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Noir d'ivoire: Un thriller entre Ajaccio et Marseille
Noir d'ivoire: Un thriller entre Ajaccio et Marseille
Noir d'ivoire: Un thriller entre Ajaccio et Marseille
Livre électronique295 pages4 heures

Noir d'ivoire: Un thriller entre Ajaccio et Marseille

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À propos de ce livre électronique

Enquête au sein du mystérieux marché de l'art...

L’intrigue débute par l’assassinat, dimanche 18 juillet à 8h30, d’un restaurateur de tableaux mondialement connu pour ses recherches sur les pigments utilisés par Le Caravage. Son corps git, bras en croix, décapité, sur la plage arrière d’un navire appareillant depuis Ajaccio vers Marseille. Cet expert escortait cinq toiles du Musée Fesch, d’une valeur de 6 millions d’Euros, pour consolidation des cadres et divers rafistolages dans ses ateliers phocéens.
Mon personnage principal surnommé par sa hiérarchie Carl le Mat, colonel du GIGN, est en congé annuel au moment des faits. Il se retrouve seul policier à bord et sans aucun mandat officiel pour enquêter. Qu’à cela ne tienne, il récupère le maximum d’indices avant que le « Napoléon Bonaparte » ne ré-accoste. Un « flic cafteur de truands » ne tarde pas à compliquer la tâche des policiers de la JIRS d’Ajaccio enfin parvenus sur le bateau. La victime n’est pas celle escomptée par les commanditaires du tueur. Deux affaires se superposent. Trois pistes parmi les plus grands collectionneurs mondiaux restent à explorer…

Un thriller inspiré de faits réels et qui emmène les lecteurs de l'île de Beauté à la cité phocéenne !

EXTRAIT

Le colonel Carl le Mat, diminutif de Charles Matthieu, excédé l’instant d’avant par les pétarades de la moto, était venu se détendre dans le salon de réception pour saluer ses anciens copains de lycée promus officiers de marine. Le commandant de bord, alerté par le personnel de faction à l’arrière du navire prévient son ami colonel du drame.
C’est au pas de course que l’officier du GIGN se dirige vers le pont, bondé, de la paillotte. La carte tricolore qu’il exhibe, de droite et de gauche, pour se frayer un passage dans la foule hypnotisée ne lui est d’aucun secours. En vain, personne ne le calcule. Les gens agglutinés, les uns derrière les autres, font barrage. Un des garçons du bar, prénommé Antoine, se meut péniblement dans son sillage et l’apostrophe par de curieuses onomatopées:
– C’est à-à-à-à … rien … y-y-y-y …
– Y-a-t-il eu des détonations ? demande le colonel.
– Au-au-au-aucune !
– Comment ça, aucune ? T’en es sûr ?
– Cer-cer-certain, Mon Colonel. J’astiquais le-le-le zinc du bar, juste derrière, avec Tous-Tous-Toussaint. Le corps est venu s’abattre, à deux mètres. Devant, deux mètres, devant… devant… devant ! répète-t-il à n’en plus finir, en désignant le point de chute d’un index tétanisé.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né de père et de mère corses, Jean-Pierre Simoni a eu la chance d’étudier la médecine à la faculté de Marseille. Après trois décennies d’activité, comme médecin omnipraticien dans les collines de Pagnol, il se consacre à l’écriture en dehors de ses obligations familiales.
LangueFrançais
Date de sortie5 sept. 2017
ISBN9782374641577
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    Aperçu du livre

    Noir d'ivoire - Jean-Pierre Simoni

    I

    Un trompe la mort s’exfiltre, in-extrémis, par la rampe métallique d’un paquebot en partance. On l’entend aussitôt circonscrire son territoire avec des déflagrations de moto. Ce ne sont que traîtres imitations de fauves taciturnes qui bornent noblement leur royaume en pissant au cul des arbres. Les explosions à répétition des échappements libres du bolide retentissent maintenant dans les quartiers hauts d’Ajaccio. À un tel niveau de bruit le cerveau en est tout chamboulé. Nombre d’enfants, chassés de leurs songes, se réfugient dans les bras de leur mère. On ne compte plus les chiens-chiens aux oreilles martyrisées, queues et dignités rabaissées, qui déguerpissent vers nulle part. Chaque arbre se déplume de ses hôtes ; les moineaux ahuris virevoltent tous azimuts et se prennent pour des hirondelles. Plus véloces que les rumeurs colportées par le Web, passé le cap des 113 unités, les décibels sont des tueurs de présent et s’immiscent partout à la fois. Cette cacophonie synchrone de temps, de lieu et d’action, est plus nuisible que les tags bouseux qui maculent silencieusement façades, rues et boulevards.

    La quiétude de l’aube, contrariée un instant par les quatre cylindres rugissants de la Yamaha V-MAX 1679cm3 de couleur noire, reprend petitement ses droits.

    Depuis la plage arrière du NAPOLEON BONAPARTE, appareillant à destination de Marseille, la bannière tricolore flagellée par le vent faseye au nord. Éjectée par les hauts parleurs la voix grave d’Antoine Ciosi attaque Una Mamma. L’horloge du bord, à la date du 18 juillet, indique 8h20. Des touristes accoudés au bastingage admirent une dernière fois, dans la sérénité des départs, la ville impériale parée d’amples taches ondulantes de soleil matinal. Deux amoureux, indifférents au panorama, s’embrassent éperdument. Le jeune, dos appuyé à la main courante du bar « La Paillote », enserre la taille de la fille et la plaque contre son bas-ventre. Sa jambe s’écarte et le genou vient frotter l’extérieur de la cuisse.

    Un photographe méticuleux pose ses coudes sur le plateau de l’une des cinq hautes tables cylindriques, en alu brossé, à l’effigie du soda hypercalorique « RED BULL ». Afin de s’immobiliser pendant la prise de vue, sa chaussure gauche vient en appui forcé sur le repose-pied circulaire. Ainsi stabilisé il fixe le télé zoom de son Canon Eos sur le sommet de la montagne. C’est la dernière maison qui semble visée ; la seule en surplomb d’immeubles modernes, d’architecture cubique, disposés en quinconce les uns au dessus des autres. Les pontons de plaisance d’Ajaccio, tout en bas le long de la baie, en arc de cercle, s’étalent de part et d’autre des quais réservés aux navires de commerce. Des centaines de mats dépareillés opposent un fragile barrage à l’hégémonie citadine.

    À 8h30 tapantes les lamaneurs séparent les cordages des bittes d’amarrage rougeâtres. I Muvrini attaquent Diu vi Salvi Regina. L’index vient juste d’appuyer, une dernière fois, sur le déclencheur du Canon. La main droite ramène le coûteux boîtier sur la table. Il était temps ; sous ses pieds, les vibrations du pont s’accentuent. Un téléphone sonne dans sa poche de chemise. Le jeune homme s’en saisit et dit simplement :

    – Non… vous faites erreur…

    Puis se ravisant, se reprend aussitôt:

    – Mais oui… navré, je n’avais pas compris, exact : oui-oui c’est bien moi. D’accord, je ne bouge pas. Je vous attends.

    Ses doigts joints tapotent sa tempe droite ; manie habituelle des gens pris en flagrance d’inattention. À ce moment précis, les deux cheminées crachent des fumées noirâtres extirpées des cambouis imbrulés de la salle des machines. Elles virevoltent pour se délayer, le plus haut possible, dans le bleu lapis-lazuli du ciel.

    Stupéfaction ! En un éclair la tête du photographe, sectionnée en dents de scie au niveau du cou, s’arrache du tronc … Tout, absolument tout, alentour, est entièrement rouge dessus et dessous « RED BULL » !

    L’horloge marque 8h33. La sirène, d’un souffle strident d’adieu à la ville fait sursauter, une fois de plus, les passagers épouvantés. Nombreux, hagards, se sont écartés en reculades saccadées à la walk-moon sur l’esplanade circulaire recouverte de teck. Le décapité, catapulté trois mètres en arrière par la violence du choc, gît maintenant sur le dos bras et jambes écartés. Le corps forme un « X » parfait. Par réflexe, spasmodiquement, le cœur contracte inutilement ventricules et oreillettes. Les carotides, sectionnées au ras des clavicules brisées crachotent, par à-coups de plus en plus faibles. Le sang répandu coagule dessous le sac à dos venu s’aplatir, là, en remplacement de la tête.

    Depuis la passerelle de commandement située à l’avant, les officiers attentifs à la manœuvre, poussent les manettes sous les ordres du pilote du port d’Ajaccio. La poupe blême du navire, indifférente au drame de la plage arrière, refoule le quai en glissant sur l’eau tournoyante et champagnisée.

    La trachée découpée à l’emporte-pièce étouffe ses derniers râles. Croit-on percevoir, in fine, l’expiration de l’air résiduel de la naissance … ou l’exhalaison de la mort ? Le silence s’est répandu comme une salissure de deuil. Soudain une femme se redresse comme propulsée par un ressort, les bras agités de soubresauts, elle hurle à la mort d’une voix tellement aigüe qu’elle porte jusqu’à la proue du navire. À bout de nerfs, yeux exorbités, bouche baveuse, prise de convulsions, elle tombe brutalement en catalepsie tandis que sa tête frappe le sol d’un bruit mat. Sa voisine écœurée par ce spectacle gerbe par la bouche et par le nez, à n’en plus finir. De-ci de-là on entend des borborygmes inquiétants.

    L’amoureuse, agrippée l’instant d’avant au cou de son cavalier et pantelante de désir, grimace. Sa bouche qui gourmandait des baisers fous s’est convertie en orifice anatomique déformé. De sa vulve mouillée l’urine s’échappe, s’étale en dessous de la jupette, imbibe les pieds et nappe ses tongs.

    Le soupirant bodybuildé, s’est affalé sur la rambarde circulaire.

    Ses mains s’agitent en passant des fesses rebondies de la fille au catogan enserrant ses cheveux. Il hoquette :

    – Voyez… yez-yez… yez-yez. Là-là… là-là… là !

    Il ne peut détacher son regard d’un scalp. La calotte crânienne du supplicié est venue coiffer le genou droit de son jean, blanc immaculé, qui vire graduellement au rouge sanguinolent.

    Le colonel Carl le Mat, diminutif de Charles Matthieu,¹ excédé l’instant d’avant par les pétarades de la moto, était venu se détendre dans le salon de réception pour saluer ses anciens copains de lycée promus officiers de marine. Le commandant de bord, alerté par le personnel de faction à l’arrière du navire prévient son ami colonel du drame.

    C’est au pas de course que l’officier du GIGN se dirige vers le pont, bondé, de la paillotte. La carte tricolore qu’il exhibe, de droite et de gauche, pour se frayer un passage dans la foule hypnotisée ne lui est d’aucun secours. En vain, personne ne le calcule. Les gens agglutinés, les uns derrière les autres, font barrage. Un des garçons du bar, prénommé Antoine, se meut péniblement dans son sillage et l’apostrophe par de curieuses onomatopées:

    – C’est à-à-à-à … rien … y-y-y-y …

    – Y-a-t-il eu des détonations ? demande le colonel.

    – Au-au-au-aucune !

    – Comment ça, aucune ? T’en es sûr ?

    – Cer-cer-certain, Mon Colonel. J’astiquais le-le-le zinc du bar, juste derrière, avec Tous-Tous-Toussaint. Le corps est venu s’abattre, à deux mètres. Devant, deux mètres, devant… devant… devant ! répète-t-il à n’en plus finir, en désignant le point de chute d’un index tétanisé.

    Un passager aux yeux écarquillés a tout entendu. Il opine nerveusement d’un menton agité de tics d’où pendouille une matière opalescente et visqueuse. Sa figure est peinturlurée d’hémoglobine et l’épaule droite maculée de cervelle. Il baragouine d’une voix chevrotante :

    – C’est… est… est… est la mo-mo-moto qui, i, i, i, dé, dé, dé, détonnait… a, a, a, av, av, avant…

    – Personne, derrière lui, avec un coutelas de boucher ?

    – Per, per, per… personne !

    Le bégaiement se répand, s’immisce dans les bouches qui ne trouvent plus de mots entiers. Les phrases sont éclatées comme la tête du jeune homme. Elles ont perdu toute syntaxe. Sujets sans verbes, verbes sans compléments, comme du temps des cavernes.

    – La guerre ?

    – Djihadistes. D’Afghânistân ? D’Irak ?

    – Pourquoi ?

    – Comment ; ici ?

    – Al-Qaïda ?

    Des sons, pithécanthropes, pronominaux, fusent par-ci, par– là :

    – Toi, moi, partir…

    – Fuir ?

    – Où ?

    – Emprisonnés.

    – Fichus.

    – Morts…

    – Daesh, égorgeurs !

    Des silhouettes statufiées sont encollées, unies par des débris humains. Pleurs, cris : en une seconde tout est sens dessus– dessous. La panique s’immisce, paralyse les initiatives : à qui le tour ? Incapable de lui venir en aide Antoine s’écarte du zombi, comme les autres, avec un rictus d’épouvante et de dégoût. Il lâche en reculant :

    – Plein la fi, la fi, la figure … la figure.

    – Quoi ? Moi ? Figure ?

    Le zombi se tâte le torse et le visage, découvre ses mains gantées de mélasse gélatineuse. Il remonte le bas du tee-shirt, s’en essuie les joues puis se mouche avec. Maintenant on croirait un marabout africain enduit d’une glaise rougeâtre et dégoulinante.

    Carl le Mat intime ordre à Antoine de stopper la stéréo qui entame « Sola Mamma » de François Bernardini. Décidément les chanteurs corses ont des comptes à régler avec leur enfance, car ils n’évoquent presque jamais leur père mais revendiquent l’amour de leur mère… La mère du jeune homme, justement… Pauvre femme ; qui aura le courage de lui annoncer l’irréparable ? pense le colonel.

    Une fillette en salopette rose, aux nattes blondes parfaitement tressées à la Fifi Brin D’acier, court désespérément derrière un homme hagard qui fuit, bousculant tout sur son passage, insensible à ses appels désespérés, il ne réalise pas qu’il tourne en rond. La panique l’a transformé en cheval aux yeux fous. Carl le stoppe en le saisissant brutalement par le col. La petite en pleurs s’agrippe enfin à sa main :

    – Papa, papa, ne m’abandonne pas ! pleurniche-t-elle.

    Mais ce père-là, renonciateur, n’est plus en état de la protéger, de réfléchir, de compatir, de faire preuve d’abnégation paternelle à défaut de courage.

    Le mort a perdu sa chaussure gauche restée coincée au dessous du logo « ENERGY », écrit en lettres stylisées et soulignant la philosophie du « RED BULL » si bien nommé. Elle est encastrée entre le cylindre et le repose-pied circulaire. Ce matin il avait choisi des chaussettes bleues, apparemment neuves, floquée aux couleurs de l’Olympique de Marseille. On peut y lire : « Droit au but » en lettres d’or.

    Le pauvre, ce n’est pas demain la veille qu’il tapera dans un ballon… se dit Carl le Mat déjà ganté de latex. Non loin, l’appareil photo EOS 6500 ST s’est détaché du télé zoom démantibulé par la chute. La vue de cette boucherie s’estompe mais l’odeur de chair humaine, s’exhalant à l’air libre, est insupportable ; elle lui rappelle celle des cochons fraîchement égorgés, l’hiver, dans les brumes de son village haut perché. Cette accointance homme/porc paraît étrange. Groin, son ami médecin et collaborateur anatomopathologiste prétend, lui, que c’est la preuve d’une parenté éloignée. Oui, mais d’une parenté dont on se serait bien passé.

    Par réflexe conditionné, pour éliminer ces fragrances répugnantes, il effectue trois inspirations forcées suivies de trois expirations, c’est en arrêt respiratoire qu’il poursuit l’investigation. Après une palpation au corps méticuleuse à la recherche d’un éventuel portable cafteur, la fouille ne ramène qu’un ticket de cabine N° 7440, un portefeuille, un billet de stade pour la rencontre Ajaccio/Marseille de la veille, et des clefs de voiture Citroën. Non loin, ses doigts saisissent le boîtier de l’appareil photo haut de gamme, demeuré intact, et l’introduisent dans la poche cargo droite de son pantalon. Le sac-à-dos QUIKSILVER adhère au sol par le sang coagulé. Dans la catapulte il est passé du dos à la tête. Hormis un câble de connexion USB, l’étui du Canon, des lingettes de nettoyage « Écrans plats, optiques lunettes et appareils photo » jouxtant une mini trousse de toilette, aucune présence d’objets inhabituels n’est révélée. Trois feuilles A4 dactylographiées de réservations de billets électroniques SNCM, de l’hôtel et de location de voiture, coincées sous le bras du cadavre viennent rejoindre les autres pièces à conviction. L’absence de portable intrigue chez ce jeune homme. Le pied droit est au large dans la chaussure. Il y a une différence d’au moins deux pointures. Ce jeune, pour arracher une bonne affaire pendant les soldes, a acheté n’importe quoi, se dit Carl.

    La sono, jamais synchrone de l’évènement, stoppe enfin. À bout de souffle, prestement relevé, Carl respire profondément en détournant la tête. Ouf ! La nausée guettait. Son estomac se dénoue petitement. Lui qui a effectué maintes missions en Afghânistân et depuis peu en Syrie devrait-être, pour ainsi dire, non seulement entraîné à l’apnée mais aussi capable d’affronter le pire. Les années passent et rien n’y fait ; son cœur n’est toujours pas blindé ! Le supplicié, apparemment trentenaire, aurait pu être son fils. Derrière le professionnel se cache un père et même un très jeune papy.

    Comme s’il évoluait dans l’exercice de ses fonctions il intime ordre à tous les passagers du pont arrière de ne pas bouger, d’éloigner les enfants, et d’attendre les renforts de police. Des marins du bord arrivent en désordre à la rescousse ; une rumeur de carnage perpétré par un kamikaze djihadiste dAl-Qaïda courrait avec insistance de coursive en coursive. Il les interpelle :

    – Munissez-vous de sachets en plastique, recueillez … le maximum d’indices, évitant de dire in extremis: la chair éparpillée. Ce n’est pas le moment de rajouter une couche à l’écœurement ambiant.

    Ses paroles ne semblent pas avoir d’écho favorable ; la foule paraît en état de catalepsie.

    – Veuillez avoir l’amabilité, si vous le trouvez, de ramener le téléphone portable de la victime à la réception. Que personne n’ouvre les douches centrales avant l’arrivée de mes collègues de la PJ.

    Les membres du personnel du bateau renâclent. Ils ne sont pas des soldats à son service. Le colonel Carl le Mat a oublié qu’il est en congé et n’a aucun mandat pour agir. Les jeunes matelots, pour la plupart experts en courbettes devant les belles femmes, de préférence en mini-jupes montées sur talons hauts, ne sont pas prêts d’obéir à ses ordres. Le nettoyage des toilettes, des excréments et des vomissures, pas de problème : c’est syndicalement contractuel. La recherche d’indices, la charpie humaine, les dents dépareillées aux quatre coins, les yeux arrachés, la bouche disloquée de droite et de gauche, le scalp sanguinolent, non et non ! Pas question de mettre la main sur ce portrait éclaté. Picasso lui-même n’aurait osé peindre une telle ignominie. Cette composition de pièces anatomiques dispatchées est l’affaire de la police. Ils se contentent donc, en attendant le ré-accostage du NAPOLEON BONAPARTE, de maintenir du bout des doigts, à minima, les gens terrifiés autant qu’eux autour de la victime.

    L’horloge affiche 8 heures 40. Les sept minutes d’épouvante s’éternisent. Ce matin pas de jacuzzi, ni de natation. La mini-croisière a changé de destination : passée d’une seconde dans l’autre de la magie estivale à l’abjection de la guerre. Les vacanciers avaient pour habitude de rincer le chlore de la piscine accolé à leur peau en se douchant sur l’esplanade circulaire. La vue de l’homme affalé sur le caillebottis, dont la tête est remplacée par le sac-à-dos QUIKSILVER, et à qui il manque une godasse ADIDAS, leur est insupportable. Rares sont ceux qui échappent à la nausée. Abasourdis, estomac étreint de spasmes, certains tournent le dos en hoquetant.

    Le commandant du NAPOLEON BONAPARTE ancien élève du lycée Giocanti De Casabianca de Bastia, tout comme Carl le Mat, déboule enfin tout essoufflé. Par respect pour le mort, sa main crispée agrippe sa casquette décorée des quatre ficelles :

    – Carl… la cellule de soutien psychologique ? Je vais… zozote-il en mimant de téléphoner la main sur l’oreille.

    – Quoi, la cellule de soutien psychologique ?

    – J’appelle… ou pas ? fait-il avec un mouvement incongru de font-font les marionnettes.

    – Essaie ; tu verras bien.

    – À l’hôpital de la Miséricorde une équipe est prévue pour…

    – Avec tous ces assassinats dans l’île et le nombre de personnes choquées chez nous, ce n’est pas une cellule mais des dizaines qu’il faudrait !

    Le pacha, tête rentrée dans un menton triple plis, encaisse la remarque. C’est un grand sensitif. Les naufrages, les vagues scélérates, les hommes à la mer ça fait partie de l’instruction de l’école des officiers de marine ; la souffrance humaine désemparée devant un macchabée décapité ; c’est pour lui une première.

    Malgré de violentes relances des quatre moteurs Pielstick, 18 gigantesques cylindres chacun, pour inverser le sens de la marche, le bateau vibre de plus belle et n’est pas près de s’arrêter. Immobiliser un tel mastodonte qui file sur son erre, enclencher la marche contraire pour ré-accoster, demande du temps. Rien à voir avec le pilotage du Zodiac d’un pêcheur du dimanche.

    On entend déjà dans toute la ville, le long des boulevards, hurler les sirènes de police. Dans un chjami e rispondi assourdissant, mêlant pompiers et SAMU, les ambulances s’égosillent. Le personnel de la SNCM, les âmes citoyennes, n’ont pas lésiné sur les portables et le Web pour déclencher l’alerte : « Massacre à bord. Un Daesh ? Peut-être… on ne sait pas avec ces salauds de djihadistes… » avaient-ils bafouillé avec des voix entrechoquée de clappements de dents. D’autres avancent : « Putain d’Islamistes… Ouais… Al-Qaïda ! ».

    La nouvelle de la tuerie s’est répandue spontanément dans la ville avant de partir à l’assaut des villages, des villes, du continent, de l’Europe puis qui sait … du monde entier ? Des parents et amis, follement inquiets, se groupent le long des rues et foncent vers le port de commerce. Le boulevard Sanpiéro est bloqué juste après le passage de la police et des ambulances. Certains automobilistes ont déserté leurs voitures et courent vers les hauteurs. Un internaute prétend que tout le port embrasé par les gyrophares va exploser. Les klaxons bloqués ajoutent de l’exaspération à l’ensemble du sauve qui peut.

    France Bleu Frequenza Mora est suivie par RMC et RTL dans les annonces radiophoniques de l’attentat. Les journalistes stoppent les programmes pour diffuser en boucle la nouvelle d’un forfait commis par un Kamikaze égorgeur. Après VIA STELLA et RFMTV, entraînées aux scoops, dans la demi– heure les télés nationales et internationales emboiteront le pas. La téléphonie mobile, complice d’Internet, propage les élucubrations des gens angoissés à la vitesse du son. L’avance est irrattrapable par la police ; la presse écrite va multiplier à l’infini la confusion. Les hommes du SRPJ réussissent à se faufiler d’extrême justesse. Les autres forces de police, coincées dans les embouteillages, n’arrivent plus à faire régner l’ordre. Par ailleurs il s’avère impossible d’interdire de communications les accrocs du portable. Pas moyen d’intervenir ne serait-ce que pour règlementer la circulation. Les CRS, en file indienne, slaloment au pas de course entre les voitures et les camions scotchés au bitume en direction du port de commerce. Sur le bateau, les gens sont statufiés, silencieux et hagards.

    Habitué aux opérations du GIGN, dont-il est responsable pour l’instruction commando des tireurs d’élite, Carl le Mat essaie de recueillir le plus d’informations possibles dans une ambiance d’arrêt sur image. Il sait, par expérience, qu’après un laps de temps trop long la logique du « moi j’veux pas d’emmerdes » prend le dessus. Plus les minutes s’égrènent, moins les langues se délient et les témoignages se raréfient. Certaines mémoires en Corse, même en cas de force majeure, sont particulièrement défaillantes.

    Antoine, le garçon du bar, se sent à chaud pousser des ailes de Sherlock-Holmes et revient à la rescousse à voix basse et hachée :

    – Mon Co-co-colonel, un-un-un impact a dé-é-é-défoncé ma-ma-machine à café… ma-ma-ma– machine…

    En passant de l’autre côté on peut apprécier la carrosserie cheap de la dite machine, constellée de charpie humaine. La fétidité de la chair débitée à l’emporte-pièce a supplanté l’arôme café. Tout au fond d’un tunnel de débris on devine la présence d’un métal grisâtre et fumant ne correspondant pas à de la tuyauterie en cuivre. Carl le Mat réclame une serviette qu’il asperge à l’aide d’un carafon d’eau fraîche prévue pour le Casanis. Après s’en être enveloppé la main, pour la protéger des brûlures, il se remet à ventiler ses bronches comme pour la dernière poussée d’un accouchement sans douleur. Échapper à la maudite pestilence ambiante, replonger au cœur de l’horreur, font partie du mauvais côté de son métier. Drôle de début d’un départ en vacances …

    Juste au moment d’envoyer le bras, un imprévu le stoppe : l’œil arraché du photographe, suspendu à l’arcade sourcilière par des filaments de chair rougeâtre, oscille au-dessus du trou. L’entrée, protégée par cette macabre vidéosurveillance cyclopéenne, semble interdite. De quoi faire réfléchir plus coriace qu’un ancien de Kaboul-maboul. Bon, les dés sont jetés : « Quand faut y aller faut y aller ! » hurlait l’adjudant instructeur parachutiste de l’ETAP de Pau à ses jeunes recrues dont-il faisait partie.

    Le temps de renouveler l’air résiduel de ses poumons, et de se remettre en apnée, il introduit la main jusqu’à ce que son épaule touche l’entrée circulaire de la cavité béante. Sa tempe frôle le globe oculaire oscillant du supplicié au moment où ses doigts récupèrent un bloc de métal fondu et brûlant. L’oxygène de ses alvéoles pulmonaires se raréfie. Voici, encore, une lourde pièce à conviction qu’il s’empresse de mettre à l’abri dans une autre poche ; est-elle responsable de la décapitation ? Le regard d’outre-tombe du mort, alors qu’il se retient de reprendre son souffle, reste désespérément accroché au sien. Carl le Mat, pris d’une soudaine compassion, fixe intensément l’œil éteint ; dans cette pupille d’un autre monde se reflète la lueur d’un phare que la mer inonde.

    – Promis-juré on trouvera les salopards qui t’ont fait ça … les salopards.

    Pour un colonel qui s’en croyait exempté, bienvenue au club de l’écholalie ; c’est un manque de maitrise pour un officier du GIGN.

    Estimée à la va-vite, la trajectoire supposée du présumé projectile est descendante à partir de la plateforme arrière. Le tunnel de pénétration fait un angle d’environ 40 à 45 degrés avec l’horizontale. L’officier veut collecter un maximum d’indices à transmettre aux collègues de la PJ dès qu’ils seront à bord.

    Mystère,

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