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Partie trop tôt
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Livre électronique510 pages5 heures

Partie trop tôt

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À propos de ce livre électronique

Depuis sa tendre enfance, Louise porte le poids d’une tragique perte : celle de sa mère, dans un accident survenu quand elle n’avait que deux ans. Son père, un musicien passionné, a été contraint de la confier à ses grands-parents pour poursuivre sa carrière. Ces derniers ont veillé sur elle et l’ont élevée jusqu’à sa majorité, mais l’absence de son père a toujours été une source de douleur pour elle. Dès son adolescence, Louise, qui possède également un talent musical exceptionnel, n’a eu qu’un objectif en tête : retrouver son père, persuadée qu’il ressentait la même absence qu’elle. Parviendra-t-elle à réaliser ce rêve qui a animé son cœur pendant tant d’années ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Au fil de sa carrière d'auteur-compositeur, Jean-Loup Caloni a puisé son inspiration dans les aventures et les enseignements tirés de son expérience. De manière tout à fait naturelle, il a choisi de les immortaliser sur papier, donnant ainsi naissance à son tout premier roman intitulé "Partie trop tôt".
LangueFrançais
Date de sortie19 janv. 2024
ISBN9791042213664
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    Aperçu du livre

    Partie trop tôt - Jean-Loup Caloni

    Préface

    Que vais-je faire maintenant

    Puisque je n’ai comme argument

    Que celui d’effacer le temps

    Où vais-je aller vers quel néant

    Puisque reviendra tous les ans

    Le souvenir de ce printemps

    Étais-tu réelle ou chimère

    Quand tu m’as sorti du désert

    En me laissant un goût amer

    Tu es encore une fois ma muse

    Pardonne-moi si j’en abuse

    Mais mes pensées sont trop confuses

    Et si je ne t’ai pas tout dit

    Je reste encore à ta merci

    Si ton cœur t’en redonne envie

    C’était un éclat de nos vies

    Partagé loin de nos envies

    Et pourtant toi tu es partie

    Trop tôt¹

    1

    Louise

    Le printemps s’annonçait bien.

    Rien ne semblait perturber le calme et la tranquillité au sein du petit hameau.

    C’était l’heure de la sieste et c’était à peine si l’on entendait le cri des goélands très haut dans le ciel, accompagné de temps en temps par le grincement d’une des nombreuses girouettes ornant les toits, qui indiquaient souvent un vent du nord-ouest, preuve que le climat resterait serein pour un moment.

    Dans la rue des Pêcheurs, en quittant celle du Réveil et ses venelles attenantes, le soleil inondait les murs sur lesquels se dressaient déjà les tiges des roses trémières que les habitants entretenaient avec amour, et qui faisaient la gloire et la beauté de leur île, dont ils étaient très fiers.

    Ce jour-là, dans le grenier de la maison familiale, Nathalie et Louise s’affairaient au débarras de certains cartons qui encombraient la place, et elle fut attirée par quelques-uns, portant les noms de « Stéphanie » et « Olivier ».

    — Mamy, y a quoi dans tous ces cartons ?

    Mamy Nanou ne répondit pas.

    Peut-être n’avait-elle pas entendu la question.

    Ou peut-être, tout simplement, n’avait-elle pas envie d’y répondre.

    Depuis ce jour où tout était arrivé, elle évitait de parler de cette histoire à sa petite fille Louise.

    Elle avait bien grandi, Louise. Elle était excellente à l’école, tout avait bien marché pour elle au collège et au lycée, et tout lui réussissait.

    Elle avait passé son bac musiques actuelles option variétés et jazz avec succès et rencontrait tout un tas d’artistes en tous genres, musiciens, auteurs, compositeurs, comédiens et acteurs. Louise était une jeune femme moderne avec une vie pleine de rêves et d’espoirs et jusqu’à présent, à presque vingt ans, elle gagnait dans tout ce qu’elle entreprenait.

    Elle avait cette rage de vivre qui lui donnait un sourire perpétuel et la rendait très attirante, même si quelquefois, elle était trop perfectionniste. Elle cherchait toujours à donner le meilleur d’elle-même, à trouver les mots justes, ceux qui frappent quand on les entend, avec les notes de musique qui correspondaient exactement à ce qu’elle voulait faire comprendre.

    Quand elle a eu dix ans, Papy Pierre a aménagé pour Louise une partie du grenier de la maison familiale.

    Parce que depuis que ses grands-parents l’avaient prise chez eux, après le drame, ils avaient voulu qu’elle soit une petite fille comme les autres, qu’elle ait une famille sur qui pouvoir compter, et avec qui Louise se sentirait bien en grandissant.

    Et Louise le leur rendait bien. Elle faisait tout ce qui était en son pouvoir pour aider ses grands-parents vieillissants. Elle savait que sa maman l’avait eu à vingt-deux ans et Mamy Nathalie, Mamy Nanou, comme elle l’appelait, et son Papy Pierre, arrivaient à soixante-cinq ans.

    Quand Nathalie et Pierre ont pris leur retraite, ils ont donc sacrifié une partie de leur temps libre pour créer une chambre dans le grenier de leur maison du Gillieux, afin que Louise trouve un peu d’indépendance et qu’elle quitte la chambre où avait vécu sa maman jusqu’à ce qu’elle se mette en couple avec son papa, et qu’ils décident d’avoir un enfant.

    Nathalie et Pierre avaient mis tout leur cœur pour aménager la nouvelle chambre de Louise.

    Ils avaient ouvert une porte-fenêtre et créé un petit balcon avec une petite table, et Louise pouvait accéder à cet appartement directement par un escalier que Pierre avait construit depuis la cour, ce qui rendait la chambre pratiquement indépendante du reste de la maison, tout en conservant un accès par l’intérieur. Et depuis le balcon, on pouvait voir le phare des Baleines à quelques centaines de mètres. Imperturbablement, il s’allumait tous les soirs et apportait une certaine sérénité à cette partie de l’île au demeurant encore à l’état un peu aride de tout équipement touristique, malgré l’invasion de plus en plus massive des « baignassouts ». C’était le surnom donné aux estivants dans le sud du département de la Charente-Maritime.

    À onze ans, Louise avait commencé à écrire des poèmes, sur toutes les choses de sa vie, toutes celles qui faisaient réagir les gens et le monde qui l’entouraient. Chacun avait eu droit à ses messages de paix, d’amour, de moquerie également, mais sans jamais railler méchamment quelqu’un.

    Pourtant, depuis quelques années, elle avait trouvé un autre sujet.

    Depuis quelques années, elle essayait sans cesse de se remettre en question, de recréer sa vie autrement, tel qu’elle l’aurait souhaitée, tel qu’elle aurait pu la vivre si tout s’était passé autrement, si dès son plus jeune âge, elle avait eu cette vie que tous ses amis et amies avaient de leur côté, et qu’elle enviait, parfois.

    À quinze ans, Louise s’était mise à écrire des chansons. Tous ses poèmes avaient pris une autre vie, un nouveau sens, et les musiques qu’elle jouait sur son piano pour accompagner et interpréter ses textes ne laissaient aucune des personnes de son entourage proche indifférentes, surtout celles qui connaissaient son passé, sa vie, son histoire.

    Louise aurait pu écrire n’importe quoi, sur n’importe quel sujet, des chansons drôles, des histoires d’amour, dans n’importe quel style, pourvu qu’il corresponde à ce qu’elle voulait dire, mais elle revenait toujours sur son histoire personnelle, sur ce qu’elle recherchait depuis son adolescence.

    Louise n’était pas malheureuse, loin de là. Mais de temps en temps, elle aurait voulu que quelqu’un de plus proche d’elle la console, la cajole, quand elle en avait besoin, et lorsqu’elle n’osait pas parler à ses grands-parents de ce qui la chagrinait.

    Louise connaissait l’histoire de ses parents. Mamy et Papy lui avaient tout raconté, sans rien lui cacher, sans omettre un seul détail. Mais elle aurait souhaité en connaître plus sur son père dont personne ne lui avait presque rien dit, pour la bonne raison que personne ne savait ce qu’il était devenu depuis que sa maman était décédée, lorsqu’elle avait deux ans.

    Elle avait passé toute son enfance à occuper la chambre qui avait été celle de Stéphanie, sa maman, en gardant tous les souvenirs que celle-ci avait laissés derrière elle avant de quitter le nid familial : photos, bibelots, cahiers, livres, et même son journal intime que Louise avait retrouvé, par hasard, caché au fond d’un tiroir du bureau.

    Louise l’avait lu et relu, en essayant, depuis ses dix ans, de comprendre tout ce dont le journal parlait, les histoires de filles, de garçons, de l’école, les premiers flirts de sa maman, les peines, les aventures cocasses qui lui rappelaient souvent les siennes.

    Mais ce qui l’avait intriguée le plus, c’était ce que sa maman avait écrit concernant Olivier, son amoureux de l’époque rencontré au lycée, et qui était le prénom de son père.

    Depuis, Louise avait tellement relu ces moments du journal de sa mère qu’elle en connaissait les mots par cœur, jusqu’à presque se les attribuer, à la différence qu’elle n’avait connu ni sa maman ni son papa.

    Quand Papy Pierre eut terminé l’aménagement de la chambre de Louise, celle-ci demanda à ses grands-parents si elle pouvait prendre les photos qu’elle avait trouvées dans celle de Stéphanie.

    Il y en avait des centaines, certaines avec ses amies de lycée, puis de fac, mais surtout beaucoup avec Olivier, à la montagne, à la mer, à vélo, et une qu’elle appréciait particulièrement, c’était celle sur laquelle sa maman Stéphanie chantait au micro sur une scène de leur lycée, accompagnée au piano par son petit ami de l’époque, Olivier. Mamy Nanou lui avait dit qu’à ce moment-là, sa maman et Olivier avaient tous deux dix-sept ans, c’était à la fête de fin d’année du lycée, juste avant la proclamation des résultats du bac.

    Louise ne se lassait pas de regarder cette photo, de se comparer à Stéphanie, et à se trouver des ressemblances avec Olivier. Car Nanou lui avait raconté et expliqué, bien sûr, que ce même Olivier était devenu le mari de leur fille Stéphanie, et que les conséquences de leur amour très fort avaient donné naissance à cette petite fille qu’ils avaient appelée Louise.

    Mais tout cela Louise le savait et l’avait très bien compris.

    Alors elle avait entrepris de décorer sa nouvelle chambre avec les photos retrouvées dans celle de sa maman, toutes celles sur lesquelles se trouvaient Stéphanie et Olivier, l’un et l’autre, seuls, ensemble, avec des amis, des fêtes entre copains où toujours sa maman et son papa apparaissaient.

    Louise avait accroché toutes ses photos sur le mur du petit salon, agencé dans un coin de l’appartement, et lors de quelques coups de cafard, ce qui lui arrivait de temps en temps, elle s’allongeait dans le canapé pour les regarder et rêvasser.

    Et c’est bien souvent là qu’elle avait pris l’habitude d’écrire de nouveaux textes et des mélodies qui lui passaient par la tête, qu’elle enregistrait sur son téléphone en les chantonnant.

    Au grand plaisir de Nanou et Pierre, d’ailleurs, qui, de leur chambre située à côté de celle de Louise, appréciaient particulièrement la douce et juste voix et la qualité des textes et mélodies créés par leur petite fille, qui n’était pas sans leur rappeler la voix de Stéphanie, quelque vingt-trois ans plus tôt.

    Malheureusement, ces auditions discrètes leur faisaient parfois également monter les larmes aux yeux, tant le souvenir de leur fille chérie rejaillissait dans ce qu’ils entendaient.

    Cela, bien sûr, ils ne l’avaient jamais dit à Louise, de peur que celle-ci ne leur offre plus ce plaisir, et qu’elle trouve un autre endroit pour composer. Car Louise n’aimait pas voir ses grands-parents pleurer, même s’ils ne le faisaient que très rarement devant elle, lorsque leur émotion devenait irrésistible.

    Quand son coup de blues était passé, Louise se levait et allait s’asseoir devant son piano pour concrétiser et noter ce qu’elle venait d’écrire, afin d’en conserver une trace, comme le lui avait conseillé Monsieur Garnier, son professeur de musique, qui lui avait enseigné l’art de l’écriture de textes et de la mise en musique, pendant sa préparation au bac.

    C’est d’ailleurs grâce à lui que Louise avait obtenu une note de dix-huit sur vingt à l’option variété qu’elle avait choisie pour passer son examen. Monsieur Garnier était fier des aboutissements de ses élèves, et il ne manquait jamais de venir les féliciter quand les résultats étaient publiés sur les panneaux d’affichage du lycée. Il mettait un point d’honneur à enseigner une matière que beaucoup jugeaient inutile ou trop abstraite. De plus, comme il s’agissait d’une option, de nombreux lycéens ne la choisissaient pas, pensant que la musique ne servait pas à grand-chose, ou ne leur serait d’aucune utilité pour l’avenir. Par contre, les élèves inscrits obtenaient souvent de bonnes notes et c’était tout à son honneur de pouvoir les féliciter. Il l’avait déjà fait pour les parents de Louise, comme il l’a effectué également pour leur fille, quelques années plus tard, avant de prendre une retraite bien méritée.

    Louise était donc une de ses dernières élèves.

    Cependant, elle avait souffert pendant son adolescence. Certes, elle n’avait pas fait de bêtises, comme ce fut un peu le cas chez certains de ses camarades, mais elle avait souffert de ces absences, de celle et de celui qui aurait pu lui changer la vie, l’aider dans ses choix, avec qui elle aurait pu vivre ce moment comme tous les adolescents de son âge, avec ses rires et ses pleurs. Peut-être même aurait-elle pu avoir un petit frère ou une petite sœur avec qui partager ses journées, ses délires, ses soirées en famille ou ses vacances. Mais il n’en était rien, puisque la vie en avait décidé autrement, avec ses parents.

    Il y avait bien son amie Sara, la meilleure depuis la maternelle, avec qui elle partageait tout. Elles se connaissaient parfaitement et s’entendaient à merveille. Mais personne ne peut remplacer un papa et une maman, surtout quand on ne les a pas connus, et que l’on n’en a aucun souvenir.

    Et bien sûr, il y avait Rémy, son amoureux depuis la terminale, qui faisait partie du groupe, le Blue Note qu’ils avaient créé tous les trois, Louise, Sara et lui. Rémy faisait tous les arrangements des chansons de Louise. Et comme il le disait lui-même, ce n’était pas toujours simple, car Louise était très pointue dans ce qu’elle souhaitait pour ses musiques. Mais Louise et Rémy étaient très amoureux. Tous deux s’en rendaient bien compte quand ils passaient une nuit ensemble, de temps en temps, car même dans ce domaine, ils étaient toujours en osmose, comme l’avouait Louise à Sara. Elle n’en donnait pas tous les détails, bien sûr, mais Sara avait de l’imagination, et ne manquait jamais de rajouter des histoires inventées bien croustillantes à ce que lui racontait Louise, tant elle connaissait bien son amie.

    Donc, tout s’arrangeait généralement bien, et les diverses prestations des trois camarades, sur les petites scènes de la région, leur ouvraient constamment plus de portes dans les métiers du spectacle, au grand plaisir de Sara qui avait le rôle, pas toujours simple, d’agent artistique.

    Et ce jour-là, Louise était dans le grenier à farfouiller dans les cartons remplis des quelques affaires de Stéphanie et d’Olivier, restées dans la chambre. Longtemps, après le décès de leur fille, Nathalie et Pierre avaient accepté l’idée de les ranger, afin de permettre à Louise de prendre possession des lieux.

    2

    Nathalie et Pierre

    18 ans plus tôt

    Ça y est.

    Stéphanie était enterrée et la cérémonie était terminée.

    Sur la tombe du cimetière de Saint-Clément dont dépendait le Gillieux, il y avait des dizaines de gerbes et de bouquets divers que toute la famille, les amis, les collègues de travail et Olivier avaient laissés, en hommage à Stéphanie.

    On pouvait également apercevoir, au milieu des fleurs, une petite plaque de granit noir gravée « À ma maman qui va me manquer », et une autre « À l’Amour de ma vie ».

    Tout le monde était rentré chez soi en ce jeudi dix-sept avril 2003, date anniversaire de Stéphanie qui aurait eu vingt-quatre ans ce jour-là. Nathalie et Pierre avaient retrouvé la petite Louise qui ne comprenait pas bien ce qu’il se passait. Il est vrai qu’à deux ans, qu’elle avait eus trois jours avant, le jour de l’accident, elle ne pouvait pas se rendre compte que sa maman était partie définitivement, si bien qu’elle semblait toujours aussi radieuse.

    Ils s’étaient retrouvés tous les trois, attendant le retour d’Olivier resté sur le bord de la tombe de sa compagne, que les fossoyeurs avaient commencé à refermer.

    Nathalie et Pierre ne savaient pas quoi se dire. Aucun mot ne sortait et ils essayaient de cacher leurs larmes devant Louise, qui, elle, continuait de jouer. Ce n’était pas facile.

    Qui aurait pu penser qu’un jour leur fille disparaîtrait d’une façon aussi tragique ? Qui aurait pu leur prédire une telle atrocité ? Elle était tellement pleine de vie, de bonheur, de joie, rayonnante, si avenante et généreuse avec son entourage et ceux qu’elle côtoyait quotidiennement sans même les connaître.

    Pourquoi Stéphanie ? Pourquoi elle ?

    Pourquoi, s’il existait un dieu, l’avait-il enlevée, et surtout, de cette façon ? Existait-il, sur cette terre, une justice qui fasse ainsi disparaître les enfants, mourir les mamans, sépare les gens qui s’aiment, et reprenne une vie anormalement au cours d’un accident ?

    Tout ceci dépassait leur entendement et Nathalie ne comprenait pas que cela puisse arriver.

    Elle fut prise de tremblements et se mit à sangloter.

    Pierre la prit dans ses bras contre lui, une larme coula sur ses joues, mais il voulait rester fort, il ne fallait pas qu’il craque. Il lui fallait rester maître de la situation dans laquelle le destin les avait plongés, et il se devait de garder les idées claires sur l’avenir qui devenait incertain pour Nathalie et lui, Olivier et la petite Louise.

    En voyant sa Mamy éclater en sanglots, Louise se leva et s’approcha de Nathalie. Puis, lui enserrant les jambes, elle déclara de sa petite voix, quelques mots qui n’étaient pas sans rappeler ceux de sa maman :

    Alors Nathalie prit sa petite fille dans ses bras et lui déposa un gros bisou sur la joue tout en lui souriant.

    Pierre s’inquiétait de la suite.

    Qu’allait-il advenir d’Olivier avec sa petite Louise ?

    Le côté financier ne lui faisait pas peur : Olivier arriverait bien à subvenir à leurs besoins à Louise et à lui.

    Car Olivier était un excellent pianiste, de réputation nationale, et il était toujours demandé par de nombreux contrats d’intermittence qui le faisaient travailler. Sa renommée lui permettait d’avoir de l’emploi pour plusieurs années. Il suivait un grand nombre d’artistes, dans leurs tournées, et quand il lui restait un peu de temps, il s’offrait le luxe de présenter ses propres spectacles en piano voix, dans les petites salles de toutes les villes où il passait.

    Mais justement, comment allait-il pouvoir concilier sa carrière de musicien professionnel avec la présence et l’éducation de Louise ?

    Il était souvent parti un peu partout en France, parfois même à l’étranger, et Pierre envisageait mal comment Olivier pourrait continuer à travailler de cette façon, si souvent absent et si rarement avec Louise. Déjà qu’auparavant, elle ne voyait pas souvent son papa, et heureusement, sa maman n’effectuait plus de déplacement professionnel. Elle s’occupait bien de Louise et travaillait dans une maison d’éditions musicales. Elle avait à charge de découvrir de nouveaux talents, sur les réseaux sociaux, en télétravail, ce qui lui permettait d’être très présente. Olivier, par contre, passait beaucoup de temps sur la route et les scènes, d’où ses absences fréquentes auprès de son épouse et de sa fille.

    3

    L’accident

    En avril, l’île de Ré commence à se réveiller du calme de l’hiver et les premiers touristes reviennent pointer leur nez pour rejoindre les résidences secondaires. Certaines personnalités du Tout-Paris arrivent pour se mettre au vert, le temps d’un week-end, ou quand les jours fériés leur permettent de s’éloigner du tumulte de la capitale. Les commerces commencent à rouvrir leurs portes, certains restant fermés à la morte-saison. Les marchés changent leurs lieux d’étalages pour permettre un achalandage plus important durant la période des belles journées d’avril à septembre.

    La petite île rétaise était traversée par des routes très encombrées en période estivale. Mais ce qui faisait le charme de cette île, c’était la multitude de pistes cyclables qui reliaient tous les villages, et qui permettaient aux autochtones et aux résidents de se déplacer en principe en sécurité, évitant le croisement des voitures et limitant les accidents.

    Mais d’autres endroits étaient partagés entre les automobilistes et les cyclistes, ce qui rendait certaines parties de circulations dangereuses. Il y avait d’ailleurs au bord de certaines routes des croix plantées et fleuries qui rappelaient que quelqu’un était mort des suites d’accrochages avec d’autres véhicules. Il était un passage où les vélos devaient traverser la route que, justement, Nathalie et Pierre ne pouvaient oublier. C’est là précisément que l’accident était arrivé.

    Stéphanie était morte sur le coup.

    D’après les témoins, elle ne s’était pas arrêtée pour laisser passer les voitures, en sortant de la piste provenant d’Ars-en-Ré, pour traverser la départementale, rattraper l’autre côté et se diriger vers Saint-Clément, à travers les vignes. À cet endroit, la route arrive d’Ars, se poursuit vers les Portes-en-Ré, ou vers le phare des Baleines. On peut pareillement, cette route passée, rejoindre le hameau de la Tricherie, dépendant également de Saint-Clément.

    Il y avait bien un terre-plein, au milieu des deux voies, et Stéphanie aurait dû poser le pied-à-terre, mais après avoir traversé la première voie provenant d’Ars, elle était allée s’encastrer sous une voiture arrivant à sa droite, qui, elle-même, n’avait rien pu faire pour l’éviter.

    Le choc avait été d’une violence terrible. Stéphanie était passée au-dessus du véhicule et dans sa chute, sa tête avait heurté une pierre se trouvant en bordure de chaussée.

    Quand les secours sont arrivés, il était déjà trop tard, et ils n’avaient pu que constater le décès. L’état du vélo et de la carrosserie de la voiture étaient à l’image de la collision. On aurait pu penser que le véhicule s’était encastré dans un arbre.

    Les différents témoignages et les expertises d’assurances avaient démontré, sans aucune ambiguïté, qu’il s’agissait bien d’un accident tout à fait involontaire de la part de l’automobiliste.

    Stéphanie avait traversé la route sans s’arrêter.

    4

    Louise

    Louise ouvrait les cartons un par un. Au fur et à mesure, elle y trouvait des affaires de sa mère et chacun était marqué du nom de « Stéphanie » sauf un, sur lequel était noté « Olivier ».

    Quand elle l’ouvrit, Nathalie la laissa faire sans répondre à sa petite fille qui venait de lui demander ce qu’il y avait dans tous ces cartons.

    À l’intérieur, pas de vêtement, comme dans ceux de Stéphanie, mais des dossiers, soigneusement fermés par un élastique, avec, dedans, des papiers, manuscrits pour certains, et sortis d’une imprimante pour d’autres, ainsi que des CD dans leurs boîtiers indexés à la main, sur lesquels on pouvait lire « master », « démos », « travail », et puis des séries numérotées.

    Louise prit un dossier au hasard, l’ouvrit, et se mit à lire la première page.

    Il s’agissait de textes écrits à la main sous forme de poèmes, avec plein d’annotations, des mots barrés, des phrases complètement modifiées, et à la vue de ces papiers, Nathalie expliqua à Louise :

    — Il s’agit de papiers de ton papa Olivier. Il doit y en avoir beaucoup, car il écrivait également des chansons comme ta maman. Chaque fois qu’il partait en tournée, il lui arrivait de les chanter en première partie des artistes qu’il accompagnait.

    — Mais il y en a plein… !

    Louise était émerveillée. C’était la première fois qu’elle trouvait des documents ayant appartenu à son père et ses yeux se remplirent de larmes.

    — Je peux les garder ? Je les lirai à tête reposée…

    — Bien sûr, ma puce.

    Louise continuait son inventaire. Chaque nouveau dossier lui apportait un autre sourire et Nathalie la regardait du coin de l’œil avec un éclat qui la rassura. Elle avait peur que la découverte des cartons de son papa ne remue des choses dans l’esprit de sa petite fille pour qui elle se faisait tant de soucis.

    Louise était aux anges. Elle ne connaissait de son père que ce dont on lui avait parlé, et mis à part les photos, c’était la première fois qu’elle trouvait des choses concrètes que son papa avait laissées derrière lui, avant de partir.

    Elle continua à feuilleter chacun des dossiers se trouvant dans le carton et à chaque ouverture, son visage semblait s’illuminer davantage. Elle découvrit des dizaines de papiers, parfois simplement des morceaux de nappes sur lesquelles étaient écrits quelques vers, une phrase, des mots en rimes, des débuts de textes, et chaque nouvelle découverte l’émerveillait un peu plus.

    — Mamy, je prends ce carton dans ma chambre… Il faut que je regarde tout ce qu’il y a dedans et que j’écoute tout… Il y a certainement des enregistrements de la voix de papa et de maman… S’il te plaît, Mamy, laisse-moi le prendre…

    — Bien sûr ma puce. Je suis contente que tu puisses déceler des choses qui te fassent mieux connaître ta maman et ton papa. C’est vrai qu’on n’y avait pas pensé, avec Papy, mais si tout ce que tu peux trouver pour savoir d’où tu viens peut t’aider à te construire, il n’y a pas de problème. Garde tout, ma chérie. De toute façon, nous n’avions pas l’intention de jeter ces affaires. Elles étaient là simplement pour être rangées, et afin de faire de la place dans la pièce, car tous ces cartons, nous avons dû les remplir pour que tu prennes possession de sa chambre avant que nous ne réalisions la tienne.

    La maison familiale Giraud était un héritage de famille. Pierre était d’ailleurs né à Saint-Clément-des-Baleines, et lui et Nathalie connaissaient beaucoup de gens dans cette partie encore un peu sauvage de l’île. Pour rien au monde, ils n’auraient voulu quitter cette terre, malgré les tourments qu’ils avaient déjà vécus à cause des tempêtes récentes qui avaient failli engloutir une partie de l’île, depuis la Passe jusqu’au lieu-dit des Doraux, un des six hameaux qui constituait, comme le Gillieux, le village de Saint-Clément.

    D’énormes travaux de construction d’une digue avaient été entrepris et étaient en phase de terminaison.

    Louise n’en revenait pas de tous ces trésors qu’elle avait découverts. Un dossier plus petit attira son attention. Sur la couverture, il y avait écrit :

    « Stéphanie ».

    À son ouverture, elle vit que tous les textes étaient imprimés avec une signature et une date. Elle s’assit dans le vieux canapé du grenier recouvert de poussière et Mamy lui dit :

    — Ah, ben Louise, si tu veux lire ces papiers, prends-les dans ta chambre, on finira le tri un autre jour.

    Louise sautait partout. Depuis longtemps, Nathalie n’avait pas vu sa petite fille aussi rayonnante. Si j’avais su, se dit-elle, nous aurions dû regarder plus tôt ce qu’il y avait dans ces cartons. Mais cela lui rappelait tellement de choses et tellement de souvenirs qui lui tiraient les larmes aux yeux. Et de voir Louise avec autant de détermination et de gaîté dans le regard la réconforta dans ses pensées. Elle regretta de ne pas y avoir pensé plus tôt, et se dit que, finalement, ça avait du bon de remuer les choses, malgré tout.

    — Mamy, je prends tout dans ma chambre… Je suis certaine que je vais trouver plein de trucs là-dedans… Il faut que j’écoute tout aussi… Toutes ces choses que papa a pu écrire… Je n’en connaissais aucune… Pourquoi vous ne m’avez jamais rien dit là-dessus ?

    — Mais ma chérie, nous n’y avions même pas pensé avec Papy. Et puis tu sais, c’est difficile pour nous de retourner toutes ces choses-là. Alors, nous attendions le bon moment, et je crois qu’il est arrivé. Tu vois, quand nous avons perdu ta maman, nous avons eu tellement de mal à l’accepter, tellement de mal à essayer de vivre avec cette douleur, nous ne voulions pas que tu en souffres. C’est certain, tu n’as pas de souvenir, mais pour nous, c’est difficile dans les deux cas, tu sais. Nous avons perdu notre fille, nous avons perdu ton papa qui est parti, on ne sait où, et nous avons tout fait pour essayer de t’élever sans que tu ne souffres de l’absence de tes deux parents. Même si, malgré tout, je pense que nous n’avons pas mal réussi, c’est toujours avec un pincement au cœur de remuer des choses qui nous ont fait tellement de mal et apporté tant de souffrances.

    — Mais Mamy, je ne vous en veux pas… Pour moi, vous êtes mes parents, je ne peux pas le renier… J’aurais fait quoi sans vous ? De toute façon, comme tu dis, je n’ai pas connu mes parents, et donc je n’ai que vous comme point de repère… C’est vrai que de temps en temps, j’ai le cafard, mais comme tout le monde, je pense… Et puis, il y a ma musique… Mais ce que je trouve incroyable, c’est que tout ce que je fais dans ce domaine, je le dois à mes parents, même si je n’en ai aucun souvenir, et en ouvrant ces cartons, je découvre des choses… Merci Mamy…

    Louise se jeta dans les bras de sa grand-mère et toutes les deux se mirent à pleurer, à chaudes larmes, entrecoupées de sanglots et de rires, et c’est à ce moment-là que Pierre choisit de franchir la porte du grenier.

    En début d’après-midi et à marée basse, Pierre était allé à la pêche à la plage de la Patache, derrière la forêt de Trousse Chemise, aux Portes-en-Ré. Il en avait rapporté une panière de coques qu’il avait laissées à dégorger de leur sable dans un bac d’eau salée, avant de rejoindre Nathalie et Louise qui finissaient de fouiller les cartons dans le grenier.

    — Ah, ben, c’est gai ici ! dit-il en entendant Nathalie et Louise sangloter et rire en même temps. Je peux participer ?

    — Viens Papy, viens avec nous… Je suis trop contente, j’ai trouvé des affaires de papa, il faut que je les regarde.

    Nathalie, comme Pierre, n’avaient que trop peu souvent entendu Louise dire « maman » et « papa », et en se jetant mutuellement un coup d’œil, ils comprirent tous deux qu’ils venaient de faire franchir un cap à leur petite fille, en l’entendant prononcer ces deux mots. Ils étaient loin de penser qu’un jour, Louise leur parlerait de ses parents avec une telle ferveur.

    Pierre avait laissé son épouse et Louise aller ouvrir les cartons avec une certaine appréhension, car il était persuadé que cela allait remuer tant de choses aussi bien du côté de Nathalie que de celui de Louise. Mais en les entendant rire et pleurer en même temps, il comprit que la construction de Louise et la reconstruction de sa femme allaient bon train. Il était temps pour Nathalie, car l’âge avançait.

    Pierre fit quelques pas.

    — Vous savez, même si vous n’êtes pas ma maman et mon papa, même si des fois vous n’avez pas les mêmes idées que nous malgré votre grand âge, vous êtes beaucoup plus que ma Mamy et mon Papy… Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi.

    — Merci pour le grand âge, chameau ! dirent en même temps Nathalie et Pierre en éclatant de rire.

    Les bras des deux femmes s’ouvrirent et Pierre en profita pour se glisser à l’intérieur et se blottir entre elles, les enserrant ensemble contre lui, sentant les larmes lui monter dans les yeux, mais de joie celles-ci. Il s’ensuivit un grand éclat de rire, chose qu’ils n’avaient plus faite simultanément depuis longtemps.

    5

    Olivier

    18 ans plus tôt

    Olivier n’en pouvait plus.

    Il quitta le cimetière

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