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), AAI chargée des questions de concurrence liées aux réseaux, ou de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), établissement public national qui assure des missions de gestion et de contrôle sur les réseaux.
Ainsi, la différence est ici manifeste : la régulation induite par la mise en œuvre de la liberté de communication audiovisuelle est d’ordre socioculturel et ne saurait se situer au même rang que celle, notamment, d’une simple liberté économique qu’il s’agirait de garantir au nom d’un bon ordre sur un marché quel qu’il soit, concurrentiel ou financier, notamment.
Alors, bien sûr, il ne s’agit pas ici de faire preuve de naïveté. Les opérateurs sujets du droit de la régulation audiovisuelle se présentent autant comme des défenseurs de la liberté que de leurs intérêts économiques, qui sont au cœur même