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Destin et duperie
Destin et duperie
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Livre électronique331 pages4 heures

Destin et duperie

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À propos de ce livre électronique

Comme la menace de la mafia semble apparemment avoir disparue et que le quartier général de la compagnie est détruit, Pietr Rusakova s’adapte à être un adolescent normal tandis que Jess prend conscience que la normalité n’était peut-être pas ce qu’elle voulait après tout. Mais Jess et Cat connaissent la vérité: la normalité ne peut pas être considérée comme acquise. Leur précieuse cure n’est pas permanente et lorsqu’un nouveau danger assaille leur petite ville, Alexi décide qu’il doit outrepasser ses problèmes avec la mère qui l’a abandonné à être élevé par des loups et conclure un tout nouveau marché afin de sauver sa famille adoptive.
LangueFrançais
Date de sortie20 mai 2020
ISBN9782898084614
Destin et duperie
Auteur

Shannon Delany

Auteure américaine et ancienne enseignante, Shannon Delany est passionnée par l’histoire et les légendes. Elle a déjà fait des recherches sur des phénomènes paranormaux.

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    Aperçu du livre

    Destin et duperie - Shannon Delany

    tous !

    PROLOGUE

    Bien après que le combat contre la compagnie qui emprisonnait la mère des Rusakova est terminé, l’odeur de poudre et de fumée persiste, enveloppant les formes assemblées dans la salle à manger de la vieille maison de style Queen Anne, dans la ville de Junction. Comme pour une tache de sang, il est ardu de se débarrasser de la vive odeur sucrée, même après s’être récuré sous la douche, s’accrochant comme un fantôme à une vie récemment perdue.

    — Levons nos verres, suggère Tatiana, la rescapée.

    Autour de la table, les Rusakova et quelques autres personnes qu’ils ont emmenées volontiers au sein de leur famille, certaines avec de meilleurs résultats que d’autres, lèvent leur verre.

    — À de jeunes hommes et femmes qui ont donné un peu d’eux-mêmes afin que d’autres puissent en tirer profit, conclut Tatiana.

    Ses boucles brunes aux reflets cuivrés et argentés tombant sur ses épaules, Tatiana regarde la fille que son plus jeune fils appelle Jess, la fille dont le bras brûle encore de la coupure qui a offert à Tatiana le sang dont elle avait besoin pour sa cure.

    À l’unisson, ils s’avancent, leurs verres se touchant, le tintement joyeux du cristal proclamant leur succès d’avoir défait leurs ennemis, un si grand nombre à la fois, et libéré mère… pour maintenant être en mesure de lui fournir la cure pour sa vie génétiquement conçue et brutalement abrégée…

    Le groupe observe, subjugué, alors que Tatiana boit, aspirant l’épais liquide rouge au-delà de ses dents et vers sa gorge. Elle cligne des yeux, vacille un instant, le restant de la cure menaçant de se déverser du verre. Pietr, son cadet, l’attrape et le dépose délicatement avant de prendre sa main dans la sienne et d’agripper son coude avec l’autre.

    Le plus vieux de ses fils biologiques, Max, s’incline vers la rousse assise près de lui.

    Amy est devenue plus silencieuse depuis Marvin, un trait de caractère que Max est déterminé à changer. Son empressement à lui dévoiler son autre forme, celle du loup, lui a certainement donné beaucoup de matière à réflexion et probablement à discussion. Mais pour le moment, Amy est perdue dans ses pensées. Prendre un repas avec une famille de loups-garous russo-américaine alors que son dernier costume d’Halloween était celui du Petit Chaperon rouge peut avoir tendance à donner à quiconque le besoin de prendre une pause momentanée.

    — Les choses vont peut-être se gâter, l’avertit Max, détournant l’attention d’Amy en indiquant sa mère du menton tandis qu’il se souvient du moment où sa sœur, Cat, a pris la cure.

    Cette même sœur qui, soudainement, n’ose pas rencontrer ses yeux, mais échange un bref et douloureux regard avec Jessie, avant de reporter ses yeux sur mère. Seule une poignée de gens savent ce que Jessie et Cat savent, et seulement deux de ces gens sont assis à cette table ce soir même. Elles savent que la cure peut être éliminée, supplantée, dans des moments de stress extrêmes.

    Il semble que la seule chose qui ne change pas est justement la présence du changement dans la vie de Jessie Gillmansen.

    Tatiana chancèle dans les bras de Pietr, ses yeux se perdant dans ses souvenirs et quelque chose d’autre.

    — Mère ? demande Pietr en élevant la voix et en la stabilisant.

    — Da, dit-elle, les yeux étincelants. Vous ai-je raconté comment j’ai rencontré votre père ?

    Tout le groupe se raidit en même temps, connaissant très bien l’histoire. Tatiana vient de la raconter, s’attardant sur des détails, tandis qu’elle retient à grand-peine le loup en elle durant son récit. Qu’elle ait oublié quelque chose d’aussi récemment relaté…

    — Je venais à peine de quitter l’Europe de l’Est, courant à travers les vestiges sauvages des forêts domaniales et des parcs nationaux, attirée vers l’Ouest pour aucune autre raison que mon désir de voir le soleil se coucher sur la côte Ouest, commence-t-elle avec un tremblement.

    — Pietr, murmure Cat, sa voix alarmée.

    Personne parmi eux ne se rend compte que quelque chose ne va pas va pas. Ils ont raté quelque chose, quelque part.

    — Mère, chuchote Pietr, pressant son corps fort et élancé contre le sien afin de mieux l’envelopper de ses bras puissants.

    Le tremblement devient un frisson qui secoue son mince corps.

    — Où étais-je précisément et à quelle époque…, continue-t-elle, sa voix s’estompant, ses yeux brillants assistant à une scène que personne d’autre ne voit et qui se déploie devant elle, tels les pétales d’une rose s’ouvrant pour la première fois. Je ne sais pas. Qu’avais-je à faire des limites politiques ?

    Elle sourit, la fleur des souvenirs éclosant devant elle, l’invitant à plonger dans un passé lointain.

    — Il était un homme tellement incroyable… Comme…

    Elle se concentre pendant un moment, contemplant ses fils avec un regard soudainement vif, férocement fier.

    — Tout comme mes garçons…

    Dans un frémissement, elle s’effondre et tombe inerte dans les bras de Pietr. Sa poitrine se soulève une dernière fois et la lueur se dissipe de ses yeux encore ouverts.

    Se cramponnant à elle, le poids de la mort le rendant étrangement maladroit, Pietr fixe Jess, l’horreur ravageant ses traits accompagnés d’une incrédulité complète.

    — Mère… ?

    Ses genoux cèdent sous lui et il s’écroule sur le plancher, entraînant son corps sur ses genoux.

    À l’autre bout de la table, celui appelé à contrecœur « oncle » Dmitri, à cause de l’aide que lui et ses mafieux ont offerte, se lève, solennel et froid. Son attitude suggère une sorte de dignité, tout en manquant de grâce.

    — Son temps est terminé. Maintenant, le tien commence, dit-il à Pietr.

    Tremblant alors que la rage et la terreur se disputent en lui, Pietr soulève le corps de sa mère en criant.

    — Ne vois-tu pas cela ?

    La tête de sa mère roule sur le côté et des cheveux tombent dans son visage.

    — Elle était autant notre futur que notre passé !

    Les pieds de Jess remuent et elle court vers Pietr, sa chaise se renversant et tombant dans son sillage, mais elle est vite oubliée tandis que les gens autour de la table se mettent à bouger. Cat, Max et Alexi se pressent, accroupis ou agenouillés, les mains tendues vers la femme qui les a aimés, élevés et protégés aussi longtemps qu’elle l’a pu. Mais le seul geste qui paraît logique pour Jess est d’envelopper ses bras autour de son petit ami, son amoureux, et de s’agripper.

    C’est Alexi qui touche doucement les paupières de mère pour enfin fermer ses yeux.

    — Oh, Dieu, murmure Pietr, la berçant dans le creux de son bras.

    Il repousse tendrement les cheveux lui barrant le visage.

    — Dis-leur, Dmitri, dis à tes maîtres, dis à tes chiens

    Il se secoue de l’étreinte de Jess et dépose respectueusement sa mère, puis prend le verre à vin abandonné sur la table.

    — Dis-leur qu’il n’y a plus de loups-garous à Junction.

    Puis, il avale une dose de la cure en une grande gorgée, souriant à Dmitri, les dents maculées de sang.

    — Cette fois…, poursuit-il, tendant la main pour saisir la mâchoire à la barbe naissante de Max et ouvrant sa bouche de force pour y déverser le reste de la cure qui coule le long de son visage, c’est terminé !

    Pietr saute sur ses pieds et, passant devant ses frères et sa sœur, agrippe le mafieux stupéfait. Il le traîne à la porte avant et le jette dans le froid.

    — Notre marché est terminé. Je n’ai plus rien à te donner. Nous ne sommes que des humains, ici, Dmitri, endommagés, damnés et dangereux. Pars. Ne reviens pas, il n’y a rien pour toi ici. Il n’y a plus de loups-garous à Junction, répète-t-il avant de claquer la porte.

    Il demeure appuyé contre la porte pendant un moment, sa poitrine se soulevant tandis qu’il reprend son souffle et que la portée de ce qu’il vient de faire se lit sur son visage. Il vient de briser les liens avec le mafieux qui l’a entraîné, l’a nommé son bras droit et menacé de ruiner sa relation avec Jess. Il s’est définitivement et ironiquement libéré de celui qui avait sauvé sa mère et aurait été son maître. La laisse est défaite, mais sous sa prise, il n’y a plus de loup, seulement un jeune homme ressentant la cure courir dans son corps et éradiquer la partie la plus sauvage en lui.

    Il tombe à genoux et un sourire tord ses lèvres malgré tout, et il accueille la douleur, l’étrange « bruit » dont Cat a parlé, la mort paniquée de la bête sauvage et la libération de l’homme doux qui s’est débattu afin de se définir adéquatement en tant qu’homme ou monstre pour la première fois depuis que les changements visibles ont commencé, alors qu’il avait 13 ans.

    Soudainement, Jessie est près de lui, un bras glissant entre son dos et la porte, l’autre tendu sur sa poitrine pour le serrer fermement contre elle alors qu’il se prépare à faire sa dernière transformation.

    De la salle à manger parviennent les sanglots de Catherine avant qu’elle ne traverse la maison en courant et ne sorte par la porte arrière. Max s’étouffe, tousse et crache avant de s’enfuir de tous et se précipiter à l’étage pour s’enfermer dans la salle de bain, loin des regards curieux.

    CHAPITRE 1

    Jessie

    J’enroulai mes bras autour de Pietr, l’enserrant alors que la cure parcourait son corps. Nous nous effondrâmes ensemble sur le plancher, mes bras ne relâchant jamais leur prise. Dans mon étreinte humaine, ses vêtements se déchirèrent et tombèrent en lambeaux en un amoncellement de tissus. De la fourrure jaillit en épaisses touffes, le recouvrant étrangement et dissimulant la manière dont ses muscles glissaient sous sa peau lisse et humaine alors qu’il devenait le loup au regard fou.

    Une dernière fois.

    Ses doigts s’enfoncèrent dans la chair de ses paumes, ses os se libérèrent afin de se reconstituer et se remanier en de larges pattes, laissant surgir des griffes. Il griffa faiblement le parquet du vestibule et s’emmêla dans les longues franges du tapis. Agité, sachant que son temps était compté, le loup se débattit, gémissant entre mes bras, et je dus ajuster mon étreinte, heureuse que la cure eût déjà affaibli la bête. Jamais je n’aurais pu retenir Pietr sous sa forme de loup s’il avait été lui-même.

    Cette pensée se mit à tourner dans ma tête, cherchant à s’agripper comme des pneus glissant dans la boue.

    S’il avait été lui-même…

    Je croisai mes doigts ensemble et enfouis mon visage dans sa fourrure épaisse, aspirant profondément son odeur de forêt de pins et de grand froid d’hiver, une odeur que je reconnaissais comme la sienne.

    S’il avait été lui-même

    Fermant mes yeux très fort, j’aspirai une autre bouffée, mes bras brûlant sous l’urgence de le tenir. N’était-ce pas Pietr, humain et libre de la bête déchirant toujours son cœur et abrégeant sa vie, n’était-ce pas Pietr en tant que lui-même ?

    Il avait été à mes côtés lorsque les choses étaient devenues indéniablement dangereuses. La moindre des choses que je puisse faire était d’accepter le danger qui l’assaillait depuis qu’il était devenu adolescent. Je l’aimais. Et j’avais promis de toujours l’aimer.

    Cela n’était qu’une petite épreuve.

    Le loup claqua ses dents malfaisantes de manière menaçante, sa gueule se refermant à quelques centimètres au-dessus de ma tête, son souffle brûlant chauffant ma chevelure. Je le sentis se tourner, se débattre pour se libérer en nous tirant dans une autre direction. Les os de sa colonne et de ses côtes remuèrent contre ma cage thoracique, vacillant entre loup et homme. Je retirai mon nez de sa douce fourrure afin de regarder ses yeux. Ils étincelaient du rouge d’un dangereux soleil, établissant les lois de la gravité dans une galaxie éloignée, et je sus que nous approchions… que nous approchions d’une liberté qu’il avait voulue, mais n’avait jamais eu la possibilité de choisir.

    Il y eut un bruit ressemblant à un coup de tonnerre lorsque sa peau de loup se déchira brutalement en deux. Pietr, complètement et indéniablement humain, se libéra de l’animal et se retrouva nu et baigné de sueur sur le tapis oriental du vestibule. Son corps fut secoué sous l’effort de n’être rien d’autre qu’un humain après quatre rapides et difficiles années à être tellement plus.

    Je relâchai la peau humide et vide qui ressemblait étrangement à l’enveloppe d’un extraterrestre refroidissant, et je bondis pour l’enlacer à nouveau. Mon Pietr.

    Après tout ce qui s’était passé, les combats, les dangers et les drames, nous allions enfin avoir la chance d’être un couple normal. Tout irait bien. J’allais avoir ma fin heureuse, après tout.

    — Jess, chuchota-t-il, la voix usée et épuisée.

    Je le serrai doucement et appuyai ma tête dans le creux de son cou.

    — Je suis là, Pietr.

    Il soupira et se dégagea, puis ouvrit lentement les yeux.

    Ils semblaient différents, d’un bleu plus léger, comme le ciel après qu’un orage d’été eut effacé l’obscurité, ne laissant qu’une douce et fade teinte, idéale pour les vêtements institutionnels. Je détournai les yeux un instant, repoussant la pensée. Quand je me retournai vers lui, je vis que son front s’était ridé, un pli creusant l’extrémité d’un sourcil foncé. Il cligna des yeux et m’observa, inclinant la tête, perplexe. Il se dégagea complètement de mes bras, s’assit et frotta ses oreilles.

    — Quoi ? demandai-je en m’avançant et en caressant ses cheveux.

    Étrange. Les reflets rouges, si légers paraissant à la fois colorés et sombres, et qui brillaient dans sa crinière presque ébène, semblaient maintenant ternes. Je jetai un regard vers la lumière au-dessus de nos têtes. Évidemment. Le problème devait venir de l’éclairage. Ou du fait que j’étais encore secouée. J’imaginais des choses. Je voyais des différences partout parce que je voulais qu’il soit différent, ou pareil, me demandant maintenant ce que je voulais véritablement qu’il soit.

    — Est-ce que quelque chose ne va pas ? dis-je.

    Mon cœur s’emballa aussitôt que l’idée fut mise en mots.

    Était-ce possible que la cure eût tué sa mère, que mon sang ou un autre des ingrédients de l’horrible mélange l’eût empoisonnée et s’en prenait maintenant à Pietr ?

    — Que se passe-t-il ?

    Mes yeux scrutèrent sa forme svelte.

    — Quelle heure est-il ?

    — Pardon ?

    Pietr savait toujours l’heure, cela faisait partie de lui comme sa respiration, aussi régulière que son pouls était rapide.

    Il prit un quelconque bout de tissu et le plaça sur ses cuisses.

    Mes yeux se rétrécirent devant sa nouvelle et soudaine pudeur, mais je sortis mon portable et lui donnai l’heure.

    Il cligna des yeux.

    — Parle-moi, Pietr, dis-moi ce qui se passe.

    Il secoua la tête et ses sourcils se froncèrent tandis qu’il cherchait ses mots.

    — Je ne… je ne peux plus… je n’entends plus les oiseaux.

    — Pardon ?

    Il se redressa et appuya la tête contre la porte, les yeux écarquillés et interrogateurs.

    Je changeai de position et enroulai un bras autour du sien tout en caressant son épaule nue du bout de mes doigts tremblants.

    — Il y avait des oiseaux, insista-t-il. Avant…

    Je repoussai ses cheveux de son visage.

    — Il y avait des oiseaux qui chantaient dehors ?

    — Da. Mais maintenant… il n’y a plus rien. Dieu, chuchota-t-il. Mère est morte, ajouta-t-il, sa voix cédant.

    La seule chose que je pensai faire fut de détourner son attention.

    — Je ne les ai pas entendus, admis-je. Les oiseaux.

    Une veine à la naissance de ses cheveux tressaillit et je sus que mes mots ne l’avaient pas rassuré. Mais s’ils l’avaient au moins distrait de sa grande perte…

    À l’étage, le bruit de la transformation de Max qui s’emparait de lui menaça de faire sortir de ses gonds la porte de la salle de bain.

    — Peut-être que les oiseaux sont partis ? essayai-je.

    Pietr se défit de mon étreinte et se leva, m’entraînant avec lui afin de repousser le rideau de dentelle et regarder par la petite fenêtre de la porte du porche. Il indiqua quelque chose du doigt.

    À cet instant, je les vis : quelques moineaux têtus aussi animés que si une chanson explosait de leur poitrine duveteuse. Mais je n’entendais toujours rien.

    — C’est donc ainsi ? souffla-t-il. Est-ce aussi silencieux lorsqu’on n’est qu’un simple humain ?

    Je vis étinceler dans ses yeux un mélange d’étonnement et — mon cœur tressauta en reconnaissant l’autre sentiment — de crainte.

    — Oui, je…, commençai-je en caressant sa joue, tandis qu’il frissonnait. Je crois que c’est ainsi.

    — J’avais oublié. Je me sens si…

    Sa pomme d’Adam tressauta dans sa gorge alors qu’il déglutissait péniblement…

    — Si seul ?

    Je l’enlaçai plus étroitement, les articulations me faisant mal sous l’effort.

    — Tu n’es pas seul.

    Il hocha la tête, puis avança le menton comme un enfant obstiné faisant le brave juste pour moi.

    — Hum. D’accord, alors.

    Il m’accrocha à lui, enlaçant mes bras plus fermement autour de lui.

    — Jess ?

    — Oui ?

    En fermant les yeux, il s’inclina, déposant sa tête sur mon épaule.

    — Ne me laisse pas, murmura-t-il.

    — Jamais, promis-je alors que mes yeux se levaient.

    J’aperçus Amy nous observant, appuyée contre le chambranle de la porte de la salle à manger, les bras croisés, les larmes menaçant de couler.

    Je me rendis compte que nous avions tous perdu quelque chose de précieux. Et pas seulement la perte de la vie de mère. Parce qu’à la fin, ce n’est pas l’amour ni les loups-garous qui nous brisent, mais les choix que nous faisons, les cures que nous nous efforçons de prendre, bonnes ou mauvaises, et le manque de temps qui nous est alloué pour considérer nos choix et en prendre des meilleurs. Parce que ce sont toujours nos choix qui nous sauvent ou nous perdent.

    Alors, je m’assurai que Pietr savait qu’il n’était pas seul et ne le serait plus jamais. Peut-être y avait-il d’autres loups-garous, oborots, de l’expérience qui avait conçu les Rusakova, ou peut-être que non. Il n’y aurait jamais d’autre Pietr, jamais d’autre nous. Alors, aussi longtemps que nous restions ensemble, aucun de nous deux ne serait plus jamais seul.

    Marlaena

    Nous étions tellement foutus.

    Le vent hivernal me fouettait, ses griffes s’enfonçant dans mes narines, m’entraînant vers mon destin. Avec des chasseurs à seulement deux États derrière nous et de la neige nous cernant de toute part, nos choix avaient été limités, depuis la perte d’Harmony, près de la grande roue sur le quai. Les coups de feu résonnaient encore dans mes oreilles comme s’ils avaient été tirés hier, même si Chicago se trouvait loin des montagnes que nous traversions à toute allure.

    J’aurais voulu me libérer de mon humanité, la tache s’infiltrant en moi et me rappelant que j’avais échoué, que j’avais décidé de quitter la Ville des Vents trop tard. Que mon échec avait coûté cher à ma meute.

    En vie. Chaque cellule humaine de mon corps de loup gémit, faible et lente, traitant mollement notre perte.

    Rabâchant des émotions inutiles.

    Les muscles meurtris sous l’effort, je me poussai vers l’avant, griffant le sol durement gelé, les yeux mi-clos contre la morsure des flocons menaçant de m’aveugler. Mon museau se plissa. Nous aurions dû partir vers le sud avec les oiseaux migrateurs.

    J’aurais dû être plus avisée. En tant qu’alpha, j’aurais dû être plus intelligente, mieux préparée. Je regardai au-dessus de la fourrure ondulante de mes épaules et comptai les loups qui s’efforçaient de garder le rythme.

    Onze loups aux yeux visqueux avançant avec peine, leur ventre râlant comme le bol d’un mendiant, me suivaient. Et l’un d’eux courait devant, établissant notre route grâce à son flair, ses poils roux et ses traits évoquant ceux d’un renard. En tout, douze loups comptaient sur moi pour les garder en sécurité.

    Tout ce que nous avions était l’un l’autre.

    Avec des chasseurs à nos trousses, cela équivalait à presque rien.

    Jessie

    Après avoir refermé la porte de la chambre de Pietr, je m’y appuyai et repris mon souffle. Seulement quelques heures s’étaient écoulées depuis le décès de Tatiana. À l’intérieur, Pietr s’était assoupi, épuisé par l’impact de la cure et le choc émotionnel d’avoir perdu quelqu’un qu’il venait à peine de retrouver. L’incrédulité et la colère quant à notre échec se disputaient en lui.

    De la même manière qu’elles s’étaient battues en moi quand j’avais perdu ma mère.

    Au cours des derniers mois, j’avais affronté ma douleur (sans aucune grâce), mais cela ne m’avait pas rendue meilleure à aider Pietr à traverser sa peine.

    J’étais en train d’échouer. J’aurais dû savoir quoi dire ou quoi faire pour arranger les choses. Chaque fois que ses yeux croisaient les miens, ma gorge se bouchait et tous les mots restaient bloqués.

    Il devait y avoir quelque chose que je pouvais faire.

    La tentation d’appeler papa pour qu’il vienne me chercher était grande. Je pourrais retourner à la maison et seller Rio. Une balade dans le vent frais pourrait m’aider à me clarifier les idées.

    Je fermai les yeux. Qu’est-ce qu’une balade apporterait aux Rusakova ?

    Rien.

    Ce n’était pas le moment d’être égoïste. C’était le moment de s’appliquer et de faire tout ce que je pouvais pour les gens qui en avaient le plus besoin.

    Même si ces gens étaient des loups-garous.

    Des loups-garous. Plus maintenant.

    Avec un grognement, je m’éloignai de la porte et traversai le couloir. Je m’arrêtai à la salle de bain afin d’évaluer les dommages que Max avait faits : les porte-serviettes arrachés des murs, des tuiles brisées, des morceaux de plâtre et une couche de poussière blanche tapissaient le plancher, et le tout était couvert de papier peint qui pendait en lambeaux des murs. Le miroir au-dessus du lavabo avait été fracassé, par un poing ou une patte, je ne le savais pas.

    Qu’y avait-il vu pour s’y attaquer dans le dessein de détruire son propre reflet ?

    Le lavabo, le bain et la douche étaient intacts. C’était au moins cela. J’allais parler

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