Soleil Cou coupé: Roman
Par Matilda Ma
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À propos de ce livre électronique
Soleil cou coupé est le récit d’une éducation sentimentale contemporaine dont le sujet est un corps errant dans la ville entre chaos et lumière.
À travers ce cheminement, le lecteur est confronté aux angoisses d’une jeune femme qui cherche à s’apprendre.
Soleil cou coupé est un recueil de rencontres autour de quatre figures principales : Adèle, Thibaud, Lesbie et Joachim. Chacune de ces rencontres porte en elle l’ambivalence du miracle. Elles submergent le sujet qui ne se voit vivre qu’à travers elles, porté par le soulagement de ne plus être seul ou abîmé par une profonde détresse. Ces rencontres sont des cycles entre ascension et chute d’un soleil au cou coupé.
Le récit particulier de ces jeunes qui oscillent entre ascension et chute.
EXTRAIT
J’ai perdu la trace d’Adèle, et je cours à travers le monde. Je sais que l’alcool la viole, je la surveille quand elle boit. Mais ce soir, j’ai échoué. La tête tourne, les jambes flageolent. J’ai peur pour Adèle et je sais alors que je l’aime. Je ne sais pas comment, c’est arrivé comme ça. À force de la serrer dans mes bras fluets et muets pour ne pas la blesser. J’ai perdu le sens des mots avec Adèle, dès ce soir-là où elle a arraché les secrets d’entre ses dents pour me les murmurer dans la cuisine où je lui caressais le bras, en ne pensant à rien d’autre qu’à sentir sa chaleur, partager la mienne si j’en ai encore après ces années de faim.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Matilda Ma est née à Châtenay-Malabry en 1995. Après une formation littéraire en hypokhâgne, elle poursuivra à la Sorbonne puis au Pérou où elle étudiera la poésie péruvienne contemporaine. Au cours de ses études, elle écrit des nouvelles, poèmes et récits lus dans des récitals indépendants. En 2017, elle est lauréate du prix de la nouvelle de la Sorbonne pour son texte intitulé Les Paroles gelées du quartier des Monts.
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Aperçu du livre
Soleil Cou coupé - Matilda Ma
* Adèle *
ADÈLE
Je suis l’élytre
Et tu es l’aile postérieure
Je suis l’amure
Et tu es la voile
Mon point cardinal
Tout a commencé par la rencontre d’Adèle. Dans les couloirs de la fac, je la croisais de temps en temps. Nous avions les mêmes amies, nous parlions quelques fois. Adèle cherchait une chambre. Là où je vivais, il s’en libérait trois. Je ne savais pas comment j’allais vivre le départ de Paolina. Je m’accrochais à mon indépendance pour ne plus y penser. Je lui ai parlé de l’appartement vide. Adèle a tout de suite accepté. À ce moment-là, une seule chose me préoccupait. Comment lui parler de mon anorexie ? Des kilos de pommes, des yaourts sans matière grasse et des plaquettes d’édulcorants ? Puis cette préoccupation futile a laissé la place à bien d’autres. Elles me poursuivent jusqu’au levé du jour, certaines avec désir et sensualité, d’autres avec rage et effroi. Le visage d’Adèle est un paysage nocturne où la lune n’existe pas. Son odeur est un effluve oublié plein de mystère nuiteux. Depuis que je l’aime, je suis au bord de la sorgue épaisse, pour ce qui l’a construit, ce qui l’habite et ses cauchemars. Je plonge dans ses souvenirs et ses lendemains et j’écoute le moindre du silence. J’accroche un ventilateur à nos têtes jumelles pour que les mots crochus s’envolent loin de nous.
Dans les débris de la chambre d’Adèle, j’entends ces mots
— j’ai semé mon père, comme ça, hier, il y a un an, depuis toujours, depuis qu’il m’a touchée. Comme ça, parce que sa présence me tue et son absence devant mes yeux est une pliure imparable. J’ai semé cet homme sur un quai de gare, comme ça. Pour rien. Pour tout. Je ne sais plus bien. Besoin d’air. Marre du soufre. (Au père) Mensonge Ta face est un mensonge béant qui s’exhibe à la face du ciel Du goudron entre mes cuisses sec et épais Mais ça tu ne veux pas le voir Alors c’est moi qui suis folle et instable et mon mensonge a un goût de vérité que toi seul tu connais Les médecins sont des fils de rasoir aux mots crissants On me parle d’inceste INCESTE – enceinte d’une pourriture Du goudron sec et épais entre mes jambes coule Tu connais le dépérissement ? C’est un aliment périmé qui se décompose dans les interstices d’un réfrigérateur Ça commence par l’intérieur l’odeur rance se propage dans l’air glacial Et le venin explose dans ta bouche comme j’éclate devant tes amis sous l’alcool et ce torrent de boue qui m’avale Gare Train J’ai failli me jeter dessous Je peux vivre un an j’ai des économies Plus besoin de toi Éloigne-toi vite vite ou je t’entraîne avec moi contre les roues électriques Chaos prodige !
On attend. Deux jours, une semaine, un mois. Sans réponse du père. Et un jour, les pourritures reviennent et c’est toujours plus de goudron entre les jambes d’Adèle. Et un effluve rance suinte de l’écran d’ordinateur où s’alignent les paroles du père d’Adèle.
— je t’ai fait des câlins jusqu’à l’âge de cinq ans ce n’était pas un viol mais de l’amour les caresses sur les fesses de l’affection EN AUCUN CAS JE N’AI PRATIQUÉ SUR TOI D’ATTOUCHEMENTS SEXUELS METS TOI ÇA DANS LE CRÂNE PETITE MENTEUSE (Piano) Dès que tu as été formée je ne t’ai plus approchée Permets moi de te rappeler les films que j’ai de toi vers l’âge de huit ans Tu nages nue et sans gêne dans la piscine de *** Pas de traumatisme sur ton visage ne mens pas Les caresses les baisers j’étais si heureux de te les donner Ta mère m’a interdit pour ta sœur Tu as raconté un jour à Charlotte avoir rêvé d’une visite nocturne tu te réveilles sans culotte Tu lui dis que ce ne peut être que moi l’ombre de tes draps S’il y a eu inceste dans ton esprit qu’une issue dépôt de plainte Mais tu connais la loi du talion Tu portes plainte contre ton père pour inceste je porte plainte contre ta mère pour non-dénonciation de crime Le soupçon est sur ma tête par tes mots Ces mots troubles et changeants que tu marmonnes à mes amis Ne viens plus Parles donc à tes médecins je ne veux pas te priver de ce plaisir Mais pour mes amis c’est toi l’affabulatrice Une pauvre gamine au discours décousu en mal de vivre Porte plainte je produirai des expertises d’assistantes sociales de psycho-criminologues qui ont conduit les juges à me confier la garde de mes filles aînées Je tiens un témoignage de ta sœur qui me disculpe de tout soupçon à son égard Je ne peux t’aider si ce n’est te conseiller d’arrêter de boire autant surtout sous anxiolytiques – la voix s’éteint dans les bruits de coups contre l’oreiller de la chambre d’Adèle.
*
Un et deux font quatre. C’est ça, le viol quand ça commence, on ne peut plus compter. Tu ne peux plus compter les hommes qui t’ont collé leur sueur au corps et leurs à-coups toujours plus dégueulasses et animales. Un et deux font quatre. Quatre fois ce soir-là par des hommes différents. Un et deux font quatre. Le rhum en trop, la D en plus. Il y avait du bruit et des ombres, des lumières. Une chaleur étouffante, on ne pouvait pas avancer, qu’en se glissant entre les corps mouillés et dénudés. Toi aussi tu étais presque nue. Et puis le tissu est devenu transparent, et il a disparu quand tu es montée dans la voiture de cet inconnu. Sans conscience, l’alcool débordant de la tête à en pisser par la bouche. Il a glissé sa main droite entre tes jambes pour s’exciter un peu avec l’humidité de ton sexe. Toi, tu étais déjà perdue dans les vapeurs éteintes de la nuit. Docilement tu écartes un peu plus les cuisses pour ne plus avoir mal à force de résister. Tu sais que ça ne finira pas. Autant qu’il fasse vite, qu’il s’endorme sur toi sur ce lit sale du corps des autres. Un et deux font quatre. Tu lui comptes les moutons dans ta tête, écrasée par ses muscles perdus dans la chair. À dix, le marchand de sable passera et tu pourras te lever, rassembler tes vêtements ou bien partir en courant nue sous les réverbères éteints de Paris. Mais même à dix il continue son mouvement et t’embrasse, te bouffe le visage, trop petit pour sa bouche. Être un homme. C’est ce que tu penses pour échapper. Mais tu ne sais même pas si cela suffirait. Tu assumes en silence ta gueule d’ange.
J’ai perdu la trace d’Adèle, et je cours à travers le monde. Je sais que l’alcool la viole, je la surveille quand elle boit. Mais ce soir, j’ai échoué. La tête tourne, les jambes flageolent. J’ai peur pour Adèle et