Rien de tel qu’un champ de bataille pour faire réfléchir. Impressionnés par l’ardeur suicidaire des rebelles jacobites écossais à Culloden, en 1746, leurs vainqueurs anglais imaginent de mettre cette furie guerrière au service de la couronne (voir encadré p. 58). Dans l’esprit rationnel des Lumières qui s’installe alors en Angleterre, les supposées qualités des highlanders sont associées à leur infériorité culturelle. Ces hommes sont considérés comme des barbares dont les dispositions pour la guerre, liées à leur genre de vie, seraient innées. Ainsi se construit précocement un lien entre une façon de combattre et un degré de civilisation.
Le raisonnement fait son chemin au XIXe siècle. Militaires et anthropologues distinguent alors fondamentalement guerriers et soldats: les premiers sont des primitifs pour lesquels la guerre est une fin en soi, les seconds sont organisés, disciplinés et commandés pour remplir des missions précises. Dans le monde colonial, on retrouve cette approche, la guerre étant souvent la première forme de contact entre les Européens et les populations qu’ils cherchent à soumettre. Ces stéréotypes précèdent le discours à prétention scientifique qui se développe dans la seconde moitié du siècle lorsque l’anthropologie devient une science à part entière, classant les groupes humains sur une échelle hiérarchique, dominée par les Blancs occidentaux, et les ordonnant selon leurs aptitudes supposées.
Des choix fondés sur le racisme
C’est en Inde que s’élabore la théorie des « races guerrières », notamment grâce à Lord Roberts, commandant en chef de 1885 à 1893. Dans la première moitié du XIX siècle, les Britanniques se sont tournés vers les castes les plus élevées: Rajputs et brahmanes fournissent le gros des armées locales. La révolte des cipayes () en 1857 provoque une rupture: la réforme de l’armée des Indes conduit à s’appuyer sur les groupes qui sont restés fidèles, comme les Sikhs du Penjab et ». Les populations ainsi étiquetées ont aussi leurs propres motivations: l’armée coloniale leur offre une paie régulière, de la nourriture et la possibilité de socialement progresser.