Libre: Roman
Par Julie Altinoglu
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À propos de ce livre électronique
Un événement tragique arrivé quelques années plus tôt divise aujourd’hui la famille et crée de nombreuses tensions. Rose, vivant de plus en plus mal cette situation, décide alors de réunir ses six petits-enfants pour les réconcilier. À la veille du déjeuner qu’elle organise chez elle et dans lequel elle met beaucoup d’enjeux, Rose récapitule inlassablement tous les sujets qu’elle souhaite aborder : résoudre le conflit entre Alex et Joseph, proposer à Anouche de reprendre le flambeau de son entreprise, apprendre à Emma la cuisine arménienne, transmettre sa culture arménienne et son regard sur la vie et surtout, leur apprendre à être libre.
Elle a ainsi une idée bien précise en tête pour chacun de ses petits-enfants. Mais les choses ne se passent pas du tout comme prévu…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Julie Altinoglu naît en 1977 en région parisienne de parents d’origine arménienne. Son père, professeur de mathématiques et sa mère, professeur de piano, lui ouvrent la porte de deux univers très différents. À 10 ans, elle vit un drame qui bouleverse sa vie et cherche alors refuge dans la lecture et l’écriture. Après une carrière dans le marketing et la communication, elle écrit son premier roman à la naissance de sa première fille.
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Aperçu du livre
Libre - Julie Altinoglu
Julie Altinoglu
LIBRE
Roman
Remerciements
Merci à ma famille, véritable source d’inspiration pour ce roman, en particulier ma grand-mère. Merci à mon père pour ses encouragements et pour m’avoir transmis le sens de la famille et le goût de mes origines. Merci à mon frère, à ma belle-sœur et à mes amis qui ont pris le temps de lire mon manuscrit avec attention. Merci à Julien de m’avoir soutenue et encouragée à publier ce roman. Merci à Vincent et Simone d’incarner à mes yeux un modèle de famille aimante et unie. Merci à tous ceux qui ont permis à ce projet de voir le jour. Et une dernière pensée pour ma mère qui me regarde de là-haut…
À mes filles, Tina et Clara
À ma grand-mère Angèle
1
Ce matin-là, elle s’était réveillée toute guillerette. Elle n’arrivait pas à trouver le sommeil, pensant sans cesse à la table qu’elle allait dresser et au repas qu’elle allait préparer pour ses six petits-enfants. Aujourd’hui était un grand jour pour elle. Elle allait tous les recevoir : Anouche, Emma et Laura d’un côté, Raphaël, Alex et Joseph de l’autre. Elle avait un fils qui lui avait donné trois petites-filles et une fille qui lui avait donné trois petits-fils. Tout semblait parfaitement équilibré dans sa vie. Tout semblait parfait. Comme la tenue qu’elle portait aujourd’hui. Rose s’était levée à l’aube. Elle s’était apprêtée comme pour un premier rendez-vous. Elle portait un chemisier en soie de couleur crème avec de petits boutons nacrés entourés de dorure. Bien sûr, c’est elle qui avait conçu et réalisé ce chemisier. Car Rose, comme toutes les grands-mères arméniennes, était douée de ses mains. Elle cousait et cuisinait à merveille. Elle portait également une jupe bleu marine lui arrivant aux genoux, des genoux qui la faisaient souffrir depuis de nombreuses années. Mis à part ce petit handicap qui la contraignait à marcher avec une canne, Rose était en pleine forme. Et ses petits-enfants cherchaient souvent sa compagnie. Elle leur donnait des conseils, leur faisait partager ses expériences de la vie. Une vie bien remplie et trépidante qui contrastait totalement avec la femme « bien sous tous rapports » qu’elle laissait paraître. Son visage sentait bon la poudre et le fard à joues. Elle s’était parfumée à l’eau de Cologne et ses cheveux d’un blanc immaculé étaient soigneusement coiffés et laqués. Elle allait régulièrement chez le coiffeur pour les entretenir et raviver sa couleur naturelle. Ses ongles étaient soignés, avec une touche de vernis transparent. Ses yeux, d’un bleu perçant, dégageaient une douceur indescriptible. Son regard était libéré de tout ego, car Rose n’avait plus rien à prouver, ni à elle-même ni aux autres. Elle n’aspirait plus qu’à offrir du bonheur et à s’éteindre en douceur le moment venu.
Aujourd’hui était donc un grand jour. Elle s’apprêtait à recevoir ses six petits-enfants, éparpillés aux quatre coins de la France. Ils étaient rarement tous réunis. Anouche, vingt-trois ans, la fille de son fils Jean, vivait à Bordeaux pour ses études d’architecture. Elle fréquentait depuis peu un jeune homme qui partageait sa chambre d’étudiante, ce qui ne plaisait guère à son père. Mais Rose savait toujours rassurer son fils. « Fais-lui confiance » lui répétait-elle sans cesse. Car à quatre-vingt-dix ans, Rose était la voix de la raison. Emma et Laura, les jumelles de vingt ans, étaient quant à elles très différentes. Emma était aussi expansive que Laura était posée. Quand l’une disait noir, l’autre disait blanc. Pourtant, elles s’entendaient à merveille, à la grande joie de leurs parents. Elles se complétaient. Emma suivait des études artistiques. Elle avait commencé très tôt à fréquenter l’école des spectacles à Paris où elle apprenait en particulier le piano, la danse et l’acrobatie mais touchait également à d’autres disciplines. Sa plus grande difficulté était de se centrer sur une seule activité. Emma n’aimait pas choisir. Elle disait souvent : « Je sais tout faire. Je verrai bien le moment venu… »
Laura, quant à elle, était plutôt scientifique et très brillante. À vingt ans, elle était déjà en troisième année de médecine et voulait être gynécologue obstétricienne. Ce sont notamment les récits de sa naissance qui lui avaient donné envie d’exercer ce métier. Elle demandait souvent à sa mère : « Raconte-moi ton accouchement, raconte-moi ma naissance, je veux tout savoir. »
Malgré son apparence calme et posée, elle bouillonnait de l’intérieur. Elle avait des idées plutôt féministes et voulait comme sa grand-mère et ses sœurs, être une femme libre. Finalement, Anouche, Emma et Laura avaient hérité de la liberté d’esprit de Rose.
Raphaël et Alex partageaient également le même état d’esprit qu’elles. Pourtant, leur mère était plutôt à cheval sur les conventions. Joseph, l’aîné de trente-deux ans, était un jeune homme à part. Il ne partageait pas la vision des autres membres de la famille, notamment sur la position de la femme. Il s’était marié assez jeune avec une femme d’origine arménienne comme lui. Naïri portait leur premier enfant. Il avait un côté très traditionaliste, hérité de ses origines arméniennes. Il voulait fonder une famille nombreuse. Il préférait que sa femme ne travaille pas et s’évertue à élever ses enfants, ce qui avait le don d’agacer ses cousines. Rose, quant à elle, savait qu’elle était en partie responsable de sa vision de la vie, elle qui lui avait souvent raconté les malheurs qu’avait subis le peuple arménien. Un génocide atroce perpétré en 1915. Elle qui avait eu des membres de sa famille déportés… Elle racontait souvent à ses petits-enfants les histoires de son peuple et de son enfance. Mais Joseph était quelqu’un de très sensible, peut-être le plus sensible de la famille et toutes ces histoires le touchaient énormément. Alors la tradition le rassurait. Il avait besoin d’un cadre structuré pour se sentir bien et s’épanouir, ce que ne lui apportaient pas forcément les femmes de la famille. Que ce soit sa grand-mère ou ses cousines, toutes vivaient comme bon leur semblait. Alors, Joseph était un peu à part : il se sentait différent depuis toujours. Petit, il préférait rester seul dans sa chambre pendant que ses cousins et cousines jouaient dans la maison de campagne que Rose avait achetée pour la famille, à une heure de Paris.
Ils en ont passé des moments merveilleux dans cette maison ! Rose l’avait achetée pour ne jamais oublier d’où elle venait et pour laisser une trace de son passage sur terre. Surtout, elle voulait un lieu où toute la famille puisse se réunir, même en son absence, car la chose qui lui tenait le plus à cœur était de voir sa famille soudée. Alors, elle n’aimait pas quand Joseph se mettait à l’écart. Quand il était petit, elle lui disait souvent : « Viens m’aider, on va préparer le repas ensemble. »
C’est là qu’il découvrait les mets arméniens qu’elle préparait et qui sentaient bon les épices : des beureks (feuilletés à la feta), des dolmas (feuilles de vigne farcies) mais aussi des keuftés (boulettes de viande parfumées aux épices). Joseph avait développé son imaginaire à partir de ces odeurs d’enfance. Car le petit Joseph rêvait beaucoup. Il s’éclipsait souvent pour penser, rêver… C’est peut-être la raison pour laquelle il avait choisi de travailler sur les toits. Il était couvreur. Il pouvait ainsi être plus près des nuages et des étoiles. C’est précisément lors de ces moments passés avec sa grand-mère dans cette maison de campagne que Joseph a un peu plus que les autres ancré sa culture arménienne. Car pendant que Rose cuisinait, elle lui racontait des tas d’histoires sur l’Arménie. Elle racontait les églises, les collines, le lac Sevan… Elle racontait son enfance avec sa mère qui travaillait dur, son enfance sans électricité, sans télévision. Joseph était particulièrement attentif, comme s’il avait hérité un peu plus que les autres de ses origines arméniennes. Alors il savait que plus tard, il épouserait une femme arménienne, qu’il aurait des enfants et qu’il prendrait soin de toute sa famille. Car la famille était une valeur importante que Rose avait réussi à transmettre à ses enfants et à ses petits-enfants, et c’était là, l’une de ses plus grandes fiertés.
Ils avaient surnommé la maison de campagne « la maison à Mamie Rose ». Lorsqu’ils étaient enfants, Mamie Rose les recevait durant toutes les vacances scolaires et deux mois pendant l’été. Ils y ont tous vécu des moments inoubliables, des souvenirs impérissables : un premier baiser caché derrière un arbre du jardin, des chagrins d’amour, des grosses gamelles à vélo… Mamie Rose était toujours là pour les consoler ou les soigner. Elle avait toujours une attention pour eux, un mot gentil, une phrase pour encourager l’un ou l’autre. Elle n’oubliait jamais leurs anniversaires. Elle était plus qu’une mamie, elle était leur confidente, leur meilleure amie. Elle était plus proche d’eux que de ses propres enfants. Rose ne jugeait jamais. Elle disait souvent : « Acceptez les gens tels qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts. Vous ne les changerez jamais. »
Rose avait bien vécu. Une vie trépidante. C’est ce qui lui permettait aujourd’hui d’être si libre intérieurement. Elle savait aussi, et c’était là sa force, se plier aux règles si nécessaire.
Elle avait durant de nombreuses années, dirigé d’une main de fer une maison de haute couture qu’elle avait elle-même créée. Elle s’était battue pour sortir des clichés de la femme mince et longiligne. Une femme devait avoir des formes. Elle aimait sublimer la femme et se sublimer. Elle s’était mariée jeune avec un homme qu’elle n’avait pas choisi : un cousin éloigné de la famille, qui, au demeurant, était très gentil et avec lequel elle avait eu ses deux enfants : Taline et Jean.
Elle aimait plaire surtout, ce qui la conduisait souvent dans les bras d’autres hommes. Elle avait trop connu de restrictions quand elle était petite pour s’en imposer à elle-même. Son mari ne savait rien de ses aventures et c’était mieux ainsi. Ses petits-enfants n’en savaient rien non plus… Ils savaient qu’elle avait eu une vie mondaine, qu’elle avait beaucoup voyagé, beaucoup travaillé, que c’est elle qui faisait vivre le foyer et décidait de tout. Son pauvre mari, qu’elle respectait par ailleurs, n’avait pas la force de caractère suffisante pour lui tenir tête. Il était gentil. Il acceptait tout. Elle l’aimait, mais à sa façon. Il ne vécut pas très longtemps, terrassé par une crise cardiaque à l’approche de la cinquantaine. Elle avait cependant fait en sorte qu’il ait des obsèques dignes d’un roi, conviant tout le gratin des nuits parisiennes, et toutes ses relations mondaines : ses amis créateurs, des acteurs, des écrivains… Elle en a connu et côtoyé du beau monde, Rose !
Les petits-enfants n’ont pas connu leur grand-père Georges. Elle n’en parlait pas souvent. Finalement, elle avait vécu plus de temps sans lui qu’avec lui et s’était largement accommodée de la situation. Elle avait pu profiter de sa