Un sujet tabou

Annette remontait des caves où elle venait de vérifier l’affinage de ses fromages quand elle vit la voiture stopper dans la cour de la ferme. Au volant, un grand gaillard inconnu, aux cheveux châtains coiffés en queue-de-cheval. Elle fronça les sourcils.

Il commençait à pleuvoir et, derrière les gouttes sur le pare-brise, elle ne distinguait pas bien son visage, mais il n’avait pas l’air d’un de ces touristes attirés par la réputation de son saint-nectaire.

Annette Lagrand dirigeait la ferme des Roches depuis que son père, victime d’une mauvaise chute trois ans plus tôt, lui en avait laissé les rênes. Il était parti habiter à Clermont-Ferrand chez son frère. Dans le voisinage, on avait murmuré que ce n’était pas un métier pour une femme, mais on n’en était plus au temps où les fermières, à genoux, se contentaient de frotter et laver les fromages déposés au sol sur de la paille de seigle. L’équipement moderne, les techniques de commercialisation et de communication rendaient le travail plus valorisant qu’autrefois. Pierre Lagrand savait que sa fille aînée serait capable de défendre leur production de fromages au lait cru contre les lobbies européens décidés à les interdire.

Annette avait donc pris sa suite au sein du Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) qui, depuis les années 1970, regroupait deux exploitations familiales : la sienne et celle de son oncle et sa tante, les Cochet, située dans la commune voisine.

La vie quotidienne se réglait sur celle des belles montbéliardes dont le lait, à la sortie de la traite, emprésuré, était mis à cailler dans les cuves en Inox pendant une demi-heure. La « caillade » brisée, son brassage donnait une jolie boule de caillé qu’on faisait égoutter avant d’en remplir les moules. Emballés dans un linge, salés, les fromages passaient une journée sous le pressoir, puis deux jours en chambre froide, avant de commencer à s’affiner dans les caves.

Alors qu’elle s’essuyait