Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'épopée américaine de La Fayette: Washington, me voici !
L'épopée américaine de La Fayette: Washington, me voici !
L'épopée américaine de La Fayette: Washington, me voici !
Livre électronique429 pages6 heures

L'épopée américaine de La Fayette: Washington, me voici !

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Découvrez le destin hors du commun du marquis de La Fayette

Gilbert du Mottier de La Fayette (1757-1834) a vingt ans à peine lorsqu´il embarque pour l´Amérique à bord de la Victoire. Les treize colonies américaines sont en révolte et bientôt en guerre, pour leur indépendance, contre l´Angleterre de George III.

Grâce à des recherches minutieuses dans les correspondances officielles et familiales et dans les documents diplomatiques, Daniel Binaud raconte l´épopée américaine de La Fayette, de 1777 à 1779.

Deux années riches et mouvementées où le futur héros des « deux mondes » nouera une amitié indéfectible avec George Washington, l´homme de l´Indépendance, participera au conflit entre colons et Anglais, connaîtra la guerre civile entre insurgés et conservateurs favorables à l´Angleterre, découvrira les Indiens qui jouèrent un rôle important dans ces affrontements.

Ainsi, La Fayette prend la mer le 26 avril 1777, en bravant l´interdiction du Roi. Après sept semaines de traversée, il débarque en Caroline et se rend avec ses compagnons à Philadelphie, siège du Congrès. Il offre ses services, déclarant: « J´ai le droit d´exiger deux grâces : l´une est de servir à mes dépens, l´autre est de commencer à servir comme volontaire. » Non sans difficulté, il est incorporé dans l´armée des Etats-Unis au mois de juillet...

Ce récit historique se lit comme un roman, celui de l´aventure américaine de La Fayette.

EXTRAIT

Les deux mains appuyées sur le bastingage, un des passagers regardait s’éloigner la côte. Assez grand, mince, il était vêtu d’un manteau gris et coiffé d’un tricorne de même teinte. Les bas blancs, bien tirés dans des chaussures à boucles d’argent, il dénotait par la qualité et l’état de sa tenue un homme d’un certain rang. Il se tenait un peu à l’écart des autres dont l’intérêt était capté par les manœuvres du navire et par les perspectives pleines d’inconnu qui s’ouvraient devant eux. Une certaine mélancolie flottait dans son regard, alors que la côte basque, peu à peu, s’estompait en une ligne brune où les détails de l’habitat humain avaient disparu depuis déjà un moment. Un homme, nettement plus âgé que lui, vint s’accouder à son coté. D’une voix marquée par un accent tudesque il s’exprima en regardant la mer :

— Alors, Gilbert, nous sommes enfin en route. Quand reverrons-nous ces côtes, mon ami ?

Son compagnon esquissa un sourire aimable mais exempt de gaieté.

— Mon cher Johann, l’heure, sans doute n’est plus aux questions. La porte du destin s’ouvre devant nous. Puissions-nous l’affronter avec détermination même s’il n’est pas toujours conforme à nos vœux.
LangueFrançais
ÉditeurUPblisher
Date de sortie27 mai 2016
ISBN9782759900336
L'épopée américaine de La Fayette: Washington, me voici !

Auteurs associés

Lié à L'épopée américaine de La Fayette

Livres électroniques liés

Biographies culturelles, ethniques et régionales pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L'épopée américaine de La Fayette

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'épopée américaine de La Fayette - Daniel Binaud

    L'épopée américaine de La Fayette

    « Washington me voici »

    Daniel Binaud

    UPblisher.com

    Facebook Twitter

    À tous ceux qui connaissent le prix de la liberté et à ceux qui la confondent avec la licence.

    Remerciements

    Ma gratitude, va avant tout, à Madame Anne-Marie Cocula, conseillère et, surtout, auteur d’une préface, comme elle en a le secret, longue, précise, didactique, nourrie de toute la connaissance qui est  la sienne et qui serait, si j’ose dire, le cadre autour du tableau.

    Je dois aussi des remerciements à la Bibliothèque d’Anglais de l’Université de Bordeaux III Michel de Montaigne, qui m’a permis de trouver certaines sources qu’il m’aurait fallu, autrement aller chercher bien loin.

    Il en est de même des Archives départementales de la Gironde et de la Bibliothèque municipale de Bordeaux, plus riches qu’on ne le croit, en documents relatifs à notre région.

    Enfin, je ne saurais oublier ma petite fille Cécilia qui a mis de l’ordre dans ma mise en page informatique plutôt chaotique.

    PRÉFACE

    Le titre de l’ouvrage de Daniel Binaud est déjà une trouvaille puisque sa réponse a fait le tour du monde : La Fayette, nous voilà. Cette réponse, on le sait, a été apportée en 1917, en plein enfer de la première guerre mondiale, par les troupes venues des États-Unis au secours des Alliés. Fidèles au souvenir de l’embarquement de La Fayette lors de la guerre d’Indépendance, les autorités  du département de la gironde avaient alors souhaité être aux premières loges pour l’arrivée des Américains. Dès les mois d’août et septembre 1917, ces « sammies », qui devaient leur surnom à l’oncle Sam, sont au nombre de 5 000 à Bordeaux. Un an plus tard, leur chiffre dépasse les 90 000, avant d’atteindre 125 000 au printemps 1919, soit 6 mois après l’armistice de novembre 1918. Le moment était venu, pour ceux qui avaient survécu, de repartir chez eux, via la Garonne, la Gironde et l’Atlantique : de novembre 1918 à juillet 1919, près de 50 000 officiers et de 360 000 soldats prendront le bateau du retour à Bordeaux ou à Bassens où se trouvait le camp américain. Qu’aurait pensé La Fayette devant un tel déploiement de forces qui venaient de précipiter la fin de la première guerre mondiale qui fût bien plus qu’une tragédie et dont il ne pouvait imaginer l’ampleur ? A coup sûr il aurait été fier d’assister, quelques mois avant la fin du conflit, sur la place des Quinconces, à la prise d’armes du 14 juillet  1918 commémorant la Fête de la Fédération du 14 juillet 1790 dont il avait été l’un des héros. Voir flotter sur le sol français ce drapeau qu’il avait vu naître avec les États-Unis, aurait été pour lui la plus grande des satisfactions, sans oublier le pincement d’orgueil qui aurait été le sien en apprenant que, afin de rendre plus opérationnelle la base américaine installée à Bordeaux, on avait installé à Croix-d’Hins une station de TSF baptisée « Bordeaux-La Fayette »…

    Ainsi, près d’un siècle et demi plus tard, le corps expéditionnaire américain répondait comme un seul homme au seul personnage qui incarnait, côté français, la première aide apportée aux citoyens des futurs États-Unis dans la révolte puis la lutte pour l’indépendance politique qui les opposait à leur métropole, l’Angleterre du roi Georges III. Tout pouvait rapprocher ce jeune noble courageux et sentimental des colons anglais révoltés et de leurs chefs. Contemporains des dernières décennies du XVIIIe siècle, ils appartenaient à la génération qui avait fait siennes les idées des Lumières, portées par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, répandues dans toute l’Europe des lettrés et diffusées en Amérique parmi les colons les plus cultivés, admirateurs inconditionnels du vent de liberté venu de France après avoir longtemps soufflé sur les terres d’Angleterre : que serait Montesquieu et que serait Voltaire sans l’inspiration et le modèle des institutions anglaises ? Et que seraient-ils sans la lecture des historiens et des philosophes anglais de la fin du XVIIe siècle qui avaient vécu, les premiers en Europe, le choc d’une Révolution, elle de 1648, fatale au souverain anglais et décisive pour l’apprentissage d’une vie politique délivrée des tentations et des tentatives de l’absolutisme monarchique après la tyrannie de Cromwell ? À leur tour, les habitants des treize colonies, nourris du passé de l’ancienne patrie de leurs ancêtres puritains, pouvaient se sentir étrangers aux décisions prises par Georges III et son entourage, incapables de mettre un frein à leurs exigences fiscales en dépit des conseils de prudence et de modération donnés par des conseillers avisés au premier rang desquels figure Edmund Burke, le futur censeur de la Révolution française. À force d’incompréhension de la part du souverain anglais et de tensions réciproques la révolte des colons s’est transformée en révolution.

    Dès lors débute pour les Américains un conflit qu’ils avaient tous les risques de perdre au regard de la disproportion entre leurs forces et celle de leur métropole. L’Angleterre est alors la première puissance d’Europe et, peut-être, du monde si l’on se réfère à l’ampleur de son commerce, à l’importance de son industrie et à la domination de sa marine sortie victorieuse des guerres européennes et coloniales pour le plus grand malheur de la France, douloureusement meurtrie par les défaites et le coût de la guerre de Sept Ans, puis par les abandons territoriaux consentis à la fin du conflit, au traité de Paris de 1763. Ce simple rappel permet de mieux prendre la mesure de l’audace des colons révoltés et de mieux comprendre l’admiration qu’ils ont pu susciter de l’autre côté de l’Atlantique, au sein de la génération frustrée des fils des combattants français morts aux champs d’honneur des guerres perdues contre l’Angleterre, qui n’ont rien à voir avec ces guerres en dentelles faussement attribuées aux stratèges et combattants du XVIIIe siècle… Ces citoyens d’Amérique, fondateurs des États-Unis, étaient les premiers à faire l’expérience du progrès, de la liberté, de la tolérance et du bonheur futur du genre humain. Avec eux, si l’on adopte la thèse de l’historien Jacques Godechot, allait renaître le vent des révolutions atlantiques, porteur de la Révolutions française, puis des révolutions européennes du XIXe siècle, lorsque les nations d’Europe se réveillèrent de l’engourdissement des lendemains du congrès de Vienne qui tentait de reconstruire l’Ancien Régime sur les ruines de l’empire napoléonien.

    Tout le talent de Daniel Binaud est de nous révéler comment La Fayette devient l’éclaireur de ce parcours des révolutions de chaque côté de l’Atlantique. Proclamé « héros des deux Mondes » à moins de vingt-cinq ans, il devient à son retour le porte-parole héroïque des partisans de la liberté dans la France de Louis XVI.

    Au début de la Révolution, tout lui réussit lors de la marche accélérée qui renverse en quelques mois l’ordre millénaire d’un Ancien Régime qui naît en mourant pour reprendre la belle formule de Pierre Goubert. Après avoir réclamé ardemment la convocation des États généraux, La Fayette y siège en 1789 comme député de la noblesse et contribue avec enthousiasme à la révolution politique des mois de mai et juin 1789 qui transforme les États généraux en Assemblée nationale, puis en Assemblée constituante. N’est-il pas le meilleur témoin et le meilleur juge de l’exemple et du modèle américain ? La suite des événements révolutionnaires lui sera bien moins favorable mais tel n’est pas  le sujet de cet ouvrage dont le mérite est de nous dresser un portrait de La Fayette avant sa gloire, c’est-à-dire au moment précis d’un choix décisif pour toute une existence : doit-il se lancer vers l’Inconnu en traversant l’Atlantique ou peut-il se contenter d’une naissance qui lui ouvre les portes d’une carrière faite de certitudes, mise à part l’incertitude des armes… N’est-il pas l’incarnation d’un ordre, la noblesse, qui cumule avec profit tous les héritages de ses origines, même si certains sont devenus bien peu conciliables avec les aspirations philosophiques des Lumières ? Mais la monarchie française n’est plus celle de Louis XIV ou celle des débuts du règne de Louis XV et la génération du père de La Fayette est contemporaine des défaites de la guerre de Sept Ans dont le début, en 1756, précède d’un an la naissance du « héros des deux Mondes ». Toute son intuition, alors qu’il est encore très jeune, est d’avoir compris presque avant tout le monde, en France, que la naissance des États-Unis serait le pire camouflet à infliger à l’Angleterre et à l’entêtement anachronique de son monarque.

    Pourtant, le livre de Daniel Binaud ne saurait se confondre ni avec une biographie de La Fayette, ni avec le simple récit, pas à pas, de « sa campagne américaine », ni avec la chronique d’un Européen au pays des Amérindiens, ni avec la narration méticuleuse de péripéties dignes d’un roman de cape et d’épée. Ou, plutôt, son ouvrage est cela à la fois avec un souci permanent de référence aux sources les plus variées, avec une attention toute particulière portée au contenu des lettres qu’elles soient officielles ou familiales, diplomatiques ou sentimentales. Car la distance est un obstacle majeur et tout se joue de part et d’autre d’un océan difficile à traverser et porteur de dangers de toutes sortes. Parfait connaisseur des choses de la mer mais indulgent à l’égard de ceux qui n’ont pas le pied marin, Daniel Binaud n’omet rien des difficultés, des erreurs de navigation et des pièges que tendent les marins confirmés aux novices. Avec lui et aux côtés de La Fayette, nous découvrons toutes les dimensions d’un conflit que l’on réduit trop aisément à une guerre entre Anglais et colons d’Amérique. Car ce conflit est aussi une guerre civile entre libéraux et conservateurs, entre ceux qui demeurent attachés à leur métropole et ceux qui souhaitent s’en séparer quel que soit le prix à payer, quelles que soient les souffrances à endurer. Et ces dernières sont les plus cruelles qui soient puisqu’elles se muent en luttes fratricides entre voisins, à l’intérieur des familles et même au sein des combattants d’un même camp. Toute la clairvoyance de George Washington, le grand homme des jeunes États-Unis et le héros de La Fayette, est d’avoir su prendre la mesure de ces déchirures avant de relancer les offensives ou de préférer une position de repli dans l’attente de jours meilleurs. Enfin, autres partenaires du conflit, tout à la fois sollicités par les deux camps et menacés par eux, se trouvent les Indiens qui restent les premiers occupants du continent. Décrits dans la diversité de leurs tribu, de leurs institutions, de leurs coutumes, ils jouent dans cet ouvrage un rôle de premier plan, qui fut véritablement le leur et qu’ils paieront cher lorsque les colons, après la conquête de l’Indépendance, s’empareront de leurs territoires au fur et à mesure de leur progression vers l’Ouest, faisant reculer la Frontière jusqu’au Pacifique et cantonnant les premiers occupants dans des réserves.

    Enfin, tout au long de l’ouvrage, on se familiarise avec l’immense nature américaine, ses forêts encore vierges, ses hivers interminables, remplis de neige, sa végétation luxuriante, ses chemins neufs et incertains, sa profusion de lacs et marias, ses immenses cours d’eau aux allures de bras de mer, semblables à autant de rivières de Gironde multipliées à perte de vue. Tout l’art de Daniel Binaud est de les avoir mis en scène comme des acteurs décisifs et démesurés au regard des paysages d’une Europe déjà « jardinée » selon l’expression de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie. À lire ses descriptions et à suivre les soldats anglais et américains exposés aux rigueurs du climat et à l’exubérance d’une végétation impénétrable, on comprend mieux comment, aux XVIe et XVIIe siècles, de petites colonies européennes ont pu disparaître corps et biens entre le moment de leur installation à proximité des rivages et celui du retour, l’année suivante, des navires chargés de le ravitailler ou de leur apporter un renfort en hommes et en armes… Avant d’entrer dans l’histoire, le voyage américain de La Fayette fut bel et bien une Aventure : le grand mérite de Daniel Binaud est de nous l’avoir fait revivre.

    Anne-Marie Cocula

    De l’Institut d’Histoire de l’Université de Bordeaux III, Michel de Montaigne, ex-présidente de l’Université.

    enregistrement_LaFayetteSoumission_amiraute_Guyenne

    AVANT-PROPOS

    1777 - 1778 : deux années cruciales dans le destin d’un jeune homme de vingt ans dont le nom est connu de tous les Français : La Fayette.

    Du fait de la longueur de sa vie et de sa participation à des évènements importants, on a beaucoup simplifié et synthétisé son entrée dans l’Histoire, au point que bien des détails ont été négligés ou déformés.

    On a répété à l’envi qu’il avait acheté un navire pour partir en Amérique alors qu’il s’est fait rouler par des gens indélicats dans une transaction qui fut tout sauf une vente.

    En très peu de temps il sut transformer un grade de major-général purement théorique en une autorité basée sur son sens tactique et son courage. Il y gagna l’estime de Washington, doublée d’une amitié que confirment les nombreuses lettres qu’ils échangèrent.

    Appâté par la perspective d’une reconquête du Canada, il renonça à l’expédition lorsqu’il découvrit que les moyens promis n’existaient pas et qu’il n’avait été choisi que comme instrument d’un complot contre Washington, qui s’appellera la cabale Conway.

    La première intervention de la France, après la signature du traité d’alliance avec les États-Unis, tourna court du fait d’une accumulation de contretemps et de difficultés qui amenèrent La Fayette à jouer un rôle pénible de médiateur et de conciliateur. Les correspondances montrent que l’amiral d’Estaing ne fut, en aucune manière, responsable de l’échec qu’on a voulu lui imputer.

    La Fayette, vaincu par l’épuisement du fait de ses intenses activités, faillit ne pas revoir la France. Son départ en « permission » lui valut les témoignages renouvelés d’estime et de reconnaissance de son ami Washington et du Congrès américain.

    On comprend mal pourquoi il a été parfois traité comme un adolescent hésitant, maladroit, prétentieux, alors que, malgré son âge et ses origines, il démontra à quel point il fut différent de cette image négative.

    En réalité, il a su faire face à un monde inconnu, à des évènements et des hommes que rien ne l’avait préparé à affronter. C’est ce que démontre, en tout cas, la nombreuse correspondance sur laquelle on doit s’appuyer pour comprendre son extraordinaire personnalité de conquérant de la liberté.

    CAP SUR L'AMÉRIQUE

    La corvette évita sur son ancre bâbord. Le lieutenant, debout près du bossoir, lança un ordre dès que le beaupré, après avoir balayé l’espace, eût pointé en direction du goulet. Les hommes qui attendaient, arc-boutés sur les barres du cabestan, commencèrent leur ronde tandis que l’ancre, lentement, remontait du fond de la rade.

    Au coup de sifflet du quartier-maître, un autre groupe de matelots hâla sur la drisse de grand foc tandis que les gabiers larguaient le grand hunier.

    Aussitôt la brise de noroît accrocha la toile tandis que le courant descendant entrainait le navire loin de la bourgade de Pasajes. Le capitaine le Boursier, debout sur la dunette, suivait attentivement la manœuvre sans dire un mot, sûr de ses officiers et de leurs compétences. Il avait choisi pour lever l’ancre l’heure qui suivait la renverse de la marée. Un léger courant se créait alors vers la sortie de la rade, qu’une brise tempérée complétait juste assez pour permettre au navire de partir par ses propres moyens. Il avait préféré cela à l’assistance des marins basques qui, à force de rames, l’aurait remorqué jusqu’à la mer. Il tenait à se prouver à lui-même, comme à ceux qui l’entouraient que son sens nautique et la maîtrise de son navire pouvaient le dispenser d’une aide étrangère. Des pêcheurs, affairés sur leurs yoles, levèrent la tête un instant pour regarder passer le voilier français. Quelques-uns agitèrent leurs bonnets en signe de « buen viaje », auquel répondirent certains des passagers appuyés contre le bastingage. Ceux-ci étaient une bonne vingtaine, aisément reconnaissables à leurs habits et tricornes mais également à leur attitude de témoins étrangers aux manœuvres à bord du  navire. Lorsque ce dernier approcha de la sortie du goulet, le capitaine fit un signe, repris d’un coup de gueule par le maître d’équipage, et en un instant les trois mâts se couvrirent de toile. Aussitôt la corvette réagit en s’inclinant comme pour mieux s’offrir au souffle marin. Elle épaula la lame avec aisance et s’élança vers la haute mer.

    Les deux mains appuyées sur le bastingage, un des passagers regardait s’éloigner la côte. Assez grand, mince, il était vêtu d’un manteau gris et coiffé d’un tricorne de même teinte. Les bas blancs, bien tirés dans des chaussures à boucles d’argent, il dénotait par la qualité et l’état de sa tenue un homme d’un certain rang. Il se tenait un peu à l’écart des autres dont l’intérêt était capté par les manœuvres du navire et par les perspectives pleines d’inconnu qui s’ouvraient devant eux. Une certaine mélancolie flottait dans son regard, alors que la côte basque, peu à peu, s’estompait en une ligne brune où les détails de l’habitat humain avaient disparu depuis déjà un moment. Un homme, nettement plus âgé que lui, vint s’accouder à son coté. D’une voix marquée par un accent tudesque il s’exprima en regardant la mer :

    — Alors, Gilbert, nous sommes enfin en route. Quand reverrons-nous ces côtes, mon ami ?

    Son compagnon esquissa un sourire aimable mais exempt de gaieté.

    — Mon cher Johann, l’heure, sans doute n’est plus aux questions. La porte du destin s’ouvre devant nous. Puissions-nous l’affronter avec détermination même s’il n’est pas toujours conforme à nos vœux.

    Sans répondre, l’homme posa sa main sur son épaule afin de lui faire sentir à quel point il comprenait l’inquiétude qui pouvait habiter un garçon de vingt ans à peine, sans lequel aucun des passagers n’aurait été présent ce jour-là à bord de la corvette la Victoire, de Bordeaux, en route pour les Amériques.

    Les mouettes l’accompagnaient, planant autour de sa mâture en se jouant du vent pour évoluer sans effort, l’œil toujours aux aguets. Avant peu, sourdes à l’appel du large, elles laisseraient le navire poursuivre sa route dans l’immensité liquide.

    Un matelot s’approcha, son bonnet à la main.

    « Monsieur le marquis, le capitaine vous prie à souper. Si vous voulez bien me suivre. Vous aussi, Monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers l’homme à l’accent tudesque. »

    Le marquis et son ami, Johann Kalb, qui se faisait appeler baron de Kalb, se dirigèrent vers le carré pour leur premier repas à bord. Avant de pénétrer dans la chambre où ils allaient devoir se serrer afin de partager la table du capitaine, Gilbert de La Fayette se retourna. Le navire venait de changer de cap et désormais courait largue vers le cap Ortegal, ces rochers de la fin des terres à la pointe de l’Espagne. À l’ouest, sous la nappe de nuages gris qui masquait le ciel, le soleil, dans un dernier clin d’œil, teintait la mer d’or et de pourpre. Le jeune marquis se demanda ce qui l’attendait, au loin, sur l’autre bord de l’océan. Il soupira puis franchit le seuil du carré.

    Dès le premier soir, le principal problème posé au capitaine le Boursier fut le logement de tous ses passagers. Avec La Fayette ils n’étaient pas moins de vingt-deux sur la Victoire, simple corvette de commerce dont les logements situés à l’arrière, tout juste suffisants pour les officiers du bord, ne pouvaient accueillir qui que ce fut en surnombre. À la demande du capitaine, le deuxième lieutenant ne fit pas d’objection à céder sa modeste couchette au marquis qui cumulait son titre avec celui de responsable de ce qui, beaucoup plus qu’un voyage, était en réalité une véritable expédition.

    Compliquant le logement de tant de personnes, les marchandises embarquées à Bordeaux occupaient une grande partie de la cale. Par-dessus le marché, six des compagnons de La Fayette étaient nobles et, le moins qu’on puisse dire, peu accoutumés à des conditions de voyage exemptes de tout confort.

    Prévenus dès leur arrivée à bord, le 24 mars, ces hommes, très différents les uns des autres, avaient découvert la rusticité des équipements dont ils devraient s’accommoder pendant environ deux mois. Si la partie arrière de la cale leur était réservée, elle constituait un univers clos où flottait une senteur complexe de bois de chêne, de goudron et de chanvre, enrichie des relents de la cambuse, des denrées faisant partie du chargement et des provisions de bord. Le manque d’aération rendait l’atmosphère spécialement étouffante, ce que venaient aggraver les odeurs sui generis de tous ces messieurs qui,  nobles ou pas, contribuaient à l’enrichissement olfactif des lieux. D’une moyenne d’âge de 21 ans, ils se résignèrent à l’usage des hamacs qui étaient accrochés chaque soir aux barrots[1].

    Kalb, le plus âgé de tous puisque quinquagénaire, était un militaire de longue date. Il se garda bien de rechigner, ne fut-ce que pour donner l’exemple à ces messieurs de la noblesse ignorant tout de la rudesse de la vie en campagne. Et puis, contraints de partager leur « auberge » flottante avec les roturiers de l’expédition ainsi qu’avec quelques domestiques dont ceux de La Fayette, ils durent prendre sur eux pour ne pas faire les difficiles. C’était ça ou rester à terre. N’embarquaient-ils pas avec le but précis de se rendre en Amérique? « À la guerre comme à la guerre », auraient-ils pu déclarer avec fatalisme, à condition, bien sûr d’en avoir jamais fait l’expérience.

    Le plus capable de s’adapter était curieusement La Fayette dont la jeunesse avait été une extraordinaire école de formation et serait, sous peu, un atout précieux dans ses péripéties américaines.

    Chaque matin, des matelots apportaient dans la cale des seaux d’eau pour la toilette de ces messieurs. Le capitaine, qui n’admettait qu’à contrecœur la présence inhabituelle de tant de passagers, les avait prévenus sans ménagements avant l’appareillage de Bordeaux :

    — Mon navire n’est pas fait pour accommoder autant de monde. Je suis donc contraint de vous affecter la partie arrière de la cale où vous coucherez dans des hamacs comme les officiers mariniers et l’équipage. Deux bailles seront remplies chaque matin pour vos ablutions. Vous voudrez bien vous grouper en plats[2]. Je ne pourrai, faute de place, vous recevoir que rarement à ma table. Quand le temps le permettra vous pourrez, si vous le souhaitez, vous tenir sur le pont mais dans tous les cas je vous saurai gré de faire en sorte de ne pas gêner les manœuvres et de vous adresser directement à moi si vous avez quelque demande à formuler. J’espère que le voyage se passera bien... Ah ! J’allais oublier. Vous pouvez priser ou chiquer mais vous voudrez bien vous abstenir de fumer dans la cale. Mes officiers ont l’ordre de faire respecter strictement cette consigne car il s’agit de la sécurité du navire. »

    C’était tout sauf cordial. Il se pliait aux contraintes particulières que les armateurs, messieurs Reculès de Basmarein et Raimbaux lui avaient imposées. Si les passagers avaient tous satisfait aux formalités d’embarquement auprès de l’Amirauté de Guyenne, il avait, pour sa part, rempli la soumission règlementaire par laquelle il s’engageait à payer tous les droits sur les marchandises qu’il ramènerait des isles d’Amérique. Il était tenu, en outre, par l’ordonnance royale du 20 octobre 1703, de prendre six engagés qu’il débarquerait à Saint-Domingue contre décharge. Les malheureux qu’on expédiait ainsi aux Antilles pour en développer le peuplement avaient droit au voyage gratuit mais devaient, à l’arrivée, se soumettre à l’autorité d’un patron auquel ils devaient cinq ans de travail contre du sucre une fois leur temps terminé. C’était, ni plus ni moins, une forme d’esclavage. Or, le capitaine le Boursier avait marqué sa réprobation lorsqu’il avait appris que ces hommes soit disant « engagés » étaient en fait tout autre chose. Il s’agissait en réalité des domestiques de Messieurs La Fayette, Kalb et Dubois Martin. Ils ne pourraient donc être remis aux autorités à Saint-Domingue contre reçu puisque leur destin était lié à celui de leurs maîtres. C’était, en conséquence, pour le Boursier, la perspective d’ennuis et d’amende au retour à Bordeaux. M. Reculès de Basmarein avait donné toutes garanties et apaisements au scrupuleux capitaine qui, heureusement, ne savait pas ce qui l’attendait encore. Il avait levé l’ancre, persuadé qu’il se rendait à Saint-Domingue, alors que sa destination réelle était tout autre. L’eût-il su qu’il aurait probablement refusé de prendre la mer.

    LaFayette

    RÉMINISCENCES

    Il avait fait beau dans le golfe de Gascogne, malgré la saison. Un vrai temps de jeune fille [3] dans une mer presque plate. Le Boursier avait mis tout dessus [4] pour profiter au mieux de ces conditions idéales. À bord, chacun s’était casé tant bien que mal, ce que la longue attente à Pasajes avant le départ avait facilité, bien que certains à la bourse bien garnie aient choisi de coucher à terre dans quelque auberge espagnole. Ils n’en auraient pas voulu en temps ordinaire mais elles leur avaient donné l’impression d’un confort sans égal, comparé au confinement dans la cale de la Victoire.

    La Fayette, arrivé en toute hâte l’avant-veille du départ n’avait craint qu’une chose redoutable : le mal de mer. Il en avait fait la pénible expérience au mois de février entre Calais et Douvres, jurant un peu trop vite qu’on ne l’y prendrait plus alors qu’il savait mieux que quiconque que son départ pour l’Amérique était quasi imminent.

    Après une première nuit paisible et la toilette sommaire que permettaient les installations du navire, il était sorti sur la dunette et, accoudé au bastingage, laissait son esprit vagabonder sur les flots. Au loin il distinguait la côte des Asturies que l’on devait longer jusqu’au large du cap Ortegal où le navire continuerait plein sud avant de prendre définitivement la route des Amériques, cette route tant attendue et si remplie d’incertitudes.

    Des goélands isolés tournaient autour du navire. Sur les flots vert profond, l’écume de l’étrave semait sa dentelle éphémère. Ce friselis constamment renouvelé, sur lequel errait le regard du jeune marquis facilitait le vagabondage de sa pensée.

    La progression sans heurt du voilier sur cette mer aimable, quelle différence avec le Pas de Calais qui lui avait valu de parvenir à Londres, en février, dans un état certain de délabrement dû à la rudesse de cette courte traversée. Il venait alors rendre visite à son oncle, le marquis de Noailles, ambassadeur de France auprès du roi George III. Son cousin, le prince de Poix [5] l’accompagnait pour cette découverte de l’insulaire Albion. En fait, La Fayette avait promis depuis longtemps à son oncle de lui rendre visite mais, entretemps, les engagements qu’il avait pris auprès des représentants des États-Unis donnaient à cette visite un air de provocation que ne manqueraient pas de relever ultérieurement les ministres anglais. Sur le moment, La Fayette l’avait vécue comme une sorte d’espièglerie qui ajoutait un certain piquant à ses rencontres avec les représentants du pouvoir britannique.

    Sous la houlette de l’ambassadeur ce fut une suite de réceptions, de bals et d’entretiens où sa méconnaissance de l’Anglais, bien que compensée par les efforts de ses interlocuteurs, ne lui permit pas d’apprécier la grande différence politique entre la France et l’Angleterre. Dans ce dernier pays, l’aristocratie bénéficiait d’une influence prépondérante sur la marche des affaires par le biais du Parlement. Le roi devait absolument en tenir compte, car opposition et critique s’exprimaient sans crainte de la disgrâce ou d’une lettre de cachet comme en France.

    Une certaine désapprobation de la politique américaine du roi, non seulement dans la forme mais dans le fond, surprit La Fayette qui s’attendait, au contraire, à une belle unanimité. Chez lord Germain, ministre des colonies, on n’avait évoqué que brièvement les affaires d’Amérique et La Fayette s’était gardé de poser des questions. Lorsqu’on lui soumit un programme attractif incluant la visite de ports comme Southampton, où s’embarquaient armes et fournitures pour lutter contre la rébellion américaine, il se cantonna dans une prudente réserve et déclina l’invitation.

    On le présenta au roi George III et il eut l’occasion de rencontrer le général Clinton, image de cette armée britannique contre laquelle, sous peu, il aurait sans doute à combattre. À l’humour de cette situation qu’il était le seul à pouvoir apprécier succéda le plaisir, mêlé d’étonnement, d’entendre des personnages importants prendre le parti des rebelles américains. Invité à dîner chez lord Shelburne, il rencontra plusieurs responsables du parti whig qui ne se privèrent pas de critiquer la politique royale. Or, le comte était ancien secrétaire d’État aux colonies. Le groupe qui l’entourait en vint même à se féliciter des dernières nouvelles d’Amérique qui n’étaient rien moins que les revers subis aux alentours de Noël, à Trenton et Princeton, par les troupes sous les ordres du général lord Cornwallis.

    La satisfaction de ces messieurs venait surtout du fait que l’échec avait été essuyé par les troupes allemandes. On n’appréciait guère l’usage qui était fait par la couronne de ces mercenaires, devenus les auxiliaires de l’armée anglaise sur des territoires anglais et contre des insurgés en quasi-totalité d’origine anglaise. Se fût-il agi de troupes anglaises que la satisfaction eût, sans doute, été plus mitigée.

    Les plaisirs de Londres, ses salons, ses bals avaient été un complément frivole aux découvertes de nature politique. Les ladies de tous âges avaient fait des grâces à ce jeune noble français ne parlant rien d’autre que sa propre langue.

    Profitant d’un moment de calme, La Fayette avait décidé d’écrire à son beau-père, le duc d’Ayen. Le moment était venu car la réalisation de son grand projet s’était matérialisée juste avant son départ pour Londres. Il avait en effet reçu confirmation que son émissaire à Bordeaux, le lieutenant du Boismartin venait d’opérer une transaction sur un navire du nom prémonitoire de la Victoire qui, vers le 20 mars, devrait lui permettre de partie à la rencontre des rebelles américains.

    À cette pensée, ses mains serrèrent le bastingage. Il était là ce navire, palpable, frémissant sur les flots en route vers ce pays qu’on avait voulu lui interdire de découvrir. Mais le sentiment d’accomplissement restait marqué par les multiples contretemps qui avaient retardé le départ de presqu’un mois. Tout cela était encore frais dans sa mémoire. Le plus décevant avait été l’opposition obstinée de son beau-père. Or il marquait à celui-ci un respect affectueux dû à leurs rapports familiaux, à leur différence d’âge mais aussi à la place que La Fayette lui donnait pour compenser l’absence de ce père qu’il n’avait pas connu [6].

    En toute candeur et pénétré de l’importance de son projet, Gilbert voulut informer le duc d’Ayen de ce qui se préparait et lui tenait tant à cœur :

    « Vous allez être étonné, mon cher papa, de ce que je vais vous mander; il m’en a plus coûté que je ne puis vous l’exprimer de ne pas vous consulter. Mon regret et ma tendresse pour vous et ma confiance en vous doivent vous en assurer.... J’ai trouvé une occasion unique de me distinguer et d’apprendre mon métier : je suis officier général dans l’armée des États-Unis. Mon zèle pour leur cause et ma franchise ont gagné leur

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1