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Le Siège de Montfureur: Une épopée médiévale burlesque
Le Siège de Montfureur: Une épopée médiévale burlesque
Le Siège de Montfureur: Une épopée médiévale burlesque
Livre électronique259 pages3 heures

Le Siège de Montfureur: Une épopée médiévale burlesque

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À propos de ce livre électronique

Un assaut de verve jubilatoire !

La série épique et burlesque concoctée par Sébastien G. Couture et Michaël Perruchoud, qui a fait le bonheur de centaines d’internautes amoureux du langage chatoyant et des aventures bien ficelées, prend aujourd’hui ses lettres de noblesse sur papier et sous la forme d’une quadrilogie mettant en scène le chevalier Braquemart d’Airain et son compère Gobert Luret.
Dans ce troisième tome, Le Siège de Montfureur, les deux amis sont envoyés en mission par le duc de Minnetoy-Corbières. Ils doivent sauver un château huguenot assiégé par les troupes de l’infâme Proctère Hégemble. Rien de moins.
Armés de leur soif et de leur inconscience légendaires, les deux compères, entre traîtrises et morceaux de bravoure, parviendront à trouver le chemin des caves et à changer le cours de la guerre. Tout cela sur un rythme effréné et dans une langue à nulle autre pareille.
Qui écrit quoi ? Couture et Perruchoud ne le savent plus tant leurs plumes se fondent pour ne faire qu’une. Cette complicité amicale et rieuse est pour beaucoup dans le charme original de cette épopée à la verve foisonnante mais aux rebondissements subtilement construits.

Un récit d'aventures rocambolesques et pleines de panache !

EXTRAIT

Dans la toge qu’il portait pour la nuit, Eustèbe Martingale marchait autour de son lit, s’aspergeant de parfum pour se redonner des forces. Mais même les fortes fragrances ne le soulageaient plus. Il avait peur. L’entretien avait réveillé ses pires angoisses. Le duc allait l’envoyer en guerre, lui qui savait à peine tenir une épée. Depuis des années, il traînait sa silhouette d’avorton à la tête rentrée dans les épaules autour du trône. Il était de tous les conseils, de toutes les manigances. Sa langue était l’arme qu’il maniait le mieux ; la médisance et la calomnie, la flatterie et l’allusion étaient de toutes ses phrases.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Un régal d’une précision et d’une justesse rares. - Le Nouvelliste

À PROPOS DES AUTEURS

Le chansonnier québécois Sébastien G. Couture, connu sous le nom de Sébastien Gabriel, et le romancier genevois Michaël Perruchoud partagent un goût de l’outrance, du rabelaisien, et de l’épopée grivoise. Ensemble, ils ont créé les personnages de Braquemart d’airain et de Gobert Luret. Après Ceux de Corneauduc et L'Héritier de Minnetoy-Corbières, Le Siège de Montfureur est le troisième opus d’une quadrilogie dont la publication s’étalera jusqu’en 2018.
LangueFrançais
ÉditeurCousu Mouche
Date de sortie20 déc. 2017
ISBN9782940576340
Le Siège de Montfureur: Une épopée médiévale burlesque

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    Aperçu du livre

    Le Siège de Montfureur - Sébastien G. Couture

    éclairés

    Première partie

    Chapitre I

    Les premiers verres se vidaient sans un mot en taverne du Sanglier Noir. On piquait à pleines mains dans le jambon que Morrachou, le tenancier, coupait en larges tranches et on s’envoyait le gobelet de vin ou la chopine de bière d’un geste ample, ouvrant grand la gueule et penchant le corps entier vers l’arrière, pour se remettre au plus vite des lassitudes de la journée. Gros Louis et le Berthoux avaient les bras lourds, qui d’avoir labouré ses champs, qui d’avoir monté de hautes charpentes ; les autres avaient creusé, maçonné, sarclé, bêché ; et même les marchands ambulants étaient fatigués d’avoir chargé et déchargé des ballots et des caisses sans jamais vendre autant qu’espéré.

    Le Berthoux laissa retomber sa chope lourdement et fit un geste machinal à l’intention de Morrachou, mais le tavernier n’attendait nul signal pour remplir les verres et vider ses fûts à cadence régulière. Il n’y avait guère que lorsque entrait en taverne, avec la mine en verve, le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, dit Braquemart d’airain, que Morrachou pressait l’allure. Braquemart seul avait le corps et la langue lestes alors que le labeur pesait sur la nuque et la parole de ses comparses. Oui, seul Braquemart avait le mot facile. Et si le fils de Jeanne se montrait aussi généreux de paroles que sa mère l’était de cuisse, tous ceux qui s’imbibaient chez Morrachou savaient bien qu’il devait une bonne part de son entrain et de sa verve aux matinées qu’il passait vautré sur son sommier galeux, bien au chaud sous sa vieille couverture qui sentait la ménagerie, le mâle aguerri et la femme de petite vertu. Il ronflait tard, passé tierces, faisant vibrer les murs de sa masure, et rotait dru le vin et les charcuteries de la veille. Ces odeurs pleines dissuadaient tout homme de bon sens de venir l’importuner avant qu’il ait dormi son saoul.

    Dudit Braquemart, il était d’ailleurs question dans les mots incrédules du Berthoux et dans les moues désabusées du Gros Louis. Ils étaient accoudés au comptoir et discutaient à voix basse. Tous tendaient l’oreille.

    – Tu as mal ouï…

    – Je te jure bien que non. En pleine nuit, il s’est dressé devant moi alors que je relevais mes collets. J’ai eu la frousse de ma vie.

    – Et qu’a-t-il fait, m’as-tu dit ?

    – Il m’a crié que j’y allais fort sur le lièvre.

    Un murmure désapprobateur enfla de table en table et se termina lorsque chacun reprit lampée.

    – Lui qui se targuait d’en avoir pris trente en une nuit…

    – Il a ajouté que chasser Corneauduc ne voulait pas dire arracher pitance à la bouche du suzerain.

    – Tais-toi, il arrive…

    Les épaules hautes, Braquemart entrait en effet en taverne. S’il remarqua le silence qui se fit, il n’en montra rien. Il descendit les quatre marches qui craquèrent étrangement dans le calme de la salle.

    – Holà amis, holà Morrachou ; je ne vois point encore à place mienne les deux chopines que je vais prestement vider.

    Tandis que le tavernier faisait cracher son fût, Braquemart s’installa entre le Gros Louis et le Berthoux, les poussant du coude. Il jeta un œil triste au tabouret vide de Gobert Luret, forgeron du village et inséparable compère, avant d’attaquer à voix basse en lorgnant les deux hommes, l’un après l’autre, de sous ses sourcils broussailleux.

    – Eh bien, mes deux amis, on marmonne au lieu de parler franc ? On médit du compagnon quand il n’est pas céans pour se défendre ? N’a-t-on donc rien à me dire de bonne voix de gorge honnêtement humectée ?

    – C’est-à-dire, Alphagor…

    Gros Louis s’épongeait le front, pas bien à l’aise d’affronter le chevalier… Car s’il avait les bras puissants, il n’avait pas la langue assez agile pour rivaliser avec ce bretteur du verbe.

    – J’ai été surpris par ta réaction, cette nuit… Je ne te savais pas aussi tatillon sur le terrain de chasse du duc.

    Braquemart s’envoya première chopine dans le gosier et rota longuement pour tester sa voix.

    – Une de mes paroles te resterait-elle sur le gaster ? Faudrait-il que je te la fasse digérer au poing ?

    – Non, Alphagor… Comment dire ? Un homme tel que toi… Appeler à la modération sur le lièvre, c’est comment dire… Curieux…

    – Qu’y a-t-il sous ta langue, Gros Louis ?

    – Comment ? J’ai peur de ne point te comprendre…

    – Lorsque tu dis, curieux, quel est le mot que tu caches telle grosse outre de fiel ?

    – Je ne pense point plus que je ne dis.

    – Et moi je suis sûr du contraire… Depuis que j’ai ramené son fils au duc¹, tout ici n’est plus que messes basses. Si tu ne veux point cracher tes vilenies, je puis t’aider.

    Braquemart serra son large poing pileux et l’agita devant les narines du Gros Louis, qui ne l’étaient pas moins. La colère était sérieuse. Deux fois Morrachou s’était proposé de remplir les godets et nul n’avait réagi. Le tenancier savait combien les virils pugilats avaient tendance à saper les déjà branlantes fondations de son estaminet. Aussi, s’éclaircissant la gorge, tenta-t-il de faire diversion :

    – Messieurs, vos disputes sont celles de chenapans, de chapardeurs de pain. Hommes de votre trempe auraient mieux à dire à l’heure grave que nous vivons…

    – Quelle heure grave ?

    Braquemart n’avait pas desserré le poing.

    – Un étranger a traversé le bourg… Au petit trot, le port altier, mais il n’ôta point son chapeau ni ne fit signe de croix devant statue de Sainte Vierge…

    Un frisson parcourut l’échine de Gros Louis.

    – Enfin, cela ne se peut…

    – Peut-être vient-il de pays où les gestes sont autres, dit le Berthoux.

    – S’incliner devant la Vierge, ce n’est point us de région, c’est de la religion, dit Braquemart.

    Et sur cette bonne phrase il s’envoya enfin sa chopine et repoussa son verre vers Morrachou pour se faire prestement resservir.

    – Morrachou, ta route a croisé celle d’un huguenot !

    Le tenancier et l’ensemble de sa clientèle se turent le temps de se remettre d’une telle révélation et de vider leur verre à lentes et profondes gorgées, comme pour se réconforter.

    – Un huguenot… Qui aurait imaginé qu’un jour si basse engeance mettrait pied sur nos terres ?

    – Et le duc ? Le duc ne s’y oppose donc pas ?

    – Pire que cela, dit Morrachou, surpris lui-même par l’ampleur que prenait, à présent qu’il la contait, une histoire à laquelle il n’avait prêté que peu d’attention et dont, si le besoin de diversion ne s’était fait sentir, il n’aurait sans doute pas soufflé le moindre mot. Était-ce, comme le disait sa femme, à force d’avoir trop écouté les fredaines de Braquemart que ses propres bons mots lui semblaient vains, était-ce plus simplement parce qu’il se préférait bougonnant derrière son comptoir, dans l’ombre, quand personne ne prêtait attention à lui ?…

    – Pire ?

    – La herse s’est ouverte lorsqu’il s’est présenté au château et ma femme m’a dit que les gardes s’inclinèrent au passage de ce drôle. Il n’avait pourtant ni armure ni blason à se faire recevoir. Il n’était point gueux, certes non, sa façon de monter à cheval le démontrait à qui voulait savoir, mais n’était sûrement pas de rang à frapper ainsi à la porte du duc.

    – Les huguenots ont parfois plus d’un tour dans leur sac, croyez-moi !

    – Tu en connus, toi, Braquemart ?

    – Si j’en connus ?… Je suis monté sur leurs chameaux et j’ai dormi dans leurs curieuses petites huttes de neige. C’était en croisade, alors que je me remettais juste de méchante blessure… Sers-moi pleine chope, Morrachou, que je vous conte cela.

    Morrachou s’empressa d’accéder à ce souhait en soupirant d’aise. Lorsque Braquemart évoquait ses souvenirs, il en avait pour des heures. Et nul ne se rappelait de l’avoir vu jouer simultanément du poing et de la langue. Le tenancier pouvait sombrer dans un confortable mutisme et emplir son coffre d’autant qu’il viderait sa cave.


    ¹ Voir L’Héritier de Minnetoy-Corbières.

    Chapitre II

    Le duc Freuguel Childeric de Minnetoy-Corbières palpait la fesse de la sommelière qui déposait suffisamment d’outres pour accueillir un visiteur de rang. Il avait l’œil perdu, nostalgique peut-être, de celui dont le sceptre ne sait plus faire chanter la viande des femmes et qui garde de passé licencieux des souvenirs infiniment doux. Il y a peu, on disait au contraire que la vue de culs qu’il ne pouvait entreprendre attisait ses mauvaises humeurs et lui donnait l’envie de supplicier quelques hôtes de ses oubliettes. Mais la venue heureuse autant qu’inespérée d’un fils avait adouci son tourment. Il se jurait bien de montrer à son garnement au plus près que le permettrait la chrétienne décence comment besogner les jouvencelles. Profitant de sa taille, l’angelot se perdait déjà les yeux sous les jupes de soubrettes. Ah, il en ferait craquer des couches, le petit marcassin chéri de son papa !

    – Ce que vous me dites, Enguerrand, n’est guère réjouissant.

    L’homme qui se tenait debout face à lui n’avait accepté qu’un petit verre de remontant, et il était resté en bottes et en cape. Il parlait comme on geint, trop vite, et son histoire lassait le duc qui écoutait tout de même, parce qu’une épine dans son passé l’y contraignait. Il se consolait en vidant le vin au pot, se coinçant le bec entre les lèvres, et se renversant peu à peu le contenu dans la bouche. Quelques rots méritoires concluaient l’entreprise et donnaient un peu de forme au plat récit d’Enguerrand de Montfureur, fils du marquis Dalibert de Montfureur, chevalier des Combes de Murtaux, héros de guerre et huguenot, huguenot bien que héros de guerre, qui, en temps de jeunesse, avait sorti le jeune Freuguel Childeric d’une mauvaise embuscade tendue par ses cousins.

    – Les troupes de cet infâme Prauctère Hégemble se sont renforcées. Nos espions sont formels. Les mouvements de troupes ne tarderont pas.

    – Et vous n’avez pas moyen de briser leur élan ?

    – Nous manquons d’hommes et de matériel, Messire le Duc. Notre seul espoir, c’est l’épaisseur des murs de notre château. Mais archers, arbalestiers et canonniers ne suffiront pas. Nous tiendrons, nous tiendrons jusqu’à notre dernier souffle, mais si renforts ne nous sont pas promptement offerts, nous succomberons.

    Le duc entama un nouveau pichet puis essuya ses lèvres dégoulinantes en souillant la moitié d’une de ses manches de chemise.

    – Je ne puis, vous le comprendrez, chevaucher à vos côtés, engager mon honneur et mon armée pour sauver des huguenots, fussent-ils mes amis, des assauts d’hommes de vraie foi, fussent-ils des chiens malveillants. Mon passé et mon honneur sont avec vous, mais Jésus et Sainte Vierge retiennent mon bras.

    Enguerrand s’essuya le front, ne s’asseyait toujours pas.

    – Mon père n’espérait pas vous voir partir en guerre, il se disait simplement que, puisque nul ne vous assaille, vous pourriez envoyer à notre secours quelques-uns de vos hommes qui s’engraissent en cuisine au lieu de manier les armes. Un détachement de mercenaires courageux, voilà ce que nous sommes venus quérir.

    Le duc reposa le pichet encore à demi plein, pour se gratter une barbe humide et puceuse. Il n’avait plus goût à risquer sa peau, mais que d’autres la risquent en son nom ne le dérangeait point. Moins de convives en salle de garde, ce serait de plus grosses rations lorsqu’il se relèverait de nuit pour planter la fourchette dans le ragoût tiède.

    – Je ne puis rien vous promettre, Enguerrand. La défense de Minnetoy-Corbières est un sujet avec lequel je ne badine pas. Retournez parmi les vôtres… Messager vous sera envoyé d’ici deux jours pour vous dire quelle aide je pourrai vous fournir.

    D’une main légère, il fit signe à Enguerrand de se retirer. Il n’aimait pas la façon qu’avait ce jeune homme trop sobre de loucher alors qu’il vidait le vin de fort chrétienne bien qu’allante manière. Les hommes de modération manquent singulièrement de pudeur. On détourne la tête face à une joie qu’on ne partage pas, que diable ! Et de joie, le duc allait s’en offrir une deuxième.

    – Faites mander Eustèbe Martingale.

    ***

    Dans la toge qu’il portait pour la nuit, Eustèbe Martingale marchait autour de son lit, s’aspergeant de parfum pour se redonner des forces. Mais même les fortes fragrances ne le soulageaient plus. Il avait peur. L’entretien avait réveillé ses pires angoisses. Le duc allait l’envoyer en guerre, lui qui savait à peine tenir une épée. Depuis des années, il traînait sa silhouette d’avorton à la tête rentrée dans les épaules autour du trône. Il était de tous les conseils, de toutes les manigances. Sa langue était l’arme qu’il maniait le mieux ; la médisance et la calomnie, la flatterie et l’allusion étaient de toutes ses phrases. Le duc le gardait à ses côtés malgré l’hostilité de sa femme, car Martingale était le meilleur collecteur d’impôts que l’on pût imaginer, l’antidote contre les caisses vides et les vins pauvres. Seulement, le village venait de payer son troisième tribut de saison et il était bon de laisser le gueux respirer de temps à autre. Eustèbe Martingale avait donc le temps de prouver sa fidélité sous d’autres cieux ; le duc le lui avait signifié sans ménagement.

    Assis sur un tabouret, son homme de confiance, Roland Meurefisse, tentait en vain de le calmer.

    – Tout n’est point dit, Maître Martingale.

    – Le duc est redevable à ce Montfureur, t’ai-je dit, et ce porc est amputé de cervelle, mais point du sens de l’honneur. Je commanderai aux pires mercenaires de cette armée, ceux-là mêmes qui parlent de me trucider en salle de garde. Je partirai à leur tête et ces sauvages me laisseront pour mort en bosquet. Le duc ne s’en doute pas, mais le détachement n’atteindra jamais Montfureur, du moins pas au complet…

    – Mais n’êtes-vous point son conseiller ? N’est-ce pas à vous d’orienter sa pensée ?

    – Encore faudrait-il qu’il eût une pensée.

    – Vous avez des hommes de confiance parmi les soldats, des alliés fidèles, ceux qui vous aident à collecter les taxes… En choisissant juste, vous atteindrez Montfureur sans dommage.

    – Et je périrai au cours du siège. Car là aussi, je ne vois que cause perdue. Les huguenots finiront au gibet de la cour d’honneur et notre soutien nous condamnera au même sort… À moins que je trahisse à propos, c’est ma spécialité de trahir ; mais tout de même, il est plus aisé de manipuler cet imbécile de duc qu’un huguenot qui compense sans doute manque de ripailles dans les livres et le savoir.

    Roland Meurefisse se frappa soudain la cuisse.

    – Maître Martingale, je crois que j’ai l’idée. Une idée que votre langue saura présenter au duc comme il se doit et qui vous évitera périlleuse campagne.

    Martingale ouvrit un flacon de parfum, s’en renversa le contenu dans la narine droite et, à peine soulagé, soupira d’une voix faible :

    – Dis, dis, Meurefisse, les mots qui seront ma planche de salut et que je ne pressens point.

    – Si au lieu de dégarnir son armée et de déplorer de nombreux morts au combat, le duc dépêchait à son ami un héros ?

    – Un héros ?

    – Oui, un héros au prestige si grand que sa venue redonnerait force et foi aux défenseurs du château de Montfureur…

    – Tu penses à ?…

    – Oh oui, Maître, je ne pense qu’à lui !

    Et Martingale rit à s’en faire monter les larmes. Il étreignit Roland Meurefisse qui se dégagea au plus vite pour vomir à cause du parfum. Mais Eustèbe ne se vexa point de cette manifestation de dégoût. L’idée était trop belle, elle lui permettait de profiter de la douce chaleur et des bons repas du château et d’envoyer à la mort son cauchemar, sa haine, sa hantise : le chevalier Alphagor Bourbier de Montcon, dit Braquemart d’airain.

    Chapitre III

    Eustèbe Martingale s’agenouilla. Face à lui, la duchesse somnolait sur le trône en épouillant Achille, le sanglier ducal, devenu son animal de compagnie mieux que le puissant lévrier ou que le noble destrier. Elle méprisait Eustèbe, mais l’amour qu’elle portait à son gros cochon sauvage n’était pas sans l’apaiser, aussi Martingale s’accommodait-il plutôt bien de la présence du sanglier. Le duc l’inquiétait plus, qui oscillait d’avant en arrière en fredonnant quelques vieilles paillardises tout en s’enfournant des pâtés en bouche par paire et sans mâcher.

    – Il faut que je m’emplisse gaster, sans quoi je ne vomirai que bile, dit-il de voix peu assurée en abandonnant çà et là des consonnes que sa conscience n’était plus apte à prononcer.

    Eustèbe Martingale se dit alors que le duc tenait une murge sévère. Il n’était certes pas puceau de la gorgée et sa ration de vin quotidienne avait de quoi effrayer Huns dépravés et Vikings en campagne, mais là, il fallait reconnaître qu’il s’était imbibé la couenne au-delà de l’habitude. Et si l’alcool renforçait un trait de caractère de Freuguel Childeric, c’était bien l’obstination. Eustèbe se dit qu’il allait devoir jouer serré.

    – Bon, Martingale, vous n’avez point sollicité si tardive audience pour me regarder gober terrine. Qu’avez-vous donc à me dire ?

    – Alphagor Bourbier de Montcon, votre grandeur !

    – Eh bien, qu’a-t-il encore fait ?

    – Rien, justement. Il ne fait rien, et il est seul héros du duché…

    – Certes.

    – Et qui mieux qu’un héros est capable d’héroïsme ? Si vous envoyez Bourbier du côté de Montfureur, vous épargnerez trente ou quarante de vos hommes, et les défenseurs vous seront reconnaissants de leur offrir un être d’exception, symbole de votre puissance.

    La duchesse repoussa Achille qui reniflait bruyamment sous ses jupes. Le sanglier grogna, montrant ainsi qu’il n’aimait point qu’on lui refuse une privauté, et s’en alla ronfler sur un épais tapis.

    – Et si nous estimions avoir besoin du chevalier pour défendre Minnetoy-Corbières ?

    – Enfin, Duchesse, Bourbier ne sait que défendre son tabouret en taverne, tout le monde le sait.

    – Tout le monde sait surtout combien vous le détestez et que vous ne cessez de mettre en doute ses exploits.

    Eustèbe Martingale bomba la poitrine. Enfin, la conversation prenait le tour qu’il désirait. Même saoul comme mille cochons, le duc savait où était son intérêt lorsqu’on le lui soulignait. Il n’aimait en outre point trop que sa femme intercède pour ce drôle de larron dont les viriles fanfaronnades et les exploits de couche devaient résonner

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