Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Sentence 13
Sentence 13
Sentence 13
Livre électronique414 pages5 heures

Sentence 13

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Toute la vie de Jessie Gillmansen a changé lorsque sa mère est morte. Maintenant, même Junction, sa ville natale, est en train de changer. Des événements sombres et mystérieux se produisent. Tout ce que Jessie désire est d’éviter d’autres changements. Mais alors qu’elle fait visiter Junction High à un séduisant nouveau garçon, elle est sur le point de découvrir un tout nouveau type de changement. Pietr Rusakova est bien plus qu’un beau jeune homme à l’accent fascinant; c’est un garçon avec un secret dangereux. Et sa seule existence amènera sans contredit de grands problèmes à la petite ville de Jessie. Il semble que la seule chose que Jessie ne peut éviter soit le changement.
LangueFrançais
Date de sortie20 mai 2020
ISBN9782898084522
Sentence 13
Auteur

Shannon Delany

Auteure américaine et ancienne enseignante, Shannon Delany est passionnée par l’histoire et les légendes. Elle a déjà fait des recherches sur des phénomènes paranormaux.

Auteurs associés

Lié à Sentence 13

Titres dans cette série (5)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fantasy pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Sentence 13

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Sentence 13 - Shannon Delany

    Junction.

    PROLOGUE

    Rio se raidit sous ma main, frappant le sol d’un bruit sourd.

    — Qu’y a-t-il, ma fille ? lui demandai-je, tout en continuant à me débattre avec l’enchevêtrement de sa crinière ébène.

    Elle s’ébroua, ses naseaux devenant rouge sang. La vive secousse de son encolure fit tomber la brosse de ma main, et elle rebondit sur le mur opposé avec un bruit sourd.

    — Rio !

    Gardant toujours une main sur elle, je la contournai et me penchai afin de chercher la brosse. Pendant un moment, tout fut étrangement calme, complètement silencieux. Puis, mes chiens, Maggie et Hunter, bondirent de l’endroit où ils sommeillaient, les museaux contre un sac de nourriture. Ils se précipitèrent vers les portes de l’écurie, explosant en un excès d’aboiements.

    Les autres chevaux se mirent à hennir, leurs plaintes emplies d’inquiétude et de frustration en parts égales. Leurs sabots frappèrent le sol, faisant craquer le foin.

    — Qu’est-ce qui… ?

    Mes doigts se dirigèrent vers les naseaux de velours de Rio.

    — Chut. Tout va bien, ma fille.

    Me glissant hors de sa stalle, les poils de mes bras se hérissèrent, comme si l’air automnal était chargé d’électricité.

    — Tout va bien, insistai-je, tandis que je me dirigeais vers Maggie et Hunter.

    Ils n’étaient pas convaincus. Me faufilant entre eux, j’agrippai leurs colliers et jetai un coup d’œil à travers l’étroite ouverture entre les énormes portes de l’écurie. La cour était étrangement silencieuse, comme si tout s’était tu en même temps afin d’observer craintivement ce qui rodait dans l’ombre. Les chiens me tiraient vers l’avant, frappant le sol de leurs pattes et grondant.

    L’étendue de lumière blanche artificielle que faisait le projecteur de la cour entre la première écurie et la maison s’ouvrait comme une large cicatrice devant moi. Jamais elle ne m’avait paru aussi laide et nue — ou si grande. La brise fraîche de la nuit me fit parvenir le faible son du téléviseur. Papa regardait des reprises de cette folle émission de vidéos. Pourrait-il nous entendre par-dessus le son du téléviseur, si nous avions besoin d’aide ? La réponse me frappa comme une pierre s’enfonçant dans mon ventre, tandis que le rire de papa ponctuait l’air soudainement calme et qu’il montait le volume du téléviseur.

    Je baissai les yeux vers les chiens. Merde. J’étais seule avec les deux idiots du village comme aide.

    Mes yeux parcoururent la cour, allant de la lueur rassurante des fenêtres de ma maison au grand projecteur. Je murmurai des paroles apaisantes aux chiens — de vagues promesses de savoureuses friandises. Hum. Habituellement, des nuées de papillons de nuit voletaient dans l’éclat du projecteur, des chauves-souris volaient comme des flèches pour attraper leurs repas. Ce soir, il n’y avait rien. L’air était immobile, mais mon appréhension semblait le faire bourdonner d’électricité.

    Je déglutis. Une ombre glissa dans mon champ de vision, masquant brièvement la lumière. Je reculai, et mes doigts lâchèrent les colliers des chiens. Les voix de Maggie et de Hunter se mêlèrent en une même plainte, faible et hésitante. Je saisis une fourche appuyée contre le mur et la tins devant moi.

    Quelque chose poussait de l’autre côté des portes et les secouait afin de les faire bouger. La créature reniflait l’air comme un chien qui cherche une piste. Son museau, presque aussi gros que ma main et aussi noir que l’ombre que projetait son corps, s’enfonça entre les portes, ses narines se dilatant pour aspirer nos odeurs. Je n’apercevais qu’un peu de fourrure rougeâtre. Les chiens s’éloignèrent de moi, la queue basse et le corps tremblant, tandis que je brandissais la fourche.

    Mais ce qui son était encore plus terrifiant que l’énorme museau (je m’aperçus qu’il se trouvait à la hauteur de ma poitrine), c’était la rangée de dents visibles entre les lèvres sombres et épaisses. Longues et irrégulières, elles ne laissaient aucun doute qu’elles étaient conçues pour déchiqueter.

    La bête grogna, un son qui rivalisait avec celui de Rio, puis, aussi soudainement que la chose était apparue, elle partit. Je soufflai. Tremblante comme mes chiens, je regardai la fourche dans mes mains et me mis à rire. Si j’ajoutais une torche, je serais prête à me joindre à la foule dans Frankenstein, de Mary Shelley. Qu’est-ce que je croyais que c’était, à l’extérieur ? Un monstre ?

    Je fis un clin d’œil à Maggie et Hunter.

    — Probablement juste Harold, le chien du vieux Monroe, qui arrose les clôtures de tout le monde, les rassurai-je.

    Ils remuèrent la queue, mais ils savaient qu’ils ne devaient pas se fier à mes paroles.

    Je remis la fourche à sa place et m’affairai à ranger l’écurie. Encore fébrile, j’hésitai à éteindre les lumières et à traverser l’espace nu et vivement éclairé me séparant de la maison. Très vite, il ne resta plus rien à nettoyer ou ranger. Et demain était un jour d’école.

    Je m’armai de courage afin de marcher vers la maison.

    — Allez, viens, Hunter. T’es une bonne fille Maggie.

    Le cœur serré par l’angoisse, je me souvins d’étranges histoires qui étaient provenues de la ville de Farthington, l’an dernier. Flanquée de mes chiens, je marchai rapidement jusqu’à la maison.

    Je ne me détendis qu’une fois la porte fermée et le verrou mis en place. Hunter me regarda avec l’air d’attendre quelque chose, assis comme le gentleman qu’il était loin d’être. Il fut très heureux de me rappeler, avec un regard solennel de ses yeux dorés mélancoliques, les friandises que je lui avais récemment promises.

    CHAPITRE 1

    Je fermai la porte derrière moi, parcourant le couloir menant tout droit vers l’enfer. Le couloir brillait étrangement dans la lumière du matin. Dehors, le vent rugissait et jetait un kaléidoscope de feuilles mortes contre les grandes fenêtres. J’étais certaine que la personne qui m’avait convoquée avait de très bonnes intentions, mais cela ne faisait qu’accentuer la douleur lancinante qui tenaillait mon ventre. Ne disait-on pas que les chemins de l’enfer ouvraient la voie à de bonnes intentions ?

    Mes pieds me traînèrent jusqu’au bureau du conseiller d’éducation. L’appel m’avait fait sortir du cours de littérature de Mme Ashton, pas de gym. On n’appelle personne dans le cours de gym.

    Tout cela me rendait méfiante. Pourquoi le conseiller avait-il besoin de moi ? Avait-on enfin découvert qui avait écrit cet éditorial cinglant sur les différences entre les sportifs et les intellectuels ? Considérant ce que je savais du conseiller, je pouvais pratiquement être certaine que non — du moins, pas sans aide.

    Quand l’interphone avait craché l’appel, j’avais lancé un regard à Sophia, une collègue rédactrice. Elle avait haussé les épaules. J’avais supposé que je n’avais pas été dénoncée.

    Alors, pourquoi étais-je convoquée ? Il est vrai que j’étais toujours en retard pour remettre mes livres de bibliothèque, et qu’à au moins trois occasions, j’avais dû m’inscrire comme retardataire chez l’infirmière et avais accidentellement pris son stylo. Mais sérieusement, si le conseiller d’éducation voulait convoquer un fauteur de trouble, il avait la mauvaise fille. Enfin, plutôt.

    Mes chaussures traînèrent sur le carrelage couleur gruau et je soupirai.

    Dieu, faites qu’ils ne m’appellent pas pour une intervention stupide concernant maman.

    Cette pensée m’arrêta net. Je regardai l’insignifiant laissez-passer bleu que je tenais. Quel mal cela ferait d’y inscrire une heure et une signature et de retourner en classe ? Est-ce que le conseiller se souviendrait de m’avoir convoquée ? Nous étions au milieu du premier trimestre et les bulletins scolaires étaient prévus pour bientôt, alors est-ce que les directeurs ne devraient pas plutôt se démener à organiser les sessions d’étude des jeunes glissant (ou plongeant) vers des échecs ?

    Je regardai au bout du couloir ; ses murs de briques semblaient se serrer autour de moi. Respire… Les murs s’éloignèrent. Il n’y avait aucun témoin pour me voir gribouiller la signature de M. Maloy, qui, selon lui, prouvait qu’il aurait pu être médecin. Je pouvais rapidement faire demi-tour et retourner en classe… Je mordillai ma lèvre inférieure, réfléchissant aux risques de me faire prendre. Hum.

    Je tournai au bout du couloir et ouvris la porte du bureau du conseiller ; je fouillai la salle d’attente du regard, à la recherche d’un manteau ou d’un chapeau appartenant à mon père — n’importe quoi qui m’avertirait de quitter la pièce avant que quelqu’un détenant un diplôme décide qu’il était préférable pour moi de parler de mes sentiments les plus intimes, encore une fois. Mais il n’y avait aucune trace de papa.

    Une affiche était accrochée au mur, manifestement un projet d’art, voulant nous sensibiliser sur la vague de suicides chez les adolescents qui se produisaient sur les rails de chemin de fer entre Farthington et Junction. Est-ce que les choses pourraient devenir pénibles au point que je sauterais volontairement sur les rails à l’approche d’un train ? La tension quitta mes épaules. Non. Je n’étais pas une personne suicidaire. J’avais été témoin du pire et j’étais toujours ici. J’expirai, surprise de constater que j’avais retenu mon souffle.

    La secrétaire était concentrée sur un magazine. Sa couverture rouge criard présentait des titres comme « Quel genre d’arbre serait votre amoureux ? » et « Quand commencer à s’inquiéter de son ex psychopathe ? » Je me raclai la gorge. Elle leva les yeux et dit :

    — Oh, Jessica !

    Et en pointant un ongle soigneusement manucuré vers la salle de conférence, elle ajouta :

    — M. Maloy t’attend.

    — Super.

    Elle sourit, ses grands yeux aimablement vides. Ignorante. Je me dis qu’il était préférable d’avoir quelqu’un dans son genre pour accueillir les gens au bureau du conseiller. Jamais elle ne paniquerait si des balles d’arme à feu commençaient à voler. Elle ne les remarquerait probablement même pas, à moins qu’elles ne tondent son élégante coiffure.

    Je frappai à la porte de la salle de réunion, la chair de poule hérissant les poils de mes bras. Je m’étais déjà trouvée là, assise sur l’une des nombreuses chaises de plastique dur placées en un cercle serré, tandis que les conseillers d’éducation et les enseignants me disaient à quel point je pouvais encore espérer de la vie. Comment cela serait formidable si je voulais bien me réintégrer… Jusqu’à quel point ils tenaient à moi et étaient là pour me soutenir… J’avais détesté cela. Rien de ce qu’ils avaient dit n’importait. Ils étaient payés pour dire des choses comme ça. Probablement obligés par contrat.

    En outre, j’avais toujours détesté les choses qui me faisaient pleurer. Je savais que j’étais suffisamment forte pour faire face à ce qui s’était passé. Sans aide.

    Lorsque la porte s’ouvrit, je vis un groupe de personnes que je ne connaissais pas, ainsi que le conseiller principal d’éducation de l’école et un policier. Étrange, mais un soulagement. Alors, pas d’intervention — ce groupe n’était manifestement pas pour moi ; j’étais tout juste une invitée.

    — Mademoiselle Gillmansen, lança M. Maloy, se levant de sa place au bout de la table.

    Sirotant un café, le policier s’appuya contre le mur, près de la fenêtre.

    Les autres se tournèrent pour me faire face. Ils étaient tous grands et costauds, avec des pommettes hautes et des mâchoires carrées, même la seule fille qui se tenait entre les trois garçons. Ils avaient des cheveux noirs et épais, des yeux scintillants et des badges où figuraient leurs noms.

    — Voici les Rusakova, expliqua M. Maloy en désignant le groupe de la main.

    Du coin de l’œil, je vis le policier déposer sa tasse et prendre une brochure du rebord de la fenêtre. Sa présence ici devait être une coïncidence. Un simple fâcheux hasard, typique de mon école.

    Je retournai mon attention sur les Rusakova. Je fis un sourire encourageant.

    Pas eux.

    M. Maloy contourna la table et, fixant les badges sans trop de subtilité, il pointa l’une d’elles et annonça :

    — Voici Peter Rusakova. Il est en onzième, cette année, tout comme toi.

    Je gardai mon sourire collé à mes lèvres, pestant intérieurement. Alors, c’est de ça qu’il s’agissait.

    — Allô, Peter.

    Je ne pouvais pas refouler mon ton terne. Je n’étais pas le genre de fille qui aimait être responsable d’escorter les nouveaux en classe.

    M. Maloy repoussa ses lunettes sur son nez et me lança un regard d’avertissement.

    — Voici l’horaire de Peter. Fais-le visiter et assure-toi qu’il ne soit pas en retard.

    Le policier me jeta un coup d’œil et dit lentement à Peter :

    — Tu as compris, Rusakova ? Ne sois pas en retard.

    Un frisson parcourut ma colonne à son ton.

    L’aîné du groupe fit un large sourire et enveloppa les épaules de Peter.

    — Évidemment qu’il ne sera pas en retard, agent Kent, promit-il. Peter est très heureux d’être à Junction High.

    Peter ne semblait pas si convaincu.

    — Nous ne permettons pas à des gens de se soustraire à leur éducation, ajouta l’agent Kent.

    — Nous en recevions une, marmonna l’autre garçon, qui, selon son badge, s’appelait Maximilian.

    L’aîné lui donna une taloche derrière la tête, pour rire, mais je sentis une menace, dans ce geste.

    Je saisis la feuille et la comparai rapidement à mon horaire. Je regardai le policier, puis Peter, puis à nouveau l’horaire. Tendant mon laissez-passer pour une signature, mes yeux se posèrent encore une fois sur Peter. Il me jetait des regards menaçants, un contraste considérable par rapport au vif sourire de l’aîné.

    J’aurais dû imiter la signature de M. Maloy, finalement.

    — D’accord, dis-je, plus pour moi que pour mon silencieux protégé. Nous sommes tous les deux dans la classe de littérature d’Asthon. Allons dans cette direction, pour commencer.

    Peter hocha brièvement la tête, mais son visage était un masque d’indifférence totale.

    Sortant du bureau, j’essayai de maîtriser ma curiosité pendant que je le guidais vers les endroits qu’il devait connaître en tant qu’étudiant de Junction High. Je pointai et expliquai jusqu’au moment où j’eus les bras fatigués et la bouche sèche. Il ne prononça pas un seul mot. Il ne répondait qu’avec un hochement de tête. Salle de bain, bibliothèque, cafétéria, classe d’art, atelier, classe de musique, gymnase, bureau principal, infirmerie…

    Retenue scolaire…

    Je l’observai, spéculant. Qui sait en combien de temps quelqu’un comme lui pouvait se retrouver en retenue scolaire ? Il avait cet air de fauteur de trouble potentiel. Et il avait manifestement un bagage justifiant une escorte policière. Mais il n’était assurément pas dangereux… Les policiers ne me laisseraient pas mener un véritable criminel en classe, n’est-ce pas ? Tout en continuant à marcher et à expliquer, j’augmentai graduellement la distance nous séparant.

    S’il le remarqua, il n’en dit rien.

    La pensée qu’il puisse être dangereux me rendit nerveuse. Et quand je suis nerveuse, je deviens bavarde. Je regardai à nouveau son horaire.

    — Oh ! Ton nom n’est pas Peter, dis-je, me demandant si je l’avais prononcé correctement.

    Hum. P-i-e-t-r.

    — C’est Pye-i-ter.

    Il grimaça.

    Je le relus.

    — Non, Pi-yo-ter.

    Il me fixa.

    — Pé-oder ? tentai-je à nouveau.

    J’étais déterminée à le prononcer correctement. M. Maloy avait manifestement bâclé cet aspect, comme tout le reste. Ma bouche se tordit, prête à essayer encore, mais il leva la main, m’observant comme s’il était en état de choc. Ou peut-être de douleur. Je sentis mes oreilles rougir.

    — Je n’ai jamais entendu autant de prononciations créatives de mon nom.

    Il sourit, très brièvement.

    — Peter, dit-il. La prononciation est la même, mais pas l’orthographe.

    Il tira sur le badge avec son nom mal orthographié et le froissa.

    — Oh.

    Il ne semblait pas dangereux…

    — Étrange, lançai-je soudainement. Tu sais, cela s’épelle un peu comme ma pierre de souci.

    Je fouillai dans la poche de mon jean et en sortis la grosse perle plate que je trimballais. Des fils or, argentés et blanc laiteux parcouraient son fond bleu foncé.

    — C’est une piétersite. P-I-E-T-E-R.

    Je la présentai dans ma main ouverte et je crus distinguer un intérêt momentané dans ses yeux.

    — Une pierre de souci ?

    — Une idée de mon père. On l’appelle la « pierre de tempête ». Les gens disent que c’est bon pour un tas de trucs, comme pour faire face aux changements et aux transformations. Oh, et pour la vésicule biliaire, je crois. Ou la rate, ajoutai-je en haussant les épaules et en glissant ma pierre dans ma poche.

    Il semblait indéniablement intéressé, maintenant. Peut-être avait-il des problèmes de rate ?

    — Et toi, à quoi crois-tu qu’elle sert ?

    — À frotter, quand je suis stressée, dis-je en haussant à nouveau les épaules. En outre, comme l’a dit Shakespeare : « Qu’y a-t-il dans un nom », n’est-ce pas ?

    Il regarda devant moi.

    — Roméo et Juliette. Je déteste cette pièce.

    — Eh bien.

    Comment une personne avec un cerveau pouvait-elle détester un classique comme celui-là ?

    — Un bon auteur doit être capable de faire ressentir quelque chose aux gens, je suppose, conclus-je.

    Je me remis à marcher, espérant capter son attention. Même lorsqu’il me parlait directement, il semblait distant. Inaccessible. Comme si cela n’avait pas d’importance.

    Qu’y avait-il avec lui ? Est-ce qu’il me repoussait ?

    — Alors, euh… Pourquoi le policier ?

    Je me dis que je devais me lancer. Poser la question évidente.

    Pietr ne s’arrêta pas. Il continua simplement à marcher à mes côtés.

    — Nous sommes allés en Europe l’an dernier et n’avons pas averti l’école.

    — Oh.

    Mon esprit se mit à vaciller simplement à l’idée de partir en Europe.

    — Alors, vous avez simplement cessé d’aller à l’école pour quelques…

    — Mois.

    — Oh.

    Nous marchâmes en silence pendant un moment, parcourant le long couloir encadré de grandes fenêtres menant aux classes du département de littérature. Nous n’entendions que le bruit de mes chaussures grincer sur le carrelage. Ses chaussures ne faisaient aucun bruit et je regardai plus d’une fois par-dessus mon épaule afin de m’assurer qu’il y avait vraiment quelqu’un à mes côtés.

    J’espérais qu’il ne s’agissait pas d’une soudaine crise psychotique et que je n’avais pas imaginé la rencontre dans le bureau de M. Maloy. Quoique je n’étais pas certaine de la raison pour laquelle j’aurais fait apparaître quelqu’un comme Pietr durant un épisode psychotique… Mais c’était probablement ça. On ne sait jamais à quoi s’attendre, lorsque l’on craque, ni quand cela va se produire. On sait simplement que tout le monde s’attendait à ce que ça se produise. Du moins, lorsque l’on est moi.

    Pour rompre le silence, je demandai :

    — D’où venez-vous ?

    S’il ne voulait pas parler, peut-être aurais-je dû cesser d’engager la conversation. Mais j’étais déterminée à lui donner une chance. Arriver dans une nouvelle école était assurément difficile. Arriver escorté d’un policier, puis ne pas se faire d’amis, ni même de connaissances, ne faciliteraient pas les choses.

    Il me regarda par-dessus son épaule et lança :

    — Farthington.

    Il semblait même regretter ce simple mot.

    Je m’arrêtai dans le couloir pour le regarder.

    — Ouah. Moi aussi je me serais tirée de là. Vous avez eu droit à toutes ces bizarreries avec cette attaque de loup.

    Il hocha la tête.

    — Je ne savais même pas qu’il y avait des loups aussi près, jusqu’à ce que je l’entende aux informations. Enfin, on entend occasionnellement parler d’un raton laveur enragé qui a bondi sur le porche de quelqu’un et l’a mordu, mais… des loups ?

    Il resta silencieux.

    — Est-ce qu’ils ont attrapé le loup en question ?

    — Ils croient que oui.

    Il venait de Farthington et s’était fait avertir par un policier ? Il devait cacher une histoire et je commençais à sentir que je devais en déchiffrer le code afin d’assembler les pièces.

    — Je participe au journal de l’école. J’adorerais t’interviewer à ce sujet.

    — Non, merci, me répondit-il avec une conviction absolue.

    Mon instinct de journaliste me fit tiquer. Même une journaliste du journal d’une petite école devait réagir quand un étudiant admettait venir de l’endroit où avait eu lieu l’attaque de loup la plus sanglante, mystérieuse et bizarre du dernier siècle et que cet étudiant ne voulait pas en parler. Il s’agissait d’une histoire démentielle. Et Pietr avait en somme refusé que j’écrive l’article, qui aurait été bien plus excitant que « Les étudiants se démènent avec le nouveau système de classement de la bibliothèque ».

    D’accord. Il avait rejeté ma demande concernant le « loup fantôme » de Farthington. Je n’allais pas me laisser démonter.

    Mais quelque chose en lui me dérangeait et ce n’était pas le fait qu’il provenait d’un endroit où de vrais évènements se passaient. Vivre à Junction vous faisait prendre conscience que l’herbe était plus verte partout ailleurs. Je voulais vivre à un endroit excitant, moi aussi. D’accord, peut-être pas Farthington, parce que l’idée d’une bête déchaînée me faisait paniquer. Je frissonnai, me souvenant de l’étrange rencontre d’hier soir aux écuries.

    Je me concentrai à nouveau sur mon problème plus immédiat : Pietr. Ce n’est pas qu’il était timide ; moi, j’avais été timide, alors je pouvais décoder cette vibration comme un alphabet. Timide ne ressemblait en rien à ce qu’il dégageait.

    Je l’observai, essayant de découvrir quel était son problème, tandis qu’il regardait partout, sauf vers moi. Il était plutôt beau. Ses cheveux foncés se hérissaient de manière indisciplinée, avec quelques mèches ombrageant ses yeux, qui semblaient presque bleu marine. Comparé à Derek (dont je connaissais par cœur les caractéristiques), j’estimais qu’il mesurait environ 1 m 75 et qu’il grandissait probablement encore, si je me fiais aux autres membres de sa famille que je venais de voir.

    Il ne semblait pas avoir de raison d’être mystérieux. Il avait l’air d’une personne qui pourrait réellement être quelqu’un. Probablement un autre étranger prétentieux qui se croyait trop bien pour une petite ville. Peut-être que Farthington et ses nouvelles bizarres l’avaient rendu insensible à ce qui était important pour les gens d’une vieille ville ferroviaire comme Junction. Peut-être était-ce au-delà de ses capacités de s’en soucier.

    Mais cela ne pouvait pas être le cas. Si je pouvais encore m’intéresser à des choses — n’importe quoi —, n’importe qui le pouvait aussi.

    Il se tenait là, silencieux et totalement absent.

    — Rien de tout cela ne t’intéresse vraiment, n’est-ce pas ? lui demandai-je faisant un geste de la main pour englober l’école entière.

    Il baissa les yeux vers moi très brièvement. Nos yeux se rencontrèrent et je retins mon souffle. Ses yeux étaient bien plus que presque que bleu marine. C’était comme regarder les différents tons de ma piétersite enfouie dans ma poche. Il détourna nonchalamment le regard et affirma simplement :

    — Je ne m’intéresse pas à grand-chose.

    Il haussa les épaules, sans prendre la peine de me regarder.

    Étais-je complètement rejetée ? Était-ce qu’il se pensait meilleur que moi, et non de mon école ou de ma ville natale ? C’était moi qu’il repoussait complètement.

    Fulminante, je recommençai à marcher, allongeant le pas afin d’augmenter la distance entre nous et ainsi atteindre rapidement notre première véritable destination. Il suivit aisément.

    — Eh bien, tu devras au moins t’intéresser à l’école si tu désires un jour partir d’ici ! dis-je brusquement en tournant la poignée de porte. Bienvenue en littérature.

    CHAPITRE 2

    J’entrai dans la classe avec un air furieux, les yeux des autres étudiants essayant de voir mon expression. Je lâchai la porte, espérant qu’elle allait claquer en plein visage de Pietr.

    Il ne regarda même pas dans ma direction. Je démontrai de manière évidente ma déception : en tendant mon laissez-passer à Mme Asthon, je roulai des yeux. Mais elle ne le remarqua pas et laissa glisser le laissez-passer de sa main tandis qu’elle traversait la pièce, s’excusant à Pietr de mon comportement !

    — Je suis tellement désolée que Jessie ait relâché la porte trop tôt. Est-ce que ça va ?

    Elle observa son visage, les yeux brillants et singulièrement avides. Je gagnai ma place et regardai la réaction des autres étudiants par rapport à notre nouveau compagnon de classe à l’air arrogant. Les filles étaient littéralement assises au bout de leur chaise, les jointures blanches à force de serrer leur bureau, et lui lançaient des regards de merlan frit.

    Je n’arrivais pas à croire à quel point elles étaient toutes ouvertement et soudainement obsédées par Pietr. Enfin, d’accord, je l’avais regardé de haut en bas sans aucune gêne, mesurant et pesant ce que je voyais. Pas trop mal, il ressemblait un peu à un mannequin de magazine, suffisamment bien pour les imprimés, mais pas suffisamment pour les défilés.

    Mais cela ne l’intéressait pas. Ça me donnait envie de crier. Mais je me souvins d’un truc : la plupart des filles s’amollissent devant ces garçons qui ont cette allure dangereusement arrogante, cette distance qui les rend inaccessibles. Je soupirai.

    Mme Ashton radotait encore sur l’importance de la littérature pour la civilisation, et bien sûr, pour le cours. À l’occasion Pietr, lançait doucement quelque chose d’une manière trop décontractée, et toutes les filles riaient bêtement. Même Mme Ashton. Elle avait pris Pietr par la main pour le mener à son bureau. J’étais étonnée de son manquement évident au protocole enseignant-étudiant.

    Je chiffonnai les pages de mon manuel de littérature, sentant une chaleur monter dans mon dos. Je tournai la tête et m’étouffai presque de surprise. Derek me regardait. Il me fit un clin d’œil et pointa Pietr de la tête. Je roulai les yeux, fondant intérieurement à ce petit échange avec mon vieux béguin.

    Dereck rit silencieusement et me fit signe de me retourner sur mon siège.

    — Alors, Jessie, dit Mme Asthon, comment as-tu réussi à obtenir la mission de faire visiter les environs à Pietr ?

    Les filles se retournèrent toutes et me regardèrent furieusement, mais elles semblaient avides de savoir comment elles aussi pouvaient avoir leur propre nouveau-garçon-d’école.

    — Simple hasard, marmonnai-je.

    Stupide malchance.

    Je sentis à nouveau le regard de Derek sur moi. Pietr ne prit pas la peine de faire comme s’il avait entendu ma déclaration.

    Mme Asthon termina la classe en nous donnant un devoir. Elle reçut des grognements en guise de réponse. Évidemment, quelqu’un lança :

    — C’est presque le bal de la rentrée !

    Mme Ashton était incorrigible.

    Je ne grognai pas. Le bal de la rentrée n’était pas ma tasse de thé. Je suivais à peine les aventures de notre équipe de football (à part fixer Derek et écouter les gens raconter ses exploits sur le terrain ; j’aurais pu les écouter pendant des jours). L’idée de me rendre à un défilé, à un feu de joie, puis à une danse… en fait, qu’est-ce que cela pouvait changer si cela m’intriguait ? Qui allait me demander de l’accompagner, de toute façon ? En outre, il y avait toujours quelque chose à faire à la maison. La ferme équestre me tenait toujours occupée.

    La cloche retentit, un son encore plus désagréable et encore moins joyeux qu’à l’habitude, car on m’avait confié une mission spéciale. Une mission particulièrement déplaisante.

    Je me levai et assemblai mes choses. Je fus ennuyée de voir un attroupement de filles autour du bureau de Pietr. Elles semblaient inconscientes de ma présence, presque autant que Pietr l’était à mon endroit. Je me raclai la gorge.

    Pas de réponse.

    Je poussai Izzy du coude, me frayant un chemin à travers leurs gloussements.

    — Allez, Pietr, nous avons math.

    Il se leva, glissant son nouveau manuel de littérature sous son bras.

    — Math ? soupira Izzy. Quel prof a-t-il, Jessie ? M. Belden ?

    Elle ne tourna jamais les yeux vers moi, la guide et détentrice de l’horaire manifestement royal.

    — Ouais, répondis-je hargneusement. Calotte Belden.

    À présent, je grognais. Escorter Pietr me rendait moins gentille à tout point de vue.

    — Maintenant, Pietr, ajoutai-je.

    — Je vais vous accompagner, offrit Izzy.

    — Bien, dis-je en me dirigeant vers la porte. Je vais mener, ajoutai-je par-dessus mon épaule

    Je fis de mon mieux pour les distancer, mais, à l’occasion, j’entendais Izzy dire quelque chose de complètement insipide, et il me semblait qu’elle le criait dans le couloir. Elle était carrément trop facile à impressionner. Son moment le plus brillant dans cette conversation à sens unique fut lorsqu’elle lança :

    — Tu sens même bon !

    Je roulai si souvent des yeux que je heurtai presque un mur. D’accord, le nouveau venu était mignon. Il sentait bon, et alors ? Enfin, sérieusement. Je comprenais très bien le concept que les nouvelles choses sont attirantes. Les nouveaux jouets sont les plus séduisants. Les nouvelles voitures sentent meilleur. Mais un nouveau garçon ? Tu parles !

    Pietr finit par lui retourner son compliment.

    — Tu sens délicieusement bon.

    Étrange. Je reniflai. D’accord, Izzy avait tendance à s’inonder de parfum. Je

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1