Les Défis de la gouvernance multi-niveaux: Exemples du Canada et de la Suisse
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Jean-François Savard
Détenteur d’un doctorat (Ph.D.) en science politique de l’Université Carleton (Ottawa, Canada), Jean-François Savard est professeur agrégé à l’ENAP (École nationale d’administration publique, Université du Québec) depuis 2006, où il y enseigne les enjeux relatifs aux relations entre l’administration publique et les gouvernements autochtones, la conception, la mise en œuvre et l’analyse des politiques publiques. Ses travaux de recherche portent sur les questions de politiques autochtones, le concept de cohérence des politiques publiques, les politiques des jeux de hasard et les questions liées au fédéralisme et à la gouvernance multiniveaux. Avant de se joindre à l’ENAP, le professeur Savard a travaillé à titre d’analyste principal des politiques à la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits (DGSPNI) de Santé Canada.
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Les Défis de la gouvernance multi-niveaux - Jean-François Savard
soulèvent.
La gouvernance locale
Réformes de répartition des tâches cantons-communes en Suisse
Des tâches à la carte pour les communes?
Caroline Jacot-Descombes
1. Introduction
Dans tout système fédéraliste, la répartition verticale des tâches entre les autorités publiques évolue et soulève des enjeux essentiellement politiques et économiques. L’émergence de nouveaux besoins à satisfaire[1] et la pression économique exercée sur les autorités publiques poussent ces dernières à redéfinir la gestion de l’action publique en vue d’une plus grande efficacité. Ceci implique, comme dans toute organisation, une répartition des tâches et des compétences appropriée à la complexité de la tâche à effectuer et aux capacités financières et organisationnelles des acteurs qui doivent en assumer la responsabilité.
Le système fédéraliste suisse étant formé de trois niveaux, dont la Confédération, les 26 cantons qui disposent d’une certaine souveraineté puisque chaque canton est doté de sa propre Constitution ainsi que de 2551 communes munies également d’une certaine autonomie (Office fédéral de la statistique, 2011), la répartition des tâches est par définition complexe. Constitutionnellement, les cantons disposent de l’ensemble des compétences excepté celles qu’ils ont transmises au cours de l’histoire de la Suisse moderne à la Confédération. Quant aux communes, elles sont dotées d’une autonomie qu’elles exercent dans les limites du droit cantonal et fédéral et qui est garantie par la Constitution fédérale (SR/CH 101, art. 50, al.1). En fait, leur autonomie est surtout rendue possible, car les communes disposent de moyens financiers conséquents[2] grâce aux impôts locaux qu’elles lèvent. En règle générale, dans le cadre légal, les communes ont les mêmes compétences dans un même canton, ce qui signifie qu’elles doivent assumer les mêmes tâches quel que soit leur nombre d’habitants. Elles doivent remplir au moins deux types de tâches: d’une part, elles sont des agents de mise en œuvre pour une autorité publique (en général le canton, mais aussi la Confédération voire d’autres communes) et peuvent être en contrepartie financées pour les tâches effectuées, d’autre part, elles mènent des politiques publiques qu’elles ont définies elles-mêmes. Ces domaines de compétences sont appelés compétences résiduelles, car en vertu du principe de subsidiarité, les communes ont le droit de les exercer seulement si aucun cadre légal supérieur ne les a conférées aux autorités supérieures (cantons – Confédération).
Pour remplir leurs tâches, les communes ont déployé des solutions diverses bien qu’elles rencontrent toujours des difficultés (Steiner et Ladner, 2006). Ces solutions sont de deux types: d’une part, elles mènent des collaborations horizontales notamment en formant des associations intercommunales, d’autre part, elles coopèrent avec les instances supérieures (le canton et/ou la Confédération) et délèguent des tâches à des entités subventionnées, voire font des partenariats public-privés. La coopération avec le canton ou la Confédération est couramment pratiquée en Suisse. Elle lie souvent les trois niveaux entre eux et participe à l’enchevêtrement des tâches puisque chaque autorité publique assume une ou plusieurs responsabilités en termes d’exécution, de décision, d’organisation et de finances. Le recours de plus en plus courant à cette intégration verticale a amené les acteurs politico-administratifs à affirmer depuis plusieurs décennies que le fédéralisme fiscal ne pouvait plus être appliqué correctement et qu’il était tout à fait nécessaire de réformer le système afin de le rendre moins complexe, plus transparent et plus efficace.
Les tentatives de réformes ont été nombreuses par les cantons, de même qu’entre la Confédération et les cantons, soldés souvent par des échecs entre 1950 et 1990 (Serdült et Schenkel, 2007; Lehmbruch, 1977; Buschor et al., 1984). Suite à la crise économique des années 1990, les autorités publiques des trois échelons du système suisse ont été au centre de réformes Confédération–cantons et cantons–communes qui ont débouché sur des modifications constitutionnelles et légales au niveau fédéral et cantonal. Nous pouvons retenir en particulier la plus grande réforme effectuée à l’époque moderne, la RPT[3], lancée en 1992, qui a abouti entre les cantons et la Confédération et s’est concrétisée par l’introduction d’articles dans la nouvelle constitution fédérale de 1999. Ces articles indiquent précisément la répartition des tâches entre les cantons et la Confédération et en distinguent deux types: les tâches séparées et les tâches conjointes. Au niveau local (canton-communes), la plupart des cantons sont parvenus à revoir la répartition des tâches avec leurs communes depuis vingt ans, pour quelques cantons dans des domaines très restreints, pour d’autres dans de nombreux domaines parmi plusieurs politiques publiques.
Les réformes de nouvelles répartitions des tâches ont été lancées notamment pour désenchevêtrer les tâches, car les acteurs politico-administratifs ont constaté une telle complexité du système qu’elle conduisait à péjorer l’efficacité et l’efficience des politiques publiques. Les règles et les normes auxquelles se référent les acteurs politico-administratifs pour allouer les tâches sont issues principalement de la théorie économique du fédéralisme fiscal et de principes politiques ancrés dans le cadre constitutionnel suisse tels que les principes de subsidiarité, d’autonomie communale, d’efficacité et d’efficience ainsi que d’équivalence fiscale. Une particularité de ces réformes est qu’elles sont en général guidées par la règle «qui paie, décide», dérivée du fédéralisme fiscal, que l’on appellera dans cette contribution principe d’équivalence simplifié[4]. Ancré dans la Constitution fédérale[5], ce principe a de facto une légitimité forte. Il vise à regrouper sur un seul niveau les compétences décisionnelles et financières liées à une tâche. Son application peut conduire à deux options dans le cadre des réformes cantons-communes: la centralisation des tâches ou leur décentralisation[6]. Cette dernière option oblige les acteurs politiques à se questionner sur la capacité organisationnelle des communes, souvent faible, à assumer seules une tâche et aux répercussions qu’une décentralisation d’un domaine peut engendrer notamment sur l’effectivité ou la qualité de la prestation à fournir.
Dans ce contexte, la question suivante se pose. Comment le principe «qui paie, décide» a-t-il été appliqué si l’on considère qu’une deuxième règle importante régit les réformes, à savoir le respect du principe de subsidiarité[7]? Ce dernier est également inscrit dans la Constitution fédérale (Cst./CH, art. 5a, 1999) comme le principe à respecter lors de la répartition des tâches. Si le principe «qui paie, décide» relève d’une logique économique, le principe de subsidiarité est quant à lui utilisé sur un plan politique par le canton à l’attention des communes comme devant promouvoir l’autonomie communale. Si les promesses énoncées au lancement des réformes ont été tenues, c’est-à-dire le respect du «qui paie, décide» pour des raisons économiques et de la promotion de l’autonomie communale pour des raisons politiques, les réformes devraient conduire à la décentralisation politique et financière d’un certain nombre de tâches. Or, au vu de la situation communale en Suisse, de la grande disparité qui existe entre les communes en termes de tailles[8] et de structures administratives, il semble peu concevable que les réformes cantons-communes aient abouti à une décentralisation de nombreux domaines.
Puisque les communes sont caractérisées par leur diversité (tailles en nombre d’habitants, niveau d’organisation), il est nécessaire de s’interroger sur le traitement effectué par les cantons de leur capacité, qui varie beaucoup en fonction du type de communes considéré (ville, commune rurale, commune appartenant à une région intercommunale, etc.). Si les réformes se basent entre autres sur l’évaluation de la capacité des communes à assumer des tâches, le canton a dû considérer les villes ou encore les régions bien dotées en ressources administratives comme des entités à même de gérer certaines tâches et, inversement, il a dû considérer inaptes les communes dotées de ressources administratives restreintes ayant des difficultés à s’organiser avec d’autres communes et ne présentant pas de garantie suffisante au canton en terme de mise en œuvre des tâches. La deuxième question que cette contribution souhaite alors soulever est la suivante: comment la diversité communale est-elle appréhendée durant les réformes et quelles sont les solutions proposées pour la gérer? L’hypothèse principale est que la capacité restreinte de la majorité des communes implique une tendance à la centralisation des tâches vers les cantons, avec une exception dans certains domaines pour les communes à forte capacité[9] (villes ou «régions[10]») qui bénéficieraient d’un statut particulier.
Afin de discuter ces deux questions et cette hypothèse, un recensement des transferts de tâches et compétences a été effectué dans le cadre de 13 réformes cantonales menées ces dix dernières années, permettant d’établir un recensement des tâches centralisées, décentralisées ou partagées entre les niveaux cantonal et communal. Les analyses menées sur cette base de données ont été ensuite comparées avec une enquête[11] menée auprès des communes suisses en automne 2009 qui se sont exprimées sur l’application du principe d’équivalence et sur leur capacité à assumer leurs tâches. Finalement, pour esquisser des premières réponses sur la question de la gestion de la diversité des communes dans le cadre des réformes, l’exemple du domaine de la police, et en particulier de proximité, permettra de comparer quelles dispositions ont été prises à l’égard des communes à forte et faible capacité dans plusieurs cantons.
2. Les théories de répartition des tâches dans un système fédéraliste
Comme dans tout processus de décision politique, les réformes de répartition des tâches sont régies par un certain nombre de logiques que les protagonistes défendent et qui reposent sur des règles instituées (cadre constitutionnel et légal, règlement, cadre et lignes directrices politiques et administratifs des réformes, etc.) (Ostrom, Gardner, et Walker, 1994). Deux logiques sont omniprésentes dans le système politique suisse: le fédéralisme coopératif et le fédéralisme fiscal.
Le fédéralisme coopératif trouve ses sources dans les écrits d’un certain nombre de philosophes de la pensée allemande (Althusius, Leibniz, Frantz, Hegel) et française (Proudhon, Tocqueville) qui considèrent que l’action publique doit suivre des principes d’équité. Cette approche considère que les individus forment des groupes qui ne peuvent être limités à l’agrégation simple d’individus, car ces derniers développent des préférences en fonction de leur construction historique, sociale et culturelle et qu’ils ne peuvent pas être limités à des consommateurs individuels qui pourraient se déplacer en fonction de leurs intérêts individuels. Cette approche rejette l’homo œconomicus du fédéralisme fiscal et prône des mécanismes de coopération entre les autorités publiques tant au niveau financier qu’au niveau de la mise en œuvre des tâches.
En Suisse, le fédéralisme coopératif est très présent dans les relations verticales et horizontales. Au niveau vertical, les relations de coopération Confédération - cantons sont fréquentes du fait que l’État fédéral ne dispose pas d’une administration importante et ce partage du travail se traduit par le concept de «fédéralisme d’exécution»[12] (Kriesi, 1995). Ainsi, parallèlement au fédéralisme dual (fédéralisme fiscal) pratiqué par la Confédération et les cantons qui consiste à attribuer des tâches exclusives à l’un des niveaux, un grand nombre de tâches a aussi été attribué aux deux niveaux selon la répartition suivante: les deux financent, la Confédération établit le cadre normatif et les cantons mettent en œuvre avec une certaine marge de manœuvre. Ainsi, «le fédéralisme d’exécution est le résultat de l’enchevêtrement des tâches entre niveaux étatiques, qui s’est développé en Suisse comme dans d’autres systèmes fédéraux dans la période d’après-guerre avec l’avènement du rôle accru joué par le pouvoir central dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la protection de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’aide sociale.» (Wälti, 2003). Ce modèle est aussi présent entre les cantons et les communes, il se traduit par une séparation des fonctions où le canton fixe le cadre normatif d’une politique publique et les communes, voire également le canton, mettent en œuvre les tâches avec une marge de manœuvre leur permettant d’adapter la mise en œuvre aux préférences locales. Contrairement à la Confédération qui ne participe pas à la mise en œuvre, les cantons peuvent donc aussi être des agents de mise en œuvre, ainsi dans certains domaines les deux niveaux sont responsables de tâches dans un même domaine. Cette situation nécessite une coordination renforcée afin de pouvoir mener une politique cohérente et efficace, et surtout éviter les doublons ou les déficits de mise en œuvre. Le fédéralisme coopératif est soutenu comme étant une théorie appliquée permettant de traiter un problème de politique publique en mobilisant tous les acteurs concernés quel que soit l’espace institutionnel. Il permet donc une grande flexibilité dans la création de nouveaux espaces décisionnels, de financement et de mise en œuvre en adéquation avec les espaces fonctionnels. Les critiques du fédéralisme coopératif sont nombreuses. Pour ne citer que les plus importantes, il s’agit principalement des problèmes liés aux déficits de mise en œuvre (Balthasar et al., 1995; Linder, 2005; Knœpfel et al., 1997).
La deuxième logique principalement étudiée dans cette recherche[13] est celle qui découle du fédéralisme fiscal, qui repose sur le principe d’équivalence et prône la décentralisation. Un survol de ce courant économique nous permettra de saisir le contexte théorique duquel découle la règle du «qui paie, décide», principe directeur des réformes.
L’école de pensée du fédéralisme fiscal a proposé une théorie visant à définir le fonctionnement et les conditions sous-jacentes d’un système optimal de répartition verticale des tâches dans une fédération. L’application du principe d’équivalence fiscale est centrale: les économistes[14] proposent de répartir les tâches sur un seul niveau et d’éviter qu’une tâche soit assumée par plusieurs niveaux,