Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Panthéia: Roman
Panthéia: Roman
Panthéia: Roman
Livre électronique566 pages7 heures

Panthéia: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Louise est tuée suite à la mort accidentelle de ses deux frères, mais c'est une nouvelle vie qui l'attend...

Depuis la mort accidentelle de ses deux frères, Louise vit une adolescence solitaire.
Le jour de son anniversaire, elle est tuée par sa seule amie. C'est presque un soulagement pour elle qui aurait tout fait pour quitter cette vie sans eux. Ce qu'elle ignore, c'est que ce n'est pas la mort qui l'attend mais une nouvelle vie sur Panthéia, sa planète d'origine.
Louise va alors retrouver ses frères et découvrir qu'elle est la seule à pouvoir utiliser un don naturel : le syla.
Mais l'équilibre de Panthéia est en péril, dans quelques jours, ce sera le chaos. Les trois héros doivent oublier leur désir de retrouver leur vie d’avant pour sauver leur planète. Louise pourrait bien être la clé de cette mission désespérée.

Découvrez quel est le don que Louise possède sur Panthéia et comment elle pourra s'en servir !

EXTRAIT

Je me réveille en sursaut. Il est trois heures du matin. Il me faut quelques secondes pour retrouver mes esprits, savoir où je suis. Mon ventre me fait encore souffrir.Les volets n’ont pas été fermés et la fenêtre est entrouverte. J’essaie de me lever pour prendre un peu l’air. Mais l’effort me paraît insurmontable. Tant pis. Je fais le point sur la journée qui vient de passer. Je n’en reviens pas. Par deux fois j’ai failli mourir le jour de mes dix-huit ans. La première fois je l’ai plus ou moins décidé. Mais la seconde… je ne comprends pas. Un empoisonnement… Tout le monde a mangé de chaque plat, a bu son verre. C’est incompréhensible. Peut-être est-ce une mauvaise digestion des différents médicaments donnés aux urgences… Et Suzie… Où est-elle passée pendant mon malaise ? S’est-elle à nouveau enfuie ? Ne l’ai-je tout simplement pas vue dans l’agitation ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1988 dans les Deux Sèvres, Ellen L. exerce aujourd'hui le métier d'actuaire et jongle entre son travail, sa vie de maman et ses différents passe-temps : l'écriture, la lecture, le dessin et la couture. Depuis le collège et la découverte de Harry Potter, elle est passionnée par la littérature fantastique. Panthéia est son premier projet.
LangueFrançais
Date de sortie4 mars 2019
ISBN9782378778576
Panthéia: Roman

Auteurs associés

Lié à Panthéia

Livres électroniques liés

Fiction d'action et d'aventure pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Panthéia

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Panthéia - Ellen L.

    1

    J’ouvre mes volets avec toujours le même espoir : qu’il pleuve. Mais mes envies n’y font rien. Le beau temps et la chaleur feront de cette journée l’image idéale de l’été indien : le soleil plaquera un insupportable sourire de satisfaction sur le visage de mes voisins et les oiseaux chanteront leur odieuse litanie.

    Ce n’est pas le temps qui me dérange. Il y a quelques années, j’adorais ces journées de fin d’été. Mais les rires des enfants, les sifflements des amateurs de jardinage et la beauté des fleurs au matin, je ne les supporte plus. L’automne et l’hiver sont devenus mes saisons préférées car les gens se renferment chez eux. Ma solitude redevient ainsi commune.

    Mon radio réveil affiche midi trente. Au moins, la moitié de la journée est passée.

    J’enfile rapidement le jeans et le tee-shirt d’hier. En bas, Fabrice et Laurène m’attendent pour déjeuner.

    Malgré mon comportement revêche de ces trois dernières années, mes parents adoptifs restent toujours aussi détendus à mon égard. Jamais un mot plus haut que l’autre, ils me laissent toute la liberté et toute la solitude dont j’ai besoin. Surtout, ils ne cherchent pas à m’envoyer chez un psy. On peut me qualifier d’ingrate, c’est le mot juste.

    Je descends au rez-de-chaussée pour les retrouver dans la cuisine.

    Bonjour Louise. Je te souhaite un joyeux anniversaire ma puce. As-tu bien dormi ? me salue Fabrice en m’embrassant le front.

    Oui, et merci.

    Dans ses vêtements relax des journées de repos, il met le couvert sur notre grande, trop grande table de cuisine. Même sans prendre le temps de se coiffer, sa coupe est parfaite, chiquement décontractée. Pour un homme de quarante ans, il tient la forme.

    Joyeux anniversaire, Lou, s’égaye Laurène en me prenant dans ses bras. Ce midi, c’est poulet au curry avec des légumes du jardin. Mais si tu veux, il te reste des snacks surgelés.

    Elle m’embrasse à son tour.

    Toujours plus apprêtée que son mari, Laurène tient à être présentable à toute heure de la journée, sans pour autant paraître trop guindée. Brushing soigné mais naturel et robe d’été serrée autour de sa fine taille, ces détails ne sont que tromperies. Car si on s’approche, si on prend le temps de la regarder réellement, on remarque que derrière son sourire bienveillant se cache le chagrin et que ses yeux brillent de larmes. Mais elle est forte et soutenue par l’homme qui vit à ses côtés. Pas par moi, je suis bien trop faible.

    Sans me poser plus de questions, je fouille dans le frigo pour retrouver mes snacks qui constituent la majorité de mon alimentation. Je les fourre dans le four à micro-ondes.

    Karine et Michel viendront ce soir. Tu as invité du monde de ton côté ? me demande Fabrice.

    Non.

    Tu n’invites pas tes amis pour ton anniversaire ? continue-t-il innocemment.

    L’ennui avec mes parents, malgré leur gentillesse constante, est qu’ils ignorent automatiquement et consciemment mon asocialité. Ils savent pourtant que je ne côtoie personne, mise à part Suzie de temps en temps. Mais ils ne peuvent s’empêcher d’embellir la réalité. J’ai souvent envie de le leur crier : « je n’ai pas d’amis ! » Mais à quoi bon être encore plus désagréable ?

    J’inviterai Suzie.

    OK, j’ajouterai un couvert, conclut Laurène.

    Là-dessus, elle retourne à son poulet, visiblement satisfaite.

    Fabrice s’assied à sa place habituelle : à côté du frigo. Place stratégique avec accès direct à la source. Cette table prend tellement de place au sein de la cuisine, qu’il a juste à tendre le bras pour atteindre les yaourts.

    Notre maison est des plus standards. Située au sein d’un lotissement populaire, elle est l’exacte reproduction de ses voisines. Fabrice et Laurène l’ont achetée lorsqu’ils avaient trente ans. Elle était nue. Toute leur vie, ils l’ont bichonnée. Les bras de Fabrice ont commencé par l’habiller de parquets et de tapisseries. Le cœur de Laurène l’a dorlotée grâce à des meubles chaleureux. Tous deux l’ont nourri des meilleurs produits ménagers pour qu’elle soit toujours présentable. Malgré le passé, ils seraient incapables de quitter le n° 21 rue des glycines.

    Ting !

    D’un mouvement machinal, comme la plupart de mes gestes, je sors mon savoureux repas du four, et m’installe en face de Laurène.

    Au fait, j’ai eu la résidence universitaire au téléphone ce matin, annonce-t-elle. Nous aurons les clés de ta chambre à partir de quatorze heures mardi. Tu auras donc la journée entière du mercredi pour visiter les lieux.

    OK.

    Est-ce que… est-ce que tu veux que nous restions avec toi ? hésite-t-elle. On ira dormir chez ta grande tante. Ce n’est pas si loin. Puis on fera les boutiques pour trouver quelques décos.

    Elle me regarde avec espoir. Je réponds en souriant.

    Non, ça ira. Je resterai probablement dans ma chambre à bouquiner la bibliothèque nationale de médecine que vous m’avez offerte.

    Pour ma majorité, mais surtout pour mon entrée à l’université, Fabrice et Laurène m’ont offert hier soir près d’une quinzaine de livres dédiés aux cours de première année de médecine. C’est moi qui leur avais soumis l’idée. Mais je ne pensais pas qu’ils achèteraient tout le rayon de la FNAC. Ils étaient certainement trop heureux de me faire plaisir. Et ça a fonctionné. Cet achat excessif m’a fait mourir de rire, et c’est le cadeau le plus précieux quand on a l’âme aussi triste que la mienne.

    J’ai hâte d’être à jeudi, pour suivre les premiers cours. Je sais d’avance que je vais me lancer corps et âme dans cette nouvelle vie. Mon objectif est de réussir cette année difficile du premier coup, afin de commencer au plus vite les cours en pharmacie. Pour certains, choisir son métier est une vraie torture psychologique qui s’intensifie en Terminale et vous achève le jour des vœux. Je fais partie des chanceux qui ont eu un déclic dans leur enfance.

    J’avais neuf ans. Axel, Gabriel et moi faisions la course dans le quartier pour étrenner mon nouveau vélo. Ils avaient pris de l’avance. Je comptais les rattraper dans la descente abrupte du chemin des piverts. Mais je ne maîtrisais pas encore mon VTT flambant neuf et encore sauvage. Après avoir pris beaucoup trop de vitesse, j’ai perdu le contrôle et suis allée m’étaler dans un essaim d’orties. OK, elles ont amorti la chute. Ce qui m’a fait hurler de rage en revanche c’était la centaine de piqûres qui recouvrait mon corps et qui m’aurait fait me gratter jusqu'au sang. Mes grands frères sont arrivés à la rescousse alors que je maudissais ces pauvres plantes.

    Je vous déteste ! hurlais-je. Vous ne servez à rien !

    Détrompe-toi, petite sœur, a tempéré Gabriel. Toutes les plantes ont une utilité.

    Non ! Ça pique et même en soupe, c’est pas bon !

    C’est alors qu’il m’a expliqué les vertus médicinales de l’ortie mais aussi de ses consœurs. Il m’a appris que les plantes étaient les ancêtres des médicaments et des pansements. Le soir même il me montrait une de ces encyclopédies pour jeunes adolescents qui illustrait ses explications de l’après-midi. J’étais captivée, épatée par le pouvoir caché de la nature et par l’intelligence humaine qui a pu le détecter. Dès lors, dès que je voyais une plante je voulais lui attribuer un pouvoir, quitte à l’inventer.

    Dans un an, je serai dans les starting-blocks, prête à tout comprendre sur ces milliers de pilules qui guérissent le monde.

    La légère moue de Laurène m’indique qu’elle est déçue, mais ma référence à leur cadeau la fait finalement sourire. Je préfère que le changement de nos vies soit rapide, quitte à être brutal.

    Laurène énumère encore une fois les objets à emporter lors du déménagement : vêtements, linge de lit, affaires de toilette, batterie de cuisine de la parfaite étudiante… La Focus soigneusement entretenue de Fabrice risque d’être surchargée, et les six mètres carrés de la chambre universitaire insuffisants.

    Elle a tout juste terminé sa liste que je me lève. L’excuse est toute trouvée pour pouvoir sortir de table.

    Je file appeler Suzie.

    Je les embrasse rapidement pour m’excuser de ne pas les aider à débarrasser la table.

    *

    J’ai connu Suzie peu après le décès de mes deux frères, il y a trois ans. Elle est arrivée en classe en plein mois de mai, juste à la fin de l’année scolaire. Elle s’est directement assise à mes côtés, je l’ai tout d’abord détestée pour ça. Mais elle était différente. Simple et franche, elle n’a pas hésité à piquer là où ça faisait mal lorsqu’il le fallait. Alors que d’autres avaient pitié de moi et essayaient vainement de partager ma douleur, Suzie, elle, m’encourageait vivement à réagir, comme si… comme s’il ne s’était rien passé. Ses paroles ne changeaient rien à ma tristesse et à mon comportement, mais elles m’évitaient de sombrer encore plus. Aujourd’hui encore, sa franchise me réveille.

    Même si nous nous entendons relativement bien toutes les deux, j’ai rarement vu Suzie en dehors des cours. J’étais obligée d’aller au lycée et, avec elle, les journées étaient moins pénibles. Mais dès que je peux être seule, cela passe en priorité. Depuis l’obtention de notre diplôme en juin, je ne la vois plus.

    Inviter Suzie au dîner de mes dix-huit ans n’est pas une mauvaise idée. Je risque d’être au centre de l’attention ce soir, détail qui me met mal à l’aise d’avance. La tchatche de mon amie pourrait me sauver la soirée. Elle attire naturellement l’attention. Elle sera un bouclier parfait.

    J’attrape donc mon portable en croisant les doigts pour qu’elle puisse venir.

    Ouais ?

    Salut, Suzie, c’est Louise.

    Salut, ça va ? répond-elle de sa voix énergique.

    Elle n’a pas l’air de m’en vouloir de ne pas l’avoir appelée ces trois dernières semaines.

    T’es libre ce soir ? C’est mon anniversaire.

    Ouais pourquoi pas ? À une condition !

    Je lève les yeux au ciel. Cela aurait été trop simple qu’elle dise simplement « oui ».

    J’ai envie de profiter du beau temps et d’aller à la piscine. Y aller à deux est toujours plus amusant.

    Hum… Pas trop envie…

    C’est ça ou je ne viens pas ce soir. Elle date de quand ta dernière sortie ? Attends, ne réponds pas, tu ne t’en rappelles pas, attaque-t-elle.

    OK, OK. Quelle heure ?

    14h30.

    OK, à toute.

    À toute. Ah ! Au fait, bon anniversaire !

    *

    Je monte nonchalamment les escaliers et retourne dans ma chambre. Je dois préparer un sac pour la piscine et, par conséquent, retrouver mon maillot de bain. J’essaie alors de me rappeler la dernière fois que je l’ai porté.

    C’était il y a quatre ans, une journée à la plage tous les cinq : mes parents adoptifs, mes jumeaux de frères et moi. Mais il est inutile de se replonger dans le passé. Ça m’indique juste que mon maillot est avec tout le reste de mes affaires de l’époque : dans le grenier.

    Le lendemain de l’enterrement de Gabriel et Axel, je me suis réveillée en rage. J’ai pris quelques cartons qui étaient destinés aux affaires de mes frères et j’y ai entassé toutes les miennes. Tout a ensuite été empilé dans le grenier. Puis, j’ai rassemblé tout l’argent que je possédais et je suis partie en ville m’acheter trois jeans bleus, sept tee-shirts unis et quatre pull-overs noirs ou blancs. Je voulais être invisible pour qu’on me laisse tranquille. Pour ça, il n’y a rien de mieux que des vêtements classiques. Ma chambre a subi le même changement que mon style vestimentaire. J’ai supprimé toute la décoration et j’ai opté pour de la literie simple, beige. Côté meuble, j’ai aussi fait du tri : un lit, une table de nuit, une armoire et un bureau. Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai fait tout ça. C’était un besoin compulsif. Fabrice et Laurène m’ont aidé dans tous mes choix, croyant que je tournerais la page. Mais ils se sont trompés. Depuis ce jour, je n’ai plus rien autour de moi pour me distraire et me faire oublier.

    Je fais glisser l’échelle escamotable du grenier. Je monte en essayant de garder mon esprit ailleurs.

    Yerk ! Saleté de bestioles !

    Une trentaine de cartons scellés se tiennent devant moi, bien rangés et entassés avec soin. Sans attendre, je me mets à la recherche de la pile nommée « Louise ». Je la trouve assez vite, ce qui m’arrange. Plus vite je sortirais de ce placard à souvenirs plus vite je respirerais. J’ouvre le carton tout en haut de la pile.

    Je n’y trouve pas mon maillot de bain, mais tout ce que je ne veux pas revoir : des peluches, des lettres et surtout des photos. Je sais qu’il est inutile de faire ce que je fais mais ma volonté défaille. Je m’assieds en tailleur et passe chaque photo une à une entre mes mains.

    Personne ne pouvait deviner qu’ils étaient jumeaux. Axel et Gabriel avaient des physiques très différents. Le premier avait une taille fine et énergique alors que le second était plus rond. Je ne leur ressemblais pas du tout non plus. Le premier détail choquant était notre couleur de cheveux : ils étaient bruns et je suis blonde. Nous ne partagions pas de trait de famille. Même la forme de nos visages n’avait rien à voir. Leurs mâchoires imposantes donnaient un aspect carré à leurs têtes alors que mon visage est fin et menu. Je m’aperçois que ces différences physiques ne m’ont jamais marquée. Mais après ces trois années de recul, je comprends pourquoi, durant toute notre enfance, personne ne nous avait crus lorsque nous expliquions notre situation familiale : adoptés mais frères et sœur de sang.

    Cependant, nos comportements se ressemblaient beaucoup. Notre statut d’adoptés heureux nous apprit le bonheur discret. Nous nous sommes disputés régulièrement bien sûr, mais nous étions d’un naturel plutôt calme. Les « orphelins » que nous étions avaient du mal à se faire de nouveaux amis. Chacun avait quelques connaissances mais jamais d’amitié franche et durable. Mais nous nous en fichions. Nous étions tous les trois avec nos parents adoptifs, nous étions bien.

    Nous savions peu de choses sur nos parents naturels. Fabrice et Laurène ne nous ont parlé d’eux qu’une fois. Gabriel, le plus curieux, a posé beaucoup de questions autour de ses dix ans. Ils ont alors décidé qu’il était temps de nous dire tout ce qu’ils savaient.

    Ça n’avait rien de très original. Après trois ans de mariage, Laurène n’était toujours pas tombée enceinte. Lorsque le verdict médical était tombé, ils décidèrent d’adopter. Ils n’envisageaient pas leur vie sans enfant.

    Après des années d’attente, on m’a présentée à eux, je n’avais que quelques mois. On leur avait expliqué que mes parents étaient décédés dans l’incendie de leur maison. Mais surtout, on leur avait précisé que j’avais deux grands frères et qu’il serait plus sain de ne pas nous séparer, bien que la décision entière leur appartenait. Fabrice et Laurène avaient été ravis d’accueillir un nouveau-né et deux jumeaux de trois ans. Le jour le plus chanceux de notre vie à tous les trois. À partir de là nous avons vécu heureux tous les cinq, en famille.

    Ça se voit sur la dernière photo que je trouve. Nous sommes sur la plage, lors de cette dernière journée à la mer. Le soleil au zénith, des cerfs-volants dans le ciel et mes frères et moi, tout sourire, enlacés.

    Une larme coule le long de ma joue, puis un gros sanglot. Cette fois, c’est trop difficile.

    Je jette la photo et reprends ma recherche au maillot de bain. Les souvenirs volent dans le grenier et mes sanglots s’accélèrent. Une fois ce foutu maillot de bain entre les mains, je sors du grenier sans ranger et je rabats l’échelle brutalement. Le bruit se répand dans toute la maison.

    Tout va bien là-haut ? crie Laurène, du rez-de-chaussée.

    Oui, oui. J’ai juste fait tomber un bouquin.

    L’excuse passe malgré son peu de crédibilité : même trois dictionnaires jetés violemment sur mon parquet ne feraient jamais un tel raffut.

    Je commence mon sac pour la piscine tout en maudissant Suzie. Je ne suis pas d’humeur à aller m’exposer dans un lieu public. Je prends le téléphone et la rappelle.

    Salut, c’est Suzie. Laissez-moi un message. Bye !

    Je raccroche. À quoi bon laisser un message qu’elle n’entendra qu’en fin d’après-midi ?

    *

    Salut ! Toujours à l’heure, à ce que je vois, me hèle Suzie en arrivant devant l’entrée de la piscine St Florent.

    T’abuses ! Vingt minutes que je t’attends !

    Désolée. J’avais quelques trucs à faire. Allez, viens, je te paie l’entrée.

    Il y a intérêt !

    D’avril à septembre, la piscine St Florent représente le lieu le plus branché de notre banlieue tranquille. Tous les lycéens y passent deux à trois après-midi par semaine. La piscine intérieure semble être réservée aux moins de quinze ans et aux plus de vingt ans. Dehors les filles bronzent arborant des maillots de bain plus colorés les uns que les autres, à celle qui se fera le plus remarquer. Les garçons rivalisent de ridicule : sauts, bousculades, courses, défilés musclés face aux sirènes. Qu’ils ont l’air bêtes…,

    Je l’ai dit : je ne suis pas d’humeur…

    La mise à l’écart à la fois souhaitée, naturelle et appuyée par les préjugés d’une fille qui a perdu des membres de sa famille, a fait naître cette amertume vis-à-vis de ceux de mon âge. Ils ont d’abord eu pitié. Ça m’a agacée. Alors ils se sont détournés. Logique. Je suis une ignorée au mieux, une moquée les mauvais jours. À trois nous avons fait des efforts, mais seule, je n’ai plus le courage.

    Suzie est l’unique personne de mon âge à ne pas me juger. La seule que je supporte.

    Une fois mon maillot de bain enfilé, je sors de ma cabine. En attendant mon amie, je jette un rapide coup d’œil dans le miroir qui couvre le mur d’en face. J’y examine mon reflet. Le résultat n’est pas reluisant. Malgré trois années passées, mon maillot me va toujours très bien, ce qui veut dire qu’en pleine adolescence, entre mes quinze et mes dix-huit ans, mon corps n’a pas bougé. J’ai grandi, mais je suis mince, voire maigre. Tout ceci agrémenté d’une peau blafarde et de cheveux blonds coupés à la garçonne. Je me sens particulièrement mal à l’aise.

    Je m’apprête à faire demi-tour lorsque Suzie sort de sa cabine.

    Elle est plus petite que moi et beaucoup plus féminine. Des rondeurs où il faut, une peau ambrée, des cheveux châtains coupés en un carré droit. Son physique est commun mais très joli si l’on prend le temps de le regarder. De plus, son sourire et sa bonne humeur attirent beaucoup les garçons. Une autre fille que moi serait peut-être jalouse de son succès, mais je retiens surtout qu’elle est naturelle et qu’elle se fiche de l’attention que lui portent les autres. Ce qui l’a très vite élevée au rang de paria, comme moi.

    On va dehors, ordonne-t-elle.

    Tu as vraiment décidé de me faire passer une mauvaise journée ?

    Tu n’as pas idée ! rigole-t-elle. Arrête de bouder. On va faire bronzer cette peau toute blanche.

    Nous étalons nos serviettes en plein soleil. Il y a une cinquantaine de collégiens et de lycéens. À nos côtés se tiennent un groupe de filles que je n’ai jamais vues et les rebelles de ma classe, trois garçons qui n’ont pas cessé de m’en faire baver durant des années.

    La plupart de mes camarades s’étaient montrés neutres à mon égard. Mais ces trois-là, les coqs de la classe, n’avaient aucune limite. Peu appréciaient leur humour et leurs provocations, mais tous se taisaient. Et qui prendrait ma défense ?

    J’essaie d’oublier leur présence : le lycée est terminé, d’ici une semaine je rentrerai à la fac, jamais plus je ne partagerai mon quotidien avec eux.

    Hey, Louise ! Tu ne nous dis pas bonjour ? m’interpellent-ils.

    Être ignorée aurait été trop beau.

    C’est pas souvent qu’on te voit sortir de ta tanière !

    Maxime, le grand brun aux abdos dessinés grâce à des heures passées à sculpter son corps plutôt que sa tête, est le leader de leur groupe. Un titre qu’il a gagné après de multiples provocations odieuses et blessantes.

    Je le vois se redresser lorsque les filles d’à côté lèvent les yeux vers lui. L’appel d’un nouveau public. Il se lève et vient s’asseoir à mes côtés. Retenu par son bras droit, le bras gauche lâchement posé sur son genou, l’autre jambe étendue, une position qu’il espère naturellement sexy.

    Alors comment va la famille ? commence-t-il.

    J’entends les deux autres ricaner.

    Bien. Et la tienne ?

    Parfaitement bien, merci de t’en préoccuper, dit-il essayant de capter mon regard que je tiens droit devant moi. Comment se passe la vie à trois ?

    Il n’a pas mis de temps avant de devenir ignoble. Je préfère ne rien répondre au lieu d’être vulgaire. Quant à la violence, je n’y ai jamais vraiment pensé. Je suis affreusement maladroite et j’ai une force physique bien inférieure à la moyenne. La parole a toujours été ma seule et unique défense. Mais là, je me tais.

    Laisse tomber Maxime, t’es lourd, me défend Suzie.

    Du calme le chien de garde ! sourit Maxime. J’ai une discussion des plus cordiales avec mon amie Louise. Partage un peu. A moins que… toutes les deux…

    Toutes les deux quoi ? Abrège ! s’énerve-t-elle.

    J’y suis ! Vous êtes ensemble ? s’étonne-t-il, jouant la comédie. Le premier couple gay du lycée ! Félicitations les filles ! Vous devenez soudain plus intéressantes à mes yeux !

    Il se retourne vers moi, un large sourire collé aux lèvres.

    Comme quoi le deuil peut avoir du bon ! chuchote-t-il.

    Je bous intérieurement. Si seulement j’avais la force de le mettre à l’eau !

    Heureusement que je suis là pour te rappeler le décès de tes deux frères ! Car à voir ta nouvelle façon de t’amuser, on se demande si tu ne les as pas oubliés.

    Cette fois c’est plus fort que moi. Je me retourne sur lui, lui attrape la gorge et la serre fermement. Je remarque à peine la surprise sur son visage. Mon cœur bat furieusement dans mes oreilles, je n’entends plus rien autour. Je serre, je serre, de plus en plus fort. Comment ose-t-il ? Je perds la raison. Mon corps entier ne veut qu’une chose : faire ravaler ses paroles et sa bêtise à ce garçon qui m’a si souvent provoquée dans le seul but d’amuser la galerie.

    Maxime ne parvient pas à me faire bouger. Ses yeux paniquent. L’adrénaline me donne plus de force que ce dont je me croyais pourvue. Si j’avais su, peut-être aurais-je dû lui filer une raclée bien avant…

    Quelqu’un m’attrape par les épaules essayant de me faire lâcher prise, mais sans succès, ma colère est trop forte. Mes deux mains comme soudées au cou de Maxime, j’appuie ensuite mon genou sur ses côtes pour qu’il arrête de gesticuler.

    Mais soudain, plusieurs bras viennent m’agripper. Je suis tirée en arrière. Maxime est furieux, vexé. Il se met debout, face à moi, et me frappe l’estomac avec une puissance démente. Je ne peux pas bouger. On me retient. Je cherche Suzie du regard, mais ne la vois pas. Ils se sont certainement occupés d’elle.

    Je ne m’avoue pas vaincue malgré l’atroce douleur dans mon ventre. J’arrive à me ruer vers Maxime dans un dernier élan. Les bras de mes gardiens me lâchent, je tombe sur ma victime pour finir ma chute avec elle dans l’eau. La fraîcheur me surprend. Avant d’avoir eu le temps de prendre une bouffée d’air, Maxime vient me maintenir de tout son poids sous l’eau. Je me débats mais il a une bonne prise et je suis exténuée. J’entends vaguement crier à l’extérieur.

    Maxime finit par lâcher prise, contraint certainement. Mais je ne reviens pas à la surface. Non. Je ne veux pas.

    Je n’ai jamais été si proche de les revoir.

    Le manque d’air commence à devenir difficilement supportable, mais ce n’est qu’une passade, un passage obligé pour retrouver ceux que j’aime. Je ferme les yeux et pense à eux sans bouger. Mon corps touche le fond de la piscine, mes tympans subissent douloureusement le poids de l’eau. J’arrive…

    2

    Le bouche-à-bouche du maître-nageur a été efficace. Devant une trentaine de spectateurs, je recrache l’eau entrée dans mes poumons tout en essayant tant bien que mal de reprendre une bouffée d’air.

    Elle va s’en sortir ? demande la voix angoissée de Maxime.

    Ça devrait aller. Mais tu ne perds rien pour attendre. Une fois que cette fille sera dans l’ambulance, j’appelle tes parents, et nous aurons une petite discussion.

    Le regard haineux de mon ancien collègue de classe est la première chose que j’aperçois lorsque j’ouvre les yeux. Ma vie et ma santé n’ont aucun intérêt pour lui, seules les conséquences de notre bagarre l’affectent.

    J’y suis pour rien ! C’est elle qui m’a sauté dessus ! Demandez à ceux qui étaient là ! gémit Maxime.

    Il montre ses copains et les filles que je ne connais pas. Tous approuvent vivement. Je cherche Suzie pour trouver un éventuel soutien, mais elle n’est pas dans mon champ de vision.

    Le maître-nageur ignore les plaintes de Maxime et les protestations de ses défenseurs.

    Comment t’appelles-tu ? me demande-t-il doucement.

    Louise, je souffle.

    Quel âge as-tu ?

    Dix-huit.

    Toi là, apostrophe-t-il Maxime. Est-ce qu’elle dit vrai ?

    Oui certainement, bougonne celui-ci de mauvaise foi.

    Bien. Tu as repris conscience, me dit l’homme avec calme. Tu es restée dans l’eau assez longtemps pour que des contrôles soient faits. L’ambulance va arriver dans quelques minutes. Tu as compris ?

    J’acquiesce. Même si je n’ai aucune envie d’aller à l’hôpital, il est inutile de contester. Et puis, j’ai hâte de quitter cet endroit.

    Où est Suzie ?

    Ma question est ignorée.

    Pourquoi n’es-tu pas remontée à la surface ? me demande le maître-nageur en me fixant.

    Son air est insistant et inquiet. Il est vain d’essayer d’accuser Maxime, non pas que l’envie m’en manque. Je prends le temps de répondre, alors que tout le monde s’active autour. L’ambulance semble être arrivée. Mais l’homme ne me lâche pas du regard, il attend une réponse qui fera fuir ses inquiétudes. J’essaie d’être la plus convaincante possible dans mon intonation.

    Je suis mal tombée dans l’eau, j’ai été un peu assommée. Je crois que je ne me suis pas rendu compte de ce qu’il se passait.

    Bon. L’ambulance est ici, je vais t’aider à te relever.

    Le public s’écarte et je m’appuie sur l’épaule du maître-nageur.

    J’ignore les regards et les douleurs dans la poitrine, je m’interroge juste sur la fuite de Suzie.

    *

    Ce n’est qu’en fin d’après-midi que je sors des urgences. Les examens ont été rapides et j’ai su répondre ce qu’il fallait pour qu’il en soit ainsi.

    Le maître-nageur, qui m’a accompagné jusqu’à l’ambulance, a insisté auprès de l’urgentiste pour que quelqu’un prenne le temps de « m’écouter ». L’urgentiste et moi avons saisi le fond de sa pensée.

    Une fois à l’hôpital, le médecin qui s’est occupé de mon auscultation m’a donc tout logiquement prescrit une séance avec un psychologue, me laissant le choix du jour et de l’heure. J’ai accepté et j’ai pris l’ordonnance et le numéro du spécialiste. Bien entendu, je n’appellerai jamais.

    Fabrice et Laurène ont été appelés et m’attendent dans le hall d’entrée. En pleine discussion avec l’infirmière de l’accueil, Laurène agite les bras dans tous les sens. Fabrice se tient légèrement à l’écart, les bras croisés, prêt à bondir si sa femme dépasse les bornes. Limites qu’il définit lui-même selon les situations. Étant donné le niveau sonore des remontrances que Laurène hurle au visage de la pauvre infirmière, il doit juger la situation suffisamment extrême pour la laisser faire.

    Les yeux gonflés, Laurène me prend dans ses bras dès qu’elle m’aperçoit. Je ne sais pas ce qu’on leur a dit exactement…

    Comment ça va ma chérie ? me demande-t-elle en examinant chaque trait de mon visage.

    Ça va, ne t’inquiète pas, une mauvaise chute.

    On nous a dit que tu étais restée longtemps sous l’eau, tu as des douleurs ? Et un médecin va-t-il enfin nous dire si tout va bien ? crie-t-elle à l’infirmière.

    Le médecin m’ayant auscultée descend quelques minutes plus tard et s’entretient rapidement avec mes parents. Laurène paraît calmée et nous rentrons à la maison.

    *

    Apparemment mes parents ne savent pas que je suis censée voir un psy. Ainsi, le petit accident de cet après-midi perd un peu en dramatisme.

    Confortablement installée sur le canapé, je suis chouchoutée comme jamais je ne l’ai été. J’ai beau leur expliquer que c’était une banale chute dans l’eau, Laurène et Fabrice n’en démordent pas : s’il y a ambulance il y a danger.

    Je vais appeler Karine et Michel. Nous allons annuler le dîner de ce soir, annonce-t-elle.

    Non non ! J’ai envie de me changer les idées.

    Ça va te fatiguer !

    Je me coucherai tôt, ne t’inquiète pas. S’il te plaît… C’est mon anniversaire !

    Je n’ai pas soudainement envie de passer la soirée avec Karine et Michel, les amis de mes parents. Je veux simplement revoir Suzie et lui poser quelques questions.

    À vingt heures, le couple d’invités arrive. Toujours réjouis et particulièrement bavards, Karine, un petit bout de femme énergique, et Michel, un grand gaillard aux cheveux longs, animent nos repas de fête depuis de nombreuses années.

    Helloooo Lou ! chantent-ils comme d’habitude. Happy birthday !

    Je n’ai pas le temps de leur dire merci qu’ils me donnent mes cadeaux. Cinq paquets. Ah non, six ! Un petit sac s’est caché entre les autres. J’ai toujours été gâtée, mais mes dix-huit ans semblent décupler la générosité de mon entourage.

    On s’installe dans le salon. Mes parents racontent à leur manière l’incident de l’après-midi ce qui nous occupe pendant une heure. Heure durant laquelle je n’ouvre pas la bouche et me contente d’acquiescer en souriant. Grâce à l’optimisme de nos invités, mes parents finissent par en plaisanter.

    Louise, ton amie a dit qu’elle viendrait vers quelle heure ? me demande Laurène.

    Suzie manque toujours à l’appel.

    Je m’échappe dans le hall d’entrée avec mon portable. Je tombe encore une fois sur son répondeur. Je m’apprête à laisser un message lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit.

    T’es encore en retard, l’apéritif est presque fini.

    Je n’arrivais pas à trouver le cadeau qu’il te fallait. Bon anniversaire ! me crie-t-elle dans les oreilles tout en me tendant une enveloppe avec un nœud en guise de cadeau.

    Merci. Allez entre.

    Je pose l’enveloppe sur le guéridon dans l’entrée et accompagne Suzie dans le salon. Une fois les présentations faites, nous nous installons à table.

    Mes parents connaissent Suzie depuis peu, sa première visite datant seulement d’il y a deux ou trois semaines, en pleines vacances estivales. Sans nouvelle depuis les résultats du bac, elle est venue me rendre visite. Elle m’a alors paru triste et angoissée. Cela m’a marqué, car c’est une attitude totalement contraire à son caractère. Mais ce soir, elle est radieuse.

    Vous étiez dans la même classe ? nous demande Karine.

    Et c’est parti pour le questionnaire, Suzie n’y échappera pas. De toute manière, elle ne semble pas le vouloir. « D’où viens-tu ? », « Que font tes parents ? », « Quelles études envisages-tu ? ». Pour une fois que j’ai une amie, Karine veut tout savoir sur elle. Je soupçonne Laurène de l’avoir engagée pour savoir ce que je n’ai jamais lâché à son sujet. Ravie, Suzie répond avec enthousiasme.

    Bref, la première partie du repas passe sans que je puisse lui poser la moindre question à mon tour.

    Laurène débarrasse les assiettes. Elle m’invite à venir l’aider en cuisine.

    Tu passes une bonne soirée ? me demande-t-elle.

    Oui.

    Tiens, aide-moi à dresser la table pour le plat. Tu te sens bien c’est sûr ? Pas de vertiges, de maux de tête ? Tu sais, le médecin nous a dit de surveiller tous ces symptômes.

    Ne t’inquiète pas, tout va bien.

    Et c’est vrai. On m’a prévenu que je serai peut-être fatiguée et prise de vertiges, mais il n’en est rien, je me sens vraiment bien… physiquement.

    Bon, si tu te sens mal, pour n’importe quoi, surtout préviens-nous et va te reposer, d’accord ?

    Oui, promis !

    Elle m’embrasse sur le front et m’enlace de toutes ses forces.

    D’un geste naturel, elle caresse mes cheveux.

    Puis elle chuchote pour elle-même : « Je n’y aurais pas survécu ».

    Suzie nous attend seule à table, alors que Fabrice montre à ses amis sa dernière trouvaille au vide-grenier du quartier : une vieille gargouille de l’église de la ville. Un objet immonde, inutile et pétrifiant que Karine et Michel qualifient de « sympa ».

    Laurène va les rejoindre pour les inviter à reprendre place. J’en profite pour prendre à part Suzie avant leur retour.

    J’ai apprécié ton aide à la piscine tout à l’heure.

    De rien, Maxime est un imbécile, je ne pouvais pas le laisser te parler de cette manière.

    Je la regarde, surprise. Elle n’a pas compris mon ironie.

    Je parle de l’embrouille d’après, la bagarre ! Moi, sous l’eau !

    Elle ne sait pas quoi me répondre.

    Et toi Suzie, que penses-tu de cette sculpture ? nous interrompt Fabrice.

    Aaah ! On ne peut pas nous laisser parler deux minutes !

    Apparemment non. Mon amie est de nouveau au centre de la conversation. Je l’ai invitée pour ça après tout.

    On commence le plat. Laurène s’est encore surpassée. C’est un délice.

    Chacun mange, chacun boit, les conversations continuent.

    Alors que le dessert est à peine servi, j’ai des sensations étranges et soudaines.

    Je retire mon gilet car des vertiges et des bouffées de chaleur m’étouffent. Je sens mon sang bouillir dans mes veines. Est-ce le contrecoup des événements de cet après-midi ? Je n’ai pas le temps de me poser la question plus longtemps. En deux secondes je me retrouve à terre, à peine consciente. Ma tête et l’ensemble de mes muscles me font un mal fou. Je me tortille sur le sol alors que les jambes autour de moi s’agitent. J’entends Fabrice appeler les secours et Michel sortir en courant. Sûrement pour aller chercher notre voisin et ami médecin. Laurène essaie de me rassurer mais elle est paniquée.

    Qu’est-ce qu’il y a ? Dis-moi ! me crie-t-elle dans les oreilles, désemparée.

    Lui répondre me coûte trop. La douleur est atroce et je commence à être glacée.

    L’ambulance arrive, mais il faudra encore attendre dix bonnes minutes, annonce Fabrice.

    Je sens mon pouls ralentir.

    Après deux ou trois minutes, je prends conscience qu’un homme est en train de m’examiner. Il ordonne :

    Il faut la faire vomir, c’est un empoisonnement.

    Notre voisin a répondu à l’appel de Michel.

    On ne prend même pas la peine de m’emmener aux toilettes ou de m’apporter une bassine. L’homme me met sur les genoux, je m’appuie d’un bras sur l’assise de la chaise. Laurène me tient car les spasmes violents me font m’écrouler. Je réussis enfin à évacuer le poison.

    Puis, je tombe dans les pommes, épuisée.

    *

    Inutile de l’emmener aux urgences. Son pouls est stable et elle reprend des couleurs, annonce la voix d’une femme.

    Vous êtes sûre ? Parce que c’était terrifiant, quelques minutes de plus et nous perdions notre fille ! crie Laurène. Je serais plus rassurée si…

    Ne vous inquiétez pas, reprend la femme, regardez, elle revient à elle. Une bonne nuit de sommeil et une journée au lit lui feront le plus grand bien. Mais s’il y a le moindre doute, n’hésitez pas à nous rappeler.

    J’entrouvre les yeux et découvre une nouvelle urgentiste, la deuxième de la journée. Ça commence à faire beaucoup.

    Laurène se précipite vers moi

    Oh ma chérie !

    Je vais bien. Je suis juste… fatiguée.

    Réagissant immédiatement, Fabrice me prend dans ses bras et me porte dans ma chambre. Une fois confortablement emmitouflée sous mes couvertures, je détends mon corps épuisé. Fabrice s’assied sur le lit et me prend les mains.

    Nous nous rappellerons toute notre vie de cette journée, dit-il amer. Pas comme le jour où tu as atteint la majorité, mais comme celui où tu as failli mourir deux fois.

    Il embrasse mes mains protégées par les siennes.

    Qu’est-ce qui a pu m’empoisonner ?

    Nous verrons cela demain. Dors maintenant. Je t’aime.

    Avant de partir, il me laisse l’enveloppe-cadeau de Suzie sur mon chevet.

    Je m’endors en me demandant où mon amie a bien pu passer, ne l’ayant pas revue dans le salon.

    *

    Alors p’tite sœur ? Comment tu nous trouves ? me demande Gabriel.

    Waouh ! J’avoue je suis… les mots me manquent !

    Moqueuse ! Jalouse ! dit Axel.

    Mes deux frères se préparent pour la soirée des terminales. Depuis le début de l’après-midi, ils essaient l’ensemble de leur garde-robe, en me demandant mon avis pour chaque tenue.

    Cherchant à savoir lequel est le plus élégant, mes frères commencent une bagarre à laquelle je me joins. Quinze minutes plus tard, ils sont complètement débraillés, décoiffés et essoufflés.

    Dépêchez-vous, Ronan va arriver d’une minute à l’autre.

    En quatrième vitesse, ils se rhabillent. Le dernier bouton de chemise se ferme et Ronan sonne. C’est leur meilleur ami. Un voisin qui vit seul avec sa mère.

    Je vais ouvrir.

    Bonjour, Louise, me salue-t-il, timide.

    Salut Ronan. Alors, tu as ta nouvelle voiture ? Qu’est-ce que c’est ?

    C’est une vieille Peugeot 106 vendue par mon oncle.

    Il me paraît mal à l’aise, alors je n’insiste pas. Mais je ne comprends pas. Nous nous connaissons depuis quelque temps maintenant.

    Un silence gêné s’installe. Ronan scrute l’intérieur de la maison, il semble éviter mon regard. Pendant cette minute interminable où personne ne trouve quoi dire, j’aperçois sur le trottoir d’en face, notre vieille voisine, mademoiselle Maggie. Comme à son habitude, elle espionne nos moindres faits et gestes. Je la salue de la main, un message clair signifiant : « je t’ai vue, vieille curieuse, rentre chez toi ». Mais elle ne bouge pas. Je décide de laisser tomber.

    Ils descendent les escaliers en costume. Moi qui aime me moquer gentiment d’eux, cette fois je n’en fais rien. Ils sont tellement grands et beaux ! Demain ils fêteront leurs dix-huit ans, et, d’ici deux mois, ils se sépareront pour aller à la fac, chacun de leur côté. Demain, ils seront des hommes et moi l’unique enfant de la maison.

    À demain, petite sœur, et ne nous attends pas ! La soirée risque d’être longue ! me dit Gabriel remuant son derrière sur le palier.

    À demain Lou, me dit à son tour Axel.

    Tous deux me font la bise puis s’entassent dans la 106. Celle-ci s’éloigne à ras le sol. Je souris d’abord en pensant à l’état de leurs costumes une fois qu’ils se seront extirpés de la vieille Peugeot. Puis la panique me prend et les larmes montent. Je veux leur crier de rester, mais je ne peux pas. J’ouvre la bouche et m’époumone mais aucun son ne sort. Alors je leur cours après. Mais là aussi je m’épuise dans le vide, mes jambes ne répondent pas.

    Ils ne devaient pas monter dans cette voiture…

    *

    Je me réveille en sursaut. Il est trois heures du matin. Il me faut quelques secondes pour retrouver mes esprits, savoir où je suis. Mon ventre me fait encore souffrir.

    Les volets n’ont pas été fermés et la fenêtre est entrouverte. J’essaie de me lever pour prendre un peu l’air. Mais l’effort me paraît insurmontable. Tant pis.

    Je fais le point sur la journée qui vient de passer. Je n’en reviens pas. Par deux fois j’ai failli mourir le jour de mes dix-huit ans. La première fois je l’ai plus ou moins décidé. Mais la seconde… je ne comprends pas. Un empoisonnement…

    Tout le monde a mangé de chaque plat, a bu son verre. C’est incompréhensible. Peut-être est-ce une mauvaise digestion des différents médicaments donnés aux urgences…

    Et Suzie… Où est-elle passée pendant mon malaise ? S’est-elle à nouveau enfuie ? Ne l’ai-je tout simplement pas vue dans l’agitation ?

    Je me sens encore désorientée et je n’arrive pas à poser mon esprit pour répondre à toutes ces questions. Je décide de penser à autre chose pour me rendormir paisiblement jusqu’au matin.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1