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La valse du sombre laquais: Tome 1
La valse du sombre laquais: Tome 1
La valse du sombre laquais: Tome 1
Livre électronique738 pages9 heures

La valse du sombre laquais: Tome 1

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À propos de ce livre électronique

Arnaud et Yan, un ancien légionnaire et un militant terroriste, se trouvent embarqués dans de folles aventures parsemées de magie, de complots et de trahisons.

Depuis l'affaire des Enlèvement Royaux, Arnaud n’est plus que l’ombre de lui-même. Condamné car il n'a pas su protéger ses maîtres, le légionnaire déchu est envoyé à la frontière entre l'Empire et les terres barbares. Une existence tourmentée de regrets, de cauchemars atroces, et noyée sous des litres d’alcool. Jusqu’au jour où des colonnes de feu traversent le ciel et qu’un démon blanc au rictus effroyable marche dans ses pas.
De son côté, entre conspirations et attentats, Yan lutte contre la main-mise de l’Eglise sur les habitants des Trois-Capitales, tandis qu’un mal inconnu ronge les quartiers les plus pauvres. Membre actif d’une organisation terroriste, le mage de sang pourrait voir ses certitudes voler en éclat lorsqu’il se retrouvera confrontée à l’horreur la plus pure.
Deux hommes, embarqués sur une route macabre, parsemée de magie, de complots et de trahisons. L’un n’a plus rien à perdre et en veut au monde entier, tandis que l’autre est empli de détermination mais se retrouvera à des carrefours inattendus.
Une chose est sûre, les vieilles légendes s’apprêtent à reprendre vie. Et si le bain de sang ne faisait que commencer ?

Plongez-vous sans plus attendre dans les aventures d'Arnaud et de Yan dans un roman fantasy aux aventures pleines de rebondissements. A découvrir au plus vite !

EXTRAIT

Arnaud remua les châtaignes grillées qui s’amoncelaient dans son assiette, en saisit une au hasard et, après l’avoir épluchée, se mit à la croquer mollement. Le combat de la veille l’avait épuisé et malgré la nuit de repos, les courbatures le tiraillaient. L’harmonisation et son revers de la médaille.
Assis en tailleur juste à côté, Julien discutait. Les paroles étaient sans doute destinées à Arnaud mais celui-ci n’écoutait pas. Ils n’avaient pas encore évoqué le problème de la jick et le légionnaire se promit qu’il le ferait aujourd’hui. Ce matin, Bertrand, main dans la main avec Mélanie et accompagné de Giulia et Marine était allé au marché. Ensemble, ils avaient apporté des vivres pour plusieurs jours et des marrons pour le midi. Tristan les avait réprimandés en leur expliquant que les marrons étaient plus gros et que la forme triangulaire des fruits qu’ils avaient achetés correspondait à l’évidence à celle des châtaignes. Après de longues anecdotes plus ou moins intéressantes sur ces fruits – quand il s’agissait de cuisine, Tristan était intarissable de précisions et d’histoires – le légionnaire avait préparé un feu pour faire griller les châtaignes.
Les derniers dormeurs se levaient au rythme des mélodieuses ballades de Dorian. Talia, doux rayon de soleil libéré du rideau par une brise matinale, subjugua une fois de plus Arnaud par sa beauté espélienne. À plusieurs reprises, elle avait tenté de le séduire mais Arnaud avait gardé la tête sur les épaules malgré le grisement procuré par sa douce voix. Il restait fidèle à Corie. Après leurs retrouvailles, la relation entre la princesse et l’ancien garde royal avait essentiellement été charnelle.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Florian Guérin est âgé de 22 ans, et est en Master 1 de Marketing et Vente à l’IAE de Lyon. Il fait ses premières armes sur un site d’auteurs amateurs nommé Oniris, et y publie quelques nouvelles. Puis, il couche sur le papier les prémices de « La Valse du sombre laquais », une saga fantasy dont le premier tome lui demandera plus d’un an de travail. Aujourd’hui, il est fier de partager avec ses lecteurs le fruit de ses longues nuits d’écriture, et les invite à pénétrer dans un monde aussi riche qu’impitoyable.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie25 oct. 2018
ISBN9791023609950
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    Aperçu du livre

    La valse du sombre laquais - Florian Guérin

    Chapitre 1 Les ennuis approchent, humain !

    «Condamnable. Incapable. Coupable. » Des accusations prononcées par un visage ivre de colère et appuyées par des yeux sans paupières, injectés de sang. Emplis de mépris et de dégoût. Des doigts bosselés et menaçants le pointaient. Soudain, les membres s’agrandirent au point de le surpasser et commencèrent à le bousculer, la délation ne suffisant plus. Un tumulte effrayant le blâmait. « Bon à rien. Incompétent. Inutile. » Les orbites dénonciatrices grossirent et leurs veinules semblèrent prêtes à éclater. Les deux globes gigantesques, face à sa propre bassesse, finirent par l’aplatir. Impuissant et cloué au sol dans cet enfer, il subissait les rires et les crachats.

    « Légionnaire proscrit. Légionnaire déshonoré. Légionnaire déchu. »

    À ces mots, Arnaud émergea des profondeurs obscures de ses cauchemars et releva le buste avec empressement. L’air fora ses poumons et la lumière lui creva les yeux. Une chaleur insoutenable l’écrasait. Il se rallongea, ferma les paupières et patienta un instant. Il était accoutumé à ce genre de sensation. Chaque fois qu’il se remplissait d’alcool jusqu’à s’en faire déborder le gosier, ce qui n’arrivait pas si rarement, des songes malsains lui remémoraient sa condamnation.

    Il se risqua à ouvrir un œil. Le jet de flamme s’avéra n’être qu’un rai de clarté, perforant des planches de bois par les interstices. La température, quant à elle, retomba face aux lourdes gouttes de sueur qui perlaient sur ses muscles crispés. Il s’assit sur le bord du lit, bien moins luxueux que celui qu’il possédait autrefois en Montarie, et planta sa tête entre ses mains.

    Il haïssait ces cauchemars. Hélas, durant la journée, il oubliait trop vite l’horreur de l’alcool. Sa magie de lumière lui évitait tout mal de tête en le guérissant sans effort. Les effets secondaires esquivés, rien ne l’empêchait de se saouler plusieurs soirs consécutifs. Grâce au Divin, tous les légionnaires ne réfléchissaient pas comme lui. La décadence n’était pas une doctrine dans la Légion Ethérée et nombre de servants de la Faucheuse se faisaient violence pour redorer son blason.

    Arnaud s’appuya sur une vieille malle en bois de frêne jouxtant le lit et se redressa sur ses jambes fébriles. Il attendit une seconde, que son équilibre s’installe, puis se dirigea nonchalamment vers son armoire. De ses pieds empotés, il renversa des cadavres de bouteilles, dont le chant cristallin éveilla des souvenirs lointains. Il ouvrit le meuble en bois vermoulu et constata, satisfait, que son manteau de légionnaire éthéré y était suspendu. Même grisé, il parvenait à ranger ses affaires. Quel atout ! Arnaud ricana seul, dans cette chambre vide.

    Après avoir décroché l’habit, il vérifia sa propreté. Pas de souillures. C’était déjà un bon point. Il s’attrista tout de même devant l’état pitoyable de son long manteau noir. Autrefois, il l’arborait pourtant si fièrement. Mais à présent, il ressemblait à un vieux chiffon. Le plus dégradant restait tout de même son nouveau brassard. Après le scandale des Enlèvement Royaux, on lui avait fait abandonner le brassard doré des légionnaires éthérés, pour le remplacer par un autre gris clair. Marque de déchéance pour un légionnaire.

    Il retourna son manteau et admira, pour la énième fois, le motif des deux faux entrecroisées, cousu à l’arrière : l’une blanchâtre et impalpable, l’autre grise comme l’acier. Fantaisiste. Horrifique. Le symbole le plus approprié pour imager le corps d’armée le plus violent de l’Empire. Ceux qui avaient juré devant le Divin de défendre leur maître.

    Enfin, il enfila l’habit. Posé en bas de l’armoire, son tricorne l’attendait. En étant destitué, il avait au moins gagné ce couvre-chef.

    Aux frontières de l’Empire, à plus de huit cents kilomètres des capitales, les soldats avaient besoin de meneurs. Des personnes en qui croire ; qui les faisaient espérer. Car les guerres aux frontières étaient rudes. Et trop souvent sales. Même déchu, un légionnaire personnifiait la force dans l’armée des humains ordinaires. Qui de mieux qu’un soldat de la Légion pouvait donc endosser ce rôle ? Un officier subalterne. Voilà ce qu’il était devenu. Le sous-lieutenant Arnaud.

    Évidemment, après sa destitution, il ne possédait plus le droit de se proclamer Montarien, n’étant plus sous les ordres du roi de cette région. Arnaud de-nulle-part. Il ricana à nouveau puis souffla, fatigué, face à la lenteur de son réveil.

    Il s’activa, fourra sa tête dans le tricorne et ses pieds dans les bottes, puis ramassa son épée qui gisait au sol, toujours dans son fourreau. Il ne prit pas la peine de l’attacher à sa taille, comme un officier, ou dans son dos, comme un légionnaire. Avant de franchir le seuil de sa chambre, il vit une dernière fois au fond de son crâne les yeux accusateurs du colonel Dargatt.

    ****

    –Enfin réveillé, chef ! s’enthousiasma Bernard dès qu’Arnaud fut sorti de sa chambre.

    Le sous-lieutenant leva les yeux. Au vu de la hauteur du soleil, midi sonnerait d’ici peu. Quelle galère ! Le lieutenant Hector, l’unique légionnaire non déchu de la garnison, allait encore le réprimander.

    Arnaud réfléchit à la situation tout en caressant sa courte barbe blonde et hirsute. Son passé de garde royal, marqué par des rencontres quotidiennes avec la seigneurie, l’avait l’habitué à se raser régulièrement et avec minutie. Mais à présent, il ne voyait plus de réel intérêt à entretenir son apparence. Sa barbe de quelques jours et ses cheveux mi-longs ébouriffés lui donnaient un air poisseux de brigand. Mine idéale pour s’imposer au sein d’un troupeau des soldats de Tordure, la capitale de la Franche-Enclave. Éloignés de la civilisation et accoutumés à la barbarie des combats, ces hommes se comportaient davantage comme des animaux de jour en jour. Et puis, son allure négligée avait le mérite d’agacer le paladin Timoret.

    Arnaud s’avança à grands pas vers la sentinelle. Circonspect, Bernard l’observa. Trop stupide pour fuir son supérieur. Le sous-lieutenant l’attrapa par le col et le tira à lui. Leurs nez se touchaient presque.

    –Tu ne serais pas en train de me traiter de fainéant, Bern ?

    –Non, chef ! Je constate, seulement.

    Arnaud grogna mais ne répliqua pas. Il repoussa la sentinelle, qui tituba en reculant et tenta vainement de retrouver l’équilibre en agitant les bras. Malgré ses efforts, Bernard atterrit sur son séant. On ne manquait pas de respect à un supérieur !

    Le sous-lieutenant s’approcha du rebord de la muraille et jeta un regard sur l’horizon. À l’est, par-delà leur campement, par-delà les Altéares, la chaîne de montagnes délimitant les frontières orientales de l’Empire, s’étendaient les terres des Kourhouks. Un peuple mystique adorateur de la foudre.

    Depuis toujours, les Kourhouks avaient lancé des assauts, plus ou moins signifiants, sur la Franche-Enclave, région au sud-est de l’Empire. Mais le roi de Tordure avait assidûment dépêché des soldats pour repousser leurs offensives.

    Désirant garder un certain contrôle sur les actions militaires de chaque partie de l’Empire, les Trois-Capitales envoyaient leurs propres hommes pour diriger les troupes des capitales régionales. Ici, à Garde-Brèche, pour commander les vingt hommes du peloton militaire tordurien, un paladin et un légionnaire éthéré avaient été détachés.

    Les Kourhouks avaient réitéré leurs hostilités durant la période des Enlèvements Royaux, bien que les deux évènements n’aient aucune corrélation. Ils avaient traversé les Altéares, empruntant le col du Vélian, et s’en étaient pris aux villages bordant les limites sud-orientales de l’Empire. Garde-Brèche conservait des marques de leur offensive : une tour en ruine et un pan de mur ravagé, remplacé par des barricades en bois.

    Une fois déchu à cause du scandale, Arnaud, ainsi que deux autres légionnaires ayant failli à leur tâche, avait été rattaché au peloton de Garde-Brèche. Leur mission : soutenir les deux représentants des Trois-Capitales dans leur rôle de sauvegarde du territoire.

    Voilà plus d’un an qu’ils résidaient en ce lieu. Plus d’un an qu’ils avaient contré le dernier assaut des Kourhouks. L’été s’était achevé et des teintes rouges et orange s’imposaient progressivement.

    Une brise froide s’insinua sous le manteau d’Arnaud et lui vola un frisson. Il se sentit brusquement esseulé, privé du reste du monde. Comme si, à présent, sa vie ne se résumait qu’à ce lieu démoli et funèbre. Sa tombe ? Non ! Le sous-lieutenant ne comptait en aucun cas rendre l’âme ici. Il lui fallait retourner dans son royaume d’origine.

    Les légionnaires ne vivaient que pour un unique but, protéger le maître qui leur avait été désigné. Arnaud avait échoué. Il avait perdu sa raison d’être. Pourtant, une voix intérieure lui dictait de ne pas abandonner, de rester fidèle, car le vent tournerait tôt ou tard.

    Mais pour cela, encore lui faudrait-il remplir sa mission. Ou plutôt sa peine. Après son expiation, un légionnaire déchu pouvait retrouver sa dignité et son honneur. Mais la durée de cette pénitence dépendait du crime, de la faute. Peut-être qu’après les Enlèvements Royaux, jamais ne l’autoriserait-on à retourner sous les ordres de son roi ?

    –Pourquoi ne m’a-t-on pas réveillé ? lança-t-il au soldat, qui époussetait ses vêtements.

    –Le lieutenant est parti c’matin en reconnaissance, chef. Par le col. Et personne ne voulait avoir affaire à vot’ « fureur matinale ». Tout le monde sait que l’alcool et vous, ça donne pas un mélange très plaisant.

    –Ma fureur mat… quoi ? Vous vous foutez de moi, j’espère !

    Arnaud sentit un échauffement dans ses joues et ses phalanges grincèrent sous la contraction de ses doigts.

    –Avec qui est-il parti ? se renseigna-t-il, essayant de contrôler ses émotions.

    La sentinelle énuméra laborieusement les soldats partis avec le lieutenant. Parmi ces noms, se trouvait celui d’un légionnaire déchu ; ce qui était un atout considérable dans une équipe. En outre, il y avait deux bons pisteurs et un excellent archer. Cette composition révélait un choix judicieux pour partir en reconnaissance. Néanmoins, cela restait dangereux en si petit nombre. Pourquoi le lieutenant Hector avait-il couru ce risque ?

    Repousser les Kourhouks hors du territoire impérial leur avait demandé plusieurs mois d’efforts. Pourquoi Hector avait-il décidé de s’engouffrer dans les terres de ces adorateurs de la foudre ?

    –Le paladin, où est-il ?

    –Parti, chef.

    –Parti ? Par le Divin, qu’est-ce qui leur est passé par la tête, à tous ?

    –Le paladin Timoret s’en est allé à l’aube. Avec une petite escorte. Il voulait s’assurer qu’la route au nord était toujours condamnée. ‘Fin j’crois. C’est c’que m’ont dit les veilleurs, avant d’aller s’coucher à l’heure de la relève.

    –Le lieutenant, une raison particulière à sa mission de reconnaissance ?

    –Bah oui, chef ! Là-bas, vers le col, y a eu une espèce de grand éclat de lumière. Rouge comme le sang. J’l’ai vu de mes propres yeux. Le lieutenant s’y est donc précipité. Il nous a ordonné de garder le fort. Pas de vous réveiller… Alors personne s’y est collé.

    –Depuis combien de temps est-il parti ?

    –Quatre heures, p’t-être. C’était l’heure du petit déj. Il est parti comme une furie. Déterminé. ‘Fin, vous savez comment il est !

    Oui. Il le connaissait bien. Et quelque chose clochait. Il fallait compter une heure pour atteindre le col du Vélian. Le lieutenant ne se serait pas attardé aussi longtemps loin de Garde-Brèche. Arnaud se décida à agir. Il s’orienta vers les escaliers descendant dans la cour intérieure et se dirigea vers les fracas de ferraille qui y résonnaient. Dès les premières marches, le troisième légionnaire déchu, Justin, le héla.

    –Arnaud ! Avec des habitudes pareilles, c’est à se demander comment tu as réussi à rester aussi longtemps au service de la Montarie. Une véritable princesse.

    Les soldats torduriens qui s’entraînaient dans la cour avec le légionnaire déchu s’esclaffèrent. Les railleries acerbes de Justin étaient accompagnées de beuglements stupides anonymes. Il fallait toujours être du côté de Justin, sous peine de se faire moquer à son tour. Cette réflexion piquante, Arnaud l’admit, il la méritait.

    Passant outre l’invective, il dévala les marches de pierre usées, abîmées par le temps et recouvertes d’un tapis de mousse végétale clairsemée. Il gagna la cour, vaste place dont le sol de pierres encastrées se laissait infester par des pousses d’herbe et dont les murs étaient soutenus par des échafaudages. D’un côté, une rangée de poteaux d’entraînement, figurant la carrure d’un adversaire, était disposée de façon à laisser de l’espace à ceux qui s’exerçaient. Plus loin, une multitude de piliers à hauteur de cuisse, placés avec symétrie, permettaient aux soldats de la Légion de travailler leurs placements.

    Arnaud se planta devant le légionnaire goguenard. Il s’adressa à lui d’une voix forte pour que tout le monde l’entende.

    –Je me lève et pas la moindre présence du paladin ni du lieutenant. Le paladin est parti sans prévenir tous les sous-officiers, et voilà quatre heures que le lieutenant a disparu. Et toi, tu te pavanes devant tes moutons, insoucieux. Bordel ! Que se passe-t-il dans ce fort ?

    Les soldats se renfrognèrent. Justin était narquois ; Arnaud, belliqueux. Il fallait éviter de le contredire ou de s’interposer entre lui et sa proie.

    –Je n’en sais pas plus que toi, camarade.

    Justin avait le don de prononcer ce mot, pourtant amical, avec dédain. Arnaud dévisagea un par un les hommes présents dans la cour. Les quatre veilleurs de cette nuit dormaient. Quatre sentinelles étaient postées sur les murs de la forteresse en ce moment-même. Huit hommes restaient donc disponibles pour accompagner Arnaud. Ils devaient poursuivre le lieutenant afin de se renseigner sur ce qu’il envisageait d’entreprendre. Un mauvais pressentiment brouillait ses idées.

    –Martin, Patrick et Vivien avec moi. On va chercher le lieutenant. Justin, tu gardes le fort.

    –Quoi ? Tu te prends pour qui ? Je ne suivrai pas tes ordres sous prétexte que…

    Mais Arnaud ignora le refus du légionnaire et se détourna. D’un pas décidé, il se dirigea vers la porte sud de la forteresse. Il savait que Justin n’oserait pas lui désobéir. Au fond, le légionnaire espiègle craignait le bagarreur. Il jeta tout de même un regard par-dessus son épaule afin de vérifier que les trois nommés précédemment lui emboîtaient le pas. Affirmatif.

    Martin et Patrick étaient deux frères. Les Hautpente. Le premier astucieux et le second prompt à agir. Un duo antagoniste mais efficace. Imitant le choix de son lieutenant, Arnaud avait choisi Vivien, un tireur hors pair, comme dernier compagnon. Sa lourde et meurtrière arbalète pendait dans son dos. En réalité, Arnaud aurait apprécié être épaulé par Justin.

    Deux légionnaires combattant côte à côte pouvaient rivaliser avec un paladin. On enseignait aux servants de la Faucheuse, sobriquet attribué aux légionnaires, la maîtrise des bottes secrètes. Un art bien connu des escrimeurs. Cela consistait à entrer en contact, de façon immatérielle, avec la magie de lumière d’un confrère puis à les accommoder entre elles. Ensuite, de cet enchevêtrement éthéré découlait un renforcement mutuel. L’harmonisation de la magie de lumière en combat provoquait une libération. Spirituelle et physique. Arnaud n’avait pas utilisé ces bottes, du moins pas en véritable combat, depuis la dernière riposte contre les Kourhouks. Le manque de cette sensation le taraudait ; l’entraînement ne procurait pas la même jouissance.

    Arnaud se fit violence pour oublier la possibilité de faire demi-tour. Justin devait demeurer ici. Le fort devait être mené par un sous-officier, par un représentant des Trois-Capitales.

    –Vous avez tout ce qu’il vous faut ? demanda Arnaud. Vous êtes parés ?

    –Oui, chef ! répondirent d’une seule voix les trois hommes.

    De bons soldats.

    Toujours ce goût amer dans la bouche, ce mauvais pressentiment. Quelque chose ne tournait pas rond. Arnaud en était convaincu. Le paladin et le lieutenant n’auraient pas effectué une mission simultanément. Le sous-lieutenant allait se jeter dans la gueule du loup avec des hommes d’honneur. Il espérait ne pas les conduire devant la Faucheuse.

    ****

    Les arbustes bruissèrent au passage d’un corps. Camouflés dans la végétation clairsemée par un froid avant-coureur de l’hiver, Arnaud et les deux frères Hautpente patientaient, aux aguets. Le sous-lieutenant avait envoyé Vivien en éclaireur pour identifier le nombre de vigies kourhouks. Une troupe de quatre soldats se serait immédiatement fait repérer. En outre, Vivien avait dévoilé durant les mois précédents une certaine faculté à se fondre dans le décor. Un atout non négligeable pour un peloton militaire. Et Arnaud ne comptait pas le gaspiller.

    Les trois hommes se tinrent prêts à attaquer. Mais leurs muscles se décrispèrent lorsque le visage serein de Vivien jaillit d’entre les feuillages.

    –Aucune vigie, chuchota l’éclaireur.

    –Étonnant, commenta le sous-lieutenant, perplexe.

    Cependant, faire confiance à ses hommes faisait partie des qualités d’un bon meneur. Il leva la main et rabaissa ses doigts vers l’avant, signalant à ses hommes de progresser tout en maintenant le silence et la discrétion. Avec célérité et légèreté, ils s’élancèrent jusqu’au poste de surveillance des Kourhouks. Pas de mouvements à leur approche. Ce qui confirma les dires de Vivien puisque les adorateurs de la foudre possédaient le don de tout effectuer dans un bruit tonnant.

    Le quatuor continua jusqu’aux places habituelles des sentinelles. Entre les montagnes du sud, un chemin rocailleux parcourait le col. Les Kourhouks, après avoir été repoussés au-delà des frontières, avaient installé leurs postes de surveillance derrière les amas de roches les plus volumineux. Aujourd’hui, pas une once de vie n’animait le col. Même la faune semblait avoir déguerpi. Une ombre malsaine planait au-dessus du Vélian.

    L’intuition désagréable de s’enfoncer dans un guet-apens ralentit Arnaud. Comme des mains macabres émergeant des souterrains et s’agrippant avidement à ses chevilles.

    Arnaud s’aventura donc dans la voie ténue avec précaution, fixant les éventuels perchoirs les plus éminents. Aucun mouvement. Aucun bruit. Avait-on enseigné la furtivité aux Kourhouks ? Arnaud en doutait.

    Il tomba alors sur une étrange marque fuligineuse au sol. Comme le souvenir d’un incendie. Ou d’un éclair magique ? Non, même durant les combats de l’année précédente, Arnaud n’avait jamais vu de telles empreintes provoquées par la foudre des Kourhouks. Finalement, les appels de Martin lui firent réaliser qu’il avait pris du retard sur ses hommes. Il accéléra donc le pas afin de les rejoindre.

    –Venez voir, chef.

    Le sinistre spectacle auquel assista le sous-lieutenant en rattrapant les soldats lui écrasa la gorge. Il effectua machinalement un signe d’ascension, posant les doigts de sa main droite sur son cœur puis sur son front avant de la tendre vers le ciel. Enfin, il ôta son couvre-chef en signe de respect.

    Un respect adressé à la Faucheuse.

    Les cinq vigies se trouvaient là. Pâles comme la mort et vêtus de simples pagnes, les Kourhouks s’identifiaient aisément. Cependant, aujourd’hui, la teinte rouge dominait sur leur pâleur. Les adorateurs de la foudre avaient été abattus. Mais pas à la manière des soldats de l’Empire. Non. Un vrai bain de sang. Un massacre. Un charnier. Violent, sanguinaire, sauvage. Les corps portaient des marques de choc, de griffures et de morsures. Mais un animal ne pouvait être autant acharné. Des viscères et autres morceaux de chairs coulaient des cadavres béants, répandant une odeur nauséabonde, proche de celle d’un amas de matière fécale. Il était impossible de savoir à quel corps appartenaient les membres épars et déchiquetés. Le tout formait un agrégat de muscles et d’os ruisselant de sang.

    Des remontées acides, aux relents d’alcool bon marché, débordèrent au fond de la bouche d’Arnaud. Ses yeux, agressés par la puanteur palpable, s’humidifièrent comme pour se nettoyer de cette affreuse vision.

    –Par le Divin ! Qui a pu commettre cela ? articula Patrick derrière son avant-bras.

    –Pas un homme, en tout cas ! argua Martin.

    –Un monstre, indubitablement, enchérit Vivien.

    –Ne dites pas de conneries. Les conclusions hâtives et les fabulations sont inutiles. Il faut nous concentrer sur les faits. Et l’unique élément dont nous soyons sûrs, c’est que nos frères d’armes n’ont pas contribué à cette tuerie.

    Arnaud se devait de maintenir un flegme irréprochable et il ne fallait en aucun cas faire part de ses propres doutes. Sinon, il perdrait toute crédibilité envers ses subordonnés.

    –Oui, l’appuya Patrick. Et puis, il faut davantage que de simples animaux pour décimer un groupe de Kourhouks. Ces salopards sont sacrément tenaces.

    Martin ouvrit la bouche pour répliquer mais Arnaud le stoppa avant qu’un débat n’éclose. Il rappela avec fermeté l’objectif de leur escouade et ordonna aux soldats de se ressaisir. Si la troupe du lieutenant Hector avait été prise en chasse par la bête responsable de cette boucherie, elle aurait besoin du concours d’Arnaud et de ses hommes.

    Le sous-lieutenant remit son tricorne et prit les devants, la main prête à filer jusqu’au manche de son épée ; épée dont il avait finalement décidé de placer le fourreau dans son dos, privilégiant la mobilité aux coutumes.

    À l’affût, ils s’engouffrèrent plus profondément encore dans l’étroit passage du col. Jamais ils n’étaient allés aussi loin. À présent l’inconnu s’ouvrait à eux. Un inconnu dangereux, intriguant… mais irrésistible.

    ****

    Après une longue heure de marche dans la pénombre du Vélian, ils débouchèrent enfin sur un plateau. La pression qui pesait sur les épaules des quatre hommes s’allégea. Le paysage monotone parsemé de roches se transforma en une immensité verte mâtinée de teintes automnales. Au loin, s’étalaient des centaines d’arbres majestueux, tachetés d’ombre par les nuages comme le minois d’une rouquine. Le terrain ondulait au gré des désirs de la nature. Aucune cohérence. Aucune symétrie. Aucune trace de l’homme. Seulement des forêts à perte de vue. Un instant, Arnaud en oublia sa mission. Il omit que ce territoire appartenait à l’ennemi.

    Loin des Trois-Capitales et du colonel Dargatt. Pourquoi, après tant de déshonneur continuait-il à suivre les ordres de l’Empire ? Il déposa sa main sur le brassard gris clair qui ceignait sa manche. Pourquoi s’entêtait-il à vouloir rattraper ses fautes ? Il voulait que son roi lui pardonne et avoir une chance de se repentir. Mais le pouvait-il réellement ? Ne pouvait-il pas tout simplement abandonner ? Admettre son impuissance, sa bassesse ? Fuir. Et tout reconstruire. Ailleurs. Ici ? Hors des frontières impériales. Peut-être trouverait-il un peuple accueillant. Des hommes prêts à ouvrir leurs bras à un déserteur de l’Empire. Il ne pouvait y avoir que des adorateurs de la foudre sur ces terres. Avec de la chance, il rencontrerait une femme. Une femme... Oh oui ! Cela faisait plus d’un an qu’il n’avait pas goûté au plaisir de la chair. Cette idée le fit frissonner et il sentit l’électricité descendre jusque dans son entre-jambe.

    Comment ? Il abandonnerait tout pour une paire de seins ? Pas question. La vie de cinq soldats, cinq hommes, dépendait de ses actions futures. En outre, sa fidélité envers son royaume, la Montarie, devait rester immaculée. Il sortit de sa torpeur aussi rapidement qu’il s’y était immergé et, devant le Divin, il jura de leur porter secours.

    Dans la terre rendue boueuse par la rosée matinale, Arnaud repéra les traces de pas de ses compagnons. De lourdes empreintes de bottes regroupées. Au vu de l’espacement des marques, la troupe s’était élancée à vive allure vers le nord-est. En étudiant attentivement cette direction à l’horizon, il découvrit un hameau entre les arbres. Une colonne de fumée émanait du village. Pour le rejoindre, cela nécessiterait une heure de course soutenue.

    Ses hommes s’étaient placés à ses côtés. Ils avaient abouti à la même conclusion. Pendant leur traversée du col, la brise fraîche avait cédé sa place à de féroces bourrasques. Stimulé par les évènements, Arnaud ne l’avait pas ressenti immédiatement. Mais à présent, il ne pouvait l’ignorer. Le vent fouettait son manteau, balayait ses cheveux déjà décoiffés et s’insinuait dans les pores de sa peau, le glaçant jusqu’à la moelle.

    Comment, une seconde plus tôt, avait-il pu espérer un avenir plus radieux en ce lieu ? Lui qui, présentement, lui offrait un accueil des plus glaciaux. Ce pressentiment occulte qui l’avait agité avant son départ se renforça. Comme si la Faucheuse en personne le conviait.

    Devait-il envoyer l’un de ses hommes prévenir Garde-Brèche ? Réclamer la présence de Justin à ses côtés pour fouler le territoire ennemi ? Non, ils n’avaient pas de temps à gaspiller. Des vies étaient en jeu.

    – Allons-y, soldats. Le lieutenant nous attend.

    Adoptant un rythme rapide, il reprit sa course, escorté par ses trois hommes.

    ****

    Les portes du village étaient visibles. Pas tout à fait closes, elles laissaient entrevoir une agitation humaine. Des Kourhouks. Une palissade emmuraillait le hameau mais aucune vigie ne surmontait la barrière. La colonne de fumée n’avait cessé de s’élever dans les airs. Alors qu’il s’apprêtait à ordonner à sa troupe de stopper l’avancée pour préparer un plan d’attaque, Arnaud distingua un objet luisant dans un arbuste. Il s’approcha avec précaution, se faufilant dans les végétations clairsemées afin d’éviter d’attirer l’attention des Kourhouks. La furtivité était de mise, il se trouvait à moins d’une cinquantaine de mètres du village et, même si aucune sentinelle ne montrait son visage, le moindre mouvement suspect perçu à travers l’entre-ouverture des portes principales aurait tôt fait d’ameuter ces adorateurs de la foudre.

    Quand il fut assez proche, Arnaud remercia le Divin pour le rayon de soleil qui avait réfléchi sur l’objet métallique. Oui ! Une véritable intervention divine. Le rai de lumière avait rebondi sur l’insigne des légionnaires, les deux faux entrecroisées. Insigne qui était soudé sur la crosse d’un fusil Tempête. Une arme longue portée réservée aux manieurs de magie. Les Tempêtes étaient fournis dans l’équipement des paladins. Mais cela ne se révélait pas aussi simple pour la Légion Ethérée. Seuls les légionnaires récompensés pour fait d’armes gagnaient le droit de disposer d’un tel arsenal. Et le lieutenant Hector faisait partie de ceux-là. Pourtant, il ne s’était jamais vanté de cette prouesse militaire devant ses hommes. Le sous-lieutenant aurait pourtant aimé écouter les histoires guerrières de son supérieur. Un légionnaire honoré, aux antipodes de ce qu’était Arnaud.

    Mais là n’était pas la question. La présence du fusil confirmait le passage de son lieutenant. En revanche, pourquoi avait-il abandonné son arme ? L’avait-il fait consciemment ? Contre son gré ? Vraisemblablement. Un Tempête était redoutable dans n’importe quelle situation de combat, malgré son éclat sonore qui se joignait au tir. Peut-être avait-il été surpris ?

    En tout cas, Arnaud n’allait pas laisser le fusil ici. Son mécanisme était conçu pour absorber la magie de l’utilisateur et la recracher avec une vélocité effroyable. Un concept né chez les Ingénieurs de l’Empire. L’élite des adulateurs du progrès. Arnaud n’avait jamais eu de Tempête entre les mains. Parviendrait-il à le faire fonctionner ? Peu importait. Le temps des réflexions était épuisé.

    –Est-ce l’arme du lieutenant ? demanda Patrick.

    La voix du soldat le surprit. Il n’avait pas entendu ses hommes approcher.

    –Oui, confirma-t-il sobrement.

    –Ils ont été attaqués ? se renseigna Martin.

    –Il y a des traces de lutte. Et des taches de sang, examina Vivien. Devons-nous obligatoirement pénétrer dans ce village kourhouk ?

    Arnaud dévisagea Vivien. Un bon éclaireur mais un combattant couard.

    –La vie de nos frères d’armes en dépend peut-être. Mais il faudrait tout de même s’assurer qu’ils sont à l’intérieur du village. Vivien, grimpe en haut de cet arbre et confirme-le-nous.

    L’éclaireur disparut dans les frondaisons après un mouvement succinct de menton. Il reparut presque la seconde suivante : les cinq soldats se trouvaient dans le village. Certains mal-en-point, en mauvaise posture, mais tous bien vivants. Tous les Kourhouks s’étaient amassés autour d’un bûcher. Une silhouette humanoïde s’y consumait. La source de la fumée. À l’écart, avaient été réunis en monticule des cadavres kourhouks. En outre, une dizaine de manieurs de foudre, distinguables par leurs bijoux et leur tenue ostentatoire composée de fantaisies, se dressaient à côté du gourou kourhouk. L’un d’eux maintenait cinq cordes, elles-mêmes enroulées autour du cou de chaque soldat de la garnison.

    Arnaud félicita l’efficacité de l’observation de son subordonné puis expliqua la marche à suivre. Ils escaladeraient les palissades au niveau de la partie la plus éloignée du centre du village. Loin des regards. Couverts par les crépitements du feu et le brouhaha ambiant. Juchés et armés du fusil Tempête ainsi que de l’arbalète, Arnaud et Vivien abattraient le meneur kourhouk puis les manieurs de magie. Cela mettrait en déroute la plupart des adorateurs de la foudre. Martin et Patrick les couvriraient.

    Tous acquiescèrent mais Martin, le plus astucieux des deux frères Hautpente, émit une suggestion. Leur troupe pouvait se diviser en deux. Se scinder permettrait d’attaquer sur deux fronts et de désorienter les adversaires. Créer l’illusion d’une myriade d’assaillants.

    Arnaud aurait voulu lui cracher au visage que le chef, c’était lui. Et non un vulgaire soldat de Tordure. Néanmoins, il se contrôla. Il fallait avoir confiance en ses hommes. Martin connaissait la guerre. Et sa recommandation n’était pas si mauvaise.

    –On fait comme ça, agréa le sous-lieutenant. Vivien et Martin, vous attaquez depuis la porte. Patrick, tu m’accompagnes sur la muraille.

    Nouveaux hochements de tête. Avant de fractionner le quatuor, Arnaud ajouta une dernière instruction :

    –Attends mon signal. On tire simultanément. Crible ce fumier de Kourhouk qui garde enchaînés nos frères d’armes. Je m’occupe du gourou.

    ****

    Le vent hululait au travers des feuillages. Le froid transperçait Arnaud. Pourtant, il résistait aux frissonnements. Les deux pointes métalliques de la mire encadraient l’arrière du crâne du gourou. Il se différenciait aisément, de par sa taille – un colosse – mais également à travers l’aura qui se dégageait de tout son être : auguste et mystérieux. Habillé non pas d’un simple pagne à l’instar des autres Kourhouks mais d’une robe ample et colorée, il se distinguait en outre par les innombrables colliers, bagues et autres ornements qui le couvraient. Toutefois, impossible de connaître leur matériau. D’autres Kourhouks, moins décorés mais tout aussi occultes, l’entouraient : les manieurs de foudre. Arnaud les avait déjà affrontés lors des premières contre-offensives. Redoutables.

    Il se demandait si les manieurs de foudre de l’Empire étaient aussi puissants. Arnaud craignait qu’ils le soient encore davantage. Si des manieurs à la magie aussi terrible décidaient de s’en prendre à la population, rien ne les stopperait. Heureusement que les prêtres, dont ils faisaient partie, obéissaient tous à l’Église.

    Le village était organisé en spirale autour de la place centrale, sur laquelle brûlait un grand feu. Vu de haut, on aurait pu croire à l’épicentre d’une tornade. Les huttes, dont les fondations présentaient leurs pierres hors du sol, étaient érigées en tronçons de bois et se couvraient sous un casque de paille. La voîte qui auréolait l’entrée obstruée par des draps bigarrés laissait pendre des chaînettes, des médaillons et autres bijoux enfilés les après les autres. La plupart de ces ornements imitaient la foudre. Contrairement à la représentation des éclairs que l’on se faisait dans l’Empire — un enfant aurait dessiné une ligne zigzagante — les Kourhouks les imaginaient comme étant une main avec d’innombrables doigts destructeurs. C’étaient donc des mains pittoresques en bois ou en os qui étaient suspendues çà et là, tels d’immondes trophées de guerre hameçonnés.

    Le sous-lieutenant revint à la réalité et se concentra sur son arme à feu. Il ne s’était jamais exercé à l’art des fusils, mais il avait déjà observé des paladins à l’action, lorsqu’il portait encore le titre de garde royal. Ce qui lui sembla extrait d’une autre époque, d’une autre vie. Lointaine et nébuleuse.

    À chacune de ses expirations, une vapeur blanchâtre se formait devant sa bouche. La clé d’un bon tir était le contrôle. Celui du corps mais également celui de l’esprit. Les maîtres paladins le répétaient assez souvent aux apprentis qui s’entraînaient dans les arènes jouxtant celles de la Légion Ethérée pour qu’Arnaud s’en souvienne. L’anxiété lui paralysait les muscles. Il devait se décontracter. Il s’agenouilla afin de se stabiliser.

    À ses côtés, Patrick l’imita. Il semblait serein, confiant, assuré des capacités de son chef. Oui ! Arnaud se devait d’être un exemple pour ses hommes. S’il faiblissait ou échouait, ses subordonnés tomberaient avec lui. Avoir confiance en ses hommes. Être leur meneur, leur guide. Ils assailliraient d’ici peu un village d’une cinquantaine de fanatiques.

    À quatre. Le sang-froid était leur meilleur atout.

    Reproduisant depuis ses souvenirs les gestes des fusiliers de l’Ordre, il tira la petite poignée sur le côté de l’arme. À l’intérieur, un cliquetis annonça que sa magie avait été drainée. Arnaud n’avait rien ressenti. Néanmoins, l’impulsion magique se tenait prête dans la réserve du fusil.

    S’il parvenait à libérer les prisonniers, il pourrait mêler sa magie à celle du lieutenant ou celle du légionnaire déchu qui épaulait ce dernier. Malheureusement, l’harmonisation de trois magies était impossible. Cela détériorait le corps des utilisateurs et était, par conséquent, prohibé par l’Empire. Arnaud espérait donc que Vivien ne rate pas son tir. Le carreau libérateur.

    Lorsque la gâchette s’affaisserait sous le poids du doigt, le fusil vociférerait et mettrait d’abord un terme puis embraserait de plus belle le tumulte des Kourhouks. Arnaud prit une ultime inspiration. Oubliant le monde physique qui l’entourait, les bruits déstabilisants, les sensations nuisibles. Une cible. Une proie. Le sous-lieutenant appuya. Une explosion aigue s’ensuivit et l’air fut déchiré par un souffle rauque. Un son jouissif. Malgré cette exaltation, le tir n’atteignit pas sa cible. La charge magique heurta l’épaule du manieur de foudre qui maintenait les cordes et la lui arracha. Merde ! Arnaud avait échoué au moment crucial.

    Ebahis, les Kourhouks ne réagirent pas. Ce qui causa encore quelques pertes chez eux. Après un roulement mécanique, l’air siffla une seconde fois. Le carreau de Vivien se logea dans la tempe du Kourhouk estropié. Se braquant vers l’origine du tir, les Kourhouks ne réalisèrent pas qu’ils tournaient le dos à une seconde arme frénétique. Le cliquetis s’actionna.

    Détonation stridente, guttural soufflement. Des morceaux de crânes s’éparpillèrent alentour. Changement de direction des regards.

    Le relai meurtrier ne dura pas. Le gourou éleva la voix afin de galvaniser ses confrères. Même sans connaître le moindre mot du langage kourhouk, Arnaud en saisit le sens. On ordonnait de le mettre à bas. Il tira derechef, bien déterminé à ne pas se faire prendre aisément. Le tir frôla le visage du gourou, lui découpant une partie de son oreille, et percuta ensuite le poignet d’un manieur de foudre, derrière. Le Kourhouk beugla comme un taureau mais son membre resta, malgré le saignement abondant, relié à son bras.

    La puissance du Tempête se réduisait à vue d’œil. Outre ce fait, le sous-lieutenant sentait la fatigue l’assaillir. Ses muscles s’engourdissaient. Le revers d’une telle force d’anéantissement se profilait.

    Un troupeau d’hommes pâles comme des os se ruait sur Arnaud et son compagnon. Patrick se planta en haut des escaliers menant à la plateforme où s’était installé son sous-lieutenant. Prêt à recevoir l’assaut. D’un ample mouvement de sa double hache, il affola les hommes d’albâtre. Les premiers stoppèrent instantanément leur montée pour esquiver le coup mais, bousculés vers l’avant par le troupeau désorganisé, ils furent tout de même fauchés par les lames de Patrick. Des têtes et morceaux de figure voltigèrent et les corps, sans âme, s’effondrèrent sur les Kourhouks suivants. Certains glissèrent et dévalèrent les escaliers, se fracassant sur chaque marche.

    Le gourou, enragé par l’efficacité du soldat ou par l’incompétence de ses fidèles, invoqua la foudre. Des filaments électriques se mirent à serpenter entre ses doigts et, soudainement, il projeta cette magie élémentaire sur Patrick. Le soldat fut propulsé contre la barricade, qui céda face à la vigueur de l’attaque. Patrick disparut, hors du village.

    Arnaud se trouvait à présent seul face à l’armée de Kourhouks qui le chargeait. Équipés essentiellement d’armes rudimentaires comme des lances ou des hachettes, ils illustraient à la perfection la notion de barbare. Le sous-lieutenant braqua son arme dans leur direction, sans cible particulière. Le tir éclata le crâne d’un Kourhouk, tel un marteau de forgeron s’abattant sur un coquillage. Le sang éclaboussa ses compères et en désorienta certains.

    Le Tempête avait récupéré en puissance. Plus l’intervalle entre chaque tir s’étendait et plus la puissance s’accroissait. Cependant, le voile de torpeur devant les yeux du sous-lieutenant s’épaississait davantage à chaque cliquetis.

    Ignorant les avertissements de son corps, Arnaud pressa la détente une seconde fois, tout en pointant les jambes des adorateurs de la foudre. L’un d’eux s’aplatit au sol et les autres s’entravèrent les pieds dedans, engendrant un joyeux désordre. Néanmoins, certains bondirent pour l’éviter. Arnaud reçut le premier avec la crosse de son fusil. Les os de la mâchoire craquèrent et du mucus mêlé à du cartilage surgit de l’amas sanglant qui lui faisait auparavant office de nez. Malgré ce réflexe salvateur, Arnaud fut rapidement assailli par le reste des Kourhouks.

    Une matraque osseuse lui percuta la tempe et fit voler son tricorne. Arnaud s’effondra sur le dos et son oreille fut rapidement emplie d’un liquide chaud. Il lança un dernier regard vers le centre du village avant d’être étouffé par une horde de bras blanchâtres et d’armes rudimentaires. Il mourrait. Mais au moins, les autres s’en sortiraient. Le groupe du lieutenant Hector s’était libéré, grâce aux tirs d’Arnaud et de Vivien, et causait des dégâts considérables dans les rangs ennemis. Sûrement grâce au duo de légionnaires et à leur harmonisation de magie. Mais savaient-ils encore manier les bottes efficacement, après tout ce temps sans véritable combat ?

    Quoi qu’il en soit, même les manieurs de foudre semblaient dépassés. Des éclairs bleuâtres jaillissaient de toute part sans but concret, blessant de façon involontaire des Kourhouks.

    Alors qu’Arnaud allait abandonner, détendre le bras avec lequel il se couvrait le visage et laisser les adorateurs de la foudre le renvoyer dans l’Éther, une pointe métallique surgit du front du Kourhouk le plus proche, comme la corne de ces chevaux mythiques.

    Le carreau désignait Arnaud lui-même. Sous-lieutenant en charge de plusieurs vies humaines, prêt à renoncer à la sienne. Tel un lâche, pire un traître. De sa pointe, le carreau le dénonçait et condamnait son abdication. Son cauchemar de la nuit lui revint. Non ! C’en était trop. Plus jamais il ne serait condamné pour ne pas avoir agi comme un vrai soldat. Comme une véritable arme de guerre. Il avait un maître à servir, il ne périrait pas ici.

    Il réalisa que son index était toujours logé dans le pontet du fusil. Avait-il relevé la poignée avant de chuter ? Il tenta le coup. La détonation sonna mais fut amoindrie par l’amas de Kourhouks. En revanche, un cri de douleur résonna dans tout le village. Le poids qui écrasait Arnaud s’atténua. Il s’était délesté d’un adversaire. Il lâcha son arme et empoigna le bout du carreau qui s’hérissait devant lui. Il brisa le pic et l’enfonça, dans un élan de véhémence, dans l’œil du Kourhouk voisin.

    De l’autre côté, l’extrême plaisir qui se lisait sur le visage du Kourhouk en train de le tabasser avec un marteau insignifiant s’éclipsa. La seconde d’après, le Kourhouk lui-même s’évanouit, happé par des mains libératrices. Une épée de soldat tordurien fissura la face d’un autre Kourhouk, trop occupé à s’acharner sur Arnaud pour comprendre qu’on les décimait par-derrière. Une expression d’hébétement se grava sur ses traits. Surpris par la mort. Imprévisible et inflexible.

    Enfin ! Ses hommes étaient venus. Arnaud rassembla ses forces et repoussa les Kourhouks restants. Cependant, sa magie lui faisait défaut. Le Tempête l’avait épuisé.

    –Ça va, chef ? s’enquit Vivien, tout en exécutant un Kourhouk au loin, à l’aide de son arbalète.

    –Oui. Merci de votre aide. J’ai cru que le moment de rendre l’âme était venu.

    Derrière, Martin jouait de sa hachette et de son coutelas aiguisé pour faucher ses assaillants. Un lion enragé face à des mouches gênantes. Arnaud se félicita de l’avoir choisi comme compagnon pour cette mission. Vivien profita de l’efficacité meurtrière de son frère d’armes pour assister son chef. Il tendit une main bienveillante vers Arnaud, qui l’attrapa sans hésiter. Une fois debout, le sous-lieutenant ne desserra pas ses doigts et contraignit Vivien à le regarder. Il se força à adopter un ton solennel, affecté.

    –Le frère de Martin, il a été touché par l’éclair du gourou.

    Du menton, il indiqua les piliers rompus de la barricade. L’arbalétrier se dirigea vers la zone d’impact, inquiet. Quant à Arnaud, le temps lui manquait. C’était aux côtés de son lieutenant qu’il devait affronter les ennemis. Au cœur de la bataille.

    –Vivien, l’interpella-t-il. Couvre Martin. Je vais soutenir Hector.

    Le soldat hocha la tête. Arnaud l’observa un bref instant. Ce soldat tordurien qui s’était fait remarquer pour sa furtivité. Ce soldat tordurien qui s’était montré moins doué dans l’art du combat que ses frères d’armes. Ce soldat tordurien, aujourd’hui, massacrait les Kourhouks sans une once de doute. Même un piètre combattant impérial pouvait s’avérer redoutable face à des populations étrangères. Oui. Les impériaux étaient nés pour le combat. Les légionnaires éthérés, eux, étaient nés pour tuer.

    Après s’être emparé du fusil, Arnaud s’élança vers le rebord de la plateforme et sauta dans la mêlée, plus bas, ne prenant pas la peine de descendre les marches. Il atterrit dans le dos de plusieurs Kourhouks. De l’intérieur de son manteau, il sortit un couteau affilé et l’enfonça dans une nuque à proximité.

    Dans son empressement, Arnaud accompagna le Kourhouk au sol. Il se releva promptement, vexé par sa maladresse. Sur sa route, Il repéra ensuite un manieur de foudre qui emmagasinait de la magie dans ses paumes. En deux enjambées, Arnaud le rejoignit. Il plongea son pied dans l’arrière du genou du manieur de foudre, l’obligeant à s’affaisser et lui releva le menton afin de lui lacérer la gorge de son couteau.

    Un Kourhouk remarqua sa trouée et se mit en tête de combattre le légionnaire déchu. Erreur fatale : lorsque l’alcool contrôlait le sous-lieutenant, le lancer de couteau devenait une distraction indispensable. Ce vice avait fait de lui un lanceur de couteau hors pair. Ne laissant pas le temps au Kourhouk d’approcher, il lança sa lame qui se fixa entre les yeux de cet être insensé.

    Le sous-lieutenant dégaina ensuite l’épée qui barrait son dos et poursuivit son avancée ensanglantée, abandonnant dans son sillage des cadavres tailladés, jusqu’à atteindre le lieutenant.

    Le Kourhouk qui luttait contre Hector leva sa hache pour contrer un coup venant du haut mais, employant une feinte et animé par une vitesse surhumaine due à l’harmonisation de magie, le lieutenant le frappa par le bas. La lame cisailla l’entre-jambe et pénétra l’abdomen de l’adorateur blanchâtre, lui ôtant la vie à la vitesse à laquelle les abats vidaient son corps.

    Arnaud se chargea de se débarrasser des importuns présentant un danger imminent et retourna ensuite auprès de son chef.

    –Arnaud ! s’exclama le lieutenant, le visage badigeonné de sang. Je n’ai jamais autant apprécié de voir la trogne d’un de mes gars !

    –À votre service, mon lieutenant, déclara Arnaud tout en tendant le fusil à son propriétaire.

    –Ah ! Mon ami. Te voilà de retour. Merde ! Regardez ça ! Ce fumier de gourou prépare quelque chose.

    En effet, le colossal Kourhouk semblait implorer le ciel. Le regard tourné vers l’étendue d’azur, il se mit à scander des mots gutturaux. Malheureusement, l’inattention d’Arnaud sur le combat lui coûta cher. Une force herculéenne l’expulsa au loin. Il percuta les murs du hameau et tomba, le visage dans la terre. Une douleur insoutenable lui parcourut l’épaule. On aurait dit que des aiguilles se glissaient avidement dans les pores de sa peau et rampaient dans ses veines et ses artères tout en lui zébrant les canaux sanguins d’horribles griffures.

    Arnaud aurait voulu s’amputer le bras plutôt que de subir cette torture plus longtemps. Mais il était paralysé. « Merde », réussit-il à cracher. De la bave désagréable suinta jusque sur sa joue. Plus aucun de ses muscles ne répondait. Se faisant violence, il parvint tout de même à décaler sa tête pour observer la suite de la bataille. Les Kourhouks avaient repris le dessus. Peut-être les incantations de leur gourou les galvanisaient-ils ?

    L’archer épaulant le lieutenant reçut le tranchant d’une hache dans le trapèze. Virevoltant, il tenta de se défaire de l’assaillant. En vain. Le Kourhouk esquiva avec aisance et enfonça son arme dans le thorax du soldat impérial. Celui-ci tomba à genoux, sans quitter du regard son adversaire. Fier jusque devant la Faucheuse.

    « Merde ! » Pourquoi est-ce que le corps d’Arnaud refusait de lui obéir ? Il ne pouvait que regarder son frère d’armes se faire saigner comme un animal. Les autres hommes du lieutenant essayaient tant bien que mal de gérer les combats de leur côté. Aucun n’avait remarqué que leur confrère mourait. Le Kourhouk le termina en lui ouvrant le front à coups de hache.

    Privé de la plupart de ses fonctions corporelles, Arnaud ressentit une vague presque imperceptible de magie. Une magie de lumière. Celle des deux légionnaires. Elle était chaleureuse, immaculée, attirante. Peut-être pourrait-elle l’aider à se relever ? À lutter contre l’effet de paralysie ? Et il pourrait à ce moment-là venir à son tour en aide à ses frères d’armes. L’Empire le prohibait, le punissait. Mais quel risque encourait-il, s’il ne le faisait qu’une fraction de seconde ? Juste pour s’en sortir.

    Mêler sa magie à celle de deux légionnaires.

    De toute façon, le fusil Tempête l’avait vidé de l’entièreté de sa magie. Les effets néfastes dépeints par l’Empire seraient amoindris. Voire inoffensifs. Néanmoins, le doute subsistait.

    Interdiction formelle. Les yeux de Dargatt se manifestèrent dans son crâne.

    Ceux qui avaient établi cette loi devaient déjà avoir contemplé les désastres provoqués par l’harmonisation de trois magies. Et ils l’avaient jugée trop dangereuse.

    Pouvait-il se le permettre ?

    Vivien s’écrasa mollement juste devant lui. Inerte. Tel un rebut jeté aux ordures. Sur la plateforme au-dessus, les Kourhouks jubilaient. Les yeux vitreux de l’arbalétrier le dévisageaient. Ils semblaient déclarer : « Pourquoi nous avoir laissés tomber ? Pourquoi te terrer dans tes faux-fuyants ? Tu es faible. » Non ! Arnaud ne l’était pas !

    « À quoi bon posséder un grand pouvoir si on ne peut s’en servir. Et j’emmerde les responsabilités que cela implique ! Aussi grandes soient-elles. »

    Ayant achevé son rituel, le gourou stoppa ses incantations. Une fine bruine avait débuté et paraissait précéder une pluie diluvienne, des nuages d’un gris menaçant s’amoncelaient avec une vitesse vertigineuse. Ainsi, la magie elle-même pouvait déstabiliser la nature.

    Alors Arnaud comprit. Il comprit les raisons de l’Empire. Le contrôle de la magie. Sa limitation. L’inhibition de son utilisation à outrance. Et il l’accepta.

    Le corps du gourou n’avait plus rien de semblable avec celui d’un être vivant. Son apparence rivalisait avec celle d’une incarnation divine. Une forme éthérée. L’avatar de la foudre. Des filaments lumineux ondoyaient le long de ses membres et matérialisaient une aura majestueuse autour de sa silhouette. Ses yeux avaient perdu toute trace de conscience. Seule une lueur argentée les animait. Pas une once d’agressivité. Seulement de la suprématie.

    Si un tel être pouvait contenir autant de magie en lui, pourquoi Arnaud ne réussirait-il pas à contrôler un court instant la magie limitée de trois légionnaires ? Ils finiraient tous foudroyés si personne n’agissait contre ce monstre. Cette chose ne pouvait pas vivre plus longtemps.

    Une fois encore, Arnaud huma les effluves magiques qui flottaient jusqu’à lui. Une fois encore, la magie se révéla alléchante. Alors que le colosse quasi-divin s’orientait vers le groupe affaibli du lieutenant, Arnaud se résolut à agir. Quitte à y passer, autant le faire de son plein gré. Arnaud inhala les volutes invisibles de magie. Il les laissa le pénétrer, le parcourir, le contrôler. Instantanément, ses muscles se libérèrent de leurs entraves dolentes. Il se releva, satisfait. Et excité.

    Oh oui ! Il ressentait le pouvoir. La véritable magie de lumière se dévoilait enfin à lui. En lui. Brûlante, brutale, impérieuse. La puissance à son paroxysme.

    Arnaud baissa les yeux sur son corps. Pour confirmer, ou infirmer, la mise en garde de l’Empire. Des veinules argentées striaient ses membres. Mais il ne souffrait pas. Pas le moins du monde. Au contraire, il se sentait léger et implacable. En supériorité face à ses hardes de barbares. Un plaisir coupable se concrétisa sur ses lèvres.

    Les deux légionnaires ne semblaient néanmoins pas affectés par l’arrivée de sa magie dans leur harmonisation. « Ne vous inquiétiez plus. J’arrive. » Arnaud s’élança en direction du gourou, alors que celui-ci préparait une charge de foudre entre ses paumes.

    Elle pulvériserait les soldats impériaux. On pouvait le prédire sans risque. À une vitesse fulgurante, le sous-lieutenant atteignit sa cible.

    Il se planta devant le Kourhouk, leva une main possédée par l’énergie de lumière et se prépara à intercepter l’amas de magie de foudre. Celle-ci entra finalement en contact avec la sienne. Et ce fut à ce moment qu’Arnaud réalisa son erreur.

    Les magies en collision se repoussèrent mutuellement et Arnaud fut écarté avec violence du point d’impact. Il y eut une intense lumière blanche. Un éclat aveuglant et ravageur. Le vacarme produit par le choc provenait d’un autre monde. Un monde caverneux, sous-terrain… Non plus profond : un monde infernal.

    L’explosion cloua le sous-lieutenant au sol et il sombra dans un état de semi-conscience. De semi-souffrance. De semi-exaltation. Il se sentait faible. Mais invincible. Plus rien ne le préoccupait. Il se focalisait sur l’écoulement de la magie dans ses veines. À chaque passage, elle soulageait la douleur qui vibrait dans son corps.

    L’orage éclata. Les éclairs zébrèrent le firmament brumeux. Comme pour répondre à l’explosion produite par le choc des magies, le tonnerre grondait. De pauvres humains avaient engendré, par leurs actes, la colère de la nature. Ou celle du Divin ? De lourdes gouttes rafraîchissaient ses

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