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Parangon
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Livre électronique595 pages9 heures

Parangon

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À propos de ce livre électronique

Arwylo est possédé. Il parcourt le monde, des seigneuries aux royaumes orcs, à la recherche d'un remède à son mal, accompagné par un dvahsyr (un elfe noir) du nom de Meddwyl. Alors que la magie se meurt, ils découvrent l'existence de forces pouvant transformer le monde et les changer eux-mêmes. L'affrontement pour la domination de ces forces a déjà commencé et pourrait bien les emporter.
Leurs lames suffiront-elles à éviter le pire ? Car plus que leur vie, c'est leur âme qu'ils doivent sauver.
LangueFrançais
Date de sortie11 déc. 2020
ISBN9782322215812
Parangon
Auteur

Sonny Scafi

Agrégé de sciences économiques et sociales, Sonny Scafi est passionné depuis son enfance par les différents univers de l'imaginaire, en particulier la fantasy et la science-fiction. Dans ces mondes fantastiques, il aime décrire des trajectoires peu idéalisées, loin des superhéros invincibles, inspirées à la fois de ses lectures et de problématiques plus contemporaines.

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    Aperçu du livre

    Parangon - Sonny Scafi

    Carte de l’Orwyn au Werain

    Index des personnages

    Alasdair, surnommé aussi Alie, jeune frère adoptif d’Arwylo. Ce dernier l’a confié aux nains pour le protéger de sa « maladie ». Impétueux et impulsif, Alie rêve de suivre Arwylo dans ses voyages.

    Amargein, Grand Maître de la magie, dirige l’ordre d’Ethelnor. Homme sage et bon, il peut aussi être paresseux et drôle. Il est le maître d’Arwylo.

    Annwyl, grande sœur d’Alasdair. Elle n’a pas revu son frère ni Arwylo depuis qu’elle est devenue une Sœur de l’ordre d’Epharlion.

    Arwylo, humain, né de parents inconnus. Blaewyn de formation – un hybride entre un guerrier et un mage, il est possédé et parcourt le monde à la recherche d’un remède à son mal.

    Belius, semi-homme, ami d’enfance d’Imar. Tous deux ont grandi à Bechàn, dans l’ouest lointain. Il cuisine, chante, joue de la flûte à bec et fait preuve d’une élégance certaine.

    Blodwen, herboriste d’un âge vénérable. Elle possède un négoce à Leinhelion et s’est liée d’amitié avec Meddwyl.

    Brace, Sœur d’Epharlion. Elle accompagne régulièrement la Sœur Principale, Elestren, dans ses déplacements.

    Branwalather ou Branwal, voir Arwylo.

    Dagorian ou Dagor, humain, guerrier extraordinaire. Officier du roi Malric d’Anghewyr et traqueur le plus craint de l’Orwyn au Werayn, il est considéré par les piliers de comptoir comme « la réincarnation d’Arwyar », le fils du dieu de la guerre.

    Dairo, nain, frère jumeau de Kairo. D’un tempérament sanguin et colérique, il est joaillier de métier et possède une expérience martiale, comme son frère.

    Dugall d’Eyrestyn. Bel homme d’une cinquantaine d’années, il rêve de restaurer la gloire d’antan de sa seigneurie et fait preuve d’une ambition démesurée pour son fils, Illiam.

    Eamon, Grand Intendant et responsable du Trésor d’Anghewyr. Vieillard à l’esprit encore vif, il siège au Conseil et sert Malric depuis l’accession au trône de ce dernier.

    Eddestyr, humain, originaire d’Anghewyr. La quarantaine bien sonnée, il est l’un des membres les plus âgés de la Meute. Voleur reconverti dans la cuisine, il est homme de maison pour sa compagne, Neala.

    Elestren, Grand Maître de la magie et Sœur Principale de l’ordre d’Epharlion. Elle dirige cet ordre, composé exclusivement de femmes, d’une main de fer et est souvent appelée comme médiatrice ou conseillère dans les affaires sensibles entre royaumes.

    Elisayd, surnommée par Dagor « la vieille chouette ». Enseignante, elle est aussi en charge de la bibliothèque de la basilique d’Anghewyr.

    Ellis, jeune humain blond qui a fui les Seigneuries. Il vit avec sa grand-tante, Ellen, à Bechàn. Il aide Belius et Imar au métier de vannier.

    Finlo, jeune semi-elfe qui accompagne souvent Neirin. Bien que réservé, il joue de la lyre et est un excellent conteur.

    Garvan, garçon de ferme trapu à la barbe fournie. Il accompagne parfois Neirin et Finlo de sa grosse voix et de son tambourin.

    Ghibli, petite créature de race inconnue et à la forte aura magique. Ressemblant à un croisement entre une gargouille et un chien, il a un tempérament farceur et est souvent d’humeur joyeuse.

    Gilliam, semi-orc par la mère, originaire d’Amregyr. Géant placide, il est qualifié de simplet par les mauvaises langues.

    Goraidh, commerçant au long cours, avec une échoppe à Leinhelion.

    Gunnar, dit Gunn le boucher. Bourreau du roi Malric d’Anghewyr.

    Gurddywall, homme d’une cinquantaine d’années. Il est au service de la garde de Leinhelion et est un ami d’Arwylo.

    Idwal, homme d’une cinquantaine d’années. Il est le Connétable du roi Malric et à ce titre siège au Conseil d’Anghewyr.

    Illiam d’Eyrestyn, fils de Dugall. Jeune homme versé dans les lettres comme dans l’art de la guerre, il a gagné la joute et le combat à pied du tournoi en armes d’Anghewyr.

    Imar, semi-homme, ami d’enfance de Belius. Vannier de métier, c’est un adepte de la bonne chère et du bon mot.

    K’thral, voir Arwylo.

    Kairo, nain, frère jumeau de Dairo. Calme et réfléchi, c’est un membre fondateur de la Meute. Il possède une solide expérience martiale et est un fin stratège.

    Keelan, fille de Goraidh. Jeune femme à la chevelure blonde et au tempérament audacieux, elle rêve de s’évader de sa vie monotone de fille de marchand.

    Kellen, orc gris de Dùn’Mornok. Brigand et chasseur au passé flou, il travaille le cuir et traîne toujours avec Gilliam, son supposé cousin.

    Khaleed, humain ombrageux, originaire d’Ilaaran, royaume du Sud Profond. Il est en mission pour son roi dans les Royaumes du Nord.

    Kian, Grand Chancelier du roi Malric. Homme jeune pour une telle fonction, sa poigne et sa compétence n’ont d’égal que sa suffisance.

    Leina, naine, grande sœur de Kairo et Dairo. Seule femme de la famille, bien décidée à s’occuper de son foyer ambulant, elle prend soin de ses deux frères et du « petit dernier », Alie.

    Malric, héritier indirect de Iudhael. Homme retors et redouté, il est le roi d’Anghewyr et, à ce titre, est le suzerain suprême de toutes les seigneuries humaines de l’ouest.

    Manus, de son vrai nom Olier. Fils aîné des Nahur du Miolaràn.

    Meallàn, Chapelain du roi et conseiller au culte. Il est le Waarj, le plus haut dignitaire de l’Aergataeth, le culte d’Aergat, dit l’Unique. Homme aussi ambitieux que tortueux, il voue une haine viscérale à Dagor.

    Meddwyl, dvahsyr, compagnon inséparable d’Arwylo et membre de la Meute. C’est un ancien galanat, un membre du « cercle », organisation dvahsyre de néfaste réputation.

    Naï, semi-orque, petite sœur de Gilliam. Elle a les aptitudes physiques et l’âme d’une guerrière. Habile lorsqu’elle manie sa hache, elle gagne sa vie comme bûcheronne et ébéniste.

    Neala, grande guerrière au regard sévère. Elle porte souvent un bustier de cuir au décolleté aguicheur. Formée à l’académie militaire, elle ne sert plus et vit avec Eddestyr.

    Neirin, jeune humain, membre de la Meute. Il exerce ses talents de scalde et de séducteur dans les tavernes des seigneuries.

    Nell, petite orque recueillie par Kellen qui en a fait sa sœur. Gros bébé turbulent, elle grandit en Amregyr avec Naï.

    Shanahan, nom public d’Amargein à Anghewyr.

    Sruhag, voir Ghibli.

    Talek, mage siégeant au Conseil d’Anghewyr. Il a été nommé par Malric au siège précédemment occupé par Shanahan.

    Tiarnan, capitaine de la Garde Royale auprès du roi Malric d’Anghewyr et ami de Dagor.

    Trahern, surnom de Dagor.

    TABLE

    La traque

    L’auberge

    Sruhag

    Ailenedigaeth

    L’étranger

    Arsay Croy

    Monotonie

    Possession

    Sombre rencontre

    Blasphème

    Leinhelion, 1ère partie

    Leinhelion, 2ème partie

    Vers Fiùran

    La Meute, 1ère partie

    Mises à mort

    La Meute, 2ème partie

    Le mage

    Tournoi

    Kaeryr

    Impitoyable

    Le spectre intérieur

    Sueur et sang

    Le gué

    Annwyl

    Parangons

    Voyages

    Délivrance

    Manus

    Duelliste

    Épilogue

    La traque

    Cette nuit-là, Arwylo et Meddwyl avaient décidé de la passer confortablement installés, au sens orc du terme, dans une auberge de Dùn’Mornok. Le plus souvent, de nombreuses raisons les poussaient à éviter ce genre de confort. Une traque nécessite en effet une discrétion que ne permettaient pas les auberges et autres tavernes, où la moindre nouvelle concernant les étrangers pouvait faire le tour de la ville en une seule nuit : en particulier quand ces étrangers semblaient arriver de l’ouest lointain, en particulier quand ils étaient précédés d’une réputation d’assassins.

    Mais la situation avait changé : ils venaient de mettre un terme à la brillante carrière de deux pillards dont les têtes avaient été mises à prix et qui écumaient le royaume de Dùn’Mornok depuis des mois. Leurs terrains de chasse de prédilection étaient la route du nord-ouest vers les Hautes Plaines et celle de l’ouest vers la vallée d’Eleudir. Les voyageurs, imprudents, malchanceux ou téméraires, qui croisaient leurs routes y laissaient leur bourse… et leur vie.

    Depuis quelques années en effet, la pauvreté de Dùn’Mornok avait transformé les routes qui y menaient en coupe-gorge qu’il était sage d’éviter. Et bien que les orcs et autres gobelins eussent un certain penchant pour le commerce, la ville avait peu à peu souffert de cette mauvaise réputation. La dégradation rapide des conditions de vie poussa une partie de la population à émigrer vers le nord et le nord-ouest pour trouver meilleure fortune. Quelques-uns, aux compétences recherchées, comme les forgerons ou les orfèvres, tentaient même leur chance à l’ouest. La situation aux alentours de Dùn’Mornok était telle que même Enaarg, le seigneur orc qui gouvernait ces terres, ne pouvait plus la tolérer. En fait, ce qu’il ne pouvait plus tolérer, c’était la baisse chronique des rentrées d’or qui bridait ses dépenses militaires. Il avait donc mis quelques têtes à prix. Mais ces mesures avaient été bien tardives et leurs effets l’étaient encore plus, si bien qu’il perdit la guerre contre les orcs noirs de Keus.

    Face à la violente répression des nouveaux maîtres des lieux, certains pillards s’engagèrent tandis que les autres se regroupèrent en bandes qui représentaient alors un danger bien plus grand que des brigands isolés. Toutefois, le nombre de pillards au sein d’un même clan dépassait rarement la quinzaine d’unités. Au-delà de ce seuil – étant donné la voracité de ces coupe-jarrets, un tel groupe devenait vite ingérable et les querelles lors de la répartition des butins finissaient régulièrement dans le sang.

    Dans un premier temps, Arwylo et Meddwyl étaient venus pour s’occuper de la vedette locale, un orc noir du nom de Morghen, originaire de Keus, qui avait réuni quelques camarades de classe afin de piller ceux qui tentaient d’entrer ou de sortir de Dùn’Mornok. Leur cible s’était fraîchement associée à un autre clan guidé, d’après les témoignages les plus crédibles, par un grand orc brun, dont ils ignoraient le nom. Comme la tête de ce dernier était également mise à prix, ils avaient l’occasion de faire d’une pierre deux coups.

    Il leur avait fallu plusieurs jours pour localiser le repaire de ces brigands ainsi que les chemins qu’ils avaient l’habitude d’emprunter. Ils habitaient une caverne au flanc ouest des Collines Rouges – qui contrairement à la croyance populaire ne doivent pas leur nom à une quelconque bataille sanguinaire, mais au coucher de soleil baignant ces collines d’une lumière mélancolique depuis Dùn’Mornok. Les bois des alentours faisaient de la caverne un repaire convenable. Le seul sentier qui y menait était très étroit et ne permettait pas d’attaque massive. Il longeait les collines vers le nord ce qui obligeait à faire un long détour pour se rendre à la caverne.

    Point positif pour Arwylo et Meddwyl, l’entrée du refuge était une petite clairière qui permettait d’observer les allées et venues sans trop de difficultés. La récente association des pillards avait accru la taille du clan qui comptait désormais un petit bataillon d’orcs bruns et noirs, accompagné de quelques gobelins, d’un elfe noir et une paire d’autres créatures, sans doute des gobelins.

    Après discussion, Arwylo et Meddwyl décidèrent qu’il était plus sage d’employer, dans un premier temps, une technique prudente, qui avait fait ses preuves : attendre. Et plus particulièrement, attendre qu’une partie du clan nouvellement formé soit évincée ou bien que les deux chefs se retrouvent isolés des autres, ce qui paraissait toutefois peu probable. Par ailleurs, Arwylo était un peu préoccupé par la présence de l’elfe noir. Son acuité auditive, largement supérieure à celle de ses compagnons d’armes, ne leur permettrait pas de demeurer très longtemps en observation sans se faire tôt ou tard repérer. D’autre part, il ne savait pas comment Meddwyl allait réagir : il ne pouvait douter de sa loyauté, mais c’était la première fois qu’ils rencontraient un elfe noir lors de leurs traques. Et affronter un semblable n’est pas chose aisée pour les elfes, même pour ceux qui venaient des ténèbres.

    Après quelques jours d’attente, ils comprirent que pour que les deux têtes mises à prix ne leur échappent pas, il fallait passer à l’action. Comme la question du commandement n’avait pas été tranchée entre les deux chefs et que le clan était hétéroclite, une tension évidente persistait et se transmettait à l’ensemble des membres. On pouvait ainsi repérer à quel chef chacun des pillards était soumis. Seul l’elfe noir faisait exception : s’il appartenait au groupe de Morghen, ce dernier ne lui donnait jamais d’ordre directement et semblait même s’en méfier.

    Le plan d’Arwylo et de Meddwyl était de provoquer une querelle entre les deux factions, afin d’attaquer par surprise un groupe moins nombreux et moins bien organisé, ce qui n’était certes pas leur point fort. Pour cela, ils avaient besoin d’un bien unique, indivisible et suffisamment précieux pour pouvoir créer l’étincelle qui enflammerait le clan. Ils firent en sorte que les membres du clan trouvent une épée elfique d’une valeur à peine estimable : celle de Meddwyl. Il avait été réticent à l’idée de laisser l’arme héritée de ses aïeux aux mains de ces brigands. Elle était en effet exceptionnelle en tout point : forgée des siècles auparavant, elle demeurait intacte malgré maintes batailles. Sa lame était légère, parfaitement équilibrée et d’une résistance étonnante. Son poids plume, les gravures de sa garde, de son fourreau et la nacre du manche la rendaient unique et motif d’orgueil pour son possesseur, en particulier dans une région du Werayn où les elfes se font rares. Une arme que seul un grand guerrier pouvait porter. Et cela, les deux chefs le comprendraient de suite en la voyant.

    Un matin, l’elfe noir et une partie du clan s’en allèrent vers quelques maraudages en direction de la route des Hautes Plaines, tandis que les deux têtes mises à prix restèrent au repaire. Arwylo et Meddwyl firent en sorte que l’un des orcs trouve l’objet de discorde. En observant sa réaction, on lisait d’abord l’étonnement, puis la perplexité : comment conserver une arme d’une telle valeur sans que les deux grands chefs s’en aperçoivent ? La solution s’imposa : il fallait quitter cette bande de coupe-jarrets. Heureusement pour les deux traqueurs, un orc et un gobelin arrivèrent, arrêtant la fuite avant même qu’elle ne commence.

    L’épée fut amenée au repaire et les négociations commencèrent dans la petite clairière. Rapidement, la discussion s’anima entre les deux factions ; la tension était palpable. Puis, à l’improviste, Morghen dégaina son épée et se jeta sur l’autre chef de clan, qui bloqua la lame à main nue. Il dégaina à son tour et les seconds couteaux les imitèrent. S’ensuivit une bataille confuse et mortelle.

    Arwylo et Meddwyl avaient décidé d’employer leur stratégie habituelle : le premier chargerait les ennemis pendant que le second, d’une position haute et plus lointaine, un grand chêne en l’occurrence, le couvrirait de ses flèches à la pointe empoisonnée. Alors que la bataille semblait toucher à sa fin, les traqueurs s’échangèrent un regard et passèrent à l’action : de son arc long, l’elfe décocha deux flèches qui transpercèrent deux grands orcs qui ne portaient aucune armure tandis qu’Arwylo, armé de son épée orque et d’un bouclier, chargea un groupe de quatre combattants qui s’étaient éloignés de leurs chefs. Deux d’entre eux tombèrent sous sa lame, dans un fracas d’armures et de carcasses écrasées. Un troisième s’effondra peu après victime des coups de dague rapides et vicieux du quatrième, un gobelin de petite stature, aux dents acérées. Ce dernier remarqua alors les corps sans vie des deux coupe-jarrets qui, un instant auparavant, cherchaient à s’étriper. Il leva les yeux sur une créature, à première vue humaine, qui s’approchait d’un pas lent, mais déterminé. Le gobelin se mit sur ses gardes et fronça les sourcils pour deviner le visage malgré le heaume. Il vit et comprit. Pétrifié de peur, il laissa la dague s’échapper de sa main droite ; l’air siffla et sa tête roula au sol.

    Malgré le vacarme généré par leur propre combat, certains membres du clan n’avaient rien perdu de cette scène : « Putain de traqueur ! » s’écria Morghen avec rage.

    La haine des coupe-jarrets envers les traqueurs mit un terme à leur querelle sanglante : les survivants allaient-ils se ruer sur l’étranger ou bien fuir devant celui qui avait terrassé plusieurs des leurs en quelques passes d’armes ? Étant donné leur nombre réduit, certains choisirent la seconde solution et s’engouffrèrent dans la forêt en abandonnant leurs armes. Pour empêcher les restants de se réorganiser, Arwylo abandonna son bouclier et les chargea sur-le-champ. Entre temps, Meddwyl avait décoché plusieurs flèches atteignant un orc à la gorge et un gobelin au torse.

    Dès le premier impact, Arwylo brisa l’arme, en mauvais état, de son adversaire qui prit la fuite dans la forêt à la suite de ses compagnons de brigandage. Morghen, dont la cuirasse légère avait pris une teinte rouge, hurla des injures en voyant les siens déserter le combat les uns après les autres : il saisit la petite hache à sa taille et la lança avec force rage contre le traqueur. Arwylo, malgré ses réflexes, n’eut pas le temps de l’esquiver complètement : elle fit voler son casque avec un bruit métallique. Le sang se mit à maculer son cuir chevelu. Arwylo passa la main dans ses cheveux pour s’assurer que sa blessure n’était pas grave et reprit sa charge de plus belle en s’attaquant à l’adversaire le plus proche. Meddwyl quant à lui avait ralenti sa cadence de tir, car l’action se déroulait à une distance plus importante et il devait désormais se concentrer au maximum sur chacune de ses flèches pour ne pas toucher son compagnon.

    Avec un cri rauque, Arwylo frappa de toutes ses forces l’orc qu’il chargeait et fit voler en éclat le bouclier en bois de ce dernier. Son épée alla finir sa course dans l’avant-bras de l’orc qui, hurlant de douleur, s’écroula au sol, implorant pitié. L’instant d’après, Arwylo évita un hobgobelin qui se jetait sur lui avec une hache légère : il fit un pas svelte sur sa droite, para son adversaire et, continuant sa rotation, lança son coude gauche à la gorge de son assaillant. La pointe de son armure légère s’y enfonça bruyamment. La créature mit la main à sa gorge, fit quelques pas en titubant puis s’effondra à terre. Le mouvement n’avait duré qu’un instant et déjà il marchait, l’épée à la main, en direction des guerriers qu’il restait à affronter. Il émit un grognement sourd, tandis que deux lueurs rouge pâle étaient apparues en lieu et place de ses yeux. Elles étaient d’autant plus visibles que les ombres des chênes et des hêtres de la forêt s’étiraient en cette fin d’après-midi.

    À la vue de cet humain étrange, un autre hobgobelin, dont les compagnons d’armes avaient rendu l’âme, s’enfuit aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Après le passage des flèches de Meddwyl, il ne restait plus que Morghen, le second chef de clan et un troisième orc qui lui ressemblait. Malgré l’attaque foudroyante des deux traqueurs, ces trois-là n’allaient pas abandonner les armes facilement. Ils avaient compris qu’en plus du guerrier qui les avait chargés, ils servaient de cible mobile à un archer positionné en retrait : aussi la première chose qu’ils firent fut de se mettre à couvert des flèches de Meddwyl, derrière des arbres au large tronc. Le troisième larron se mit alors à contourner Arwylo pour aller s’occuper de l’archer embusqué. Le traqueur le laissa aller, confiant dans les capacités de l’elfe à s’occuper seul de l’orc.

    Pour lui en revanche, le combat se corsait : l’effet de surprise était terminé et il se retrouvait face à deux guerriers d’un autre calibre. Morghen, sans doute le plus dangereux, était un orc noir de taille moyenne, mais à la force et à la vivacité hors du commun : la blessure au crâne d’Arwylo était là pour le lui rappeler. Il n’était équipé que de protections légères et maniait sa masse avec une facilité déconcertante pour une arme de ce poids. L’autre chef de clan dont la tête avait été mise à prix était un imposant orc brun. Il disposait d’une armure lourde et était armé d’une grande hache. S’il n’était pas moins puissant que Morghen, il était en revanche plus lent et prévisible.

    À en juger par leur posture et leur garde, les deux orcs avaient probablement déjà servi dans une armée régulière. Ils tournaient autour du traqueur de manière à ce qu’il n’ait en permanence dans son champ de vision que l’un d’entre eux. Arwylo repoussa leurs premiers assauts, mais il ne put lui-même riposter. Bien qu’il ne ressentît pas encore de fatigue, il ne pouvait rester là à subir les assauts successifs des deux orcs – ils finiraient bien par avoir sa peau d’une manière ou d’une autre. Il fallait reprendre l’initiative. Il feinta une attaque sur Morghen qui resta dans une position défensive, afin de provoquer l’attaque de l’autre chef de clan dans son dos. Il fit alors volte-face : un éclair jaillit de son épée jusqu’à atteindre l’orc brun de plein fouet. Ce dernier se trouva projeté à plusieurs pas, sans blessures graves, mais inconscient.

    Malgré l’effet de surprise, Morghen bondit sur le traqueur en poussant un cri de guerre et fit voler sa masse, que l’humain esquiva de justesse. Plutôt que d’abréger le combat, Arwylo l’interpella :

    — Tu as servi dans l’armée régulière de Keus, non ?

    L’orc parut étonné. Il observa son adversaire : il était grand pour un humain, avait les cheveux bruns et les yeux… rouges ?! Sa barbe mal rasée laissait apparaître des traits réguliers et une mâchoire carrée. C’était encore un homme jeune, mais les petites cicatrices sur son visage relataient une histoire mouvementée. Morghen eut un moment de flottement puis il chargea derechef son adversaire qui profita de sa précipitation pour le contrer, le blessant au bras. L’orc était dans une rage folle, il allait se lancer dans un nouvel assaut quand un gémissement se fit entendre, provenant de la forêt derrière lui.

    — Ton orc est mort. Tu es seul désormais, lui dit Arwylo.

    Morghen ne savait plus quelle solution adopter. Il avait peu de chances, seul contre cet étrange humain… Et encore moins lorsque l’ar-cher arriverait dans la clairière. Arwylo continua de sa voix rauque :

    — Tu n’as pas répondu à ma question. Tu es un orc noir, ton nom est typique du nord-est… Tu as servi dans l’armée régulière de Keus, n’estce pas ?

    — Qu’est-ce que ça peut te faire si…

    Morghen s’interrompit tout à coup. Les souvenirs affluaient en lui et ses yeux devinrent ronds comme deux billes :

    — Tu es l’homme-démon, K’thral, c’est ça ?

    Il eut pour réponse un sourire laissant apparaître les canines anormalement longues d’Arwylo.

    — On m’a donné bien des noms. Lorsque je servais à Keus, on m’appelait effectivement « K’thral ».

    — À Keus, ta vie et celle de ton ami humain au plastron d’argent ne tenaient qu’à un fil. J’aurais pu te…

    Arwylo le coupa :

    — Willem ?! Qu’est-il devenu après mon départ ?

    — Je ne sais pas exactement. Il a tenté de déserter quelques semaines après toi. On a retrouvé sa cuirasse dans un bourbier…, dit-il en ricanant.

    Arwylo sentit la rage monter en lui. Il émit un grognement sourd et répliqua d’une voix pleine de hargne :

    — J’ai besoin de ta tête.

    Morghen fumait. Il avait passé trop d’années à servir à Keus. Il avait connu les soldes misérables et les campagnes interminables. Il avait fini par s’installer « à son compte » avec quelques compagnons d’armes et à présent que les choses s’amélioraient enfin, ce stupide humain revenait d’on ne sait où, pour lui ôter la tête !

    Sa situation semblait désespérée lorsque des bruits leur parvinrent depuis le sentier qui menait à la caverne. Le reste du clan, parti en maraudage, apparut.

    — Aux armes, les gars ! grogna Morghen. On a un traqueur à éventrer.

    Son exhortation ne pesa pas lourd face aux râles d’agonie et aux corps sans vie qui jonchaient çà et là la clairière : les coupe-jarrets s’enfuirent aussitôt sous les insultes et les malédictions de leur chef. Seul l’elfe noir demeura.

    De son regard calculateur, se détachant sur son visage clair tirant sur le gris de lin, il dévisagea Arwylo. Son regard fut ensuite attiré par un objet scintillant au sol, objet qu’il n’eut aucun mal à identifier : une épée elfique centenaire, la pomme de discorde qui expliquait sans doute le carnage. S’il parvenait à tuer le traqueur, il lui suffirait ensuite de trancher la gorge de Morghen dès qu’il aurait le dos tourné. Il empocherait alors la prime pour les deux chefs orc et conserverait l’épée. Mais pouvait-il venir à bout de l’étrange humain ? Arwylo avait compris la situation et commença à s’éloigner lentement de Morghen : il ne voulait pas être à portée de la masse de l’orc si l’elfe attaquait. Comme les deux coupe-jarrets n’avaient pas vraiment confiance l’un dans l’autre, l’affrontement ressemblait à un duel à trois, où chaque combattant fixe successivement les deux autres, les yeux plissés, le corps en alerte.

    Pour l’elfe, la tentation fut trop forte : d’un geste vif il dégaina son épée et s’apprêtait à charger Arwylo lorsque, à peine élancé, une flèche venant de sa droite lui transperça la nuque. Il s’écroula à terre, les yeux vitreux, ses longs cheveux blancs en désordre. Morghen, qui attendait cette attaque pour s’enfuir, n’eut pas même le temps de bouger. L’ombre qui avait décoché la flèche meurtrière sortit des ténèbres de la forêt et se dirigea calmement vers le cadavre de l’elfe noir. Il se baissa et récupéra sa flèche. Puis, impassible, il l’enficha derechef et banda l’arc en direction de Morghen.

    — Tes armes, dit-il simplement.

    L’orc fixa Meddwyl. L’elfe avait les traits fins et les cheveux blancs des habitants de Duvahsa, mais sa peau était plus claire. L’iris de ses yeux vert d’eau ne touchait pas sa paupière inférieure. Même pour un dvahsyr, son regard était d’un froid glacial. Au moindre mouvement brusque, il le transpercerait sans hésitation. Morghen lâcha sa masse avec un grognement : il préférait la capture à la mort.

    Arwylo ficela les deux prisonniers puis alla ramasser l’épée elfique.

    — Tiens, cela t’appartient il me semble, dit-il en tendant l’épée à Meddwyl.

    L’elfe esquissa un sourire et Morghen comprit qu’il avait été abusé : l’orc fuma de rage et se fût jeté sur ses geôliers s’il n’avait pas été pieds et poings liés.

    — Si nous nous dépêchons, nous pourrons les livrer avant la tombée de la nuit, dit Meddwyl.

    Il rassembla les corps pour ne pas les laisser sans sépulture et improvisa un bûcher. Alors que le feu commençait à s’élever dans la clairière, les traces du démon avaient disparu du visage d’Arwylo. La douleur de la transformation avait été intense et la marque qu’il portait au cou saignait encore. Il ne le montrait pas, mais il était épuisé.

    Ils se mirent finalement en route vers Dùn’Mornok afin d’y percevoir leur dû et d’y passer la nuit.

    L’auberge

    Àprésent qu’ils avaient rempli la mission qu’ils s’étaient assignée, la discrétion n’était plus une nécessité absolue. Les nouvelles allaient vite et après ce qu’ils venaient d’accomplir, on n’oserait se frotter à eux. Or un peu de repos n’était pas de refus car la traque avait été longue et le combat épuisant. Par ailleurs, les deux primes qu’ils avaient empochées leur permettaient amplement ce « luxe ».

    Ils s’étaient installés dans la première auberge du quartier ouest qu’ils virent – sur une table au fond – en espérant y trouver quelque chose de mangeable. L’endroit était typique des tavernes orques. Un brouhaha incessant émanait des discussions animées et ponctuées de rires sonores. Les injures fusaient de temps en temps et pouvaient finir en rixes plus ou moins violentes. La plupart des clients étaient des orcs, mais on trouvait parfois des gobs, des humains et plus rarement des elfes noirs. En fin de compte, bien que leur présence ne fût point appréciée, elle était tolérée par les autres clients.

    Sur une grande table au milieu de la salle s’agitait une vilaine petite créature. Elle devait arriver à la taille d’un humain et sa charpente était plutôt légère. Sa peau avait une teinte gris-brun somme toute assez commune. La forme de son crâne était ronde, sans un poil, et sa mâchoire puissante, comme en témoignaient ses crocs acérés. Elle ressemblait à un curieux croisement entre une gargouille et un chien. Arwylo remarqua qu’il avait également de grandes oreilles finissant en pointe.

    — Il a tes oreilles, dit l’humain à son compagnon en réprimant un sourire.

    L’attention de Meddwyl restait fixée sur la petite créature :

    — Et tes crocs, répondit-il. Cette… « créature » semble posséder quelque chose, mais il l’ignore peut-être, ajouta-t-il.

    Arwylo ne l’avait pas perçu : il se concentra lui aussi et eut cette même impression.

    La vilaine petite créature sautait sur la table de manière saccadée et grimaçait, laissant apparaître de larges canines. Elle semblait effectuer quelque danse magique autour d’un feu imaginaire. En réalité, elle ne faisait que prendre les paris des orcs autour de la table, paris qui portaient sur un jeu de hasard se pratiquant avec des osselets.

    Alors que la soirée battait son plein, Arwylo et Meddwyl remarquèrent l’entrée d’un homme au visage et à l’accoutrement insolite pour la région. Il était grand et sa peau mate contrastait avec celle des quelques humains qui vivaient encore dans le royaume. Ses longs cheveux semblaient faits de jais et il portait une barbe qui avait été un bouc bien entretenu. Son long manteau rouge et blanc n’était pas passé inaperçu, de même que son épée courbée à large lame qu’il portait à sa taille. Bien qu’il ne montrât guère de signes de fatigue, l’épaisseur de poussière qui le couvrait de la tête aux pieds indiquait clairement qu’il avait effectué un long voyage pour arriver jusqu’ici. Il n’en fallut pas plus pour aiguiser l’appétit des soiffards de l’auberge : l’ambiance avait été plutôt tranquille jusqu’à présent – un peu trop aux goûts de certains.

    Il eut à peine le temps de se poser sur un tabouret qu’un gros orc à la démarche arrogante s’approcha de sa table et lui ordonna de quitter son siège. Comme d’autres tabourets étaient disponibles, il changea sans protester.

    — Celui-là aussi, dit l’orc en montrant le siège sur lequel l’étranger venait de s’asseoir.

    Ce dernier ne montra aucun signe d’énervement : il se leva et dévisagea l’orc qui perdit tout à coup son air narquois. Tout bien réfléchi, ce dernier se serait bien rassis pour finir tranquillement sa bière, mais le brouhaha de la salle avait cessé et l’attention de tous était désormais fixée sur la rixe qui se préparait. Pris entre une assistance aux aguets et le regard acéré de l’étranger, l’orc refusa de perdre la face et, dans un grognement, se résolut à saisir son épée, provoquant la clameur de la salle. Les paris se multipliaient déjà et la petite créature avait repris sa danse frénétique, hurlant les cotes improvisées des deux combattants.

    Après avoir respiré l’atmosphère de la salle, l’étranger comprit qu’il ne pouvait éviter ce combat. L’orc était déjà sur ses gardes, en position de combat. Arwylo et Meddwyl voyaient bien que l’étranger était réticent à se battre : non par crainte, mais par lassitude.

    — Lequel tu me recommandes ? demanda Arwylo.

    L’elfe parut un peu surpris car il n’avait jamais vu son compagnon prendre part à des jeux d’argent.

    — L’étranger doit être éreinté, mais l’orc n’a que sa force pour lui. Je parierais sur l’humain, répondit-il.

    — Choix raisonnable, acquiesça Arwylo.

    Tâtant la petite bourse qu’il avait à la ceinture, il se leva et marcha en direction du centre de la salle où sautillait toujours la petite créature. Il avançait entre les tables et les clients. Sur son passage, les discussions se faisaient plus calmes et les messes basses plus insistantes. Il arriva devant la table du centre et présenta sa bourse à la petite créature qui stoppa net sa danse :

    — Sur l’humain, annonça Arwylo.

    La clameur redoubla, mais le petit être ne sembla nullement impressionné. Il soupesa la bourse : il n’avait probablement pas l’habitude d’enregistrer des paris d’une telle importance et se demandait s’il convenait d’accepter. Arwylo le regarda de haut pour l’inciter à prendre son pari, ce qu’il fit, la plupart des autres clients ayant misé sur l’orc. Alors qu’il allait s’en retourner s’asseoir, l’étranger, qui avait vu la scène, interpella Arwylo dans la langue de l’Orwyn :

    — Tu peux rester ici, il n’y en aura pas pour longtemps, dit-il sûr de lui.

    Les railleries ne manquèrent pas :

    — Pour qui il se prend l’humain ? Pour Dagor ?!

    Arwylo leva les sourcils d’étonnement, puis eut un sourire :

    — Tu parles bien ma langue pour un étranger. Je te remercie, mais je préfère finir ma bière à ma table. Et puis, sache qu’ici, un combat n’arrive jamais seul, dit-il sur un ton posé.

    L’étranger avait perçu l’avertissement derrière les mots d’Arwylo. Celui-ci, qui avait servi à Keus, connaissait le principe de ces combats improvisés : on s’acharnait sur un combattant jusqu’à ce qu’il ne cède, voire qu’il ne meure. À chaque combat, les mises augmenteraient et l’étranger se fatiguerait, ce qui en ferait une proie de moins en moins difficile et attiserait la convoitise des soiffards : il devait gagner haut la main son combat pour décourager d’autres prétendants. Il enleva lentement son manteau qu’il plia soigneusement. À peine eut-il mis la main à la garde de son épée que l’orc le chargea dans un hurlement enragé, poussé par les cris de l’assemblée. L’étranger repoussa son assaut simplement en dégainant son épée courbe. Surpris par la vivacité de l’humain, l’orc réalisait qu’il s’était fourré dans une situation compliquée. Il tenta de déstabiliser l’étranger par quelques feintes et se lança dans une charge téméraire que l’humain contra facilement malgré la fatigue : un pas de côté accompagné d’une déviation de l’épée et d’un croche-pied. L’orc se retrouva à terre, désarmé, la lame de l’étranger sur la gorge. Curieusement, ce dernier l’épargna et retourna à sa table avec calme et dignité, tandis que l’assaillant défait s’enfuyait sous les huées de l’assistance.

    La technique de l’étranger avait été impressionnante, mais il avait laissé partir son adversaire indemne : autant réclamer un autre combat, qui ne se fit pas attendre. Quand un deuxième orc s’avança, il fit mine de l’ignorer, mais dut de nouveau se résoudre à sortir son sabre de son fourreau. Entre temps, Arwylo avait récupéré son dû auprès de la petite créature, qui fit une grimace de mécontentement en voyant autant d’argent lui échapper. Avec un large sourire, le petit être essaya de le tenter :

    — Parier encore ? dit-il d’une petite voix, les yeux grands ouverts comme deux billes.

    — Non merci, lui répondit simplement Arwylo en retournant à sa table.

    Dès qu’il eut le dos tourné, le sourire de la créature se transforma en grimace la langue tirée, laissant apparaître ses larges canines. Il reprit sa danse kabbalistique. Plusieurs combats se succédèrent et l’étranger montra aussi bien une technique qu’une résistance étonnante. Malgré ces qualités, le combat de trop finirait par arriver si les orcs s’acharnaient sur lui, ce qui semblait d’autant plus probable qu’il se refusait à blesser ses adversaires défaits.

    L’atmosphère de la salle et les combats avaient enflammé l’assistance et attiré des passants curieux. Meddwyl ne semblait pas particulièrement troublé par les évènements, mais Arwylo n’avait pas quitté les combats des yeux. Cette ambiance d’arène improvisée avait peu à peu changé son humeur. Du bout de la langue, il commençait à toucher ses canines qui s’allongeaient et ressemblaient de plus en plus à des crocs, tandis que la marque à son cou s’était remise à saigner.

    Pourquoi ne vas-tu pas l’affronter ? gronda une voix en lui.

    L’elfe remarqua la transformation et le fixait de ses yeux verts d’eau : il ne dit rien car les mots étaient superflus. Arwylo lui jeta un furtif regard d’impuissance : depuis quelque temps, il éprouvait les pires difficultés à canaliser cette énergie obscure, qui trouvait trop souvent le moyen de s’exprimer. Et les retours à l’enveloppe humaine se faisaient chaque fois plus douloureux.

    Tu pourrais lui faire rendre gorge en une seule passe d’armes !

    Avant que la transformation ne soit trop visible, il se leva d’un bond et se dirigea vers la table du centre où sautillait la petite créature. En le voyant, celle-ci s’arrêta net. Le brouhaha de la salle s’était soudain mu en un mince filet de chuchotements, telles les incantations superstitieuses de croyants à la vue d’une apparition maléfique. Meddwyl s’était levé, prêt à agir en cas de nécessité.

    L’argent t’appartient !

    Arwylo, qui conservait encore une apparence humaine, s’approcha de la table où dansait la petite créature et lui lança d’une voix rauque :

    — Je prends l’argent.

    En temps normal, le vainqueur de ces combats à mort obtenait les effets du vaincu, ce qui pouvait atteindre de coquettes sommes. Arwylo connaissait cette règle, mais des exceptions pouvaient être faites. La petite créature n’en était pas convaincue et s’apprêtait à refuser ces termes lorsqu’un orc de sa table, par peur de représailles, la bouscula dans le dos pour la forcer à accepter. Elle montra alors l’argent qu’il tenait dans la main et hocha la tête.

    À quelques pas de la table, le combattant que devait affronter l’étranger, le cinquième, avait observé la scène et ne semblait pas apprécier ce changement de programme :

    — J’étais là avant toi, j’ai le droit de l’affronter en premier, grognat-il.

    Arwylo se tourna vers l’orc optimiste.

    « Il t’a offensé sciemment, prends sa vie ! » « Non… »

    « Fais couler le sang de cet impudent, repais-toi de lui ! » « J’ai dit NON ! »

    La transformation physique s’était poursuivie lentement : la couleur de ses yeux avait changé, ses traits s’étaient durcis et ses canines étaient devenues anormalement longues pour un humain. Il fixa l’orc du regard et émit un grognement sourd afin de lui offrir une dernière chance de sauver sa vie. Celui-ci, après un instant d’hésitation, n’insista pas et alla se rasseoir à sa table, en tentant de sauver la face.

    Arwylo s’avança alors en direction de l’étranger. Après les quatre combats qu’il avait menés et remportés, il était couvert de sueur qui se mêlait à la poussière accumulée lors de son voyage. Quand il vit s’avancer l’humain aux traits déformés, il pensa, l’espace d’un instant, que son dernier combat était peut-être venu. Néanmoins, il n’en laissa rien transparaître : il demeurait calme, prêt à en découdre, jusqu’à la mort s’il le fallait. Il maîtrisait sa peur et son esprit tout entier était concentré sur la seule chose qui importait à cet instant : défendre sa vie. Arwylo avait observé son attitude, sa posture physique et mentale et ne pouvait s’empêcher d’avoir de l’estime pour…

    Pourquoi tu as de l’estime pour cette larve ?! Ce n’est qu’un humain arrogant et prétentieux ! Brise sa volonté ! Viole sa dignité ! Profane son corps !

    Arwylo dit alors à la petite créature :

    — Je prends le corps aussi.

    Elle n’eut pas même le temps de contester qu’il bondit par-dessus la table à quelques enjambées seulement de son adversaire. Il attaqua avec l’épée qu’il tenait dans sa main droite afin de provoquer la parade de son adversaire et, dans le même temps, laissa partir un éclair de lumière de sa main gauche : l’étranger fut projeté et alla s’écraser contre le comptoir de l’auberge derrière lui. La technique qu’avait employée Arwylo était proche de celle utilisée le jour même contre l’orc gris. L’étranger, par un réflexe exceptionnel, avait réussi à se protéger, mais la force du rayon de lumière avait été bien trop puissante : il gisait à terre, immobile, les yeux clos, mort aux regards de l’assistance.

    « Maintenant ! Achève-le ! Il ne mérite pas de vi… » « ASSEZ ! Il vivra ! »

    Arwylo porta une main à son crâne, comme pour tenter d’extirper le mal de sa tête. L’assemblée regardait son délire silencieux sans un bruit. Meddwyl, qui avait suivi l’action de près, alla aussitôt s’emparer du corps et des effets personnels du guerrier défait, comme c’était l’usage.

    Prends aussi l’argent, il t’appartient !

    Arwylo fixa la petite créature pour qu’elle lui donne ce qu’il estimait être son dû : elle s’y refusa et regardait autour d’elle dans la salle pour y trouver quelque soutien de la part des soiffards. En voyant que le petit être, courageusement, ne lui donnerait pas de plein gré ce qu’il demandait, le démon s’approcha, grognant et montrant ses crocs. La petite créature tenait l’argent accumulé serré contre elle. De sa main puissante, l’homme démon lui prit la lourde bourse et le poignet et commença à tourner pour le faire lâcher prise. Le petit être regarda désespérément en direction des soiffards pour demander de l’aide, mais il ne croisa que des regards fuyants. Poussant de petites plaintes, il lâcha la bourse pour pouvoir se libérer de l’étau qui enserrait son poignet, en vain : Arwylo ne semblait pas vouloir lâcher.

    Continue, casse-lui le bras !

    La frêle créature se mit à pousser de grands cris de douleur qui résonnaient dans le silence absolu de la salle. Les cris s’amplifièrent lorsque son poignet se brisa sous la pression. L’humain lâcha aussitôt prise. Le petit être s’enfuit en gémissant pour se blottir sous une table, dans un coin sombre de la salle, cherchant à soulager sa douleur. Il sanglotait en silence et de grosses larmes coulaient sur ses joues.

    À la vue de cette pauvre créature pleurant sur sa blessure, Arwylo eut un sentiment de compassion si intense que, pour la première fois, le retour à l’enveloppe humaine se fit instantanément et sans heurts : la présence en lui s’évanouit aussitôt, comme terrifiée par ce qu’elle venait de ressentir. Arwylo avait par la même occasion retrouvé son calme et sa lucidité. Il resta là, immobile et silencieux, le regard fixé sur la frêle petite chose. Il la regardait souffrir et ne comprenait pas. Il ne comprenait pas comment la sombre présence terrée au tréfonds de son être pouvait lui échapper à ce point, comment il avait pu être aussi cruel et indifférent à la douleur.

    Les orcs avaient remarqué un brusque changement physique chez l’humain et cela contribuerait sans doute à alimenter les rumeurs à son propos. Pendant ce temps, Meddwyl avait pris le corps de l’étranger sur l’épaule et était prêt à quitter cette sinistre auberge – il était hors de question de rester dormir après ce qu’il venait de se passer. Il tira la manche d’Arwylo pour le sortir de sa torpeur. L’humain arracha son regard de la petite créature et ils sortirent de l’auberge.

    Sruhag

    Ils se retrouvèrent dans la ruelle sombre par laquelle ils étaient arrivés. Dans cette venelle très grossièrement pavée s’étaient regroupées de nombreuses auberges et tavernes, ce qui rendait le quartier peu fréquentable. Ils allèrent chercher leurs chevaux ainsi que celui de l’étranger, reconnaissable à l’épaisseur de poussière qui le couvrait, et prirent la direction des collines à l’ouest de Dùn’Mornok.

    — C’est de plus en plus fréquent, fit remarquer Meddwyl en chemin.

    D’ordinaire, l’elfe ne parlait pas de sa possession. Jamais il ne l’avait jugé, jamais même il ne l’avait craint, mais le spectacle offert par Arwylo ce soir montrait à quel point il était au bord du gouffre. Ils avaient tous deux la sensation que la chute était inexorable, que la fin n’était plus qu’une question de temps. Un jour, la force obscure qui couvait en lui exploserait et prendrait définitivement possession de lui : au vu de ce qui venait de se passer à l’auberge, ce jour ne semblait plus très loin. Meddwyl en était conscient et bien que peu loquace, apportait un soutien moral à son compagnon dès qu’il le pouvait.

    Pourtant, Arwylo ne pensait pas à cela. Son esprit était tourné vers ce qu’il venait de faire subir à la petite créature. Il regrettait profondément son geste, mais le remords ne permet pas de remonter le temps. Comme s’il lisait dans ses pensées, Meddwyl lui dit :

    — Si tu veux, tu peux y retourner, nous t’attendrons à l’orée de la forêt, sur la face nord des collines.

    Si le remords ne pouvait changer le passé, lui pouvait agir sur le présent : Arwylo hocha la tête et fit demi-tour avec sa monture. Ils étaient arrivés aux murs de la ville, à la porte rouge, et il dut refaire le chemin parcouru en hâte. Sur le chemin, il croisa quelques ivrognes qui finissaient leur nuit à la belle étoile, la tête collée aux pavés. Lorsqu’il atteignit la rue des tavernes, il ralentit le pas et se fit plus discret. Il descendit de cheval devant l’auberge où ils s’étaient restaurés et entra pour y jeter un rapide coup d’œil. L’ambiance s’était très nettement refroidie et de nombreux clients étaient partis. Arwylo parcourut des yeux les tables, mais la petite créature semblait avoir disparu.

    Il pensa à utiliser quelque sortilège pour retrouver la trace de la petite créature, mais la journée avait été intense de ce point de vue et il craignait ensuite de ne plus pouvoir soigner la blessure de la petite créature. Il se remit donc en selle et arpenta pendant un moment les rues du quartier : il remonta la rue des tavernes puis prit sur sa gauche et redescendit vers la forge du vieux Borgoth. Il chercha également du côté des tanneurs, des tailleurs et des cordonniers, au sud de la ville, en vain. Il aurait bien demandé des renseignements aux passants qu’il rencontrait, mais à cette heure de la nuit la plupart étaient ivres morts.

    Finalement, il se résolut à utiliser la magie. Il arrêta sa monture près d’une ruelle déserte, mit pied à terre et, à l’abri des regards indiscrets, se concentra sur la créature qu’il cherchait. Il avait les deux mains jointes et les yeux mi-clos. Sa posture était celle d’un dévot : il semblait plongé dans une prière intense, à la limite de la transe. Il murmura une formule dans la langue de l’Autre Monde : « Ethelnor lys, valaiskaa me ». Des particules de lumière apparurent autour de ces mains, tournant et montant vers le ciel tels des vers luisants. Puis la lumière cessa et il rouvrit les yeux. Il était épuisé ; des gouttes de sueur perlaient sur son front. Malgré cela, il sauta sur sa monture et se lança vers le nord-est de Dùn’Mornok.

    C’étaient sans conteste les quartiers les plus délabrés de la ville. La guerre contre Keus et la déliquescence du royaume avaient ici frappé de plein fouet : la muraille était presque complètement écroulée, une partie des habitations était en ruines et de nombreuses routes étaient devenues impraticables. Bien que la guerre fût terminée depuis quelques années, la population avait choisi d’abandonner les lieux. Il ne restait plus que quelques marginaux, orcs trop vieux

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