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L' AFRIQUE POSTCOLONIALE EN QUETE D'INTEGRATION: S'unir pour survivre et renaître
L' AFRIQUE POSTCOLONIALE EN QUETE D'INTEGRATION: S'unir pour survivre et renaître
L' AFRIQUE POSTCOLONIALE EN QUETE D'INTEGRATION: S'unir pour survivre et renaître
Livre électronique285 pages3 heures

L' AFRIQUE POSTCOLONIALE EN QUETE D'INTEGRATION: S'unir pour survivre et renaître

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À propos de ce livre électronique

Expression du sentiment de solidarité parmi les Noirs d’ascendance africaine victimes de l’esclavage et de la discrimination, la pensée panafricaniste attire l’attention dès les années 1920. Cette idéologie qui vise à libérer l’Afrique de la domination coloniale est surveil­lée de près par des autorités qui y voient la source d’une pensée séditieuse. Après la décolonisation, dans un contexte international marqué par la Guerre froide, l’unification continentale devient alors pour ses promoteurs la voie idéale pour assurer la survie et le renouveau de l’Afrique. Bien que l’écrasante majorité des chefs d’État soit convaincue de la nécessité de l’union, les désaccords sur la périodisation et la forme de l’intégration à bâtir conduisent dès 1963 à la primauté de l’Afrique des États-nations au détriment de l’union continentale.

Après des décennies de désaffection, la pensée panafricaniste renaît dans les années 2000, notamment avec le Nouveau parte­nariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) et le lancement de l’Agenda 2063 comme réponses aux défis de la mondialisation. L’auteur expose ici la complexité des enjeux de cette quête de réin­vention et de renaissance dans l’Afrique postcoloniale, tout en soulignant ses divergences ainsi que son inéluctable constance.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2017
ISBN9782760638105
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    Aperçu du livre

    L' AFRIQUE POSTCOLONIALE EN QUETE D'INTEGRATION - Patrick Dramé

    Introduction

    Le panafricanisme est à la fois un projet et un engagement politique, une idéologie et un idéal qui a profondément marqué l’imaginaire et l’histoire politique et intellectuelle du XXe siècle africain. Idéologie d’origine caribéenne et américaine, le panafricanisme prend racine parmi des intellectuels noirs qui ont l’ambition de combattre le racisme, les préjugés et la discrimination dont étaient victimes leurs communautés1. Cette lutte en faveur de l’émancipation supposait inévitablement la promotion et la réhabilitation de l’histoire et des valeurs de civilisation africaines qui forment le substrat identitaire de l’ensemble des diasporas noires.

    Elle amène également ses hérauts et ses thuriféraires à adopter et à réaffirmer des positionnements et des revendications à caractère politique – parfois radicaux – dans le but de susciter une prise de conscience et un sursaut matériel et moral parmi leurs communautés noires déshéritées des Amériques. La matrice et l’implantation africaines de la pensée et du combat panafricanistes relèvent, d’une part, de transferts venus d’outre-Atlantique, opérés par des intellectuels africains en quête de la «toison d’or» dans les métropoles occidentales et, d’autre part, d’une logique de diffusion par la voie de presse ou par la pensée militante de personnalités marquantes telles que Marcus Garvey ou William Edward Burghardt Du Bois.

    Au-delà de leur captation, ou du moins de leur «acclimatation» par les élites africaines, l’idéologie et le projet panafricains puisent résolument leurs racines dans la situation politique d’un continent qui a évolué entre le XVe et le XIXe siècles. Il ne s’agit plus d’une Afrique mise en esclavage, mais plutôt d’un continent colonisé, c’est-à-dire dépossédé, exploité économiquement, divisé et partagé entre les puissances coloniales, et d’un «homme noir» réduit au rang «d’indigène» à qui on dénie toute humanité tout en se promettant de le «civiliser». Dans la même perspective, le combat en vue de la libération de l’Afrique du colonialisme et de son unification en une seule communauté socio-politico-culturelle s’impose dès le lendemain de la Deuxième Guerre mondiale et s’inscrit directement dans le cadre du nationalisme qui accompagne le processus de décolonisation et la marche vers les indépendances2.

    Or, il est apparu très rapidement aux intellectuels ou aux hommes politiques promoteurs du panafricanisme que l’impératif de solidarité et les questions de l’unification et de l’intégration se posaient avec acuité et devaient aller de pair avec la phase d’édification de la nation, ou «deuxième révolution», selon l’expression de Frantz Fanon3. Cela devait, en effet, à la fois permettre de parachever la libération de l’Afrique du colonialisme, de l’exorciser de ses méfaits (que sont les frontières) et de ses avatars modernes – en l’occurrence le néocolonialisme et le sous-développement – et de lever l’hypothèque que faisait peser l’émancipation réelle du continent quant à son poids et à sa place dans le monde.

    En wolof, langue majoritairement parlée au Sénégal, le terme unir qui se dit Bolé suggère l’idée de rassemblement, de regroupement ou encore d’assemblement d’éléments disparates en une seule entité. Il exprime de façon implicite que cet assemblement/rassemblement de gens, d’idées ou d’entités géographiques disparates se fait en vue de la constitution d’un ensemble commun, uni, monolithique qui serait du coup fort et solide.

    Le concept de Bolé suppose bien évidemment l’idée que les parties qui se rassemblent arrivent à un consensus préalable qui garantit à chacune la défense de ses intérêts individuels dans le cadre d’une communauté large et susceptible de peser de façon significative, donc d’apporter un surcroît de force à l’ensemble. Enfin, Bolé amène des parties ou des entités différentes, concurrentes et antagonistes à se rapprocher pour une cause commune devant justement exorciser les facteurs de conflits potentiels par la définition d’objectifs, d’ambitions ou de projets communs. Le panafricanisme comme idéologie et projet politique visant à la libération et à l’unification du continent africain s’inscrit donc dans ces différentes perspectives.

    Cet ouvrage se promet d’étudier le projet d’édification du panafricanisme en Afrique dans une perspective d’histoire politique et intellectuelle. Il s’intéresse ainsi à étudier les objectifs, les enjeux, mais aussi les limites du discours intégrationniste qui structure le projet panafricaniste dans l’Afrique postcoloniale. En tant qu’idéologie et projet politique porteur du sursaut africain, ce discours vise à donner un sens au projet qu’il porte en procédant à des emprunts par «mimétisme» aux militantismes américain et caribéen d’origine.

    Le transfert, ou du moins la captation de l’idéal panafricaniste en Afrique, s’opère au fil des voyages transatlantiques aussi bien de Noirs américains que d’intellectuels africains en quête d’un ressourcement ou de la «toison d’or». Ainsi, lorsque les uns s’attellent à assurer une jonction avec «l’Afrique mère» par le développement de liens politiques, les autres s’attachent davantage à parfaire leur conscience panafricaniste par des lectures et l’observation de la réalité sociopolitique des pays visités dans le cadre de leurs pérégrinations.

    La surveillance méticuleuse des idéaux panafricanistes dans les colonies africaines, notamment dans l’entre-deux-guerres, traduit entre autres choses la volonté des autorités coloniales d’entraver les effets d’une pensée et d’une idéologie susceptibles de nourrir le nationalisme local et par conséquent la remise en cause de l’ordre colonial. Soulignons que les «pères de la nation» africaine qui reprennent «le flambeau» panafricaniste, par le mot d’ordre de l’unification et de l’intégration, sont à la fois des hommes politiques et des intellectuels dont le message panafricain, nationaliste de surcroît, se présente comme incontournable dans la résolution des difficultés d’une Afrique en quête de reconstruction, de développement et de reconnaissance.

    La prééminence de l’idée de l’Afrique des États-nations sur celle du projet des États-Unis d’Afrique est par ailleurs symptomatique des antagonismes idéologiques, mais aussi des divergences politiques de fond entre les «pères de la nation». Ainsi, à l’instar des leaders américains comme Marcus Garvey et Du Bois qui eurent des débats tranchés sur la nature du projet intégrationniste à bâtir, les chefs d’État africains se divisèrent sur la question de l’unité à construire.

    Il convient donc d’évaluer les racines du mouvement panafricain dans les Amériques et les modalités de son transfert vers l’Afrique. De même, nous porterons une attention particulière aux paradigmes et aux enjeux historico-politico-économiques, identitaires et mémoriels qui le sous-tendent. Incontournable également sera l’étude des raisons et des conséquences des clivages qui ont conduit à la primauté de l’unité minimaliste symbolisée par la réaffirmation des frontières héritées du colonialisme dans le cadre des États-nations, au détriment du projet de construction des «États-Unis d’Afrique». Nous ne prétendons pas aborder les expressions culturelles du panafricanisme, encore moins l’expérience de chacune des parties du continent par rapport à celui-ci. De même, nous n’aborderons pas l’histoire des nombreuses organisations sous-régionales africaines qui ont vu le jour depuis les indépendances4.

    En fait, bien que celles-ci expriment une volonté de solidarité et d’union entre des États géographiquement et culturellement proches, ce n’est pas en leur sein que s’est élaboré le projet d’une entité politique africaine unifiée, objet de la présente étude. Aussi, notre propos mettra davantage l’accent sur l’Afrique francophone et à un degré moindre sur l’Afrique britannique qui constituent deux entités incontournables pour qui veut saisir l’idée d’intégration et son évolution dans l’Afrique contemporaine.

    On sait aussi que ces deux Afrique forment la majorité des États indépendants, et la grande majorité des pays membres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Leur poids fut de surcroît de premier ordre dans les affaires africaines, mais aussi dans les débats sur le contenu et la nature politique et institutionnelle de l’intégration à construire. Cette étude accorde enfin une importance particulière au renouveau de la pensée panafricaniste dans le continent africain durant les années 2000.

    Il ne s’agit pas ici d’établir un bilan des réalisations à caractère économique, politique et social sur la base de chiffres de performance ou encore moins de présumer des chances de succès ou d’échec des objectifs et des orientations du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique) ou de l’Agenda 2063. Nous nous proposons plutôt de comprendre en quoi le renouveau du projet de construction panafricaniste compris dans le vocable de «renaissance africaine» qui émerge au début des années 2000 est imputable à plusieurs facteurs majeurs. Dans un premier temps, il serait symptomatique du malaise qu’occasionne le constat d’un déficit de gouvernance. Dans un second, il s’apparenterait de surcroît, à une tentative de réponse à l’instabilité politique qui frappe encore plusieurs pays africains.

    La logique de mondialisation qui semble s’accélérer tout en s’accentuant et dans laquelle l’Afrique risquerait d’être marginalisée incite également à renforcer les cadres de la solidarité interafricaine afin de surmonter le lancinant problème du sous-développement économique. On peut ainsi percevoir le lancement du NEPAD et la mise sur pied de l’Agenda 2063 comme les nouvelles expressions de la volonté panafricaniste et intégrationniste des États africains. Pour l’historien, il est évidemment bien trop tôt pour évaluer les avancées, les réussites et les limites de ces nouvelles initiatives panafricaines. Notre étude se limitera donc à discuter de la nature des objectifs fixés et des moyens et des stratégies mis en œuvre afin d’atteindre ceux-ci. Nous ne ferons toutefois pas l’économie d’exposer le scepticisme et les critiques que suscitent le NEPAD et l’Agenda 2063.

    Cet ouvrage structuré autour de six chapitres s’appuie notamment sur un riche corpus de sources (autobiographies et ouvrages-programmes des hérauts américains et africains de l’idéologie panafricaniste, historiographie ancienne liée à l’intégration africaine, archives du ministère français des Colonies sur la surveillance des idéaux jugés subversifs, chansons populaires africaines, etc.).

    Il s’inscrit aussi dans une approche au carrefour de l’histoire intellectuelle et politique, tout en s’appuyant sur des notions et concepts essentiels tels que la «gouvernementalité», les paradigmes identitaires et mémoriels dont les enjeux et les fonctions se situent au cœur de l’idéologie et du projet de construction panafricanistes. Les études consacrées au panafricanisme et à l’intégration africaine se cantonnent généralement à des synthèses et à des descriptions de l’histoire globale du panafricanisme ou alors à l’étude d’enjeux particuliers tels que les raisons de l’échec de l’unification intégrale ou encore le bilan de l’OUA.

    Or, une analyse fine, approfondie et complexe de l’idéal panafricain comme construction intellectuelle et projet politique dans l’Afrique postcoloniale impose une approche centrée sur la prise en compte de la dialectique intime qui lie le passé traumatique (marqué par l’esclavage et le colonialisme), le présent (d’une Afrique divisée et en butte à de nouvelles formes de domination) et l’avenir (à bâtir pour l’intégration, gage de puissance et de survie). La convocation des notions, des concepts et des paradigmes déjà cités se justifierait donc.

    L’étude du projet d’unification amène bien évidemment à se questionner sur sa genèse, ses origines, mais aussi sur les itinéraires intellectuels de ses principaux promoteurs et pères fondateurs américains et caribéens. Il est aussi important d’évaluer le poids des dynamiques esclavagistes et colonialistes dans l’avènement et la structuration de l’idée d’unité et d’intégration africaine. En effet, aux sources de la conscience panafricaniste qui naît dans les Caraïbes, aux États-Unis, puis en Afrique se trouvent d’abord la mise en esclavage, la dépossession et les représentations négatives du Noir et de ses valeurs de civilisation propres5.

    De plus, la domination coloniale qui prend le relais du phénomène esclavagiste à la fin du XIXe siècle constitue un moment important en ce sens que sous couvert de «mission civilisatrice», les puissances occupantes inventent ou établissent un découpage arbitraire (frontières) en fonction de leurs intérêts et de leur rapport de force dans le cadre du «Scramble for Africa». Elles inventent de surcroît un nouveau rapport à l’Africain qui, en perdant sa souveraineté, se voit désormais affublé du statut d’indigène, dont le riche sous-sol est exploité pour les bénéfices des métropoles européennes.

    Il est donc essentiel de saisir le poids des chocs que furent pour l’Afrique l’esclavage et l’impérialisme colonial et les usages mémoriels qui en seront faits par les thuriféraires du panafricanisme afin de susciter le sursaut des Noirs et de justifier ainsi l’édification d’une solidarité en vue de l’émancipation, puis de l’intégration du continent. Le panafricanisme comme projet politique visant particulièrement à la libération et à l’intégration a justement suscité une abondante littérature provenant d’acteurs de divers horizons: intellectuels, hommes politiques, journalistes, diplomates, politologues et juristes aux perspectives et aux objectifs forts variés.

    Ces productions intellectuelles ou combattantes et engagées sont bien évidemment fonction des contextes historiques, des enjeux et des défis fondamentaux auxquels les États et les sociétés africains doivent faire face, en particulier depuis les années 1940. Il sera donc intéressant d’observer, par le prisme de l’historiographie, les débats et les positionnements que suscitent la question de la libération de l’Afrique du colonialisme et les formes et les modalités de l’intégration à construire, ainsi que l’enjeu de la gestion des frontières par l’OUA. L’accent sera aussi mis sur les nouvelles «prises de parole» et les réflexions suscitées par l’avènement du troisième millénaire ainsi que sur les ajustements jugés indispensables à la construction du panafricanisme à l’aune du paradigme de la «renaissance africaine».

    La structuration de l’idéologie panafricaniste parmi ses «pères fondateurs», de même que ses canaux et ses mécanismes de diffusion de l’Amérique vers l’Afrique occuperont aussi une place importante dans notre réflexion.

    Toutefois, l’adoption et la diffusion des idéaux émancipateurs et libérateurs vers l’Afrique, assurées par certaines figures noires afro-américaines et africaines (Garvey, Du Bois, Azikiwe, Nkrumah, Padmore) ne vont pas sans susciter une grande inquiétude chez les puissances coloniales telles que l’Angleterre et surtout la France. Ces dernières, particulièrement déterminées à endiguer les influences du «pan-négrisme» ou du «garveyisme», mobilisent des mécanismes de surveillance et de répression qui mènent notamment à l’arrestation de militants panafricains et à de multiples saisies de journaux jugés subversifs. Notre étude se bornera ici à étudier le cas fort intéressant de l’attitude des autorités coloniales de l’AOF (Afrique-Occidentale française) devant l’activisme de militants panafricanistes dans les territoires sous leur gouverne.

    En dépit de cette logique de surveillance et de répression, la pensée panafricaniste exerce une influence importante sur le nationalisme africain qui s’affirme encore davantage dans les années d’après-guerre et qui mène d’ailleurs aux décolonisations des années 1950 et 1960. Par ailleurs, on ne pourrait passer outre la permanence, mais aussi les mutations qui accompagnent l’acclimatation et le déploiement du panafricanisme comme projet politique visant à concrétiser l’unification de l’Afrique au lendemain de sa libération de la domination coloniale européenne.

    Il se structure dès la deuxième moitié des années 1950 avec l’indépendance du Ghana (ancienne Gold Coast) et l’avènement de Nkrumah comme son principal avocat, et s’inscrit dans une perspective nationaliste et afrocentriste de construction identitaire fondée sur l’édification d’une «communauté imaginée» ou de «traditions inventées», conformément aux théories avancées respectivement par Hobsbawm et Ranger6 et par Benedict Anderson7.

    L’idée d’unification africaine s’inscrit dans le mouvement nationaliste qui suscite et accompagne les décolonisations «en tant qu’expérience d’émergence et de soulèvement8» et la phase de gestion des indépendances qui s’ouvre à l’orée des années 1960. Comprendre les soubassements idéologiques, politiques, économiques, identitaires et psychologiques du panafricanisme et du projet d’intégration revient à saisir ses héritages d’outre-Atlantique, mais également son contexte spécifique d’élaboration et de maturation.

    Si le panafricanisme est tout d’abord le fruit de l’activisme d’intellectuels noirs d’outre-Atlantique déterminés à promouvoir leurs communautés, il devient par la suite une arme de libération d’une Afrique dominée et spoliée, tout en servant de substrat à sa «régénération» par l’unification et l’intégration; il s’oppose ainsi aux principes appelant à «conquérir pour assujettir» et à «diviser pour mieux régner» qui ont sous-tendu la définition des frontières contemporaines africaines entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

    Il faut d’entrée de jeu affirmer que le projet de construction panafricaine se pose comme une construction identitaire simultanément «victimaire9», idéaliste et pragmatique. L’une des premières préoccupations des plus fervents partisans du panafricanisme radical fut de produire un corpus intellectuel, politique et culturel pouvant donner un sens à leur projet. Dans cette perspective, la convocation ou du moins les références à l’histoire ancienne, aux valeurs de civilisations propres aux Noirs et aux expériences traumatiques des siècles d’esclavage et de colonialisme constituent le substrat de l’invention d’une identité et d’une mémoire communes devant susciter et légitimer une communauté de destin10.

    D’autant plus qu’il fallait prendre le contre-pied d’une vision eurocentrique de l’histoire qui reléguait l’Afrique à un «continent sans passé ni valeurs propres». On comprend dès lors la teneur afrocentriste du récit du passé africain élaboré par les tenants de l’unification. L’évocation de l’ancienneté, de l’antériorité et de l’originalité des civilisations négro-africaines sert à montrer la parenté et l’unicité des langues et des cultures, mais aussi à asseoir la nécessité, la légitimité et la validité de la dynamique intégrationniste. Cette lecture afrocentriste de l’histoire et l’approche réaliste qu’elle prône sont ainsi sous-tendues par des lignes directrices censées reformuler le passé africain, déchiffrer son présent, donner un sens et donner corps à un avenir qui s’articulerait autour d’une communauté unie et d’une identité collective susceptibles de redonner à l’Afrique une place significative dans le concert mondial11.

    La fabrique politique et intellectuelle de l’unification qui atteint son paroxysme dans les années 1960 s’inspire en outre fortement du modèle d’organisation des grands ensembles fédéraux tels que les États-Unis d’Amérique et l’URSS, mais aussi à un degré moindre le Canada et l’Australie12. Les modalités socio-politico-économiques qui auraient présidé à l’édification de ces superpuissances de même que leur prééminence sur la scène mondiale montrent l’originalité de leur modèle. À la lumière du parcours des deux supergrands, d’aucuns ont appelé au rejet des États-nations et des frontières héritées du colonialisme tout en soulignant les gages de puissance que donnerait la création d’un État continental africain13.

    Or, alors que la majorité des chefs d’État africains comptent sur l’appui de l’Occident pour assurer leur développement économique, une minorité de leaders politiques et d’intellectuels – partisans du panafricanisme radical – estiment, à la lumière des réalités économiques de la seconde moitié du XXe siècle, que seuls les grands ensembles territoriaux, disposant de ressources naturelles variées et d’une population dense, sont viables.

    Ils offriraient ainsi des atouts considérables dans l’optique de l’industrialisation et de la mise en valeur systématique de leurs zones de spécialisation14. Autrement dit, la construction des «États-Unis d’Afrique» sur la base d’une organisation institutionnelle de type fédéral et continental, d’une mutualisation de la production de l’électricité et d’une industrialisation planifiée de zones géographiques spécifiquement choisies devait permettre à l’Afrique de bâtir son développement économique et d’assurer ainsi sa pleine souveraineté.

    En fait, si l’écrasante majorité des «pères des indépendances» est persuadée de la

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