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Rubis sur l'ongle: Polar
Rubis sur l'ongle: Polar
Rubis sur l'ongle: Polar
Livre électronique217 pages2 heures

Rubis sur l'ongle: Polar

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À propos de ce livre électronique

Flávio aurait pu mener la vie facile promise à un fils de Premier ministre. Mais depuis qu’il a quitté son Brésil natal, il court après le fric. Trafic de drogue, prostitution... Pourvu que ça rapporte gros. C’est ça, sa nouvelle vie à New York. Mais le meurtre, jamais. Question d’éthique. Pourtant, lorsqu’on retrouve le cadavre d’une jeune Brésilienne dans une chambre d’hôtel, c’est le coupable idéal.
Descente dans les bas-fonds du monde politique, où ceux qui sont prêts à payer rubis sur l’ongle ont souvent de terribles secrets.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Marcelo Rubens Paiva est né à São Paulo en 1959. Fils d’un député disparu sous la dictature du Brésil des années 70, il est écrivain et journaliste. Son travail littéraire est récompensé par le prestigieux prix Jabuti en 1983. Il est traduit en français pour la première fois.
LangueFrançais
ÉditeurDecrescenzo
Date de sortie30 avr. 2020
ISBN9782367270937
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    Aperçu du livre

    Rubis sur l'ongle - Marcelo RUBENS PAIVA

    Rubis_Cover.jpeg

    Marcelo Rubens PAIVA

    RUBIS SUR L’ONGLE

    Roman

    Traduit du portugais (Brésil) par Richard ROUX

    avec la collaboration de Claire ACCART

    DECRESCENZO

    Ouvrage publié sous la direction de

    Lucie ANGHEBEN et Julien PAOLUCCI

    Titre original : Bala na agulha

    © Marcelo Rubens Paiva, 2017

    Tous droits réservés

    © Decrescenzo éditeurs, 2020

    pour la traduction française

    ISBN 978-2-36727-070-8

    La couverture de

    Rubis sur l’ongle

    a été réalisée par Thomas GILLANT

    Mes mots sont l’expression de la vérité. De ma vérité, en tout cas.

    Mais voulez-vous vraiment la connaître ?

    NEW YORK

    23 h 50

    Pendant qu’elle était à terre, j’ai noué la corde à son poignet. Puis je l’ai entraînée vers la chambre. Elle criait (malgré le foulard qui servait de bâillon), mais personne n’a rien entendu. Je l’ai jetée sur le lit, je me suis appuyé sur elle de tout mon poids et j’ai lâché d’un ton menaçant :

    — Tiens-toi peinarde ou gaffe au surin !

    L’éclat de son regard s’était éteint, l’éclat de ces yeux bleus avec lesquels elle m’avait regardé auparavant. À présent, ils étaient rouges, son regard apeuré, plein de haine.

    — Je vais faire vite. D’habitude j’y passe la nuit, mais aujourd’hui, c’est pas possible. Un jour, à l’occasion, je t’expliquerai…

    J’ai interrompu la confidence : c’était elle la cliente, pas moi ; c’étaient ses fantasmes qui comptaient, pas les miens. Si quelqu’un avait le droit de se lâcher, c’était bien elle : elle raquait pour ça. Je me suis remis à agir en pro. J’ai attaché ses bras à la tête du lit. J’allais lui ligoter aussi les chevilles quand elle m’a filé un coup de pied dans la poitrine qui m’a fait aller au tapis.

    — C’est pas bientôt fini, non ?

    Je n’avais jamais eu de cliente opposant autant de résistance, c’était dingue !

    — OK, vous payez, mais laissez-moi faire ! J’ai presque fini !

    Elle s’est détendue. J’avais renoncé à lui immobiliser les jambes. Elle portait une jupe descendant jusqu’aux genoux. J’hésitais à la lui enlever. Finalement, si. J’ai déboutonné son chemisier. Nue. Elle a contracté le ventre. Nue. Elle a croisé les guiboles et fermé ses quinquets. Putain de vie de merde ! Pourquoi est-ce qu’elles allongent les pépètes si finalement, pour elles, le plaisir n’est qu’une souffrance ?

    — Je me fous à poil ?

    Pas de réaction. Mon contact avait stipulé que je devais la baiser fringué en bagagiste, comme si c’était un viol. Mais j’en avais rien à foutre de mon contact. J’ai retiré mes pompes et mon froc. Debout, j’ai regardé son corps sans défense, sa peau lisse, blanche. Un doute m’a traversé l’esprit : elle n’avait pas besoin de payer un gigolo pour faire ça, c’était exactement le genre de nana que tous les mecs désirent.

    Pas tout de suite.

    Remontons le temps… de quelques heures.

    Un peu de patience.

    Il vaut mieux commencer par ce qui m’était arrivé cet après-midi-là ; il y a certains points qu’on ne peut négliger. On dit qu’on ne se connaît pas soi-même, alors je vais entrer dans les détails. Je vais essayer de faire revivre le passé, dans le style baguette magique.

    Maintenant, je me souviens.

    Dans l’après-midi.

    Il faut tout revoir. Heure par heure, minute par minute. J’étais et je suis toujours un type sans patrie, sans nom, sans avenir. Le temps était, est encore, mon unique bien. Je ne le contrôle pas. Il s’écoule. J’essaie de m’agripper à lui avant qu’il ne soit trop tard et que je sois condamné pour l’avoir laissé fuir. Qu’est-ce qui ne change pas ? Tout change. Mais pas le décompte du temps. C’est le seul moyen : s’y accrocher. C’est la seule planche de salut.

    MERCREDI

    Le mec aboyait :

    — Ass ? Ass ? Ass¹ ?

    Il proposait ça à tous ceux qui passaient près de lui en traversant Washington Square, porte d’entrée du Village². La première fois que je l’ai vu, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un michetonneur essayant de se vendre pour un coup :

    — Ass ? Ass ? Ass ?

    Erreur. Un simple dealer en train de proposer un voyage au LSD pour dix dollars.

    — Acide, acide, acide…

    J’habitais le Village depuis déjà un bon bout de temps. Le quartier et moi, on était deux potes. Pour rentrer, j’étais obligé de traverser Washington Square. Le dealer me connaissait. Chaque fois qu’il me voyait – et sachant bien, pourtant, que je ne m’arrêtais jamais –, il débitait, imperturbable :

    — Acide, acide, acide…

    J’appréciais sa persévérance, qui me faisait prendre conscience de mon retour à la maison – preuve que j’étais encore vivant. Je ferais peut-être ce chemin ma vie durant. Lui serait toujours au même endroit en train de proposer son acide, insensible aux transformations du monde. C’était bon et mauvais. Bon parce que, dans mon boulot, c’était agréable, harmonieux : le signal quotidien que j’étais toujours en vie. Mauvais parce que, dans ma vie justement, rien ne changeait jamais – comme si l’histoire n’était qu’une suite de répétitions. Un jour peut-être, je m’arrêterais et le lui achèterais, son putain d’acide.

    . Ass : en anglais, « cul ».

    . Greenwich Village : grand ensemble d’immeubles dans le quartier de Manhattan.

    16 h 30

    New York, l’été. Les rues bondées de monde, la chaleur : un vrai four ; tout était excessif. Sur le chemin du retour, la même rengaine :

    — Acide, acide, acide…

    La chanson du retour, j’étais vivant, rien n’avait changé et, pour la première fois depuis des années, j’avais envie que quelque chose de sérieux m’arrive, me fasse sortir de ce cercle infernal. Que ça arrête de tourner en rond ! Un changement.

    Au moment où j’ai ouvert la porte de mon appart, un chiffre s’est présenté comme l’annonce de la transformation. La lumière rouge sur le cadran de mon répondeur. Un chiffre brillait : 6. Mauvais pressentiment. Six messages enregistrés,  c’était loin d’être fréquent. Je le savais par expérience, l’excès correspond à un dérèglement : quelqu’un désirait anxieusement me joindre, joindre quelqu’un.

    Le chiffre 6 luisait et moi je me demandais si je devais écouter les messages ou les ignorer. Soudain, le téléphone a sonné. Ça ferait sept si je ne répondais pas.

    — Putain de merde, j’ai pas arrêté de te téléphoner toute la journée !

    À l’autre bout du fil, c’était la voix de Marcos de Sotto, assesseur de je-ne-sais-quoi du consulat brésilien à New York. J’en ai déduit que c’était lui le client anxieux.

    — T’es où ? j’ai demandé sur un ton cordial, pour gagner du temps.

    Je me foutais éperdument de savoir où il était. Mais la pratique m’avait appris le savoir-faire : la relation entre dealer et client est une transaction teintée d’une empreinte paternaliste nettement marquée. Au cours d’une négociation, la soif de consommation, la méfiance et la paranoïa jouent un rôle essentiel (fractures ouvertes). C’est fréquemment à nous, dealers, qu’échoit la nécessité de calmer les esprits de certains clients tourmentés.

    — Je suis au Plaza et je t’ai déjà appelé cent fois !

    Le nom Plaza m’a fait frissonner et j’ai failli raccrocher. Quelqu’un qui pouvait se payer une chambre dans cet hôtel et avait un tel besoin de dope était, sans aucun doute, un Brésilien important. Et, comme toujours, Marcos de Sotto était prêt à satisfaire les désirs urgents d’une grosse légume brésilienne. Mais vendre de la coke à ce genre de bonhomme présente un risque – un risque que, normalement, je n’aurais pas couru.

    — Combien il en veut ?

    — Ça dépend. C’est de la pure ?

    — Sûr.

    Et c’était vrai. J’étais toujours honnête avec les clients et les intermédiaires, ce qui me garantissait la réputation d’être l’un des dealers de Manhattan en qui on pouvait avoir le plus confiance. En outre, il était préférable d’être honnête et de faire des affaires par téléphone que de vendre de l’acide au coin de Washington Square.

    — Qu’est-ce que tu as ?

    — Pas grand-chose, j’ai dit pour noyer le poisson.

    Autre habitude : rester prudent avec les clients angoissés.

    — Dix grammes ?

    — Ouh là ! Je sais même pas si j’en ai cinq.

    — Que ça ?

    — Et encore…

    — OK. Tu prends un taxi, tout de suite ! Tu me retrouves dans le hall de l’hôtel.

    Et il a raccroché.

    Il existe une éthique dans ce genre de commerce. De même que, pour une pute, il n’est guère recommandable de choisir son client, il est dangereux de refuser de la poudre à un consommateur fébrile : celui-ci peut se transformer en dénonciateur, exercer un chantage – attitude provoquée par le désespoir résultant de l’état de manque. Et il vaut quand même mieux supporter un client embarrassant que de mettre ses affaires en danger. Les Brésiliens vivant à New York sont les pires clients pour un dealer qui se veut un peu classe. Ils se plaignent du prix : plus cher qu’au Brésil ; ils demandent toujours une ristourne, un peu de rab, une sniffette en plus, en l’honneur de leur saint protecteur, des conneries qui ne font que rendre plus difficile la transaction. Mais tout en sachant cela, je faisais quand même des affaires avec Marcos de Sotto ; il n’est pas toujours totalement inutile d’avoir des amis au consulat.

    J’en avais nettement plus de cinq grammes. Mais c’était seulement cette quantité que j’avais négociée. Son anxiété incitait à la prudence. J’avais décidé que lui ou la personne à qui il servait d’intermédiaire snifferait cinq grammes et rien de plus. Plus signifiait emmerdes. Dans ce genre d’affaires, le moindre geste doit être pesé. Les phrases à double sens garantissent la sécurité. On passe plus de temps à brouiller les cartes qu’à réaliser des actes concrets. Pourtant, Marcos n’avait pas respecté les règles et était allé droit au but. Il fallait que je sois cordial, mais ferme. Les lois du business ont été créées par nous-mêmes, vendeurs et acheteurs. Les codes et les symboles sont perso. Il m’a fallu longtemps pour apprendre tous les trucs. J’avais une longue carrière devant moi et, jusqu’à ce moment-là, je faisais tout pour la garantir.

    Ou non.

    Merde !

    Dérailler. J’en avais plein le cul de tout ça. M’arrêter.

    Malgré mes années d’expérience dans ce job, j’éprouvais toujours un profond mépris pour le consommateur de poudre. Son nez, quelles que soient sa couleur et sa forme, se dilate – le bonhomme se met à renifler, comme s’il avait une truffe de chien. Il suffisait de lui montrer de la blanche pour qu’il devienne servile, obéissant, soumis (troupeau docile). Le bruit de la lame de rasoir écrasant les grains de came sur un miroir, la préparation, le rituel, tout cela me bouffait de l’intérieur et me donnait l’envie de courir, crier, demander de l’aide pour ne pas me consumer. Au contraire. Mon devoir m’obligeait à rester, assister au cérémonial, obtenir leur assentiment, et récupérer le fric. Au-delà de ce nez gigantesque, tout ce que je voyais, c’était le paquet de biffetons que le client se trimballait dans la poche. Quelquefois, j’attendais que la drogue fasse son effet. Le plaisir du camé était le signal d’alarme qui me vrillait la tronche et m’annonçait qu’il était temps de tailler la route. De disparaître.

    Oubliez donc un peu les pièges de la morale.

    Le problème était en moi. Je méprisais mon gagne-pain, puisque je n’avais pas réussi à survivre d’une autre manière ; c’était le portrait d’un raté qui se dessinait à mes propres yeux. Une vie gâchée, et je n’avais personne à qui m’accrocher ou demander pardon.

    Quand le grain de cette pensée commençait à germer, je l’enfouissais sous une pelletée de chaux vive : je me souvenais des cent soixante-quinze mille dollars, gagnés grâce à des années de deal, qui se trouvaient dans une mallette, planquée dans une cache de mon armoire. Un jour, j’en étais persuadé, viendrait l’heure de m’arrêter et de jouir de mes gains. Peut-être le chiffre 6 qui brillait et le coup de fil de Marcos de Sotto constituaient-ils le signal attendu ?

    C’est vraiment la merde de vendre de la cocaïne à un nez géant, brésilien, en voyage aux States. C’est vraiment la merde de vendre de la cocaïne à un client anxieux dont l’intermédiaire vous raccroche au pif sans même demander le prix du gramme. C’est vraiment la merde de faire des affaires avec des clients du Plaza. Rester à la maison, cette fin d’après-midi-là, aurait été la plus sensée des attitudes et ça crevait les yeux. J’ai fourré cinq grammes dans ma poche et, à l’encontre de toutes mes habitudes, je suis parti vers ce foutu déraillement.

    Et c’est arrivé.

    C’est venu comme une tornade.

    Et tout s’est arrêté de ronronner.

    17 h 25

    J’ai traversé le hall du Plaza en constatant (sensation de danger) que Marcos n’était pas là, comme il l’avait dit. Si j’avais obéi à mes vieux principes de sécurité, j’aurais tourné les talons et je serais parti. Mais non. Me surprenant moi-même, je me suis assis dans un fauteuil situé loin de l’entrée et j’ai ouvert un journal ; je n’étais plus moi-même.

    Je regardais les personnes autour de moi. Je ne cherchais pas d’éléments destinés à alimenter une paranoïa, je ne m’inventais pas des flics partout, équipés de talkies-walkies et guettant mon arrivée. J’observais simplement comment vivaient les gens normaux. Des touristes consultant des plans, des hommes d’affaires, des enfants excités courant partout, et des chasseurs, des garçons, des réceptionnistes, des employés de toutes sortes qui, en se montrant dévoués et sympathiques, ne cherchaient rien d’autre qu’un gros pourboire. Soudain, la voix rude de Marcos de Sotto m’a fait sortir de cette atmosphère de normalité :

    — Alors, Thomas, tu as les photos ?

    Chaque client avait ses propres termes pour désigner la chose. J’ai eu des clients qui appelaient ça « dessert », « ricotta », « fil de nylon », « talc », « levure », etc. Dans le cas de Marcos, c’était « photos ».

    — Oui, je les ai.

    — Tu vas bien ?

    J’avais l’habitude de l’ordre des priorités : d’abord la chose, et moi après.

    — Ça va.

    Je l’ai suivi jusqu’à l’ascenseur. Il avait l’habitude de m’appeler Thomas, mon faux nom, celui du passeport qu’il m’avait vendu. Je ne savais pas si Marcos connaissait mon vrai nom. Même s’il le connaissait, il m’appelait par mon faux nom pour me montrer qu’il était un vrai pro. C’était pour moi une raison de plus de faire des affaires avec les gens du consulat. Pour deux mille dollars environ, en fonction de la durée de validité, on pouvait s’acheter une autre identité. Les passeports perdus aux États-Unis par des Brésiliens sont envoyés – quand on les retrouve – au consulat le plus proche ; toutefois, à l’époque, les gens du consulat ne les rendaient pas à leurs titulaires : ils les vendaient.

    Nous sommes montés sans échanger un mot. Il était de petite taille, ce qui me permettait de contempler tout à mon aise sa calvitie précoce. Chaque fois que je la voyais, j’avais envie de la toucher ou de la rayer avec une lame de rasoir ; elle était trop lisse pour être humaine. Je faisais un effort terrible pour ne pas porter de jugement sur mes clients et leurs intermédiaires. Et je peux dire une chose : il n’y avait pas d’amitié entre Marcos et moi, rien que le business et un mépris réciproque.

    Quinzième étage. Nous avons suivi un couloir désert, toujours sans nous parler, laissant derrière nous des portes, des portes et encore des portes. Enfin, nous avons rencontré deux gorilles, assis devant la chambre 1500. Des Brésiliens, selon

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