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Migrations et gouvernance en Afrique et ailleurs
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Livre électronique409 pages4 heures

Migrations et gouvernance en Afrique et ailleurs

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À propos de ce livre électronique

Phénomène ancien et objet de controverses dès les années 1970, la migration a surtout été appréhendée sous l’angle des flux Sud-Nord. Au cours de la décennie 2010-2020, la situation créée par les flux de « réfugiés syriens» a été particulièrement médiatisée. Elle a été présentée pour l’essentiel sous l’angle de la menace existentielle qu’elle est supposée représenter pour les sociétés d’accueil, que ce soit pour leur l’identité, leur sécurité, leur marché du travail ou leur système de protection sociale. Or, cette lecture est réductrice à plus d’un titre, car les migrations se présentent comme des configurations complexes et multiples dans l’espace et dans le temps. En effet, elles sont aussi influencées par des contextes internes, des innovations sociales et des contextes régionaux et internationaux.

Migration et gouvernance en Afrique et ailleurs innove en adoptant une approche transnationale orientée vers les processus de mobilité, les interconnections entre les lieux de circulation ainsi que les changements induits de part et d’autre. En choisissant par ailleurs de mettre l’accent sur les aspects politiques de la migration, les auteurs du présent ouvrage mettent en lumière, dans une perspective comparée, ses ressorts et ses formes, ses modes de gouvernance institutionnelle ainsi que le vécu des migrants. Ce livre s’adresse aux spécialistes des questions migratoires tout comme aux étudiants, aux praticiens et aux décideurs politiques.

Samadia Sadouni est maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon et membre du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206). Spécialisée en sociologie politique de l’international, elle travaille sur les migrations internationales, le transnationalisme religieux, le rôle des acteurs religieux dans les relations internationales et notamment dans l’action climatique.

Mamoudou Gazibo est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université de Montréal. Il est spécialisé en politique comparée et ses recherches portent notamment sur la démocratisation, la gouvernance, le développement et la coopération internationale.

Avec la collaboration de Jean-Roger Abessolo Nguema, Olga V. Alexeeva, Sylvie Bredeloup, Alistair Cole, Mamadou Dimé, Mamoudou Gazibo, Olivia Legrip-Randriambelo, Lorena Núñez Carrasco, Rim Otmani, Samadia Sadouni.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université du Québec
Date de sortie23 sept. 2020
ISBN9782760554009
Migrations et gouvernance en Afrique et ailleurs
Auteur

Samadia Sadouni

Samadia Sadouni est maîtresse de conférences à Sciences Po Lyon et membre du laboratoire TRIANGLE (UMR 5206). Spécialisée en sociologie politique de l’international, elle travaille sur les migrations internationales, le transnationalisme religieux, le rôle des acteurs religieux dans les relations internationales et notamment dans l’action climatique. Muslims in Southern Africa. Johannesburg’s Somali Diaspora est le dernier ouvrage qu’elle a publié.

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    Aperçu du livre

    Migrations et gouvernance en Afrique et ailleurs - Samadia Sadouni

    INTRODUCTION¹

    Samadia Sadouni et Mamoudou Gazibo

    Phénomène ancien et objet de controverses dès les années 1970, la migration du Sud vers le Nord a connu de nouveau une médiatisation politique intense en Europe au cours de la décennie 2010-2020 en raison des flux de «réfugiés syriens». Cette expression englobe une catégorie complexe de migrants venus d’horizons divers, bien que composée en grande partie de personnes fuyant la guerre en Syrie.

    La «crise des migrants» a été présentée pour l’essentiel sous l’angle de la menace existentielle qu’elle est censée représenter pour les sociétés d’accueil, que ce soit pour leur identité, leur sécurité, leur marché du travail ou leur système de protection sociale. Or, cette lecture est réductrice à plus d’un titre. D’abord, la frontière entre pays en développement et pays riches du Nord n’est plus aussi tranchée en raison de l’émergence de certains pays du Sud, tels que la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, qui deviennent de nouvelles destinations pour les migrations internes et internationales (Castles et Miller, 1993; Wihtol de Wenden, 2013). A posteriori, il est clair que son ampleur a été largement exagérée en raison des idées préconçues exprimées dans les médias du Nord comme du Sud. Ainsi, alors qu’au plus fort de la «crise», en 2015, on a enregistré dans l’espace Schengen environ un million d’entrées de personnes venant d’Afrique du Nord, des Balkans et de Syrie (Fargues, 2016), et que les États-Unis enregistraient un peu moins de la moitié de ce nombre, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) montrait que le Bangladesh accueillait plus de 700 000 réfugiés rohingyas fuyant la violence au Myanmar et la Tanzanie, et un peu moins de 200 000 réfugiés burundais fuyant les milices proches du régime en place dans leur pays². Enfin, cette lecture mettant l’accent essentiellement sur les préoccupations du Nord, comme le terrorisme ou la défense de l’identité nationale, occulte les dimensions multiples que comporte cette question. Elle est d’abord essentiellement une question politique puisque la migration trouve souvent son explication dans le contexte politique des pays de départ et est cadrée différemment selon la conjoncture, les enjeux politiques et les politiques publiques migratoires dans les pays d’accueil.

    Aborder la question migratoire en tenant compte de ce qui précède ouvre plusieurs possibilités aux plans théorique, méthodologique et empirique. Au plan théorique d’abord, les contributions réunies dans cet ouvrage ont pris le parti d’aborder la question sous l’angle de la gouvernance, qui est non seulement transversale au Nord comme au Sud, en ce sens qu’elle explique largement la migration, mais qui est aussi un output des phénomènes migratoires qui l’influencent en retour. Ensuite, sur le plan de la démarche et des objets, une telle approche permet de combiner plusieurs perspectives méthodologiques, dont trois en particulier. Elle permet des études de cas portant à la fois sur un pays, une organisation ou une aire géographique particulière telle que l’Afrique; d’adopter une perspective transnationale et connectée (Portes, 1999; Tarrius, 2002; Pliez, 2004; Bertrand, 2007; Sadouni, 2019); ou encore une approche comparative (Flahaux et De Haas, 2016; Gazibo, 2018), des perspectives toutes susceptibles de nous apporter des clés de compréhension des nouvelles formes de mobilité et de leur lien avec la gouvernance par le haut ou par le bas. Sur ce dernier point, l’évolution dans le temps des formes de migration nous amène à ne plus considérer celle-ci sous ses seules manifestations politiques médiatisées en Occident. Les migrations se présentent comme des configurations complexes et multiples dans l’espace mais aussi dans le temps, puisqu’elles sont également influencées par des contextes internes, des innovations sociales et des contextes régionaux et internationaux. En ce sens, une approche transnationale est adéquate, car elle implique de connaître les processus de mobilité, les interconnexions entre les lieux de circulation, en même temps que les changements induits de part et d’autre.

    VERS DE NOUVELLES DÉFINITIONS DU MIGRANT

    La définition du migrant ne fait pas consensus et varie selon les auteurs, les organisations internationales et les époques. En sciences sociales, il n’existe donc pas de définition intangible et immuable de la migration en raison de contextes historiques, géopolitiques, sociaux, économiques et politiques variés; du fait que les trajectoires migratoires et d’immigration peuvent aussi être différentes chez un même individu et du fait que les profils – migrant volontaire ou forcé – peuvent se recouper dans le parcours de migration d’un individu (Aleinikoff et Klusmeyer, 2000). Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), devenue depuis 2016 une organisation affiliée aux Nations unies, le migrant est un «terme générique non défini dans le droit international qui, reflétant l’usage commun, désigne toute personne qui quitte son lieu de résidence habituelle pour s’établir à titre temporaire ou permanent et pour diverses raisons, soit dans une autre région à l’intérieur d’un même pays, soit dans un autre pays, franchissant ainsi une frontière internationale³». La migration peut renvoyer notamment à la catégorie des déplacés internes qui fuient en raison de conflits, de désertification de leurs territoires ou de catastrophes naturelles. Ces déplacés internes sont dorénavant pris en compte dans l’action des organisations internationales humanitaires telles que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

    Les réfugiés et les demandeurs d’asile font aussi partie intégrante des statistiques des Nations unies portant sur la migration internationale et le «gouvernement humanitaire» (Agier, 2008). Cette question des réfugiés a été au cœur de ce que beaucoup ont appelé la crise migratoire en Europe en raison du flux de réfugiés syriens fuyant un conflit militaire qui a provoqué des changements politiques majeurs dans la région du Moyen-Orient. L’image de la migration relayée par les médias rappelle ainsi à un public du Nord l’étendue de la pauvreté, du désœuvrement et des conflits dans les pays en développement, au détriment de la compréhension de la nature multiforme de la migration. Il ne s’agit pas ici de procéder à une définition particulière ou une comptabilité des flux migratoires en termes de proportions dans le temps et d’un continent à l’autre ou d’une aire culturelle/géographique à l’autre. Il convient de rappeler, dans l’analyse dite des nouvelles migrations (Koser et Lutz, 1998), combien l’analyse du contexte, circonscrit par le chercheur, demeure essentielle à la compréhension du caractère multidimensionnel de la migration. Cette complexité et cette plasticité dans les circulations migratoires ont été prises en compte par l’ensemble des contributeurs qui traitent aussi tous d’un ou de plusieurs aspects de la gouvernance telle que définie précédemment, notamment les crises politiques, les arrangements internationaux, les politiques publiques locales ou encore les dispositifs légaux et l’État de droit.

    MIGRATION ET GOUVERNANCE

    En quoi l’entrée par la gouvernance choisie dans cet ouvrage est-elle heuristique? Il convient d’abord de dire ici que, comme la définition du migrant, celle de la gouvernance est également extrêmement large et objet de controverses. D’une part, elle est l’un des concepts les plus débattus et les plus transversaux d’un point de vue disciplinaire (Levi-Faur, 2014; Kjaer, 2014). Concept initialement proposé au début des années 1970 par le diplomate et universitaire américain Harlan Cleveland pour exprimer la nécessité d’introduire des arrangements horizontaux et non pas seulement verticaux en administration publique (Hyden, 2016), il a ensuite connu une application dans de nombreuses autres disciplines comme les relations internationales, la politique comparée ou encore la sociologie. Il a acquis un contenu vaste allant des arrangements institutionnels du gouvernement au fonctionnement des régimes internationaux, à la manière dont le pouvoir est exercé et ainsi de suite.

    D’autre part, le concept de gouvernance est intimement lié à des préoccupations pratiques puisqu’il est le leitmotiv des travaux de nombreux think tanks internationaux et donne lieu à la production d’index comparatifs, tels le Worldwide Governance Indicators (WGI) financé notamment par la Banque mondiale ou le Ibrahim Index of African Governance (IIAG), du nom du philanthrope soudano-britannique Mo Ibrahim. Chaque institution va de ses indicateurs et de sa définition. Ainsi, pour le WGI «la gouvernance se compose des traditions et des institutions par lesquelles l’autorité d’un pays est exercée. Cela comprend le processus par lequel les gouvernements sont sélectionnés, contrôlés et remplacés; la capacité du gouvernement à formuler et à mettre en œuvre efficacement des politiques judicieuses; et le respect des citoyens et de l’État pour les institutions qui régissent les interactions économiques et sociales entre eux⁴». Six composantes ont été déterminées: voix et responsabilité, stabilité politique et absence de violence, efficacité du gouvernement, qualité réglementaire, règle de loi, contrôle de la corruption. Quant à l’IIAG, il comporte quatre composantes: sécurité et État de droit, participation et droits de la personne, développement économique durable et développement humain. Chacune de ces composantes est divisée en indicateurs comme la sécurité nationale ou la sûreté personnelle pour la dimension 1; la gestion publique pour la dimension 3 ou encore l’éducation et les droits sociaux pour la dimension 4.

    Dans le cas de l’Afrique en particulier, il est intéressant de noter que c’est un rapport de la Banque mondiale (1989) qui introduit véritablement le concept de gouvernance dans le débat en réponse à la crise africaine de la fin des années 1980, marquée par la banqueroute des économies et l’épuisement des régimes autoritaires postindépendances. Selon la Banque, la crise africaine était une crise de gouvernance, entendue non seulement au sens de la gestion des biens publics, mais aussi des dispositifs institutionnels et du régime des droits dont le caractère autoritaire et peu transparent empêche le succès de toute politique économique. En ce sens, la gouvernance a été largement confondue avec la bonne gouvernance, elle-même étant généralement vue comme démocratique.

    On voit clairement en quoi ce concept est important pour parler de la migration. Celle-ci s’explique souvent par le besoin de s’extirper d’un pays en crise de gouvernance. Mais on voit aussi que, selon les dispositifs régionaux ou le régime des droits de l’État d’accueil, le parcours des personnes migrantes peut en être grandement affecté.

    Au cours de ces quatre dernières années, et plus particulièrement avec l’adoption de l’Agenda 2030 (les objectifs de développement durable), suivie de l’Accord de Paris sur le climat et, enfin, du Pacte de Marrakech (ou Pacte mondial sur les migrations), la migration est devenue un bien commun. Si la souveraineté des États a toujours été au centre des négociations multilatérales relatives à la migration, les États sont instamment invités depuis le début des années 2000 à considérer la gouvernance mondiale (Kennedy et al., 2002) avec un nouveau regard et la migration dans ses aspects juridiques et positifs en termes d’apports sociaux et économiques pour les États d’origine et de destination (Badie et al., 2008). Pour autant, d’immenses défis demeurent en matière migratoire lorsqu’on oriente l’analyse dans une perspective plus micro, mais aussi plus comparée et plus globale. C’est pourquoi plusieurs contributions ne portent pas spécifiquement sur l’Afrique, mais permettent d’appréhender certains aspects de la migration dans une perspective globale.

    SORTIR DES LIEUX COMMUNS ET COMPRENDRE LES RESSORTS ET LES FORMES DE LA MIGRATION

    Cet ouvrage collectif a ainsi pour premier objectif de proposer des travaux rompant avec une analyse des migrations restée dans les figures classiques particulièrement tournées vers les préoccupations politiques européennes qui, bien souvent, renvoient à la question controversée de l’intégration du migrant attaché à sa culture d’ailleurs. Il convient de revisiter cette tendance en rompant avec les lieux communs sur la question migratoire, en centrant le débat sur ce qui se passe dans les sociétés de départ comme l’invite l’approche transnationale des migrations. En ce sens, Sylvie Bredeloup nous rappelle que les migrations en Afrique sont avant tout des mobilités internes au continent et que les circulations migratoires sont influencées par les capacités des individus et groupes à tenter l’aventure selon les contraintes et, pourrait-on dire, de l’environnement régional de la gouvernance. Le voyage crée ainsi les conditions d’émergence de nouvelles configurations migratoires et de nouvelles sources d’imagination pour les individus et leurs familles, y compris pour ceux qui ne s’engagent pas dans une mobilité. La société sénégalaise traverse également des mutations sociales avec le retour de ses citoyens. Mamadou Dimé analyse différentes catégories de migrants sénégalais, qui reviennent le plus souvent pour des raisons économiques et culturelles et dont les parcours demeurent très peu étudiés en raison d’un manque d’études statistiques les concernant, mais il étudie aussi le cas de ceux qui ont la possibilité de faire des allers-retours réguliers pour des raisons religieuses ou économiques notamment. Il montre ainsi que les migrations représentent un potentiel de développement (Black, Crush et Peberdy, 2006). En revanche, la situation en Algérie qu’étudie Rim Otmani montre à quel point les jeunes migrants sont amenés à fuir au risque de leur vie la crise de gouvernance que connaît le pays depuis la fin des années 1990 et qui s’est périodiquement réactivée dans les années 2010 avec les révoltes dans le monde arabe, et à partir de 2019 avec le mouvement citoyen revendiquant un changement de régime. La migration ne se comprend ici que par le processus de déclassement social généré par une gouvernance autoritaire qui prive les citoyens, notamment les plus jeunes de la société, de leurs droits politiques et sociaux.

    LA GOUVERNANCE INSTITUTIONNELLE DES MIGRATIONS

    Les mouvements migratoires africains et internes au continent (Bakewell et De Haas, 2007; Mercandalli et Losch, 2018) représentent, de nos jours, les nouveaux défis en termes d’innovations sociales et d’intégration pour les États africains. Or la plupart d’entre eux n’ont pas la capacité ou la volonté de prendre des mesures dans la mise en place de politiques publiques visant la gestion de la diversité culturelle, linguistique et religieuse sur leur territoire national ou des politiques de solidarité (Giugni et Passy, 2001). Le constat est par ailleurs le même pour d’autres États en Europe et en Asie, par exemple. Ainsi, pour montrer que la gouvernance est un aspect transversal aux migrations et pas seulement en contexte du Sud, Alistair Cole nous rappelle combien l’État reste un acteur central dans le processus de régionalisation de la migration en Europe, car «les migrations renforcent les pouvoirs des États, même si cela dépend de leur capacité à gérer des problèmes complexes». Reconnaissant la porosité des frontières et l’interdépendance entre l’Europe et les États voisins, il montre que les migrations appellent à reformuler la gouvernance, aussi bien à travers des politiques supranationales d’européanisation que des politiques infranationales, à travers la décentralisation, révélant ainsi des tendances que l’on peut observer ailleurs. En ce sens, il montre une tendance internationale qui est relayée par Jean-Roger Abessolo Nguema. Ce dernier révèle, à travers son étude sur la construction régionale de la gouvernance des migrations en Afrique centrale, les évolutions de cette construction et les obstacles qui se posent à elle en raison entre autres du principe de la souveraineté nationale qui fait que les États membres prennent des libertés avec les exigences communautaires afin de préserver leurs marges de manœuvre dans la gestion des flux. Pour sa part, Olga V. Alexeeva considère que l’intégration des Africains dans le sud de la Chine est de plus en plus menacée par des réglementations radicales de la République Populaire de Chine au sujet de leur entrée sur le territoire et la durée de leur séjour. L’isolement dont font l’objet la majorité d’entre eux dans les villes globalisées de Guangzhou et Yiwu, le racisme dont ils sont victimes, influencent la nature de leurs interactions sociales et économiques avec la société chinoise et les intermédiaires de l’État.

    ÊTRE MIGRANT AU QUOTIDIEN ET GOUVERNANCE DES DROITS DES MIGRANTS

    Nous avons délibérément choisi de montrer ce que signifie être migrant dans la vie quotidienne, ainsi que la façon dont la gouvernance des migrations fonctionne et la diversité qu’elles impliquent dans les sociétés d’accueil. L’entrée choisie est celle par les expressions culturelle, religieuse et genrée dans les parcours de migration et d’intégration à la société d’accueil (Carpenter, 2003; Vásquez et DeWind, 2014; Saunders et al., 2016). Les contributions montrent que ceux et celles en mobilité interne ou internationale attendent avant tout que l’État de destination ou l’État de départ gère leur diversité et les systèmes de solidarité sociale que les migrants ont commencé à mettre en place en partenariat avec des organisations communautaires, des organisations non gouvernementales (ONG), des organisations internationales ou encore l’État lui-même. Ainsi, après s’être attachée à analyser les modes d’intégration des Indiens en Afrique du Sud à travers leur appartenance à l’islam et leurs relations transnationales incarnées par des prédicateurs itinérants, Samadia Sadouni nous donne à voir les changements dans les processus d’intégration qu’offre la nouvelle Afrique du Sud démocratique pour la quatrième et la cinquième génération de Sud-Africains-Indiens (South African Indians) investies dans la construction nationale. Olivia Legrip-Randriambelo s’intéresse aux flux religieux (catholiques et protestants) dont sont porteurs les migrants malgaches et les prêtres entre la France et Madagascar, et la manière dont ces derniers s’organisent pour être «là-bas et là», conformément aux postulats de l’analyse transnationale. Elle montre aussi que la gestion des migrations est ce qu’on en fait, car dans ce cas, la cohabitation est plutôt harmonieuse; l’Église protestante malgache de l’étranger, en tant que membre de la Fédération protestante de France (FPF), partage des activités et parfois des locaux avec d’autres Églises protestantes et peut s’adonner à des rituels malgaches sans entraves. C’est une situation différente que montre le texte de Lorena Núñez Carrasco, qui analyse le quotidien des femmes enceintes migrantes avec une approche comparative entre l’Afrique du Sud et le Chili. Elle révèle ainsi les paradoxes qui existent dans ces deux pays nouvellement démocratiques en ce qui a trait au domaine de la santé; les femmes migrantes et enceintes sont les premières victimes de la xénophobie qui domine le secteur de la santé en dépit des politiques publiques qui devraient leur être favorables.

    Les différentes contributions nous rappellent que les migrations sont influencées par les contextes politique et géopolitique, qu’elles ont des conséquences politiques et économiques et qu’elles sont gérées différemment selon les États concernés. Des approches renouvelées de la question migratoire et l’étude de cas négligés jusque-là s’imposent donc. En effet, d’une part, on remarque la complexification des enjeux économiques, politiques et de sécurité qui s’attachent à chaque forme de migration dans le temps et l’espace. D’autre part, il y a une imbrication entre ces formes de mobilité, aussi bien en ce qui concerne leur nature que leur déploiement. Celles-ci ne doivent pas seulement être centrées sur une aire géographique particulière, mais prendre en compte, dans une perspective de décentrement, l’interconnexion des formes et des contextes.

    BIBLIOGRAPHIE

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    1.Cet ouvrage collectif est issu du projet universitaire «Climat, migration, gouvernance (sécurité)», soutenu par la région Auvergne-Rhône-Alpes.

    2.; , consulté le 20 décembre 2019.

    3., consulté le 9 juin 2020.

    4., consulté le 18 décembre 2019.

    CHAPITRE 1

    LES MOBILITÉS À L’INTÉRIEUR DU CONTINENT AFRICAIN OU LA FACE CACHÉE DES MIGRATIONS AFRICAINES

    Sylvie Bredeloup

    À coups de photos et de messages-chocs martelés depuis des décennies, les médias entendent nous convaincre que tous les Africains rêvent de vivre en Occident et qu’ils n’auraient de cesse de risquer leur vie pour y parvenir, en dépit des barrières et frontières croissantes érigées sur leur

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