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De l'insulte...aux femmes: Un essai linguistique sur les insultes faites aux femmes
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De l'insulte...aux femmes: Un essai linguistique sur les insultes faites aux femmes
Livre électronique207 pages2 heures

De l'insulte...aux femmes: Un essai linguistique sur les insultes faites aux femmes

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À propos de ce livre électronique

Forte de son expertise linguistique, l'auteure analyse des dizaines d’insultes de la vie quotidienne et apporte un éclairage nouveau sur leur impact dans la société et vis-à-vis des femmes.

Bienvenue dans l’arène du langage ! Nourrie par une foule d’exemples historiques et contemporains, la réflexion de Laurence Rosier nous emmène dans l’univers des insultes, des insulteur.e.s et des insulté.e.s avec Raymonde la syndicaliste, George l’écrivaine, Nabilla, la star de la téléréalité, Christiane la ministre mais aussi Colette, Marguerite Duras, Audre Lorde, Margareth Thatcher, Laurette Onkelinx, Myriam Leroy, Christine Angot, Brigitte Macron, les femen, les gameuses... La violence verbale sera passée au crible de l’analyse à travers le genre, les archétypes, les lieux, les règles explicites et implicites de l’injure en société et sur la toile.
En filigrane, on lira l’histoire de la « pisseuse » : le sobriquet reçu avant la naissance pour déjà (dé)classer la future petite fille...

Un ouvrage au cœur de l’actualité qui explore les rapports entre la langue, le pouvoir, la violence et les femmes.

EXTRAIT

À quoi réduit-on la pisseuse ? Outre que l’urine est au centre d’autres mots négatifs comme pisse-vinaigre, pisse-froid, ou expressions vulgaires comme je te pisse à la raie, le terme rejoint une manière d’appeler les enfants par leurs excrétions : chiard, merdeux, morveux… Ceux-ci se déclinent cependant au féminin
alors que pisseuse a emporté avec lui un sens dérivé péjoratif par rapport à son homologue masculin (le pisseur est seulement celui qui pisse) jusqu’à avoir le sens de pleurnicheuse (encore des sécrétions !) et d’emmerdeuse.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1967, Laurence Rosier est professeure de linguistique, d’analyse du discours et de didactique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Elle est l’auteure et co-auteure d’ouvrages sur la langue française, la citation, la ponctuation, l’insulte, et est commissaire de l’exposition « Salope et autres noms d’oiselles » (Bruxelles et Paris).
LangueFrançais
Date de sortie14 déc. 2017
ISBN9782930427904
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    Aperçu du livre

    De l'insulte...aux femmes - Laurence Rosier

    ami.e.s

    PROLOGUE

    Au commencement étaient la pisseuse et la chieuse…

    À Margaux

    Une amie, enceinte pour la troisième fois, me dit, étonnée : c’est une fille et les réactions des gens sont incroyables. On me dit : « ah tu vas avoir une pisseuse » ; comme elle se présente en siège, on me charrie : « ah ce sera une chieuse… rien de tel, poursuit-elle, avec mes deux garçons ! »

    Et elle n’est pas la seule : je trouve sur un blogue ce titre explicite et cette même évocation :

    J’attends une fille, pas une « pisseuse » !

    Je suis sur Facebook, comme beaucoup, et comme beaucoup je ne sais pas ce que j’y fais mais c’est un autre sujet.

    Hier, j’y ai annoncé que j’attendais bien une petite fille.

    Réaction d’un de mes contacts (un copain de la liste des municipales de l’an dernier) : « une piceuse ! » (sic, ce gros lourd ne sait même pas écrire ses insultes !)¹

    Il existe une expression populaire qui contient le verbe « pisser » pour dire « accoucher » : Pisser sa côtelette, des os, des enfants (pop., vx). Mais rien n’indique qu’elle ait été utilisée seulement pour les filles. Naître de sexe féminin, on le sait, est dans de nombreux pays un stigmate social pour la famille, voire une « malédiction » pour reprendre le titre du terrible documentaire sorti en 2006, La Malédiction de naître fille². Certes, les mots utilisés dans cette petite anecdote inaugurale relèvent sans doute moins d’une imprécation négative que d’une forme d’humour et même d’affection. Le dictionnaire de Richelet donnait au XVIIIe siècle la définition dérivée suivante de pisseuse : « mot burlesque pour dire fille ou femme (elle est accouchée d’une pisseuse) ». Lorsque le chanteur et écrivain Pierre Perret raconte sur un mode comique Les grandes pointures de l’histoire (2015), il parle des « lardons » et des « pisseuses » pour désigner les enfants de Louis XV.

    On notera aussi les connotations sexuelles et scatologiques, classiques dans les insultes usuelles, même si elles ne sont plus toujours perceptibles (enculé, PD, con, sale merde). Il est fort à parier que les personnes usant du terme pisseuse oublient la dimension pornographique de l’urolagnie ou de l’ondinisme (euphémisé sous le nom de douche dorée). Il y a superposition entre une marque d’affection et/ou d’humour et une marque dévalorisante inconsciente inscrite dans la signification initiale du mot, dans son registre très familier, voire argotique, et dans sa connotation sexuelle.

    Comme on le verra plus loin, puisque tout mot peut devenir selon le contexte une insulte, on peut aussi parier sur l’inverse : toute insulte pourrait, a fortiori dans une perspective dynamique, se décharger de son poids négatif pour devenir un mot neutre voire un mot tendre. Si pisseuse signifie le plus souvent « pleurnicheuse » ou « capricieuse », le terme s’adoucit volontiers en contexte, comme en témoigne ce petit extrait d’un forum de discussion intitulé « Que signifie pour vous le mot Pisseuse ? » :

    Mettre à jour : le prenez vous comme une insulte ?

    Mise à jour 2 : @Dragonne… c’est vraie que les avis son trés partager

    Meilleure réponse : Plus ou moins merdeuse… Je prend ça comme un therme vulgaire mais cela dit.. Affectueux… Ma belle-mère le dit t de ma fille… « Regardes moi là, cette pisseuse ! Elle est trop mignonne… »

    Mais on trouve sur le même fil de conversation :

    Bonjour

    C’est toujours péjoratif !

    D’une manière générale c’est une fille dérangeante.

    (…) chez nous une pisseuse c’est une ecoliere ou preado qui s la joue

    on dit c’est une pisseuse

    ou bien une gamine qui ne fait que pleurer

    ça depend

    La pisseuse réunirait donc des sens contradictoires : d’une part, ce serait celle qui sort du rang, qui contrarie le bon cours des choses ou encore une vantarde ; d’autre part, une pleurnicheuse. On peut aisément subsumer ces caractéristiques divergentes par un mot : l’emmerdeuse. Ce qui entraîne l’idée d’une certaine rouerie, les larmes pouvant être « de crocodile » car feintes, source de manipulation.

    De même, le mot chieuse : généralement usité comme la version vulgaire de l’emmerdeuse, ce trait peut aussi apparaître, comme un contre-stéréotype, attirant. Les hommes préfèrent les chieuses, par exemple, est un lieu commun fréquent et il est d’ailleurs très intéressant de voir qu’en anglais, le terme a pu passer par le lexème bitch dont la portée revendicatrice est forte, resémantisée positivement par son emploi dans les combats féministes³ :

    à propos de l’ouvrage :

    « Pourquoi les hommes adorent les chieuses » (why men love bitches)

    de Sherry Argov. Chez City / Hachette.

    Bon, donc il ne faut pas confondre une chieuse et une chiante. Une chieuse c’est juste une femme qui se respecte elle-même et se fait respecter. Et en fait elle n’est PAS chiante. Elle ne prend pas la tête, elle agit. Elle a du caractère- pas un sale caractère.

    Sherry Argov a traduit BITCH par Babe In Total Control of Herself (=nénette qui s’assume à donf).

    De Brassens⁴ qui la dédaigne à Gainsbourg qui l’encense sur le mode de la Lolita, la pisseuse ouvre déjà la porte aux imaginaires archétypaux : ce terme, utilisé pour désigner la future enfant, augure-t-il les mots à venir qui l’assigneront dans des rôles sociaux, culturels, psychologiques, moraux tout au long de sa vie ? De la pisseuse à la salope, de l’emmerdeuse à la mauvaise mère, de l’idiote à la bas bleu…


    1 L’orthographe des exemples issus de la toile a été conservée telle quelle dans l’ensemble de l’ouvrage.

    2 De Manon Loizeau et Alexis Marant en 2006 à propos des « missing women ». En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/10/11/la-malediction-de-naitre-fille_3490030_3246.html#tHUAOyGdDeukcfmS.99

    3 Bitch a un spectre sémantique très large superposant la salope, la chienne, la pute, la garce… Jusqu’à être devenu un slogan émancipateur chez les rappeuses américaines avec l’image de la Queen Bitch rumeurmag.com/blog/2015/07/19/les-bitches-dans-le-gangsta-rap/. Cette plasticité est beaucoup plus contrainte en français où la portée revendicatrice du terme salope par exemple se trouve toujours limitée par l’acception sexuelle négative. Madonna peut chanter comme un étendard I’m a bitch, mais on voit mal la réplique française : « je suis une salope » comme revendication politique, sauf contexte très particulier.

    4 Dans la chanson Saturne : la petite pisseuse d’en face Peut bien aller se rhabiller…

    En savoir plus sur http://www.paroles.net/georges-brassens/paroles-saturne#okeKcyuO1vV5PQJ2.99

    1

    LE PETIT THÉÂTRE DE L’INSULTE

    (…) Et là, dès qu’on se parle, on s’arrache. Chaque mot, c’est comme si on se crachait un morceau de viande, dégueulasse !

    (Xavier Durringer, Ball trap).

    Violence verbale : la notion de violence, vague, nécessite une approche interdisciplinaire et collective, sur l’ensemble de la circulation des discours sociaux, de la conversation de rue à la toile. Violence politique, violence médiatique, violence scolaire, violence à l’égard des minorités ethniques et sexuelles, violence sexiste, raciste, antisémite, islamophobe, violence numérique… La variation des champs qu’elle recouvre, de la condescendance à la haine, en passant par le mépris, va de pair avec la richesse des travaux scientifiques sur la question. Dans la masse des travaux, j’ai retenu cette définition préalable de la violence verbale :

    Une montée en tension contextualisée qui se décline à travers différentes étapes (incompréhension, négociation, évitement, renchérissement, renforcement…), marquée par des « déclencheurs de conflit » et par l’emploi d’une importante variété d’actes de langage (harcèlement, mépris, déni, insulte…)⁵.

    Dans ce premier chapitre, je vais présenter, en m’appuyant sur un grand nombre de recherches, les caractéristiques de la forme de violence que l’on nomme insulte (sachant que sous ce terme on rencontre l’injure, l’incivilité, le harcèlement, l’outrage, la diffamation, la calomnie…). Munie de ces conceptions, j’aborderai ensuite le terrain en privilégiant les cibles féminines. Pourquoi ?

    Ma fréquentation des réseaux sociaux m’a mise en contact, d’une part, avec des communautés féministes qui m’ont (re)sensibilisée à la question toujours actuelle du sexisme, par ailleurs renouvelée par les débats publics sur les droits homosexuels, le mariage pour tous, le rôle de la religion dans la conception du rôle de la femme… Ce sont ces mêmes réseaux sociaux qui m’ont révélé une violence verbale, parfois inouïe, dans les conversations menées sur des sujets socialement vifs, ou la stigmatisation ad personam sur un mode ludico-sarcastique, mais aussi la crudité, l’agressivité, la reconduction des stéréotypes les plus conservateurs, la virulence voire la fureur des statuts et des tweets. Je ne réduis pas les réseaux sociaux à cette dimension. Il y a une dimension amicale, sociable d’entraide et de solidarité, une mobilisation pour des combats citoyens que ne doit pas occulter la face noire que je viens d’évoquer. Mais c’est par cette face noire, qui apparaît aussi parmi les communautés que je côtoie, que j’ai décidé de m’interroger sur ces paroles brutales à l’égard des femmes politiques et publiques, pour lesquelles la toile m’offrait un « magnifique » corpus en actes. Et que je me suis demandé si on se permettait une certaine virulence verbale qui n’aurait pas son pendant masculin. Et partant de là, j’ai voulu pointer des cas concrets qui révélaient une dimension à la fois emblématique (des cas d’école), symptomatique et archétypale de la place de la parole féminine dans une société donnée. J’ai ainsi choisi des figures littéraires, imaginaires, ainsi que des figures médiatiques diverses qui m’ont semblé illustrer des comportements généraux d’insulteuses et d’insultées, dont on pouvait retrouver des traces et des exemples dans l’histoire et la culture.

    Le fil rouge de mon approche sera précisément ce rapport au langage, qui est toujours et encore une relation au pouvoir et à la légitimité d’une parole « violente » comme arme politique.

    Il reste qu’aujourd’hui encore « comme une fille » peut sonner déjà comme une stigmatisation, un déclassement : tout récemment, une marque de produits d’hygiène féminine a tourné un clip qui demandait à plusieurs personnes de courir comme une fille, marcher comme une fille, se battre comme une fille…qu’est-ce que cela donne ? Des stéréotypes de manières, de faiblesse, comme si elles avaient intériorisé le « pas de couille » (don’t be such a pussy).

    J’entends ainsi proposer mon expertise pour apporter des réponses concernant la banalisation des propos insultants, problème pour lequel je suis régulièrement consultée par différents organismes sociétaux, pour les aider à déterminer des seuils de tolérance de propos allant de la blague sexiste à la remarque misogyne ou homophobe, aux harcèlements racistes, en passant par les lieux communs. Le dispositif Mémoire/Contexte présenté dans ce chapitre, complété par le rapport aux normes sociales et sexuelles, permet, selon moi, d’avancer pour répondre à cette demande sociale.

    En bref, si un terme suscite une mémoire historiquement douloureuse dans un contexte polarisé en regard d’une norme à tendance proscriptive, il augmente sa capacité perlocutoire et son champ d’application (d’une personne à une communauté).

    L’insulte-interpellation

    L’insulte d’aujourd’hui, notamment telle qu’elle se pratique sur les réseaux sociaux, est à la fois interlocutive (adressée directement) et délocutive (sur le dos de la personne mais les réseaux étant largement publics, la personne a le plus souvent accès à ce qui a circulé sur elle), la violence se trouve donc augmentée car elle est « jouée » devant une scène aux auditeur.e.s innombrables. L’espace public extime (comme une intimité exposée), que représente la toile, amène à ranger un grand nombre de propos non directement adressés dans la catégorie de l’insulte perlocutoire qui touche et blesse sa cible, comme le montre le petit échange ci-dessous entre un internaute et la députée européenne socialiste Marie Arena :

    PVGDA : Comment se fait-il qu’elle soit toujours là ?

    Marie Arena Full : « Elle » je suppose que c’est moi ? alors la réponse est tout simplement parce que il y a des personnes qui ne croient pas ce que racontent certains « journaux » si on peut appeler ça comme ça et qu’il me font confiance dans le travail que je réalise au quotidien…(échanges FB)

    En situation de communication synchrone ou différée, l’insulte repose sur une interpellation. Au sens premier, interpeller c’est adresser brusquement la parole à quelqu’un. Selon le mot choisi pour attirer l’attention de la personne que l’on hèle, on va l’interpeller de façon identitaire et socialisée dans divers espaces publics ou privés (par exemple identité de genre, de profession en situation publique : Madame La Juge). L’interpellation identitaire a été théorisée par le philosophe marxiste Louis Althusser et symbolisée par l’énoncé : « Hep vous là-bas ! » (exemple donné par le philosophe comme « la plus banale opération policière ») et aussi par un énoncé comme « Tiens un nègre ! », magistralement étudié par l’auteur antillais Frantz Fanon dans un ouvrage de 1952 Peau noire Masques blancs. Chez le philosophe marxiste, l’interpellation est le fondement de l’idéologie, qui constitue l’individu en sujet : « l’idéologie n’est pas une certaine manière de se représenter la réalité, conditionnée historiquement, mais elle est une certaine manière d’être ou de faire être (…) l’attention est attirée sur le fait que l’opération idéologique de l’interpellation est commune, banale, ordinaire, autrement dit ne présente aucun caractère exceptionnel, ce qu’illustre le fait qu’elle a lieu « dans la rue ». Cela a pour conséquence, explique plus loin Althusser, qu’elle « ne rate pratiquement jamais son homme », et présente donc un caractère universel⁶. Le médecin philosophe raconte, lui, un épisode traumatique réellement vécu :

    « Tiens, un nègre ! », C’était un stimulus extérieur qui me chiquenaudait en passant. J’esquissai un sourire.

    « Tiens, un nègre ! » C’était vrai. Je m’amusai. « Tiens, un nègre ! » Le cercle peu à peu se resserrait. Je m’amusai ouvertement.

    « Maman, regarde le nègre, j’ai peur ! » Peur ! Peur ! Voilà qu’on se mettait à me craindre. Je voulus m’amuser jusqu’à m’étouffer, mais cela m’était devenu impossible (p. 115).

    Ici, la constitution en sujet passe par le regard posé sur l’altérité inéluctable et n’élève pas cet autre au statut d’interlocuteur, puisqu’on ne s’adresse pas à lui directement. On voit la manière dont, dans mon exemple, Marie Arena essaie de reprendre le statut d’interlocutrice en répondant directement à celui qui a parlé d’elle, de façon interpellante, sans pour autant l’interpeller directement.

    L’insulte-mémoire

    Le sens des mots est mouvant, dépendant du contexte et de la mémoire. Prenons le mot

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