Le fonctionnement réel de l'administration publique au XXIe siècle: Exemples de la Suisse et du Canada
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Le fonctionnement réel de l'administration publique au XXIe siècle - Jean-Patrick Villeneuve
doctorants.
Thématiques
suisses
LA PROBLÉMATIQUE
DES DÉPUTÉS-SUPPLÉANTS
Le cas valaisan
Renaud VUIGNIER,
Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP),
Lausanne
1. LA PROBLÉMATIQUE DES DÉPUTÉS SUPPLÉANTS
Le Parlement est un organe essentiel du système démocratique ; il rassemble les représentants du peuple. Pour assurer la continuité du travail parlementaire, et parfois pour améliorer sa qualité, un système de remplacement des élus empêchés a été mis en place dans certains pays. Il s’agit de la suppléance. Selon le Grand Robert de la langue française, suppléer signifie « se mettre ou être mis à la place de… pour remplacer (ce qui manque) ou renforcer (ce qui est insuffisant) », remplir les fonctions de quelqu’un.
D’emblée, il s’agit de faire une distinction entre deux formes de suppléance à la députation. D’une part, il y a des suppléants¹ ou remplaçants qui siègent à la place du député si le mandat de celui-ci est stoppé de manière définitive, par exemple pour cause de décès ou à la suite d’une démission, ou pour une certaine durée, par exemple pour cause de nomination au gouvernement. D’autre part, il existe des suppléants ou députés-suppléants qui remplacent les députés dès que ceux-ci sont empêchés, sur le court terme et de manière non définitive. Le suppléant travaille ainsi en parallèle avec le député et assure que la place du député soit constamment occupée, lors des sessions plénières ou lors des séances de commissions.
La première forme de suppléance se retrouve dans plusieurs pays européens. Elle permet un remplacement rapide, voire immédiat, par des suppléants déjà élus pour assurer la continuité du travail parlementaire et éviter d’avoir recours à des élections partielles. Le rôle de ce type de suppléants est clairement secondaire par rapport à celui des députés et n’est pas objet de débat². C’est pourquoi la seconde forme de suppléance, plus singulière, nous intéresse davantage dans ce travail. Elle permet aux suppléants de remplacer les députés sans que leurs mandats soient interrompus ; elle se retrouve dans quatre cantons suisses. Le fait qu’un système parlementaire possède de tels suppléants répond à des besoins pratiques tout en posant simultanément diverses questions concernant le rôle du suppléant par rapport au député, et son mode d’élection ou de nomination. En effet, diverses interrogations sont ouvertes, en termes de légitimité démocratique (peut-on donner autant de compétences à un suppléant qu’à un député ?), de représentation (les suppléants ont-ils un rôle particulier de représentation ?), mais aussi d’ordre organisationnel (répartition de la charge de travail entre les députés et les suppléants, y a-t-il déresponsabilisation ?), pédagogique (apprentissage du suppléant) et politique (les suppléants représentent-ils un vivier pour les partis ?). Ces questions sont à adapter aux cas concrètement étudiés.
En Europe, la Suisse a la particularité de posséder des parlements de milice, dans la mesure où la majorité de parlementaires – tant à l’échelon fédéral que dans les cantons – exercent une activité professionnelle parallèlement à leur mandat parlementaire³. Dans ce contexte, quatre cantons connaissent la présence de députés-suppléants. Ce travail se focalise sur le cas du Valais, qui a la particularité, dans le paysage des cantons suisses et contrairement aux trois autres cantons, de posséder le même nombre de suppléants que de députés au sein de son Parlement, nommé Grand Conseil. Il cherche à expliquer cette singularité du cas valaisan en posant deux questions : Qu’est-ce qui explique l’instauration des députés-suppléants en Valais ? Comment les députés et les députés-suppléants actuels perçoivent-ils le système de suppléance ?
La littérature sur le sujet est limitée et peu d’analyses du système parlementaire valaisan sont disponibles. Cependant, au regard des différents textes et études sur l’histoire de la démocratie en Valais (voir bibliographie), nous pouvons dresser une hypothèse par question : des arguments rationnels justifient la présence de suppléants dès la mise en place d’un Parlement en Valais (hypothèse 1) ; le système de suppléance est valorisé et perçu comme utile (hypothèse 2).
1.1. Méthodologie
Tout d’abord, avant de tester nos hypothèses, il semble pertinent de faire un tour d’horizon de la situation concernant la suppléance en Europe et en Suisse. Ensuite, le travail comprendra deux parties de recherche visant à vérifier nos hypothèses : une partie historique et une partie sur la façon dont les élus actuels perçoivent le système de suppléance.
La partie historique propose de revenir aux sources avec les procès-verbaux du Parlement pour découvrir les débats des élus de l’époque à propos des suppléants. Les recherches s’appuient sur les premiers Protocoles du Grand Conseil valaisan en version manuscrite et sur les Bulletins des séances du Grand Conseil valaisan.
La partie sur la perception du système de suppléance possède comme source des entretiens informels. Des avis d’acteurs concernés ont été recueillis. Des élus, députés et suppléants au Grand Conseil valaisan, ont été interrogés en septembre 2010 lors d’un stage au service parlementaire, de manière informelle pendant la session parlementaire (plénum) et lors de séances de commissions. Pour assurer une certaine représentativité, des membres jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, francophones et germanophones, de tous les partis politiques et des différentes régions ont été approchés. Il ne s’agit pas d’une recherche exhaustive, le but étant uniquement de faire ressortir les grandes lignes du débat en cours et de montrer comment le système de suppléance est vécu et perçu.
2. LA FONCTION DE SUPPLÉANCE EN EUROPE
Peu de régimes parlementaires européens connaissent le statut de suppléant⁴. Dans ces pays, la suppléance correspond à la première forme de suppléance évoquée ci-dessus. Il s’agit d’un remplacement des députés en cas de vacance, d’absence pour une certaine durée. Les suppléants siègent ainsi à la place du député dont le mandat prend fin, et non en parallèle. Ce système est peu utilisé et existe essentiellement pour faire respecter la règle capitale d’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et le mandat parlementaire, et vise à réduire le nombre d’élections partielles, éléments importants pour une conception républicaine de l’État et dans un système qui voit la nomination de ministres qui peuvent être issus du parlement (Jaillardon, 1976, p. 105).
Plus précisément, en France, le statut de suppléant existe pour l’Assemblée nationale. Quatre possibilités permettent au suppléant élu de remplacer le député : le décès, l’acceptation de fonctions gouvernementales, d’une nomination comme membre du Conseil constitutionnel ou la prolongation au-delà de six mois d’une mission temporaire conférée par le gouvernement. Sauf la démission du titulaire, tous les autres cas donnent lieu au remplacement par le suppléant. La démission du parlementaire est ainsi le seul événement conduisant à l’élection partielle (Lexique de l’Assemblée nationale française ; Jaillardon, 1976, p. 105). En termes de représentation féminine, il est intéressant de noter que depuis 2008, en France, une loi a institué des suppléants aux élections cantonales et a imposé que le titulaire du mandat et son suppléant soient de sexe opposé (Nunès, 2011).
Différents régimes parlementaires possèdent également des suppléants, s’inspirant du modèle français, notamment au Tchad où la suppléance est opérante « en cas de vacance par décès, par démission ou toute autre cause d’empêchement définitif » du député titulaire (Djounfoune, 2007).
Première assemblée européenne dans l’histoire du continent, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui regroupe des représentants des pays membres, en principe des élus parlementaires, prévoit également, outre un système de remplacement pour assurer une présence en séance de commission, le statut de suppléant. Chaque pays se voit attribué un nombre de représentants, qui correspond au nombre de voix qu’il peut exprimer, et un nombre égal de suppléants. Les pays peuvent ensuite s’organiser, en conformité avec le règlement qui leur laisse une certaine liberté, notamment pour effectuer une rotation entre représentants et suppléants⁵. Les suppléants peuvent être nommés membres d’une commission au même titre que les représentants et lorsqu’ils ont signé le registre de présence, ils disposent dans l’Assemblée des mêmes droits et sont soumis aux mêmes obligations qu’un représentant pour la durée de cette séance ( Règlement de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , articles 42.5 et 11.4).
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe possède donc des suppléants qui travaillent simultanément avec les représentants. Cependant, cette assemblée ne peut être comparée à un réel parlement, dans la mesure où ses membres sont des représentants des pays qui n’ont pas été élus directement pour remplir cette fonction. Ainsi, les systèmes sur lesquels nous nous penchons maintenant, permettant à un suppléant de siéger sans que le mandat du député prenne fin, semblent faire figure d’exception en Europe⁶.
3. LA FONCTION DE SUPPLÉANCE EN SUISSE
Dans le paysage politique suisse, le statut de suppléant à la députation existe dans quatre parlements cantonaux⁷. Seuls les cantons des Grisons, du Jura, de Neuchâtel et du Valais possèdent un système parlementaire qui permet un remplacement pour le travail quotidien du parlement par des députés-suppléants qui exercent leurs fonctions sans mettre fin aux mandats des députés⁸. Chaque système cantonal a ses particularités. Les différents systèmes témoignent de réalités et contextes locaux différents. Pour ce qui est des similitudes, dans les quatre cantons, les suppléants ont les mêmes droits et obligations, ils reçoivent la même documentation et les mêmes indemnités, ils se voient privés de l’accès à certaines commissions et à certaines fonctions (comme la présidence d’une commission), le remplacement n’est pas soumis à des conditions d’absence particulières et le but principal est de siéger au complet.
Le canton du Valais (VS) possède 130 députés et 130 députés-suppléants. C’est le seul canton dans lequel le nombre de suppléants égale le nombre de députés.
Le canton des Grisons (GR) compte 120 députés et 109 députéssuppléants. Ce nombre peut légèrement changer, mais est relativement stable. La Constitution stipule que c’est la loi qui règle le système de suppléance⁹. Chaque cercle élit autant de suppléants que de députés, mais au maximum dix¹⁰. Il existe 39 cercles.
Le canton du Jura (JU) compte 60 députés et une trentaine de suppléants. Lors de la dernière législature, ils étaient 28. De manière générale, le nombre fluctue entre 26 et 30. La loi stipule que « la liste qui obtient un ou deux sièges a droit à un suppléant. Celle qui obtient de trois à six sièges a droit à deux suppléants. Celle qui obtient de sept à dix sièges a droit à trois suppléants. Celle qui obtient plus de dix sièges a droit à quatre suppléants » (art. 49, al. 1, Loi cantonale sur les droits politiques).
Le canton de Neuchâtel (NE) possède 115 députés et 32 députés-suppléants. La Constitution laisse la possibilité à la loi d’« organiser une suppléance en vue du remplacement des membres empêchés » (art. 52, al. 3, Constitution de la République et Canton de Neuchâtel). Celle-ci déclare que « la liste qui obtient six sièges au plus a droit à un ou une député-e suppléant-e ». « Celle qui obtient plus de six sièges a droit à deux député-e-s suppléant-e-s » (art. 63b, al. 1 et 2, Loi cantonale sur les droits politiques).
Un tableau contenant les particularités de chacun des quatre cantons suisses qui possèdent des députés-suppléants est présenté dans l’annexe de ce chapitre. Une différence importante réside dans le fait que dans les cantons de Neuchâtel et du Jura, les députés et suppléants sont choisis à partir de la même liste. Les suppléants sont les premiers « viennent-ensuite¹¹ » et ne bénéficient donc pas de la même légitimité démocratique dans la mesure où ils ne sont pas des élus proprement dits. En effet, par définition, les viennent-ensuite sont les candidats qui n’ont pas été élus. Ils figurent sur la liste à la suite des élus, triés par ordre décroissant selon leurs résultats. Deux autres différences sont à mettre en évidence dans les Grisons : l’interdiction de siéger aux commissions permanentes et la possibilité pour le plénum de s’opposer à un remplacement. De plus, il revient au président du cercle de désigner le suppléant appelé à siéger.
Il est intéressant de noter que l’opportunité d’instaurer ou non un système de suppléance est discutée dans certains cantons. En mars 2010, la Constituante genevoise a demandé un avis de droit sur les suppléants¹². Dans ce canton, comme dans de nombreux autres, le statut de suppléant