Pour une redistribution des aires culturelles du Cameroun: Modélisation à partir des courants migratoires à la base de la configuration sociolinguistique du pays et du critère géolinguistique
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À propos de ce livre électronique
Laurain Lauras Assipolo Nkepseu
Laurain Assipolo est chargé de cours au département de français et études francophones à l'Université de Douala (Cameroun). Ses principaux domaines de recherche sont la variation linguistique, les fonctions et les usages des langues, les représentations sociolinguistiques, les politiques linguistiques et la sociolinguistique interactionnelle. Il est également spécialiste en théologie systématique, en enseignement du français langue étrangère et en droit de la propriété littéraire et artistique.
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Avis sur Pour une redistribution des aires culturelles du Cameroun
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Aperçu du livre
Pour une redistribution des aires culturelles du Cameroun - Éditions Pygmies
Du même auteur
Les enjeux de la question linguistique dans le processus de développement des ex-colonies : l’exemple du Cameroun, Paris, Connaissances et Savoirs, 2017.
À propos du camerounais (français du Cameroun) : phonétisme, morphosyntaxe et processus de création lexicale, Paris, Connaissances et Savoirs, 2020.
Les dynamiques identitaires dans les sociétés plurielles de peuplement composite (avec Essiéné Jean-Marcel), Douala, Pygmies, 2022.
À Emmanuel Noël Bissai,
Pour l’enthousiasme et l’intérêt que j’ai lus dans son propos lors d’un échange convivial sur la question identitaire au Cameroun, et qui m’ont décidé à me consacrer entièrement à l’achèvement de cet ouvrage. J’avais l’intention de le faire plus tard, en espérant que ce ne soit pas l’un de ces projets d’artiste.
Ce jour-là étaient présents ses collaborateurs de la chaine urbaine Royal FM, émettant de Yaoundé, Bertrand Owona, Roger Kiyeck de Kiiki et Jean Patient Tsala. Nous devisions alors autour d’un ovianga majestueusement cuisiné par son épouse, après un apéro constitué des liqueurs du cru et de quelques pincées de Ngul be tara.
On connait le banquier, promoteur de la RENAPROV Finance-SA. On connait le pasteur. On connait aussi le « bon Samaritain » à travers, notamment, la Mutuelle d’assistance et de solidarité (MASO). L’homme de culture soucieux de la cohabitation pacifique des peuples du Cameroun reste à découvrir.
Zock’adouma, ce 29 mars de l’an de grâce 2024.
Table des matières
Préface
Introduction générale
Les dynamiques migratoires à la base la configuration sociolinguistique du Cameroun
I.1. Le peuplement du Nord-Cameroun
I.1.1. Les migrations antérieures à l’arrivée des Peuls
I.1.1.1. Les mouvements nord-est
I.1.1.2. La composante sud
I.1.2. Les migrations peules
I.1.2.1. Les Wolaarbe
I.1.2.2. Les Yirlaa’bé
I.1.2.3. Les Feroo’be
I.1.2.4. Les Baoulé et les Mbororo
I.1.3. La conquête peule
I.1.3.1. Les conflits à l’origine du démantèlement du Wandala
I.1.3.2. Les échecs face au Baguirmi et des groupes des plaines
I.1.3.3. La conquête de Marva et des territoires alentour
I.1.3.4. La dernière vague des conquêtes
I.1.4. La redistribution spatiale après la conquête peule
I.1.4.1. Les riverains du Logone
I.1.4.2. Les montagnards avant et après leur descente en plaine
I.1.4.3. Foulbés, Mandara, Bornouans et autres groupes foulbéisés
I.2. Le peuplement du Sud-Cameroun
I.2.1. L’épopée conquérante des Baaré-Tchamba
I.2.2. Les « Pahouins »
I.2.3. Les Tikar
I.2.4. Les Maka, les Kako, les Gbaya et les Mpo’oh
I.2.4.1. Les Maka
I.2.4.2. Les Gbaya
I.2.4.3. Les Kakó
I.2.4.4. Les Mpo’oh
I.2.5. Les Basa’a-Mpo-Bati
I.2.5.1. Les Basa'a
I.2.5.2. Les Elog-Mpoo
I.2.6. Les migrations à l’origine du « Grand sawa »
I.2.6.1. La tradition « IBB »
I.2.6.2. La tradition « IBB » et les autres récits
I.2.7. Le peuplement des Grassfields
I.2.7.1. La thèse du peuple refoulé
I.2.7.2. La thèse de l’origine égyptienne
I.2.7.3. La thèse du peuple d’explorateurs et d’entrepreneurs
I.2.8. Les migrations internes et les configurations ethniques
Conclusion
La classification des peuples du Cameroun pendant la période coloniale et leur division en aires culturelles
II.1. Les peuples du Cameroun selon le Guide
II.1.1. Les Bantous
II.1.2. Les Soudanais
II.1.3. Les Négrilles
II.1.4. La répartition spatiale des peuples du Cameroun
II.2. Les peuples du Cameroun selon la carte schématique
II.2.1. Les populations du Nord-Cameroun
II.2.2. Les populations du Sud-Cameroun
II.2.3. Les Soudanais du Centre et de l’Ouest
II.3. Les peuples du Cameroun en 1949
II.3.1. La population du Cameroun
II.3.2. La structure raciale, linguistique, religieuse et sociale
II.4. L’affinement des renseignements ethnographiques
II.4.1. Le peuplement du Sud-Cameroun
II.4.1.1. Les « Pygmées »
II.4.1.2. Les Bantous
II.4.1.3. Les semi-Bantous
II.4.2. Le peuplement du Nord-Cameroun
Conclusion
Les aires géolinguistiques du Cameroun
III.1. Les principes de la géolinguistique
III.1.1. La puissance
III.1.2. L’attraction
III.1.3. La pression
III.2. La géolinguistique et les langues du Cameroun
III.2.1. Les indicateurs de puissance
III.2.2. Les indicateurs d’attraction
III.1.3. Les indicateurs de pression
III.3. La distribution administrative des langues
III.3.1. Le domaine des langues tchadiques et adamaoua
III.3.1.1. L’Extrême-nord
III.3.1.2. Le Nord
III.3.1.3. L’Adamaoua
III.3.2. Le domaine du béti-fang [403]
III.3.2.1. Le Centre
III.3.2.2. Le Sud
III.3.3. Les domaines des langues A80 et A90
III.3.3.1. La Boumba et Ngoko
III.3.3.2. Le Haut-Nyong
III.3.3.3. La Kadey
III.3.3.4. Le Lom et Djerem
III.3.4. Les langues des zones 4 et 6
III.3.4.1. Le Littoral
III.3.4.2. Le Sud-ouest
III.3.5. Les langues de la zone 5
III.3.6. Les langues des zones 9 et 8
III.3.6.1. La région de l’Ouest
III.3.6.2. La région du Nord-ouest
Conclusion
Conclusion générale
Références bibliographiques
Table des matières
Préface
J’ai l’immense plaisir de rédiger le texte liminaire de cet ouvrage qui examine de près un phénomène culturel complexe et dynamique. La position de l’auteur peut être considérée comme osée dans la mesure où il propose une redistribution des aires culturelles du Cameroun. Il semble pourtant s’être dégagé autour des catégorisations actuelles un certain consensus relevant de la doxa, produit obligé et indispensable de la pensée humaine, dont l’étude peut être envisagée suivant deux postures épistémologiques. Savoir partagé, primaire et fondamental, qui ne s’apprend pas à l’école et s’acquiert très tôt dans la vie, s’agissant de la première, ensemble d’opinions sur tout ce qui est humain pour la seconde.
La tradition aristotélicienne a opposé la doxa à l’épistêmê, la science, le corps organisé des connaissances théoriques. Dans la perspective aristotélicienne, la doxa et l’épistêmê sont deux concepts importants liés à la connaissance et à la compréhension du monde. La doxa, souvent traduite par « opinion » ou « croyance », représente la connaissance commune ou populaire basée sur des perceptions sensorielles et des apparences superficielles. Subjective, elle peut varier d’une personne à l’autre ou être influencée par les émotions, les préjugés et les impressions immédiates. En revanche, l’épistêmê (science ou connaissance véritable) représente une forme de connaissance plus approfondie et rigoureuse basée sur la raison, la logique et la recherche systématique de la vérité. Objective et universelle, l’épistêmê vise à découvrir les causes et les principes fondamentaux des choses. Aristote considérait que la doxa était une étape nécessaire pour atteindre l’épistêmê, but ultime de la recherche de la connaissance, de la compréhension des réalités essentielles et universelles.
Pour en revenir à cet ouvrage, il y a lieu de relever que l’épistêmê guide une analyse nourrie par une étude rigoureuse des migrations à l’origine de la configuration sociolinguistique du Cameroun. Elle permet de comprendre comment les mouvements humains et les échanges culturels ont façonné la diversité culturelle d’une nation multilingue et pluriethnique, véritable carrefour des cultures et des langues située au cœur de l’Afrique. Ce livre est donc le fruit d’une exploration approfondie des mouvements migratoires cristallisés par la colonisation européenne, menée par un chercheur passionné des questions culturelles et sociolinguistiques. Son objectif est de dévoiler les mécanismes complexes capables de sous-tendre la redistribution des aires culturelles au Cameroun, en partant du rôle central de la langue dans ce processus, la langue étant un véhicule puissant de transmission culturelle, un marqueur identitaire essentiel.
Au fil des pages, on découvrira comment les migrations internes et externes ont influencé la répartition et la dissémination des peuples et des langues à travers le territoire camerounais. On sera plongé dans l’histoire mouvementée de ces communautés, entièrement ou partiellement assimilées, qui ont souvent dû s’adapter à de nouvelles réalités culturelles en essayant de préserver leurs identités. On verra que le réflexe migratoire et la colonisation d’espaces parfois hostiles ont été choisis comme stratégie de survie par des communautés jalouses de leur autonomie, de leur indépendance. On apprendra que plusieurs tendances anthropologiques doivent être prises en compte pour comprendre l’éclatement de certains groupes et la diversification linguistique. On explorera les liens entre les aires culturelles et les frontières géographiques, par ailleurs loin d’être étanches.
L’auteur ne se contente pas d’analyser les dynamiques anciennes et contemporaines ayant dessiné ou qui remodèlent le visage du Cameroun. Il examine les fondements des facteurs économiques, politiques et sociaux à la base de ces mouvements, en mettant en évidence l’impact qu’ils ont eu sur les dynamiques culturelles du pays. Il trace également des perspectives en mettant en lumière les défis et les opportunités que présente la redistribution des aires culturelles proposée. Est ainsi soulignée l’importance de préserver la diversité culturelle du Cameroun par l’inclusion et le dialogue interculturel, une vision holistique qui reconnaît la valeur de chaque communauté et de chaque langue. Une attention particulière est accordée à la question linguistique dans la formation des aires culturelles. L’auteur étudie comment les langues se diffusent, se maintiennent ou disparaissent à travers les migrations, et comment elles sont utilisées comme marqueurs identitaires par les différents groupes ethniques. Il explore également les interactions entre les langues et les frontières géographiques, révèle comment ces éléments se combinent pour façonner les identités culturelles dans des régions spécifiques du Cameroun.
Une autre dimension essentielle que l’ouvrage ausculte est la manière dont la redistribution des aires culturelles peut influencer les relations intergroupes et la cohésion sociale. Sont examinées les opportunités de dialogue et d’échange culturel entre les différentes communautés, ainsi que les tensions et les conflits potentiels. Enfin, ce livre offre des perspectives pour une gestion effective de la redistribution des aires culturelles au Cameroun.
L’importance des politiques publiques et des initiatives communautaires visant à préserver la diversité culturelle, à favoriser la cohésion nationale n’est pas à souligner. Ils encouragent la promotion de l’éducation multilingue, la valorisation des pratiques culturelles traditionnelles et l’établissement de ponts entre les différentes aires culturelles. L’on comprend ainsi qu’il est important, pour le Cameroun dont l’ambition est, à terme, de parvenir à un seuil de développement qui en fait un pays émergeant, de promouvoir la compréhension mutuelle et l’inclusion entre les diverses composantes de la nation. Cela signifie que l’on gagnerait à encourager et à consolider l’éducation multilingue, en développant des programmes éducatifs axés sur la diversité linguistique du Cameroun. L’on peut de ce fait renforcer l’apprentissage de différentes langues locales dans les systèmes éducatifs, permettant aux jeunes générations de mieux comprendre et de communiquer avec les différentes aires culturelles du pays.
La promotion de la compréhension mutuelle ne saurait suffire. À ce premier axe doit être associé le renforcement du dialogue interculturel. Il peut prendre plusieurs formes : l’organisation des forums, des rencontres et des événements culturels favorisant les échanges et les interactions entre les communautés, créant des espaces propices à l’apprentissage mutuel et à la reconnaissance de la diversité culturelle. Cela n’est possible que si la division du Cameroun en aires culturelles reflète ses réalités sociolinguistiques et socioculturelles.
Le soutien aux initiatives communautaires est également l’un des leviers d’une politique visant à souder les différentes communautés camerounaises. Les initiatives à soutenir sont celles qui ont pour objectifs sont de préserver et de promouvoir les pratiques culturelles et linguistiques spécifiques à chaque aire culturelle par la création de centres culturels, d’associations et d’organisations locales permettant aux communautés de se rassembler, d’échanger leurs connaissances et de renforcer leur identité culturelle.
Le Cameroun gagnerait aussi à raffermir l’inclusion à travers des politiques publiques garantissant une représentation équitable et une participation active de toutes les aires culturelles dans les sphères politiques, économiques et sociales du pays. Il est impératif de créer des espaces d’inclusion où chaque communauté et chaque langue ont une voix et sont reconnues comme des contributeurs essentiels à la richesse culturelle et au développement national. La prise en compte des droits linguistiques des différentes composantes de la nation, particulièrement ceux des peuples forestiers et autochtones, est de ce fait un levier important.
Les efforts de sensibilisation et de formation sur la diversité culturelle doivent être accentués, comme la tolérance et le respect mutuel. Ces thématiques peuvent être intégrées dans les programmes éducatifs, les médias et les initiatives de sensibilisation à travers le pays, afin de promouvoir une meilleure compréhension des différentes aires culturelles et de lutter contre les stéréotypes et les préjugés, parfois à l’origine des conflits intercommunautaires.
Ces recommandations, parmi d’autres, représentent des pistes pour promouvoir la compréhension mutuelle, l’inclusion et le respect de la diversité culturelle au Cameroun. Elles soulignent l’importance de reconnaître la valeur de chaque communauté et de chaque langue, favorisent des interactions positives qui renforcent les liens entre les différentes aires culturelles du pays. Il convient de noter que ces recommandations sont basées sur les perspectives présentées dans le livre et peuvent être complétées par d’autres idées en fonction des évolutions futures de la société camerounaise.
Paul Zang Zang
Professeur des universités
Introduction générale
Les communautés humaines, qu’elles soient régionales ou nationales, ont eu et ont tendance à rattacher leurs identités à des mythes ou des récits collectifs. Ce besoin ontologique de distinction sera l’un des facteurs retenus pour définir et délimiter les « aires culturelles ». Wissler (1917, 1923 et 1926) fondait le regroupement des communautés humaines sur la base d’un ensemble de traits communs à partir desquels les cartes culturelles pouvaient être dressées. Les ethnologues diffusionnistes vont s’approprier l’idée d’« aire culturelle » à la fin du XIXe siècle et au début du XXe en partant, écrit Claval (2000 : 72), du principe que chaque innovation était née dans un foyer à partir duquel elle s’était répandue. Les approches inspirées de Wissler¹ seront notamment contestées par Kienle (2014 : 50-51). Cet auteur estime que tracer les frontières entre aires, zones ou espaces physiques en partant des traits culturels considérés comme distinctifs et pertinents est analytiquement plus fin, mais moins astucieux. L’un des premiers problèmes de cette démarche est la sélection des traits culturels considérés comme pertinents, le second, les bonnes (ou mauvaises) raisons informant ce choix, le nombre des traits potentiellement pertinents étant en principe infinis.
Ont souvent été retenus une langue, ses variétés ou ses dialectes, la religion, la mode ou encore l’art culinaire. Les variations intra-/interlinguales peuvent être plus ou moins importantes. Il arrive très souvent qu’une religion entretienne des communautés pratiquant des cultes différents. Certains vêtements échappent à toute tentative de catégorisation ou de rapprochement. Un même plat peut se cuisiner différemment lorsqu’on passe d’un groupe à un autre, d’une communauté à une autre. D’autres difficultés apparaissent lorsque les membres d’un même groupe pratiquent des religions différentes, s’habillent ou mangent autrement. Dès lors,
en quoi serait-il plus approprié de tracer la frontière entre musulmans et non-musulmans qu’entre Arabes, c’est-à-dire arabophones, et non-Arabes ? Faut-il distinguer entre juifs, musulmans et chrétiens, ou faut-il distinguer entre les adhérents aux « religions du livre » et les autres ? Ou pourquoi ne pas chercher en cuisine et distinguer entre ceux qui mangent des saucisses et ceux qui n’en mangent pas ? Les Allemands se trouveraient non seulement du côté des Lyonnais et des Toulousains, mais également des Libanais et des Turcs, dont les maqaniq (makanek) et sujuk (sojok) valent bien les saucisses de Montbéliard et de Francfort. (Kienle, 2014 : 51)
Qui plus est, et Abouna (2020) l’a souligné pour le cas du Cameroun, les logiques de la dé-territorialisation et de la re-territorialisation font qu’il existe de nombreuses diasporas « ethniques », parfois assimilées. Se pose également le problème de l’hybridité, très souvent ignorée. Kienle (2014 : 52) se demande alors ce qu’il adviendra « des marches, des marges, des marginaux, des bilangues ou des syncrétistes ». Si pour des raisons pratiques il faut, malgré tout, découper le monde, l’auteur préfère la subdivision