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Le naufrageur d'Ouessant: Polar breton
Le naufrageur d'Ouessant: Polar breton
Le naufrageur d'Ouessant: Polar breton
Livre électronique298 pages4 heures

Le naufrageur d'Ouessant: Polar breton

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À propos de ce livre électronique

Marlène retrouve Ouessant, mais pas pour des vacances : le commissariat de Brest l'a contactée après la découverte du cadavre d'un noyé dans une mise en scène inquiétante...

Ouessant. Une île à part. Un univers tiraillé entre violence et douceur où les vacarmes des éléments succèdent aux plus paisibles des silences et dont l'équilibre se situe quelque part entre un sentiment de refuge et d'insécurité totale. Marlène se souvenait très bien de ces atmosphères. Ouessant, elle comptait y revenir. Mais pas tout de suite, et pas de cette façon. Lorsque la jeune profiler s'installe en Bretagne après trois années d'absence, elle s'attend à une vie plus calme dans cette demeure fraîchement héritée de l'un de ses oncles. Mais c'était sans compter sur cet appel du commissariat de Brest un beau matin de septembre et ce crime bien étrange qui sera le premier d'une série inquiétante. Noyés, pourquoi le sont-ils tous ces cadavres retrouvés dans des mises en scènes très sophistiquées ? Quel message le tueur essaie- t-il de délivrer en se réappropriant la tristement célèbre légende des naufrageurs ?
Plus Marlène avance dans cette enquête, plus elle se trouve à son tour confrontée à son propre naufrage. Les liens qui se tissent entre un meurtrier et l'enquêteur qui le traque peuvent parfois devenir très étroits dans le jeu psychologique où ils s'affrontent. Surtout lorsqu'une douleur intime leur est commune. Cette histoire est une histoire d'îlien, de psychopathe et de naufrage. Mais les choses ne sont jamais exactement comme le suggère leur apparence première, de même que le véritable naufrage ne se trouve peut-être pas exactement là où on le croit. Naufragés de la mer ou naufragés des abysses de nos âmes, le sauvetage passe parfois par des sacrifices dont la nécessité se décline au-delà des lois établies et de la morale.

Plongez dans ce polar psychologique et suivez Marlène, profiler, dans son enquête.

EXTRAIT

L’homme se réveilla. D’instinct, il bougea les bras mais des sangles à ses poignets retinrent ses mouvements. Encore assommé par le coup qu’il avait reçu à la tête, il reprit très vite ses esprits lorsqu’il se rendit compte de l’horrible mort qui l’attendait. Les yeux exorbités devant la vision de cette fin atroce, soudain pris de panique, il tenta à nouveau de se débattre et de hurler, mais le sparadrap qu’il avait sur la bouche l’empêchait de produire le moindre son. Qui aurait pu l’entendre ici de toute façon ? Le grondement du ressac contre la falaise aurait couvert ses cris désespérés. La mer remontait comme d’un puits sans fond, profonde et bouillonnante sur la roche glissante. Elle ne tarderait pas à gravir les derniers mètres qui le séparaient de l’autre monde. Elle viendrait lécher ses pieds, puis son corps tout entier, jusqu’à son visage déformé par la terreur et bientôt… son âme.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Christelle Bariou est née à Paris en 1976, de mère polonaise et de père breton. Elle a grandi en Normandie à Deauville, et demeure à Saint Malo. La Bretagne en général, ses terres, ses gens, ses brumes et ses légendes l'inspirent.
LangueFrançais
Date de sortie8 mai 2020
ISBN9782374690988
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    Aperçu du livre

    Le naufrageur d'Ouessant - Christelle Bariou

    hasard.

    Aux deuils improbables mais souhaités de nos naufrages intimes.

    Aux îliens et à tous les gens de mer.

    L’homme se réveilla. D’instinct, il bougea les bras mais des sangles à ses poignets retinrent ses mouvements. Encore assommé par le coup qu’il avait reçu à la tête, il reprit très vite ses esprits lorsqu’il se rendit compte de l’horrible mort qui l’attendait. Les yeux exorbités devant la vision de cette fin atroce, soudain pris de panique, il tenta à nouveau de se débattre et de hurler, mais le sparadrap qu’il avait sur la bouche l’empêchait de produire le moindre son. Qui aurait pu l’entendre ici de toute façon ? Le grondement du ressac contre la falaise aurait couvert ses cris désespérés. La mer remontait comme d’un puits sans fond, profonde et bouillonnante sur la roche glissante. Elle ne tarderait pas à gravir les derniers mètres qui le séparaient de l’autre monde. Elle viendrait lécher ses pieds, puis son corps tout entier, jusqu’à son visage déformé par la terreur et bientôt… son âme. Encore quelques longues minutes d’agonie… encore une vague… puis deux… et sous la dernière, englouti par les ténèbres salées alors que l’aube pointait doucement à l’horizon, il savait qu’il ne verrait ni celle-ci, ni plus aucune autre jamais se lever. Alors commencerait le sabbat des sentinelles au-dessus des grèves…

    Début d’après-midi dans la campagne rennaise quelques heures plus tard.

    Le corps légèrement cambré vers l’arrière, Marlène, admirait le bleu du ciel au-dessus d’elle et le vert de cette prairie caressée par un doux vent d’été encore bien que nous soyons déjà en septembre. Le feuillage des arbres fruitiers bruissait par moments, comme secoué de frémissements, et l’étang, au beau milieu du champ, aussi placide que les cieux, renvoyait le reflet de cette harmonie presque parfaite. Tout était calme enfin. Enfin, elle pouvait prétendre à un peu de repos. Assise devant le perron de sa toute nouvelle demeure, dans son vieux jean lacéré, elle savourait le semblant d’un instant de paix en même temps que son premier verre de gin, et l’ivresse commençait doucement à envahir son être. Cette atmosphère était si rassurante, si paisible. Et cette atmosphère était maintenant à elle, même si elle ne le réalisait pas encore totalement. Elle ferma les yeux, se laissant bercer par le silence. Elle s’enfonça un peu plus encore dans le fauteuil de jardin pour mieux profiter de l’instant éphémère. Les fils de son jean raccommodé s’enroulèrent autour des tiges d’osier. Elle se mit alors à imaginer reconnaître le moteur d’une voiture au loin. La BMW tournait en haut de la route, puis dévalait la côte, empruntant le chemin privé pour venir se garer juste devant elle. Il revenait. Il revenait et il allait vivre avec elle, ici. Ils seraient réunis, pour toujours cette fois, dans cette grande maison qui lui appartenait depuis à peine trois semaines, et ils auraient des tas de projets d’avenir ensemble, ici ou ailleurs du reste, cela n’avait aucune importance. Combien de fois avait-elle fait ce rêve secret depuis qu’elle était là ? Combien de fois avait-elle ressorti cette vieille relique du placard, ce vieux jean qu’elle lui avait demandé de déchirer un jour, juste pour avoir sur elle en permanence cette empreinte de lui, comme une présence qui collait à sa peau ? Elle n’était rien sans lui à l’époque. Elle n’existait que dans son regard et lui de même, et elle aimait à penser que rien n’était plus fort que ça au monde, car tel était le cas.

    Cela faisait trois ans maintenant. Trois ans qu’elle n’avait plus aucune nouvelle de cet amour avorté. Mais bien évidemment, le cerveau ignore toujours ce que la raison s’efforce de lui dicter. Il se réfugie dans son passé, surtout quand les lieux sont souillés de souvenirs qui hantent les moindres chemins, jusque dans le parfum subtil d’une fleur ou le grincement familier d’une porte. Comment Dieu était-il possible de vivre des choses pareilles ? Et surtout, comment Dieu pouvait-on en guérir ? Il ne semblait pas y avoir d’antidote au poison ravageur de l’amour. Elle soupira bruyamment, se pencha pour prendre son verre et s’apprêta à boire une autre gorgée en espérant que celle-ci lui apporterait l’amnésie tant désirée lorsqu’elle entendit au loin sonner son portable à l’intérieur.

    Au début, elle décida de ne pas répondre, sachant que rien d’important n’était susceptible de la déranger jusqu’à lundi matin du moins, c’est-à-dire dans trois jours. Mais après une courte pause, l’appel se réitéra une seconde fois, puis une troisième, sans laisser de message. A la quatrième sonnerie, la curiosité la poussa à s’extirper de son siège pour aller voir qui insistait autant pour la joindre. Un peu vaseuse déjà, du fait des quelques lampées qu’elle venait de s’avaler à jeun, elle emporta son verre avec elle et déambula lentement jusqu’à la table de cuisine pour atteindre l’objet en question. Lorsqu’elle le prit dans sa main, elle vit s’afficher sur le petit écran un numéro de mobile qu’elle ne connaissait pas et sans savoir pourquoi à cet instant, elle eut le pressentiment qu’il ne s’agissait pas d’un appel amical.

    S’éclaircissant la voix, elle décrocha et déclara alors comme un réflexe professionnel :

    – Marlène Skleuzek.

    Au bout du fil, une voix féminine répondit d’un ton froid, un peu nerveux, avec cet accent très caractéristique qu’elle reconnaîtrait entre mille.

    – Inspecteur Skleuzek, commissaire Burgol du commissariat de Brest à l’appareil.

    – Commissaire, rétorqua la jeune femme, sachant dès lors exactement à quoi s’attendre, que puis-je pour vous ?

    La voix énergique reprit la parole, des bruits de fond autour d’elle, et un peu de vent dans l’appareil.

    – Désolée de vous déranger pendant vos congés, je sais que vous n’êtes pas encore en service dans votre nouvelle affectation, mais ce que j’ai sous les yeux je crois pourrait bien mériter l’œil d’un expert, alors je me suis permise de…

    – Pas de soucis, coupa Marlène tout ouïe, sentant déjà son cœur battre d’impatience, dites-moi de quoi il s’agit.

    – A vrai dire, continua la voix, tant que les choses sont encore là, intactes, j’aimerais que vous puissiez constater par vous-même avant que nous déblayions la voie. Je préférerais vous donner les autres détails sur place si cela ne vous gêne pas. Mais j’aimerais que vous voyiez la scène de crime telle qu’elle est. Quelque chose vous interpellera peut-être dans ce fait divers. Quelque chose qui échappe à notre regard.

    – Très bien ! rétorqua-t-elle, n’en demandant pas plus. Dites-moi où vous vous trouvez alors et j’arrive dès que possible.

    Quinze minutes plus tard, la jeune propriétaire chargeait sa voiture de quelques affaires et s’apprêtait à quitter la tranquillité de sa longère pour reprendre le travail plus tôt que prévu. En réalité, cela n’était pas une mauvaise chose, bien au contraire, car les vacances l’ennuyaient vite. Depuis trois ans, les vacances ne ressemblaient en fait plus à grand-chose dans sa vie. Au moins sur le terrain, elle se sentait utile et parvenait à s’oublier un peu pour entrer dans une histoire autre que la sienne.

    Marlène était ce que l’on appelait un profiler, c’est-à-dire une spécialiste dans le profilage psychologique des tueurs en série. Lorsque la police tombait sur un cas difficile ou particulièrement étrange, qu’elle ne parvenait pas à résoudre avec les moyens dont elle disposait, on faisait appel à ses compétences. En général, le crime sur lequel elle travaillait n’était soit pas le premier, soit il avait quelque chose de très spécial dans son mode opératoire qui laissait supposer une possibilité de suite macabre. Elle tentait alors de dresser le portrait psychologique du meurtrier afin de comprendre ses motivations pour devancer ses actes et retrouver sa trace avant de nouveaux drames. Cela faisait près de sept ans qu’elle exerçait et qu’elle avait plusieurs affaires résolues à son actif. Il était fascinant d’entrer dans la tête d’un tueur, de tenter de comprendre ses pulsions, ses déviances, ou la traduction de ses douleurs, exprimées dans l’art de ses assassinats ; mais par-dessus tout, elle aimait étudier le mécanisme mental qu’avait développé celui-ci pour survivre à ce qui le dépassait ou pour dédoubler sa personnalité. Cela faisait appel à un tas de processus cognitifs très complexes, remontant parfois aux origines de l’homme, et qui démontrait notre capacité d’adaptation face à une situation de douleur ou de stress que la raison ne sait pas gérer à froid. Elle en apprenait beaucoup sur ses congénères à travers les criminels. Souvent même, elle trouvait une part inavouable d’elle-même en eux, une réponse plus virulente à l’écorchée vive ou à la petite fille blessée qu’elle était, une voie parallèle qu’elle empruntait le temps d’une enquête et cela pouvait parfois se révéler être assez troublant. Il fallait une bonne dose de schizophrénie pour endosser ce rôle. Peut-être d’ailleurs, était-ce dans son monde à elle une certaine forme d’équilibre ?

    Ce métier la passionnait, même s’il lui avait valu bien des sacrifices : le devoir de faire ses premières armes dans la capitale, l’impossibilité d’avoir une vie comme elle le souhaitait au fond, et surtout, le non-droit de vivre un amour qui s’était brisé, en partie à cause de ses interminables allers-retours.

    Ce dernier événement avait définitivement tué quelque chose en elle, et c’est en partie pourquoi, il y avait un mois de cela, lorsque l’un de ses oncles décéda de façon inattendue, elle décida de racheter la maison et de saisir cette occasion pour s’installer définitivement en Bretagne. Tout le monde avait critiqué ce coup de tête insensé, mais elle y avait vu là un signe du destin et avait immédiatement demandé sa mutation, quitte à démissionner sur-le-champ et faire autre chose si celle-ci lui était refusée.

    À contrecœur, mais au vu de ses compétences rares, son patron l’avait fait transférer dans une brigade rennaise, lui promettant là-bas des jours plus calmes, bien moins trépidants. Et voilà qu’avant même son premier jour officiel de travail elle est appelée, dans le fin fond du Finistère qui plus est, pour y étudier un mystérieux meurtre. Elle en souriait toute seule en empoignant la clé de la demeure. N’était-ce pas là encore une belle ironie du sort ?

    Elle ferma la porte, puis monta dans sa voiture et prit la route en direction de Brest, suivant les indications que lui avait données la commissaire. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle allait trouver en arrivant. C’était toujours une surprise, et Marlène était habituée à tout. Plus rien ne choquait son âme, pourtant sensible, mais au fur et à mesure que les kilomètres défilaient sur la quatre-voies, c’était une tout autre angoisse qui montait en son cœur. Cette enquête serait sa toute première au pays, et même si l’excitation l’accompagnait, depuis le temps qu’elle attendait cela, elle craignait en même temps cette expérience.

    Comment serait-elle acceptée ? Elle qui débarquait de la capitale, avec tous les préjugés que l’on pouvait avoir là-bas sur les gens comme elle, surtout dans le petit bout de bout du monde où elle allait et surtout pour ce qu’elle venait y faire. Mettre son grain de sel dans une affaire peut-être déjà en cours, intégrer une équipe déjà constituée, originaire du secteur qui plus est et fière de l’être sûrement, puis fouiller dans la vie des gens du patelin qui n’avaient probablement aucune envie de lui parler, à elle, l’étrangère. Elle connaissait bien les gens de ces contrées et la rudesse de leur caractère, même si elle les aimait au fond. Elle espérait seulement qu’ils soient un peu différents de ceux qui composaient les membres de sa famille.

    Durant le trajet le temps se modifia un peu, se couvrant de quelques nuages dont les ombrages soulignaient encore plus fortement la couleur des champs et les contrastes de la terre. Elle ne se lassait pas d’admirer les paysages qui défilaient devant elle. Pauvres étaient ces ignorants, pensait-elle tout bas, qui ne savaient apprécier les trésors qu’offraient ces cieux tourmentés.

    Deux heures et demie plus tard, l’arrivée sur Brest se précisait sur les panneaux. Elle quitta les grands axes pour bifurquer par les petites départementales puis dans une campagne plus intime qui longeait la côte par des routes tantôt bordées de buissons, de bruyères serrées, tantôt d’arbres tortueux. La végétation y était dense et ténébreuse. La fenêtre entrouverte, elle pouvait sentir l’odeur humide et salée des sous-bois qui parvenait à ses narines comme une douce fragrance connue, pleine de souvenirs. Elle ralentit, cherchant des yeux les indices de reconnaissance pour se rendre à l’endroit précis : une descente vers la plage, exactement 3 km après le second virage, et que le GPS ne reconnaîtrait pas lui avait dit la commissaire, mais qu’elle avait pris soin de dessiner à la main sur un petit plan improvisé.

    Se fiant scrupuleusement au dessin, elle se retrouva bientôt sur une voie très étroite qui semblait descendre en direction de la mer. A peine six cents mètres plus loin, elle y vit du monde et reconnut les bandes de sécurité qui fermaient le périmètre au public. Elle avança lentement, brandissant sa carte contre le pare-brise pour qu’on la laisse passer et elle aperçut devant elle ce qu’elle devina être la scène de crime : une voiture retournée, parallèle à la route, le capot sur le sol et les quatre roues en l’air. Une image décalée qui surprenait dans ce décor.

    La voyant arriver, une femme brune, très mince, à peine plus âgée qu’elle, s’approcha lui faisant signe de s’arrêter sur sa droite. Elle s’exécuta, se gara et ouvrit sa portière pour sortir.

    – Inspecteur Skleuzec ? demanda celle-ci en lui tendant une poignée de main.

    Marlène acquiesça.

    – Commissaire Burgol. C’est moi qui vous ai appelée tout à l’heure.

    – Bonjour commissaire, répondit l’inspectrice, lui rendant sa poignée de main énergique voulant se présenter à son tour, mais l’autre ne la laissa pas en placer une de plus.

    – Bien, venez avec moi, la pressa-t-elle, ne perdons pas de temps, j’ai plusieurs choses à vous montrer.

    Ne prenant pas la peine de répondre, Marlène la suivit, entraînée par la cadence rapide de ses pas. En se rapprochant elle distingua de loin un corps à l’intérieur de la voiture, mais quelque chose depuis les premières minutes où elle était arrivée la dérangeait, lui semblait anormal. Elle leva les yeux, se retourna, jetant un œil sceptique tout autour.

    – Excusez-moi, interrogea-t-elle un peu perplexe, mais comment cette voiture a-t-elle pu faire un tonneau ici ?

    – Remarque perspicace ! lui rétorqua la locale, levant un doigt en l’air, arborant un sourire qui donnait tout de suite à ce visage anguleux un aspect un peu moins austère. Comme vous avez dû le voir en arrivant, l’étroitesse de la route ne permettrait pas à un véhicule de se retourner, effectivement. Qui plus est dans cette position. En imaginant que cela se produise, et cela me paraît franchement difficile, il se serait arrêté en travers, sur le flan. Impossible d’avoir assez d’élan pour faire plusieurs tonneaux ou atterrir dans cette position, déclara-t-elle, lui tendant des gants au fur et à mesure qu’elles s’approchaient de l’accident, de plus, nous avons inspecté cette zone, et nous n’avons trouvé aucun obstacle sur le chemin susceptible de provoquer un accident.

    Marlène fronça les sourcils tout en enfilant les gants.

    – Il n’a donc rien heurté vous voulez dire ?

    – Rien.

    – C’est une mise en scène ?

    – Sans l’ombre d’un doute, répondit l’autre de cette façon toujours un peu expéditive, mais ce n’est pas la seule chose qui soit incohérente avec le lieu. Tenez, penchez-vous donc sur le corps, lui suggéra-t-elle en arrivant juste à la hauteur de la carrosserie.

    La jeune femme intriguée avança d’un pas encore, et se pencha doucement à l’intérieur s’appuyant sur le capot. La première chose qui la frappa quand son regard fouilla l’habitacle fut cette eau qui dégoulinait sur le sol depuis le cadavre. Elle examina celui-ci d’un peu plus près. Il s’agissait d’un homme d’une cinquantaine d’années environ, de race blanche, attaché avec sa ceinture de sécurité à la place du conducteur, la bouche et les yeux entrouverts. Ses vêtements étaient eux aussi trempés.

    – Je peux ? demanda-t-elle en posant une main sur la clenche de la portière.

    On lui fit un signe de tête en guise d’autorisation.

    Elle ouvrit alors avec précaution et souleva l’une des mains de la victime pour en examiner les ongles ainsi que les doigts. Ils étaient cyanosés, tout comme son visage qui arborait le teint bleu violacé des noyés. Des marques étaient visibles sur la peau de ses avant-bras, laissant supposer qu’il avait été attaché et qu’il s’était débattu. Un léger filet de bave écumait de la commissure de ses lèvres.

    Elle se redressa lentement.

    – Mort noyé ? souffla-t-elle avec une grimace.

    – Exact ! répondit sa supérieure temporaire. Et c’est bien de l’eau de mer ! se crut-elle obligée d’ajouter. Au cas où le doute vous effleurerait encore.

    Ne réagissant pas à cette pointe d’humour noir, qui se voulait certainement dédramatisant, Marlène fouilla dans sa poche pour en sortir une petite lampe torche.

    – Le véhicule lui appartient ? interrogea-t-elle, continuant son inspection avec minutie.

    – Oui c’est sa voiture. Les papiers retrouvés sur lui correspondent à son identité. Mais il n’a pas été noyé à l’intérieur. Le moteur est intact et les sièges ainsi que le plafond sont secs. Il a été noyé, puis mis dans celle-ci, laquelle a été emmenée sur cette route avant d’y être retournée. On a ensuite installé le corps au volant, tranquillement, et l’on a même pris soin de lui mettre sa ceinture. Pas de trace d’effraction. Le tueur avait la clé ou était avec lui.

    – Donc soit quelqu’un qui le connaissait, et en qui il avait confiance, soit emmené de force sous la menace.

    – Possible.

    – On a pu relever des empreintes ?

    – C’est en cours, mais il est trop tôt pour savoir.

    – A quand remonte la mort ?

    – Environ huit heures. C’est-à-dire à la dernière marée. Vers à peu près trois heures du matin.

    – Trois heures était l’heure du plein c’est ça ? demanda l’experte, éteignant la lampe pour relever la tête hors de l’habitacle.

    La commissaire confirma une nouvelle fois d’un signe de tête.

    – Donc cela veut dire qu’il a été emmené dans la nuit, de son plein gré ou de force, réfléchit-elle à voix haute, et avec sa voiture…

    – Hum ! hum !

    – Puis il a été noyé, quelque part, non loin d’ici de toute évidence. On l’a attaché semble-t-il, à une pierre ou à un anneau qui servait à amarrer les bateaux, et on a attendu. On a attendu que la marée redescende pour aller le chercher. Ce devait être tôt le matin. Peut-être n’était-on pas obligé d’attendre que la mer soit complètement basse d’ailleurs. Trois ou quatre heures auraient pu suffire pour que le chemin soit de nouveau praticable. Une grotte ou un morceau de falaise découvert à marée basse, accessible par la plage pouvait faire l’affaire. On l’a transporté jusqu’ici, on l’a installé dans sa voiture et on l’a retournée, finit-elle, son regard cherchant la mer, imaginant la scène.

    – C’est à peu près ça oui.

    – Pensez-vous qu’une personne ait pu faire tout ça toute seule ?

    – Possible, mais difficile en effet, admit la femme. Pour la voiture surtout. Un homme assez fort aurait pu porter le corps, mais mettre la voiture dans cette position est bien moins évident, surtout quand on est pressé par le temps. Des touristes passent parfois par ici, ou des gens du coin qui font leur jogging, même très tôt.

    – Ils étaient donc forcément plusieurs, avança Marlène, au moins deux. Il y avait un complice.

    – Rien ne nous permet de l’affirmer pour l’instant, mais je pencherais aussi pour cet avis.

    La jeune inspectrice sentit de légers frissons lui parcourir le dos. Son regard balaya la cime des arbres, puis les buissons et la terre humide avant de revenir doucement se poser sur le corps inerte. Lorsque les crimes s’étaient passés en extérieur, elle avait toujours un sentiment étrange à arpenter les lieux. Ils étaient là, ces policiers incultes, à chercher des preuves ou des indices avec tout leur matériel sophistiqué, pendant que la nature elle, simplement et silencieusement, savait. Ces consciences végétales et minérales connaissaient les moindres détails. Elles gardaient la mémoire des cris ou des souffrances humaines qui avaient souillé leur séculaire quiétude, les avaient secouées dans leur sommeil. On pouvait encore sentir l’oppressante odeur de la crainte dans l’humidité des sous-bois. Parfois même les pierres avaient bu le sang humain répandu, qui restait à tout jamais dans leur roc et l’air avait lu les pensées de l’acteur principal de ces carnages. C’était terriblement troublant. Troublant d’être là et de marcher sur cette mémoire endormie, illisible et pourtant si proche. Si proche qu’elle-même parfois, ces odeurs de mort elle pouvait les humer, tout comme elle pouvait sentir le poids d’une présence intrusive dans son dos.

    C’était quelque chose qu’elle connaissait depuis son enfance, dont elle ne parlait jamais, mais qui souvent l’aidait à suivre une direction plutôt qu’une autre dans ses recherches. En ce moment même, elle regardait cet endroit, et elle savait déjà qu’elle allait y revenir. Seule, au crépuscule peut-être, ou avant que le jour ne se lève.

    – On lui en voulait, déclara-t-elle, reprenant le cours de ses pensées. On en voulait à cette personne et on avait certainement de bonnes raisons de la faire disparaître. Mais dites-moi, si je me trompe, il y a un tas d’endroits ici j’imagine où un accident peut vite arriver n’est-ce pas ?

    – Absolument.

    – Alors, pourquoi se donner tant de mal ?

    – C’est précisément pour cette question que je vous ai fait venir. Il n’a pas cherché à dissimuler ce meurtre. Au contraire. En faisant cela, il sait très bien qu’on ne peut pas croire à l’accident, et il ne souhaite pas que l’on y croie de toute façon. Je pense que c’est un message. J’ignore ce qu’il signifie, mais je vais même vous dire : je pense que demain lorsque cet événement paraîtra dans le journal, certaines personnes auront du mal à dormir.

    – Vous croyez qu’il ne s’agirait pas d’un crime isolé ? demanda-t-elle, surprise de cette déduction hâtive qui ressemblait en même temps à une confidence.

    – Peu de chance, rétorqua l’autre d’une voix plus basse. Pour moi, on n’aurait pas exposé un crime de la sorte si ce n’était pas pour marquer le coup. Vous savez c’est une petite bourgade tranquille ici où beaucoup de gens se connaissent depuis des générations, voire, ont même des liens de parenté. La plupart du temps, les drames de campagne s’arrêtent à un crime passionnel entre amant et mari jaloux, à la folie meurtrière d’un employé viré ou à un délire d’alcoolique qui sort le fusil de chasse et tue tous ses voisins car il a raté sa vie. Mais on ne gaspille pas autant de temps et d’énergie pour poser un décor. Alors soit le meurtrier est un obsessionnel qui n’accorde d’importance qu’à

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