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Droit comme un pin: Roman historique
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Livre électronique200 pages3 heures

Droit comme un pin: Roman historique

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À propos de ce livre électronique

Alors que la plupart des jeunes partent en ville pour trouver un travail attrayant, Clément veut rester vivre dans les bois à tout prix, malgré les imprévus...

Clément est le dernier à faire couler la sève des pins, cette larme d’or dont parlait Théophile Gautier. À cette heure, toute la jeunesse abandonne la forêt et part en ville : dans les usines, on propose des conditions attirantes et des salaires réguliers et confortables. Mais lui fait de la résistance pour vivre dans le cadre qu’il aime : au milieu des bois avec mémé Justine. Il se déplace encore avec la vieille mobylette du grand-père. Bien sûr, les filles l’ignorent, et l’on se moque de lui. Mais peu lui importe ! Sauf qu’un jour, il perd son travail, sa grand-mère disparaît et le propriétaire de la maison qu’il habite le congédie. La situation semble sans issue. Il n’a pas d’amis à qui se confier. Pourtant, c’est le boucher du village qui évoque le concours de garde-chasse… Avant même de contacter l’Administration, Clément se prend à rêver : continuer à arpenter la forêt, acheter cette Renault 4 avec l’argent qu’il a découvert dans la boîte à biscuits de mémé Justine. Il est prêt à faire des efforts, même des sacrifices si l’équilibre est à ce prix. Mais est-ce que cela sera suffisant ? Trouvera-t-il la force d’avancer envers et contre tout ? Un roman plein d’amour, de tension et de tendresse.

Clément pourra-t-il rester vivre dans la forêt et obtenir le poste de garde-chasse malgré les difficultés ? Suivez son parcours surprenant et touchant dans ce roman historique empli de tensions, mais aussi de tendresse et d'amour.

EXTRAIT

Sans s’en rendre compte, il avait parcouru pas loin d’une dizaine de kilomètres, empruntant un itinéraire bien rodé qui le ramenait au pied de sa demeure. S’il n’avait pas tiré un seul coup de fusil, il avait tout de même cueilli quelques cèpes ! Avant de passer en cuisine, il devait attraper cinq ou six poulets et les isoler pour le marché de samedi. Il en avait déjà cinq en commande, mais il en prévoyait toujours un de plus. Il y avait souvent un acquéreur à la recherche d’une volaille.
Lorsque, enfin, il eut rentré son bois – il se chauffait avec la cuisinière et la cheminée d’un autre âge –, la nuit était tombée. Il alluma la radio pour écouter les informations. De Gaulle avait été désavoué, et Pompidou, fraîchement élu, se rodait au pouvoir. Sans faire de politique, Clément aimait se tenir au courant. Il avait l’impression que la société prenait un tournant. Malgré les allégations des uns et des autres, il fallait admettre que, petit à petit, l’argent prenait le pas sur l’homme. Or, dans sa conception, il estimait que l’on devait privilégier l’homme, que l’argent devait être le fruit du travail et pas celui de la spéculation. Ceux qui ne le connaissaient pas ne pouvaient pas imaginer qu’il était capable de ce type de réflexions. Il n’avait pas fait d’études. Mais il était doté d’un réel bon sens. Une remarque désobligeante avait fusé un jour à son adresse. Il se trouvait au comptoir d’un café et elle venait d’un autre client. Un camarade de classe qui le connaissait bien avait pris sa défense : « Méfie-toi de Clément, ne le prends pas pour un idiot. Ce n’est pas parce que tu gagnes davantage que tu es plus intelligent que lui… »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Viscéralement attaché à sa terre, Jean-Paul Froustey plante toujours ses décors au cœur de la forêt landaise, un milieu magique et poétique. Il a signé précédemment, aux éditions Lucien Souny, Un Héritage scellé sous la pierre, Entre deux vagues, Le Gardien des abeilles et d’autres encore.
LangueFrançais
ÉditeurLucien Souny
Date de sortie7 juin 2019
ISBN9782848867748
Droit comme un pin: Roman historique

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    Aperçu du livre

    Droit comme un pin - Jean-Paul Froustey

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    Clément ne s’était pas attardé dans le cimetière où il venait d’accompagner sa grand-mère Justine. Elle allait lui manquer. À près de trente ans, il vivait toujours avec elle. Malgré son grand âge, elle s’était occupée de la maison, des repas, du ménage, de la lessive. À son rythme bien sûr, parfois avec l’aide de son petit-fils, mais elle s’était acquittée de ces tâches de bonne grâce. « Cela me fait du bien de bouger. »

    Maurice, le grand-père, s’en était allé lorsque Clément était en Algérie. Cet homme dur ne s’était jamais remis de la disparition de son fils, le père de Clément. Louis était tombé du haut de sa palombière et s’était écrasé quinze mètres plus bas. Tout le monde avait alors reproché à Marcelle de s’être remariée trop vite et d’avoir abandonné Clément à ses grands-parents.

    Justine avait alors suggéré à sa belle-fille de garder le petit quelque temps, pour que la maison ne fût pas trop vide. Clément n’avait depuis plus jamais quitté ses aïeuls. Justine comprenait la précipitation de Marcelle : son foyer était devenu trop triste depuis la disparition de Louis frappé en pleine force de l’âge alors qu’il se lançait dans de nouveaux projets. Il s’apprêtait à changer de vie ; la centrale électrique de Morcenx embauchait à tour de bras tandis que le gemmage n’était plus une activité rentable. La forêt se vidait de sa jeunesse pendant que les usines se remplissaient. Maurice avait déjà été perturbé par le choix de Louis. Dans la famille, on était gemmeurs de père en fils et métayers du même propriétaire, ce qui créait des obligations aux yeux du patriarche. Voilà que Louis rompait la chaîne. Évidemment, l’argent ne coulait pas à flots ; Justine devait faire des miracles durant la longue période hivernale où l’on ne récoltait pas la gemme. Le ramassage de ce précieux liquide se faisait six fois dans l’année, rarement sept. Soit six rémunérations, du printemps à l’automne. L’hiver, il fallait donc vivre sur les réserves.

    Maurice avait soupçonné sa bru d’avoir harcelé Louis pour qu’il abandonnât le gemmage. Une fois, il l’avait entendue dire à son mari : « Tu te rends compte, cela fait à peine deux ans que Viviane et Albert ont quitté la forêt et ils ont déjà acheté un terrain et commencé à construire leur maison. »

    Louis n’avait pas répondu ; son épouse avait raison ! Mais lui avait une passion qu’il craignait de devoir abandonner : la chasse. Marcelle lui disait alors : « Tu plaisantes, j’espère ! Albert travaille en trois-huit, il n’a jamais eu autant de loisirs. Ici, tu es toujours sur la brèche. »

    Louis s’était renseigné : pour continuer à chasser la palombe, il lui suffisait de prendre ses congés à la période des migrations. Cet engouement lui avait été fatal.

    Maurice n’avait pas pardonné : si son fils s’était tué, c’était à cause de son travail, notamment celui qu’il effectuait la nuit. Par conséquent, Marcelle était responsable.

    Aux yeux de Clément, sa mère était devenue une personne que l’on fréquente de temps à autre. On aurait pu croire que les relations se seraient améliorées après la disparition du grand-père. Il n’en avait rien été, les habitudes étaient prises.

    Durant l’enterrement de la grand-mère, Marcelle était venue se placer auprès de son fils. Le jeune homme était d’ailleurs le seul à représenter la famille dans une église quasi déserte. Il avait fallu qu’une lointaine voisine se chargeât des démarches, sans quoi le garçon était perdu. Perdu, il l’était encore dans cette maisonnette, insoupçonnable au milieu des bois, tellement elle était isolée. On y accédait par un chemin de terre que les ronces et les ajoncs tentaient de coloniser. Il s’en fallait de peu que les broussailles ne l’envahissent complètement. Clément devait tailler régulièrement la végétation exubérante à l’aide d’un croissant.

    Autrefois, des champs et des prairies entouraient la bâtisse. Depuis que Maurice s’en était allé, le propriétaire avait fait planter des pins sur toutes les terres cultivables. Seuls avaient été sauvegardés la dizaine de chênes centenaires, qui constituaient l’airial – un endroit ombragé où se reposait le bétail –, et un jardinet autour de la maison que les pins, en grandissant, privaient de soleil. Disposés à l’ouest, ils représentaient un danger pour la bâtisse en cas de tempête. Clément utilisa cette justification pour arracher au propriétaire l’autorisation de les abattre. En fait, ce dernier s’en fichait : s’il n’avait craint d’être responsable de la perte de vies humaines, la maisonnette, elle, pouvait bien s’écrouler. Il n’en tirait quasiment aucun profit, hormis la main-d’œuvre gratuite de Clément, lorsqu’il en avait besoin.

    La grand-mère et son petit-fils avaient ainsi été contraints de s’adapter à cette perte de terres cultivables, et Justine avait dû se débrouiller pour vendre les trois vaches pendant que Clément risquait sa vie en Algérie où le conflit n’avait jamais été aussi explosif entre les rebelles, les putschistes et l’armée française. Le jeune homme avait mis des mois à s’en remettre. Entre ce qu’il avait fait pour sauver sa peau et ce qu’on l’avait obligé à faire, il avait eu du mal à se retrouver dans l’homme parti deux ans plus tôt.

    Il savait bien qu’il aurait dû imiter ses camarades et abandonner le gemmage. Au lieu de cela, au mois de février qui avait suivi sa libération, il était parti préparer les pins que son grand-père travaillait encore l’année précédente. Forcément, on le prit pour un marginal, voire un demeuré, et les jeunes filles n’aiment pas fréquenter ces gens-là.

    Justine et lui avaient continué de cultiver le jardin ; au moins, ils ne manquaient pas de légumes. Quant à la volaille, Clément avait trouvé la solution : il fallait en vendre pour pouvoir acheter le maïs qu’ils ne produisaient plus et, par conséquent, pour pouvoir en élever davantage. Enfin, il y avait le cochon qui se contentait des restes et des petites pommes de terre. Ils avaient ainsi de quoi se nourrir. Pour le superflu, le produit du travail de Clément et l’infime pension de retraite de Justine permettaient quelques extras. Bon an, mal an, ils s’en étaient sortis jusqu’au jour où, faute d’apport de produit brut, les usines de transformation de la gemme fermèrent les unes après les autres. La poignée de résiniers qui résistaient vit son activité un peu mieux rémunérée. Le prix de la résine avait très peu augmenté en fait, mais cela avait suffi pour que les acheteurs se tournent vers une matière première venue du Portugal et de Chine. C’en était fini de cent ans de gemmage et de bagarres entre propriétaires et gemmeurs.

    Clément fut un des derniers à capituler. Dieu sait s’il aimait cette vie de liberté au grand air ! Aller d’un arbre à l’autre, rafraîchir l’entaille du pin pour que la sève coule et s’accumule dans le pot en terre cuite. Mais, quand la fin arriva pour de bon, il ne se laissa pas pour autant abattre. Il se mit à débiter les cimes des pins sur les chantiers pour les tailler en bois de chauffage qu’il vendait, à s’occuper des jardins que les propriétaires ne pouvaient plus ou ne voulaient pas entretenir. Et, bien sûr, il y avait sa passion, la chasse, probablement héritée de son père. Il n’avait fait qu’une concession – de taille – à ses grands-parents : il n’aurait pas de palombière. Qu’importe ! Il aimait tout autant la chasse à l’alouette, mais il avait dû déménager dans un champ voisin, le sien ayant été planté en pins maritimes. Avant l’alouette, on chassait l’ortolan, ce bruant qui faisait rêver les gastronomes jusqu’à Paris, mais également la bécasse, durant l’hiver. Et la chienne Zita n’avait pas sa pareille pour les débusquer. Clément vendait tout son gibier, une quasi-obligation pour survivre après la disparition du gemmage. Malgré tout, il ne roulait pas sur l’or. Il comptait chaque sou : pour se déplacer, il utilisait la mobylette de son grand-père alors que ses camarades commençaient à acheter des voitures. Ni envieux ni jaloux, Clément ne s’y intéressait pas. Pourtant, il avait passé et réussi son permis de conduire au cours de son service militaire, et il l’avait fait valider dès son retour. Il figurait maintenant bien en place dans son portefeuille, même s’il n’avait encore jamais servi.

    À la sortie de la cérémonie, sa mère lui avait demandé : « Que vas-tu faire maintenant ? » Il ne savait pas, tout comme il ne savait pas ce qu’il allait manger pour déjeuner ce midi-là. Il avisa le jambon suspendu au plafond, dans un sac qui le protégeait des insectes, une mouche ayant tôt fait de pondre des œufs qui donnaient naissance à des vers qui ruinaient la pièce en quelques jours. Il le saisit, découpa une tranche ; ça, il savait faire. Par contre, cuire un œuf, voire deux, était moins évident. Pourtant, il s’était appliqué à observer mémé Justine, surtout les derniers temps où elle était devenue maladroite. Il se remémora ses gestes : verser un peu de graisse au fond de la poêle, laisser chauffer, casser l’œuf et le laisser cuire jusqu’à ce que le blanc épaississe, parsemer d’un peu de sel, noircir de poivre, puis, dans la poêle chaude, déposer la tranche de jambon et la retourner rapidement. Il y aurait bien ajouté un peu de tomate. Il avisa une bouteille de limonade que mémé Justine utilisait judicieusement pour conserver son coulis stérilisé. Il suffisait de la déboucher et de réchauffer son contenu. Voilà, pour son premier repas, il était servi ! Au sujet de la nourriture, il ne s’inquiétait pas : les placards regorgeaient de conserves, des haricots verts au confit de canard et de poule. En cherchant bien, il y avait sans doute aussi un pot ou deux de foie gras. Longtemps, la grand-mère avait gavé ses propres canards et mis ses foies en conserve. Elle les servait principalement pour les fêtes – celle du village, de Noël et de Pâques –, mais elle n’hésitait pas à mettre un pot sur la table lorsqu’elle offrait la collation à des voisins venus lui donner un coup de main. Des gens qui n’avaient pas craint d’accourir, sous un soleil de plomb, pour rentrer le foin alors qu’un orage menaçait. Elle aimait leur faire plaisir.

    Non, vraiment, Clément ne savait pas comment il allait s’organiser. Tout d’abord, il devait voir le propriétaire de la maison ; le bail était au nom de ses grands-parents. Malgré tous les services qu’il lui rendait, n’allait-il pas lui signifier son congé ? Tout était en train de changer dans cette forêt désertée par les gemmeurs devenus ouvriers. Dotés d’un salaire mensuel et tranquillisés par la sécurité du travail, certains, parmi les plus téméraires, n’hésitaient plus à s’endetter pour acquérir une demeure, une voiture. De leur côté, les propriétaires, après avoir planté massivement des pins sur les terres agricoles, mettaient les maisons, abandonnées par les métayers, en vente. De là à les céder à leurs anciens occupants, il y avait un pas à ne pas franchir, en raison des misères que les uns et les autres s’étaient faites, au cours de conflits interminables et impardonnables.

    ***

    On était à la fin du mois de novembre ; la chasse à l’alouette était terminée, mais celle à la bécasse arrivait. Clément décida qu’il pouvait s’accorder une balade en forêt pour faire le point sur ses affaires, en compagnie de Zita et de son inséparable fusil. D’où la nécessité – il aurait dû y penser plus tôt – de donner à manger à la chienne qui attendait avec impatience, la tête posée sur les genoux de son maître. Clément fouilla dans les placards à la recherche de quelques restes qu’il accommoda avec de l’eau, du pain et un peu de graisse. Désormais, Zita était sa seule compagne. Depuis longtemps, il lui parlait comme s’il s’était agi d’une personne et la bête semblait comprendre, si bien qu’elle savait qu’ils allaient sortir. Repue, elle ne se coucha pas. Elle attendait devant la porte tandis que son maître, au lieu de partir immédiatement, s’adonnait aux tâches ménagères qu’il n’avait point l’habitude d’effectuer. Il ne serait pas venu à l’idée de mémé Justine de quitter la maison en laissant traîner la vaisselle et sans balayer le carrelage.

    Clément se sentait bien dans cette forêt et tous les signes lui étaient familiers. Il savait attribuer le moindre bruit à un animal et déceler les odeurs. Il le faisait par habitude, sans y penser. Retrouver ces sensations était toujours pour lui un plaisir incommensurable.

    Ce jour-là, il faisait encore beau, bien que les jours eussent déjà diminué et que la température eût baissé. Le soleil finissait de jaunir les fougères et les feuilles commençaient à tomber des arbres, hormis des pins qui, eux, allaient conserver leur chevelure verte tout l’hiver. Clément s’arrêtait parfois au pied d’un chêne sous lequel il avait déjà trouvé des cèpes. Il savait que, avec un peu de chance, il pouvait en dénicher d’autres, des retardataires, qu’il cuisinerait en omelette le soir même.

    En tout cas, c’était décidé, ce soir, il sortirait la boîte en fer-blanc de Justine dans laquelle elle enfermait ses économies. Sa crainte était de ne pas avoir assez d’argent pour régler les funérailles. Certes, le curé s’accommoderait d’un poulet et de quelques œufs, mais pour le reste Clément était dans l’incertitude. Tout ce qu’il gagnait, il l’avait toujours remis à Justine qui gérait le budget. Elle lui redonnait de l’argent de poche en fonction de ses besoins : acheter des cartouches, de l’essence pour la mobylette et boire un verre de temps à autre au Relais des Chasseurs. Les autres bistrots avaient fermé les uns après les autres, faute de clients. Ceux-ci commençaient à avoir les moyens d’acheter les bouteilles pour boire à la maison, en famille ou entre amis. Un début d’individualisme qui n’allait que progresser.

    Cette sortie en forêt, avec le fusil en bandoulière et le chien qui trottinait, tenait plus de la balade que de la partie de chasse. D’ailleurs, personne n’avait encore vu de bécasses. Zita s’était mise à l’arrêt devant un faisan, magnifique rescapé de l’ouverture de la chasse, mais, aujourd’hui, il était interdit de le tuer et Clément s’en tenait rigoureusement au règlement.

    Sans s’en rendre compte, il avait parcouru pas loin d’une dizaine de kilomètres, empruntant un itinéraire bien rodé qui le ramenait au pied de sa demeure. S’il n’avait pas tiré un seul coup de fusil, il avait tout de même cueilli quelques cèpes ! Avant de passer en cuisine, il devait attraper cinq ou six poulets et les isoler pour le marché de samedi. Il en avait déjà cinq en commande, mais il en prévoyait toujours un de plus. Il y avait souvent un acquéreur à la recherche d’une volaille.

    Lorsque, enfin, il eut rentré son bois – il se chauffait avec la cuisinière et la cheminée d’un autre âge –, la nuit était tombée. Il alluma la radio pour écouter les informations. De Gaulle avait été désavoué, et Pompidou, fraîchement élu, se rodait au pouvoir. Sans faire de politique, Clément aimait se tenir au courant. Il avait l’impression que la société prenait un tournant. Malgré les allégations des uns et des autres, il fallait admettre que, petit à petit, l’argent prenait le pas sur l’homme. Or, dans sa conception, il estimait que l’on devait privilégier l’homme, que l’argent devait être le fruit du travail et pas celui de la spéculation. Ceux qui ne le connaissaient pas ne pouvaient pas imaginer qu’il était capable de ce type de réflexions. Il n’avait pas fait d’études. Mais il était doté d’un réel bon sens. Une remarque désobligeante avait fusé un jour à son adresse. Il se trouvait au comptoir d’un café et elle venait d’un autre client. Un camarade de classe qui le connaissait bien avait pris sa défense : « Méfie-toi de Clément, ne le prends pas pour un idiot. Ce n’est pas parce que tu gagnes davantage que tu es plus intelligent que lui… »

    Rien d’intéressant ce soir aux informations, si ce n’était que Chaban avait du mal à imposer sa nouvelle société. Clément laissa la radio en bruit de fond ; les chanteurs étaient les mêmes que ceux qui s’étaient révélés au début de la décennie.

    Le jeune homme retardait

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