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Traqueurs Tome 3: Origines
Traqueurs Tome 3: Origines
Traqueurs Tome 3: Origines
Livre électronique456 pages6 heures

Traqueurs Tome 3: Origines

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À propos de ce livre électronique

Desmond Bailey est l'Elu : son don extraordinaire le prouve de manière incontestable. Investi d'une mission, il rallie à sa cause des centaines de fidèles. Ces derniers l'aideront à accomplir la volonté de Dieu : rayer de la carte la civilisation occidentale.

Sur le pied de guerre, la CIA fait paraître une annonce dans les principaux journaux du globe. Bien que codé, le message se veut clair : l'agence demande à la Société Zeus de lui prêter main-forte. Verra-t-on naître une alliance entre la Société et Trou Noir?

Dans cette course contre la montre, les effectifs de Zeus sont mis à mal, Jane trônant en tête de liste. Ajoutant au stress de la traqueuse, Caleb - le chasseur de fantômes exaspérant - lui dévoile l'existence d'une secte très ancienne : le Dagon Inferi. Ce groupe de médiums s'intéresse de près au fils d'Alexandre et entretient des liens avec le dangereux prisonnier du niveau quatre.

C'est donc dans l'antre du Dagon qu'Alexandre découvrira la nature de la menace qui pèse sur son fils... et qu'il trouvera peut-être le secret de ses origines.

Traqueurs, une trilogie où les êtres d'exception devront choisir leur clan.
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie21 oct. 2015
ISBN9782896624348
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    Aperçu du livre

    Traqueurs Tome 3 - Mario Boivin

    PROLOGUE

    L’homme faisait son chemin dans le long couloir délabré d’un ancien pensionnat, peu intimidé par les soldats armés qui l’escortaient. Sa vision n’était pas entravée par le mercenaire qui marchait devant lui ; il trônait, et de loin, au-dessus de la très grande majorité de ses pairs, ce qui l’enchantait. Il se tenait d’ailleurs bien droit, accentuant sa domination sur son espèce. Après tout, n’était-il pas l’élu ?

    Au bout du couloir, deux gardiens posèrent les yeux sur le groupe qui s’avançait vers eux. L’un d’eux passa la tête par une porte et lança quelques mots dans une langue inconnue, annonçant l’arrivée de l’étranger. Une légère rumeur s’éleva, s’effaçant aussitôt au son d’un ordre aboyé. Le visiteur reconnut la voix autoritaire et esquissa un rictus. L’escorte s’immobilisa.

    Un milicien barbu sortit pour venir à leur rencontre et se figea devant le mastodonte, à qui la mâchoire anguleuse et la tête rasée conféraient un air menaçant. Ses yeux noirs se résumaient à deux fentes, donnant l’impression d’une méfiance perpétuelle, ce qui, en somme, n’était pas loin de la réalité.

    – Desmond Bailey ? s’enquit le mercenaire avec un fort accent kazakh.

    Ce dernier opina en soutenant calmement son regard. L’autre lui fit signe de le suivre.

    Desmond entra dans la pièce d’un pas lent, presque désinvolte, démontrant une assurance qui n’échappa pas à la douzaine d’hommes se tenant dans l’ancienne salle de classe. Au fond, assis derrière une longue table, se trouvait un individu qui, malgré sa petite taille, avait la prestance du chef qu’il était. Comme les hommes qu’il commandait, il portait un uniforme militaire, une barbe, et était armé jusqu’aux dents. Comme eux, il remarqua l’intransigeance de son invité, ce qui l’irrita au plus haut point. Nurik Leibssle avait consacré sa vie à la cause, gravissant les échelons un à un, jusqu’à se hisser au sommet de son organisation terroriste, dont les tentacules s’étiraient maintenant au-delà des frontières de son pays. Il n’allait pas se laisser intimider par un étranger, peu importe sa taille.

    – Je n’aime pas ces rencontres improvisées, proféra-t-il en guise de salutation.

    Cela n’eut aucun effet sur le géant, qui se détourna pour se placer face à une série de fenêtres. Dehors, une cour d’école envahie par une végétation chaotique était entourée par une clôture métallique tordue et rouillée au-delà de laquelle s’élevaient des bâtiments en ruine, vestiges de ce qui avait été jadis le moteur de l’économie de la ville. Desmond fixa l’horizon un moment, silencieux. Lorsqu’il entendit le soupir impatient du chef de guerre qui, il le savait, devait bouillir de se voir ainsi ignoré devant ses hommes, il entama le récit qu’il avait préparé et répété pendant le vol qui l’avait mené dans ce trou perdu aux confins du Kazakhstan.

    – Il y a plusieurs années, j’ai fait la rencontre d’un meneur d’hommes ; d’un homme de principes, mû par le désir d’éliminer la décadence capitaliste de son pays. Il était allergique aux politicailleries et aux jeux de coulisses. Ses visées étaient claires et sans ambiguïté. C’était un être loyal et fidèle dans ses allégeances ; j’ai donc placé ma confiance en lui. Jamais je n’aurais cru qu’il puisse me trahir…

    La tension se fit palpable dans la classe, et la chaise du vieux mercenaire devint soudain inconfortable. Ils n’étaient que deux à avoir discuté de la possibilité de se retirer du plan établi par le colosse, dessein devenu démesuré, toutefois il avait une confiance aveugle en celui à qui il s’était confié. Comment l’Américain avait-il su ? L’avait-il mis sous écoute ? Enfin, ce n’était ni le moment, ni l’endroit pour se poser ces questions. Que Desmond ait été assez imprudent pour s’aventurer dans son antre, sans arme, jouait cependant en sa faveur.

    – Tu oses venir ici, devant mes hommes, pour m’insulter ? !

    Desmond lui fit enfin face et s’approcha de la table.

    – C’est toi qui es une insulte pour tes hommes, Nurik.

    Le chef de guerre s’efforça de contenir sa colère. S’emporter ne servirait à rien, il avait le contrôle de la situation. Pourtant, son expérience lui criait que la sérénité qu’affichait Desmond était anormale, voire inquiétante ; ça sentait le coup fourré. Il était temps de mettre un terme à cette folie. Nurik se leva et, les bras appuyés sur la table, approcha son visage de celui du grand étranger.

    – Descendez-moi cet enfoiré, ordonna-t-il d’un ton calme.

    Personne ne bougea. Desmond esquissa un léger sourire. Il y eut un bruissement derrière Nurik. Ce dernier cligna des yeux, comprenant, trop tard, que c’est lui-même qui avait été trahi. Il ouvrit la bouche pour proférer une dernière imprécation au moment où son lobe frontal explosa, aspergeant les fenêtres et deux de ses hommes de son sang. Son corps s’écroula.

    Sentant les éclaboussures sur son crâne, Desmond y passa une main. Il leva sa paume devant lui, tournée vers les soldats pour que ceux-ci puissent en constater la couleur écarlate.

    – Voilà ce qui arrive à ceux qui tentent de me trahir ; qui tentent de m’empêcher d’accomplir la volonté de Dieu.

    Omar, celui qui avait tué son chef, traduisit. À ces mots, certains se crispèrent. Il y avait des récalcitrants dans les rangs ; Omar n’était pas parvenu à les convaincre tous. Desmond s’y attendait. Il était le seul à pouvoir y arriver. Il se déplaça à pas lents autour de la pièce, scrutant les visages des guerriers. Plusieurs baissèrent les yeux, d’autres soutinrent son regard. Desmond s’arrêta devant l’un de ces derniers, le dévisagea un moment, et lui demanda :

    – Crois-tu que je suis l’envoyé de Dieu ?

    Omar servit d’interprète à leur conversation.

    – Dieu n’ordonne pas l’assassinat de ses serviteurs, rétorqua le militaire, frondeur.

    – Son supposé serviteur cherchait à nous trahir. Il voulait mettre un terme au plan pour lequel nos frères ont sué sang et eau. Je ne pouvais permettre cela.

    – Qu’est-ce qui nous prouve que tu dis la vérité ? Nurik était l’un des nôtres depuis vingt ans. Il n’hésitait pas à risquer sa vie pour nous. Qui es-tu pour ordonner sa mort et ensuite t’attendre à ce que nous te suivions ?

    Un murmure s’éleva, signe que les arguments du soldat trouvaient des oreilles sympathisantes.

    Desmond le toisa. Il s’était attendu à une telle résistance ; il l’accueillait, même. Car, si ces hommes étaient habités d’une certaine loyauté pour Nurik, il lui serait possible de s’approprier cette fidélité. Son expression s’adoucit.

    – Je comprends ce que vous ressentez, et sachez que je n’ai eu aucun plaisir à accomplir ceci.

    Desmond montra le corps de Nurik, attendit qu’Omar finisse de traduire et poursuivit :

    – Croyez-moi, je n’avais pas le choix. Voyez-vous, Dieu m’a investi d’une mission et, pour que je l’accomplisse, il m’a octroyé un don.

    La rumeur que l’étranger avait un don extraordinaire tenant de l’intervention divine courait parmi ses collaborateurs. Cela n’empêchait pas certains d’être sceptiques, et cette défiance se lisait dans plusieurs regards tournés vers lui. Il était temps de l’éradiquer. Desmond fit à nouveau face au soldat récalcitrant.

    – Erkebulan, le fameux survivant de l’opération de la mer d’Aral ! L’homme qui a gagné la rive à la nage, dans des eaux glacées, après avoir défendu corps et âme une cargaison cruciale pour notre cause, sans toutefois pouvoir la sauver.

    Tous ces hommes connaissaient l’histoire : la semaine précédente, la garde côtière s’était pointée au moment où Erkebulan et deux autres membres du groupe transbordaient un coffre contenant, disait-on, de l’uranium enrichi sur un bateau de pêche. Un affrontement s’était produit. Équipé d’un canon automatique Bofors et de deux mitrailleuses Browning M2, le navire gouvernemental avait taillé l’embarcation en pièces. Erkebulan était le seul à avoir pu témoigner de l’aventure. Il avait raconté qu’il s’était battu jusqu’au moment où leur bateau avait été touché et coulé.

    – Crois-tu en Dieu, Erkebulan ? demanda le géant.

    – Évidemment ! cracha l’autre, considérant la question comme une insulte.

    – Selon toi, Dieu est-Il partout ? Voit-Il tout ? Sait-Il tout ?

    – Bien sûr.

    – Donc, si je Lui demandais ce qui s’est réellement passé le soir de l’opération ratée, Dieu confirmerait tes dires ?

    Une infime lueur d’inquiétude passa dans le regard du jeune soldat.

    – Bien sûr qu’Il les confirmerait, affirma-t-il avec un peu moins d’assurance dans la voix.

    Desmond sourit ; son rictus mauvais ne présageait rien de bon. Il tourna le dos à son interlocuteur et se mit à arpenter la classe.

    – Ne dirait-Il pas plutôt que tu as abandonné le navire aux premiers coups échangés, plongeant vers la rive et nageant comme si tu avais un requin à tes trousses ?

    – Pas du tout, mentit l’autre avec conviction, conscient qu’il jouait sa vie dans cette conversation. Notre bateau a été touché de plein fouet par un obus dès le début de la bataille. L’autre bâtiment était armé jusqu’aux dents. Nous n’étions pas de taille.

    – Combien de coups de feu as-tu tirés ?

    – Plusieurs rafales.

    – Et tes amis, pourquoi n’ont-ils pas réussi à s’en sortir ?

    – Tu t’es déjà fait mitrailler par de l’artillerie lourde et des canons alors que tu te tenais sur un rafiot en bois ? C’était comme si l’enfer se déchaînait sur nous…

    – Sur eux, l’interrompit Desmond. Toi, tu t’agitais déjà dans la flotte.

    – Tu n’étais pas là, s’emporta-t-il. Tes accusations sont pures spéculations.

    Avec calme, Desmond leva un doigt.

    – Mais Dieu, Lui, était là.

    Desmond tira de la poche de son pantalon militaire un petit livre que tous reconnurent comme étant le Coran. Il tint le livre sacré devant lui.

    – Fait serment devant Allah que ma version des faits est fausse.

    Le soldat hésita, ouvrit la bouche, puis la referma.

    – Alors ? insista Desmond.

    L’homme soutint son regard un court instant et baissa les yeux, défait.

    – Je demande pardon à Allah… et à chacun d’entre vous, balbutia-t-il.

    Une clameur gronda parmi les hommes. Un sourire en coin, Desmond rempocha le livre et tendit un bras pour demander le silence. Puis, il attrapa l’épaule d’Erkebulan qui, honteux et apeuré, n’osa lever le regard.

    – Malgré ce mensonge, tu es un homme pieux. (Desmond laissa Omar traduire avant d’ajouter :) Tu as connu ce que c’est de manquer de courage, je prie Allah qu’Il te donne bientôt la chance de savoir ce que c’est d’en faire preuve.

    Ni l’accusé ni ses camarades ne surent comment interpréter ses paroles. Desmond allait-il faire une autre victime ce matin-là ? Le jeune mercenaire méritait-il la mort pour s’être tiré d’un engagement perdu d’avance ? Ils furent aussitôt fixés.

    – Reprends ta place dans le rang, Erkebulan. Je ne t’ai pas interpellé pour te juger, mais pour que tu comprennes – que vous compreniez tous – qu’il arrive à Dieu de me prêter son regard pour mener à bien ma mission… notre mission.

    Desmond considéra la troupe alors qu’Omar répétait son discours en kazakh. Il sut aussitôt qu’il avait réussi son coup. Leur hostilité à son égard s’évapora, cédant la place à l’émerveillement. Le moment était venu de sceller le nouveau pacte. Dans un kazakh brouillon, mais avec aplomb, le grand étranger annonça aux hommes qu’ils seraient dorénavant dirigés par Omar, qui était respecté de tous. Il ajouta qu’il s’attendait à ce que leur faction garde le cap sur leur rôle dans le plan que Dieu avait pour eux. Ses mots furent bien accueillis. Le nouveau dirigeant fit un léger signe de la tête à Desmond en guise de remerciement. Le géant lui sourit et quitta la pièce, sans cérémonie, ce qui eut un effet encore plus grand sur les hommes ; les élus de Dieu n’étaient-ils pas pour la plupart des hommes humbles et directs ?

    Ayant suivi les événements de l’extérieur de la salle, les gardes ne surent s’ils devaient escorter l’étranger jusqu’à la sortie ou non. Desmond ignora leur hésitation et s’engagea dans le couloir d’un pas assuré. Le milicien le plus âgé haussa les épaules, et on le laissa s’en aller, seul.

    Lorsque son chauffeur et ami vit surgir Desmond de l’édifice, il poussa un soupir de soulagement. Bien que le géant lui eut expliqué que tout avait été planifié, le voir entrer seul et sans arme dans l’antre de Nurik ne l’avait guère rassuré. Il était pourtant habitué aux agissements risqués du grand chauve et connaissait mieux que quiconque le caractère sacré du personnage ainsi que la mission dont il était investi.

    – Tout s’est bien passé ? demanda-t-il en tenant la portière à son chef.

    – Comme sur des roulettes, Marco. En doutais-tu ?

    L’autre prit le temps de s’installer derrière le volant avant de répondre.

    – Dieu n’a pas hésité à mettre son propre fils à l’épreuve, je me dis que nous ne sommes pas à l’abri du même sort.

    Desmond fit une moue ; Marco avait un esprit vif et l’étonnait par moments.

    – Allons-y.

    Marco démarra et garda le silence en voyant son passager se caler dans son siège, conscient qu’il allait user de son don et que, pour ce faire, il ne devait pas être dérangé. Il fallut moins de cinq minutes à Desmond pour projeter son esprit hors de son corps. Sentir sa conscience séparée de son enveloppe et voleter à son gré était grisant pour lui. Il se permit de profiter de ce sentiment un moment avant de se propulser hors de l’habitacle et de se diriger vers la salle de classe qu’il venait de quitter. Il voulait s’assurer que son intervention avait bel et bien réussi.

    Alors que certains mercenaires disposaient du corps de Nurik, d’autres se regroupaient autour d’Omar, qui leur révéla qui était le complice de leur ancien leader ; on devait le mettre hors d’état de nuire. Leur cellule était l’une des douze choisies pour accomplir l’œuvre de Dieu et il n’était pas question qu’elle échoue. Satisfait, Desmond réintégra son corps au moment où Marco s’engageait dans le stationnement de l’aérogare. Une heure venait de s’écouler, qui n’avait semblé duré que quelques minutes à peine au doué. Il secoua la tête pour sortir de sa torpeur.

    – Ça va ? s’enquit Marco.

    – À merveille, confirma le chef, malgré son état embrumé, habituel après une réintégration. À merveille.

    1

    Dans son appartement du Château, son ordinateur portable sur ses genoux, Jane étudiait le rapport psychologique d’Ariel Allen. Trois années s’étaient écoulées depuis qu’elle l’avait ramenée du Mexique au quartier général de la Société Zeus, en Turquie. Âgée de sept ans à l’époque, l’enfant avait dû encaisser la perte de ses parents, assassinés devant ses yeux, puis celle du tueur à gages qui l’avait sauvée et protégée. En réalité, on n’avait jamais dit à la fillette qu’Edward avait trépassé. Jane s’était promis de s’en charger une fois en sécurité au siège de Zeus, mais Ariel n’avait plus jamais fait allusion à l’assassin. « Je crois qu’elle se doute qu’il est mort, avait suggéré la psychologue chargée de son cas. Mais, en évitant d’en parler, elle évite de confirmer ses craintes. » Ce silence n’était toutefois pas synonyme de manque de progrès. Ariel s’était adaptée vite à son nouvel environnement, où non seulement les doués étaient acceptés, mais où on leur accordait une place centrale dans la vie de la communauté. Bien que plus effacée que la moyenne des autres enfants, elle avait des amis, brillait à l’école et prenait plaisir à participer aux activités paranormales auxquelles on l’exposait de façon régulière.

    Edward était donc devenu un sujet tabou. Jane avait à peine connu le tueur à gages, mais, comme Ariel, elle lui devait la vie ; c’est grâce à lui si elle était parvenue à s’échapper des griffes de Trou Noir. En fait, c’était principalement grâce à lui. Jeremiah McVey avait aussi joué un rôle décisif dans sa fuite. Elle soupira, comme chaque fois qu’elle repensait au premier lieutenant. Les trente-six mois qui s’étaient écoulés ne changeaient rien au tiraillement intérieur qu’elle ressentait dès qu’elle se remémorait l’interrogatoire auquel il l’avait soumise. Les soins qu’il lui avait prodigués, prenant garde de ne pas la faire souffrir alors même qu’il tentait de lui extirper des informations, lui inspiraient des pensées à faire rougir. Mais c’était le regard douloureux qu’il avait posé sur elle en la laissant fuir qui la hantait le plus. Bien que la blessure qu’il venait de subir suffise à justifier la souffrance de son expression, Jane ne pouvait s’empêcher de croire que son départ n’y était pas totalement étranger. Elle se remémora la scène – l’embellissait-elle avec le temps ? –, puis se secoua. Jeremiah était l’ennemi numéro un de Zeus. Se laisser aller à de telles rêveries était futile et destructeur. Elle esquissa un sourire amer ; « futile et destructeur » résumait parfaitement le chapelet de ses histoires de cœur passées !

    Un tintement familier la tira de ses ruminations ; elle avait un message Facebook. En apercevant le nom de son auteur, elle leva les yeux au ciel : Caleb. Même si la majorité de la gent féminine eût jubilé à l’idée d’être harcelée par un tel homme, le titre de chasseur de fantômes dont il s’affublait lui donnait autant de charme, aux yeux de Jane, que celui d’une coquerelle. Elle lut néanmoins son message.

    Caleb : Salut ! Ça fait un moment que tu t’es connectée.

    Jane réfléchit avec un froncement de sourcils, puis écrivit :

    Jane : Trois jours.

    Caleb : Quatre, en fait.  smiley

    Jane : Tu comptes ? !

    Caleb : Lol ! Non, je m’en souviens parce que c’était le jour où j’ai découvert une piste qui risque de devenir mon plus gros coup !

    Jane : T’es sur la trace du fantôme de Barbe-Bleue ?

    Caleb : Non, ça, ce serait l’apothéose.

    Jane leva un sourcil ; faisait-il de l’ironie ?

    Caleb : Sérieusement, je crois avoir retrouvé un membre d’une secte de spirites très ancienne.

    « Ironie », trancha Jane, quelque peu rassurée. Elle ne détestait pas Caleb. Toutefois, depuis leur première rencontre, trois ans plus tôt, le chasseur de fantômes agissait comme s’ils étaient devenus les meilleurs amis du monde. Il lui écrivait presque tous les jours. Au début, il était exclusivement question de paranormal, Caleb ayant reconnu en elle la chroniqueuse du Journal of Parapsychology, poste qu’elle avait dû abandonner depuis que son nom était apparu sur la liste des personnes recherchées par la CIA. Mais, peu à peu, leurs communications s’étaient engagées sur un terrain plus personnel. Non pas que Jane se soit ouverte comme un livre – le ciel l’en garde –, mais Caleb avait le chic de lui soutirer opinions, conseils et autres anecdotes d’une manière qui finissait par lui paraître toute naturelle. Dommage pour son grand ami (grand dans le sens physique, que cela soit clair !), mais les méthodes ancestrales qu’il utilisait dans son boulot la rendaient folle !

    Jane : Une secte de médiums ? corrigea-t-elle.

    Caleb : Un regroupement de spirites au talent extraor-dinaire. Si le membre dont on m’a parlé peut accomplir la moitié de ce qui m’a été révélé, je suis sur le meilleur coup de ma carrière !

    Jane songea à la séance qui avait ressuscité Rachel et se demanda de quelle façon Caleb aurait réagi s’il y avait assisté. Il était cependant hors de question d’en faire mention.

    Jane : Comment as-tu entendu parler de lui ?

    Caleb était peut-être sur la piste d’un vrai doué… tout était possible.

    Caleb : Par l’entremise d’un ami, spécialiste de la régres-sion sous hypnose.

    « V’là autre chose », s’exaspéra Jane. Bien que la Société Zeus utilise parfois l’hypnose, les charlatans se proclamant hypnotistes étaient légion.

    Jane : Contact crédible ?

    Caleb : Vieille connaissance en qui j’ai confiance.

    Une moue dubitative au visage, Jane posa le regard sur son vieux matou, qui leva la tête vers elle dans l’espoir de lui soutirer quelques caresses.

    – Tu en penses quoi, Bugsy ? Il est sur une piste sérieuse ou il poursuit une chimère ?

    Le félin émit un long miaulement.

    – Je partage ton opinion, dit-elle en grattant l’animal derrière les oreilles. Mais on ne peut quand même pas le décourager.

    Fixant son écran un moment, elle se décida finalement à écrire :

    Jane : S’ils se révèlent réels, ta secte et son médium ne voudront pas de publicité. Enregistre tout, mais fais-le discrètement. Et couvre tes fesses en laissant savoir à quelqu’un les heures et les endroits de tes rencontres avec eux.

    Caleb : Tu t’inquiètes pour moi ?

    Jane : Dans tes rêves. Je suis simplement intéressée par ta piste.

    Caleb : Pourquoi ? Tu veux inviter mon spirite dans ton centre thermal ?

    Le premier jour de leur rencontre, Jane avait précisé qu’elle travaillait pour le centre thermal Panthéon, pour qui elle« traquait » les gros clients potentiels. Caleb n’avait jamais mordu. Lorsqu’il avait vu son nom sur la liste des personnes recherchées par la CIA, relativement au meurtre de la famille Allen, il l’avait questionnée. Elle avait avoué avoir été mêlée à cette histoire à cause de son intérêt pour l’enfant kidnappée ; certains médias faisaient mention d’un don de guérison chez elle. Jane avait tenté d’en savoir plus pour l’écriture d’un article et s’était trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. Les apparences étaient telles qu’elle ne croyait pas en ses chances d’être disculpée dans l’affaire ; elle avait donc décidé de s’enfuir. Malgré les centaines de questions que Caleb lui avait posées sur le sujet, elle s’en était toujours tenue à la même version et était restée avare de commentaires. La Société avait enquêté sur Caleb, chez qui on n’avait rien trouvé de louche. Elle avait songé sérieusement à le « recruter » pour protéger Jane. Il avait toutefois été décidé qu’il ne représentait pas une menace assez sérieuse ; du moins pour le moment. De toute évidence, Caleb semblait réellement apprécier Jane et ne ferait rien pour lui nuire. Mais, on le gardait à l’œil.

    Jane : Déformation professionnelle. Je suis marquée par mon ancienne vie.

    Caleb : Ce que je donnerais pour en savoir plus sur cette « ancienne vie » ! Ta mise en garde m’indique que tu as l’habitude de te fourrer le nez dans des situations à risques.

    Jane : Changeons de sujet ou je me déconnecte.

    Il connaissait la consigne : ne pas la questionner sur sa vie personnelle. Elle le lui avait répété assez souvent !

    Caleb : smiley

    Jane : Ce médium a-t-il un nom ?

    À peine avait-elle fini de taper sa phrase qu’on cogna avec vigueur à la porte, ce qui fit sursauter Bugsy. La traqueuse déposa son ordinateur sur la table basse et alla ouvrir ; c’était Haggart. En constatant son expression, elle sut qu’il se passait quelque chose d’important.

    – Nous venons de recevoir une communication de Trou Noir, l’informa le parapsychologue, sans préambule.

    – Qui l’a interceptée ?

    – Elle n’a pas été interceptée, elle nous a été envoyée délibérément. Ils font appel à nos services.

    – Quoi ? !

    – Les stratèges nous convoquent en réunion d’urgence… immédiatement.

    – Donne-moi trente secondes.

    Jane attrapa une mallette, y plaça de quoi prendre des notes et reporta son attention sur l’écran de son portable. Elle ferma ses logiciels en quelques clics, incluant son navigateur et donc Facebook, rabattit le couvercle et enfonça l’appareil dans son sac.

    – Allons-y.

    Ils sortirent en trombe, claquant la porte derrière eux. Bugsy grimpa sur le dossier du fauteuil en miaulant son mécontentement.

    À un millier de kilomètres de là, à Bucarest, en Roumanie, Caleb vit disparaître le nom de Jane de sa liste de contacts en ligne. Il secoua la tête, un sourire amer au visage :

    – C’est ça, au revoir à toi aussi, soupira-t-il.

    Il enfonça à répétition la touche « retour arrière », effaçant le court paragraphe qu’il s’apprêtait à lui envoyer et dans lequel il expliquait n’avoir que le prénom du spirite en question. S’apercevant soudain de la vigueur avec laquelle il s’exécutait, il se radoucit. Abîmer son ordinateur ne lui apporterait aucune satisfaction, pas plus que ça ne le rapprocherait de Jane Hart. Pour la millième fois, il se demanda ce qui l’attirait tant chez elle. Au-delà de son physique, bien entendu. Nombreuses étaient les jolies filles qui cherchaient à se pendre à son cou, sans qu’aucune éveille en lui un tel intérêt. Non, c’était autre chose. Une aura de mystère planait au-dessus de la jeune femme. Parapsychologue, recherchée par les autorités, planquée dans la cambrousse en Turquie ; elle avait tout pour attirer un amateur d’inexpliqué tel que lui.

    – Tant pis, laissa-t-il tomber avec philosophie.

    Et il fit disparaître les dernières lettres de son message : L, E, I, N, A, H, T, A, N.

    2

    Les pas de l’officier McVey résonnaient dans le long corridor immaculé. Quelques-unes des personnes qu’il croisa le saluèrent poliment, mais il les ignora, les percevant à peine. Sa tête était ailleurs ; dans la salle de conférence où l’attendaient un groupe de gens importants, dont le vice-président des États-Unis d’Amérique ainsi que le directeur de la CIA. Jeremiah avait rencontré ce dernier à quelques rares occasions, menaces nationales obligent. Cela lui avait permis d’apprivoiser les ondes cérébrales de l’homme. Bien que ses pensées soient régulièrement remplies de fantasmes concernant sa maîtresse, le directeur de l’agence avait un esprit d’analyse et de synthèse remarquable. En ce moment même, il décortiquait l’information que lui débitait son assistant, Jake Parson, détracteur principal de Jeremiah, depuis la débâcle de l’affaire Ariel Allen.

    Jake et Jeremiah avaient tous deux souffert du fiasco de cette opération passée, mais c’est le chef de Trou Noir qui en avait été le véritable bouc émissaire. Jeremiah s’était vu imposer une rétrogradation de premier lieutenant à lieutenant et six mois de congé avec solde. On lui avait toutefois ordonné de reprendre la tête de la section après deux mois de suspension : elle piétinait sans lui.

    S’approchant de la salle de réunion, le grand blond percevait de mieux en mieux les pensées de Protaeus, chef de la CIA : « Jeremiah… original… jugement douteux… dons impressionnants… mission prioritaire… menace internationale… ». Il poussa une grande porte vitrée.

    – Bonjour, Diane.

    Penchée sur un classeur, la réceptionniste releva la tête et écarquilla les yeux, qui étaient déjà surdimensionnés. Jeremiah ne pouvait s’empêcher de penser au vieux shih tzu de sa tante chaque fois qu’il la voyait. Un large sourire apparut sur le visage de la femme d’âge mûr.

    – Seigneur ! Vous les avez fait couper !

    – Je dois faire bonne impression, aujourd’hui.

    Elle s’approcha et le contempla.

    – Vous êtes encore plus beau qu’avant, conclut-elle en rougissant.

    Diane ne savait rien de son don et laissait libre cours aux images dans sa tête. Jeremiah haussa un sourcil.

    – Euh… On m’a convoqué pour dix heures.

    La femme consulta l’ordre du jour de la réunion, ce qui mit un terme à ses rêveries coquines, au grand soulagement de Jeremiah.

    – Vous êtes effectivement attendu. Un instant, je vous prie.

    Attrapant le combiné du téléphone, elle composa un numéro et patienta quelques secondes.

    – Bonjour, général. Le lieutenant McVey est arrivé. Très bien.

    Elle raccrocha et tendit un bras vers la salle de réunion.

    – Ils sont prêts, lieutenant. Bonne chance.

    – Merci.

    La première chose qui frappa Jeremiah à son entrée dans la salle fut la discipline qu’imposèrent à leurs pensées les personnes qui le connaissaient. La deuxième fut l’effet de surprise causé par ses cheveux courts. On avait toujours accepté son caprice de les porter aux épaules malgré le règlement : on ne pouvait se passer du chef de Trou Noir. Les regards réprobateurs s’étaient toutefois accentués depuis l’échec retentissant de la mission Ariel. Le doué jonglait donc depuis un moment avec l’idée de faire cesser le potinage à ce sujet. Une rencontre avec le vice-président des États-Unis était une occasion parfaite pour ce faire.

    – Lieutenant McVey au rapport, général.

    – Repos, lieutenant. Prenez place, lui intima le général en chef de l’armée américaine, Ramon Ordernio.

    Jeremiah salua ses vis-à-vis en terminant avec le vice-président, Jim Borden, qu’il rencontrait pour la première fois. Ce dernier lui fit ce sourire qu’il connaissait par cœur, comme tous les Américains d’ailleurs : on était en campagne électorale.

    – Heureux de vous rencontrer, lieutenant. On m’a dit beaucoup de bien à votre sujet.

    « Demi-mensonge », songea le doué sans s’en offusquer.

    – Merci, monsieur le vice-président, répondit-il avant de se diriger vers la place qui lui était réservée à côté de… Jake Parson.

    « Eh, merde ! »

    – Nouveau look ? lui souffla ce dernier pendant que Jeremiah s’asseyait.

    Il ignora la remarque.

    – Faites-nous le topo, lieutenant, lança Ordernio, sans préambule.

    Le doué perçut le nuage de négativité qui planait dans l’esprit de ses supérieurs à son égard. Enfin, à une exception près : le vice-président avait plutôt l’attitude d’un enfant devant une bête de foire. Il venait sûrement tout juste d’apprendre l’existence de sa division et de ce qui faisait de lui un être différent. « Bienvenue dans mon monde de science-fiction, monsieur le vice-président… du popcorn avec ça ? »

    Le contexte ne prêtait cependant pas à la blague. La situation était grave et c’était à Jeremiah de le faire comprendre à cette poignée d’hommes qui détenait le sort de millions d’individus entre ses mains. Il respira profondément et se lança :

    – Il y a plus de cinq ans, en février 2007, nous avons infiltré un groupe d’extrême droite basé dans le Tennessee et déjoué ses plans d’assassiner plusieurs sénateurs pro-choix. L’opération s’est déroulée sans pépins, à une exception près : l’une des têtes dirigeantes s’était évanouie dans la nature avant notre arrivée.

    Jeremiah sortit de sa poche une clé USB et la tendit à Parson, qui l’inséra dans son ordinateur portable. Une photo apparut sur l’écran mural.

    – Je vous présente Desmond Bailey, né en 1971, le jour de Noël, détail qui exacerbera plus tard son complexe du messie. Sa mère est morte en le mettant au monde, drame qui a fait basculer le père, John Bailey (la photo d’un homme hirsute et bedonnant s’afficha), un sympathisant de la cause chrétienne aryenne, dans le monde obscur de l’extrémisme. Dès lors, John a trimballé son fils d’un camp d’entraînement à l’autre, lui bourrant le crâne de propagande et l’initiant aux joies des milices d’extrême droite.

    « Desmond était jusque-là à peu près normal, du moins autant qu’un enfant évoluant dans un tel milieu puisse l’être. Mais cela a radicalement changé quand il a atteint l’âge de douze ans, lorsqu’un pasteur milicien a découvert que le gamin avait le don particulier de se désincarner, c’est-à-dire de faire voyager son esprit en dehors de son corps. »

    – Vraiment ? ne put s’empêcher de s’exclamer Borden.

    – Vraiment, monsieur le vice-président. C’est un don très rare et, parmi ceux qui le détiennent, peu arrivent à le maîtriser.

    – Qu’en est-il de notre homme ? demanda Protaeus.

    – Selon mes sources, Desmond serait un doué de catégorie six sur une échelle de sept. Son contrôle de ce don est quasi parfait. Il pourrait donc être présent dans cette pièce pour épier notre conversation sans que personne en sache rien.

    Jeremiah laissa ce commentaire en suspens un moment, avant d’ajouter :

    – Si je n’étais pas présent, évidemment.

    Des expressions perplexes apparurent autour de la table. Parson, désireux de montrer à ses supérieurs ses connaissances sur le sujet, enchaîna aussitôt :

    – Comme je vous l’expliquais plus tôt, Jeremiah détient un don télépathique. Il parviendrait à percevoir les pensées de Desmond, même si celui-ci était désincarné.

    Le vice-président secoua la tête, visiblement dépassé par ce qu’il entendait. Après quatre ans en poste, il n’en était pas à sa première rencontre avec les hauts dirigeants de la sécurité du pays. Mais ce Projet Trou Noir s’apparentait davantage à un film fantastique qu’à une division de l’armée des États-Unis.

    – Difficile à croire, intervint Jeremiah en le dévisageant, n’est-ce pas, monsieur ?

    – Je ne vous le fais pas dire. Est-ce que…

    – Je ne crois pas que le président en soit informé, non, répondit le doué à

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