Xanadu
Par Madeleine Ruh
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À propos de ce livre électronique
Un journaliste attend à Johannesburg la mort du grand leader, une entrepreneuse rêve d'acheter une petite maison au Kazakhstan, sur le site Maya El Mirador, une jeune stagiaire s'exaspère, à Osaka, les hommes essaient d'oublier leurs peurs après l'accident de Fukushima. Vivre dans un château en Anjou, n'est pas toujours de tout repos...
Et autres nouvelles.
Style incisif, moments jubilatoires ou de grand doute. Nous sommes tous embarqués pour le même voyage. On se démène, on pense, on fait des plans. On est vivant.
Madeleine Ruh
Shorts stories writer. Born in Paris. Live in San Francisco.Auteur de nouvelles.Grande voyageuse. A vécu à New York et Paris, vit actuellement à San Francisco
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Aperçu du livre
Xanadu - Madeleine Ruh
Je suis reporter à l’AFP et en charge de la Zone Afrique et Europe, agence France Presse. J’ai longtemps été basé en Amérique Latine. J’ai couvert récemment grâce à une pigiste la tragédie de Nairobi : elle a fait la vidéo la plus vue sur le net, des agresseurs dans le mall. Son mec était photographe au New York Times et lui a envoyé un texto lui disant : Ramène toi avec la caméra, il se passe des choses.
Quand ils m’ont appelé pour couvrir la mort de Mandela, j’ai trainé des pieds. Cela faisait déjà trois jours qu’il était hospitalisé dans un état grave, et que les communiqués devenaient rares.
Ils ont exigé que je prenne l’avion avec la crainte qu’on ne soit pas là au moment de son décès, pour un des hommes les plus universellement reconnu, et j’ai rejoint une équipe de sept reporters. Dans l’avion j’ai médité sur les grands hommes et leur mort. Il s’agit parfois d’avoir le bon timing. Fidel Castro aurait eu une couverture médiatique monstrueuse s’il s’était avisé de casser sa pipe, l’année où il était encore au pouvoir. Question de symbole. Les nécrologies sont prêtes dans tous les journaux qui se respectent de par le monde, mais là où il est, ce ne sera jamais le volume qu’il aurait eu à cette période de sa vie. J’ai l’image de lui en jogging, et je me dis qu’il est peut être enfin en train de profiter de la vie pour lui et de sortir de son rôle de représentation.
L’hôtesse m’a paru odieuse, et le plateau repas infâme, mais l’idée de laisser ma femme et mes enfants pour une semaine, alors que nos vacances étaient planifiées sur le mois de juillet depuis six mois y était aussi peut être pour quelque chose. A l’aéroport, je n’ai pas pu m’empêcher de soupirer à la vague de chaleur. Un type maigre, en chemisette à carreaux, avec un écriteau welcome AFP
, nous a accueilli, suant sous les aisselles et s’épongeant le front d’un air blasé. On a du marcher dix bonnes minutes avant de récupérer le mini van. La clim ne marchait pas et il a laissé les fenêtres ouvertes.
Impossible de lui arracher trois mots, alors on s’est réfugié dans le sommeil jusqu’à l’arrivée au bureau.
L’hôtesse mâchait du chewing-gum et lisait un magazine people parlant du type handicapé et champion qui avait flingué sa femme par la porte de la salle de bain après avoir entamé la porte à la hache, en la prenant pour un cambrioleur alors qu’elle était allée chercher un verre d’eau.
A l’étage on a bien attendu vingt minutes avec une mini bouteille d’eau tiède pour compagnie avant que le responsable du bureau local se présente.
Il est arrivé comme un ouragan dans la salle, il m’a paru gigantesque et énorme en émergeant de mon court sommeil, et nous a demandé, comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort, si on avait vu en arrivant l’autoroute qui n’allait nulle part et qui était la coqueluche des producteurs de cinéma pour leurs scènes de courses de voitures.
Il a enchainé en demandant à la cantonade si l’on voulait un bon espresso, avant d’aboyer dans un fixe à quelqu’un d’aller chercher cela dehors.
Pour lui, l’affaire était pliée.
Nelson Mandela est cuit, il est mort dans l’heure, on attend juste le communiqué officiel, probablement dans l’heure. Vous arrivez à point nommé. Just in time !
nous affirma-t-il.
Les journalistes firent une mou approbatrice, plus vite les papiers et photos étaient en boite, plus vite on retournait aux siens en cette période estivale.
Après avoir bu nos cafés bien serrés, et il faut le reconnaitre bien chauds aussi, nous avons distribué les rôles. Patrick couvrirait Prétoria et les réactions des dirigeants, Michel serait en charge d’avoir des témoignages près de son école, Gilles serait à Johannesburg, et moi au QG.
C’était clair, on se quitta tous avec l’idée de se retrouver dans les deux heures après une douche bien fraîche dans notre hôtel sans âme.
Trois heures plus tard, et sans nouvelles de personnes, je pris l’initiative de proposer à tous de me rejoindre à un bar que l’Américain voisin de couloir m’avait recommandé.
Des filles sympas, une bonne musique, et des bières fraiches.
On passa une excellente soirée, regroupé comme au bon vieux temps, en finissant par jouer au poker.
Le lendemain, toujours pas de texto décisif, on décida de se rejoindre au bureau. Michel commençait à s’impatienter. Je lui parlais de techniques de respiration inspirées du yoga. Il me répondit Fuck
.
On décida de rester dans la ville et d’activer notre réseau vu que la mort de Nelson pouvait arriver n’importe quand. Je méditai sur ses longues années passées en prison, les privations, l’impression de voir les siens s’éloigner. Les humiliations, les moments de vague à l’âme. Sacré bonhomme. Il n’aurait jamais cru que l’ANC serait aussi corrompue. Une femme dans la rue m’avait interpellé me criant : Dites leurs que Nelson n’est pas immortel, et qu’il était l’autorité morale du pays, croyez moi, le pire est devant, quand il va disparaitre, tous vont se déchainer.
Je me suis senti mal à l’aise, repensant au regard acéré et bienveillant de Desmond Tutu, croisé quatre ans plus tôt à Cape Town sur une place après un sermon. Qui pourrait arrêter la gangrène des pots de vin et autres méthodes border line?
Je me suis dit soudain que j’allais parler d’un homme extraordinaire, mais qui par la force de ce qu’il représentait, son symbole, avait peut être malgré lui laisser une situation inacceptable s’installer.
Le deuxième jour fut comme le premier. Et le troisième et quatrième comme le deuxième.
Nous avions perdu la foi, comme ces maris appelés trop tôt pour l’accouchement de leur femme alors qu’elles avaient la première contraction.
Le cinquième jour, en matière de joke, je proposai à tous de nous rejoindre au parc animalier. Au moins pour se changer les idées, et sortir de notre chambre et du bureau.
Le sixième jour, nous n’avions pas appelé nos familles depuis quatre jours, honteux d’être là pour rien, à nous tourner les pousses et à regarder compulsivement nos écrans toutes les trois minutes, comme si notre vie en dépendait.
Le septième jour, nous allâmes au parc, et on se fit foncer dessus par un lion ou un tapir, impossible de voir.
Je vous le dis Nelson n’est pas mort, mais il n’aura pas la deuxième fois la chance qu’il a eu, cela s’appelle dans la presse la notion de right time, right place
. Tout est histoire de timing : avoir une couverture en or par delà les continents, l’homme qui avait mis la liberté au dessus des autres valeurs et de sa propre vie.
Je me fis soudain la réflexion que moi et ma compagne ne laissons aucune trace sur thèse. Je me pris un cognac au frigo de ma chambre pour me remettre les idées en place. J’attendis la femme de chambre. Elle amène le petit déj à la même heure chaque jour, et je pourrais la surprendre.
Paris
Octobre 2013
La maison au Kazakhstan
Je suis entrepreneuse. J’ai créé ma boite dans le web au moment où internet commençait. C’est un milieu où les femmes sont rares. Je suis Business Angel et sur quarante partners j’ai longtemps été la seule femme, j’avoue. C’est plutôt sympa quand on fait des voyages. Je les quitte pas trop tard surtout à Moscou ou à Shanghai et Dubaï, je n’ai pas envie de tout savoir de leur soirée d’ailleurs. Au dernier business trip, Antoine a hébergé une Brésilienne, qui visiblement avait perdu sa copine, trop bourrée pour la ramener chez elle. En tout bien tout honneur
a-t-il affirmé le lendemain. Il n’avait pas l’air frais, et quand les deux autres larrons de la soirée se sont marrés, il les a traité de chauds lapins et d’aimants sur la piste. Ploc
criait-il en les mimant en train d’adhérer à la piste de danse comme des bonhommes aimantés. Allez savoir, mais cela ne nous regarde pas en fait !
Mes vacances sont fondamentales dans ma vie. J’ai un homme, le père de mes enfants, et trois garçons, une fille, toute cette petite bande de treize ans à neuf ans pour le dernier. Etre ensemble loin est une respiration.
On est assez seul en fait quand on est entrepreneur. L’autre jour, j’ai mon avocate qui m’a appelée sur le sujet des sms envoyés aux US. On est accusé de ne pas avoir respecté la loi de protection des données. C’est un risque de vingt cinq millions de dollars. Oui, vous avez bien entendu, pour une structure qui n’existe plus. On s’est aussi fait attaquer par la boite concurrente qui voulait racheter la structure qu’on achetait. Au final, on a dû laisser tomber. C’est un sale métier avocat du droit des affaires aux US, tu n’arrêtes jamais. J’ai vu un copain comme ça, il est passé un week-end, en fait on l’a pas vu, il a passé son temps à bosser.
Les dernières vacances, nous avons failli partir en Inde, au Ashram surf Retreat. Yoga, menu végétarien, ne pas fumer, ne pas boire. Quand le gars m’a dit au téléphone qu’il fallait se lever pour méditer et prier à quatre heures trente du matin, j’ai renoncé, je l’ai pas bien senti. On est en vacances
je lui ai dit. Il n’a pas eu l’air de comprendre le concept.
J’ai eu le coup de foudre pour une maison au Kazakhstan. Je la veux cette maison.
Il faut que je vous raconte son histoire.
Le Kazakhstan, ce sont des paysages infinis. Des chevaux sauvages qui galopent. Des villages avec quelques maisons. Des torrents au milieu du vert à perte de vue.
Le jour où nous sommes arrivés là-bas, on avait décidé de monter à cheval. Des gars du village nous avait fait un vague signe de la main vers une maison près du pont en nous indiquant neuf heures sur leur montre invisible. Enfin, c’est ce qu’on avait compris, et visiblement mal puisque le lendemain matin personne en frappant à la porte de la maison en bois bleu.
Personne. On a attendu trente minutes. Et puis, comme les enfants râlaient on est allé au petit pont. Là, on est tombé sur un type à cheval. Grégory le lorgnait avec envie. Avec des gestes de la main, on lui a expliqué qu’on cherchait quatre chevaux, ou cinq. Il a sourit, nous montrant des dents un peu noires, avec une du haut manquante. Il nous a invité à partager à manger. On a bu du lait de chèvre je crois, un peu acre. Les enfants faisaient la soupe à la grimace. Au bout d’une heure de conversation par gestes, partagés entre fou rire et nervosité, on a fini par voir le fils de la maison partir à pieds, et revenir une demi heure plus tard avec un cheval.
On a applaudit en riant, et notre fille est montée dessus, Iris. Elle était ravie. On lui a fait signe qu’il en fallait plus. Alors le fils est parti avec le cheval en souriant. Et nous nous sommes installés de nouveau sur la couverture étendue sur l’herbe et la terre sèche.
Après un temps qui nous a paru infini un deuxième cheval est apparu avec le premier, et le fils du propriétaire de la maison du pont. On a sourit et fait des gestes pour montrer qu’on était ravi. Et puis là, on a cru être tiré d’affaire avec un troisième cheval arrivant. Manque de bol, c’était le dernier, il a fallu partir en tenant les chevaux par la bride partir vers une autre ferme. Il était déjà bien quatorze heures. On ne pouvait pas dire qu’on n’avait rien mangé, mais comme on se méfiait de la nourriture et des boissons fermentées, nous étions un peu à cran.
A quinze heures quarante cinq, nous sommes arrivés après bien dix kilomètres de marche, les pieds dans les cailloux du lit de la rivière. Et là, rebelote, nous avons partagé un morceau de pain et une boisson fermentée qui sentait très fort dans le broc en terre.
Il était seize heures trente quand nous avons récupéré le dernier