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Métaphore du rapide
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Livre électronique223 pages3 heures

Métaphore du rapide

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À propos de ce livre électronique

En Australie du Nord, les membres d’une expédition de rafting sont confrontés à une descente de rapides difficile et dangereuse, transformant une simple aventure en un huis clos étouffant. Se heurtant alors à trois individus armés et menaçants, chacun se retrouve face à ses propres démons et la descente tourne au cauchemar. Luttant pour sauver leur vie, les coéquipiers vont devoir jouer le tout pour le tout. Une surprise de taille les attend. Elle va remettre en cause leurs convictions les plus profondes.
LangueFrançais
ÉditeurPublishroom
Date de sortie2 mai 2024
ISBN9782386251795
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    Aperçu du livre

    Métaphore du rapide - Jérôme Parisse

    1

    Nous faisions face à un ennemi sournois, la gorge serrée, le front dégoulinant et le cœur affolé, serrés les uns contre les autres sur un rocher plat et glissant surplombant le Mur de Berlin.

    Nous étions onze.

    Autour de nous, la jungle du Nord de l’Australie, épaisse, sombre et saturée de fougères arborescentes, répandait son odeur sucrée d’humus en décomposition. Nous ne le savions pas encore, mais ce satané destin nous attendait au tournant, et bientôt nous ne serions plus que neuf.

    Le Mur de Berlin en Australie ? J’ai toujours pensé que c’est l’incongruité de ce lieu, l’incompatibilité d’essence même entre ces deux noms, diamétralement opposés par leur géographie, leur histoire et leur signification même, qui nous portèrent malheur.

    On ne donne pas impunément le nom d’un endroit au passé aussi lourd que celui du Mur de Berlin sans encourir de risques majeurs…

    2

    Avec James, l’ami de toujours, nous avions immédiatement surnommé notre guide « le Che ».

    Sa barbe sombre, ses yeux noirs, son franc sourire et son autorité naturelle nous avaient tout de suite fait penser au Che Guevara, le fameux révolutionnaire marxiste d’Amérique latine, même si notre guide ne nous avait rien caché de ses origines anglaises et irlandaises. Il était né et avait grandi en Australie, à Melbourne, mais sa passion pour le sport et la vie au grand air l’avaient amené dans le Nord tropical, où il travaillait comme instructeur de plongée et guide de rafting. Douce ou de mer, l’eau était son royaume, et pour quelque temps, nous serions ses sujets.

    Le Che venait de nous surprendre en nous faisant signe de nous arrêter.

    –Tout le monde à terre !

    Phil, un brun plutôt petit mais costaud, originaire de Sydney, mâchoire carrée et sourcils épais, pensa faire de l’humour.

    –Je croyais qu’on était venu faire du rafting, pas de la marche ! dit-il avec un sourire niais. Je n’ai pas les chaussures adéquates…

    Il ne fit rire personne, et surtout pas le Che qui ne lui prêta pas la moindre attention.

    –Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je, surpris par le regard sombre qu’avait pris notre guide.

    –On est devant le Mur de Berlin.

    –Et alors ?

    –Et alors, vu que c’est un rapide de degré cinq et qu’il est tombé des trombes d’eau la semaine dernière, il doit frôler le degré six, me répondit-il d’un ton serein. On est donc obligés de s’arrêter pour regarder si on peut passer ou pas.

    Je me remémorai la leçon qu’il nous avait donnée quelques heures auparavant. Degré cinq : danger extrême, risque de blessure pour celui ou celle qui tombe à l’eau, et limite de la pratique commerciale du rafting. Degré six : danger de mort. Qu’on se le tienne pour dit.

    –Et si on ne peut pas passer ? demandai-je en frissonnant.

    –On met tout sur le dos et on descend à pied le long de la rivière.

    Je regardai les deux rafts orange amarrés à un rocher à l’abri des remous, à quelques mètres de notre perchoir, ainsi que tout l’attirail que nous transportions, et fus pris d’un sentiment religieux aussi inhabituel que pathétique : je priai pour que nous puissions passer en naviguant.

    Ce fut James qui bien sûr posa la question qui était sur les lèvres de chacun :

    –Pourquoi ce rapide s’appelle-t-il le Mur de Berlin ?

    –Tu vas tout de suite comprendre, lui répondit le Che, un léger sourire aux lèvres.

    J’aimais cela chez lui : ses répliques laconiques, cette absence de réponse à une question qui allait se résoudre d’elle-même, cette économie de mots qui en disait plus que de longues explications. Il me rappelait un de mes anciens professeurs de mathématiques au collège, un petit sec avec une barbiche grisonnante qui était aussi silencieux et énigmatique que notre guide. Sauf qu’en ce qui me concerne, les mathématiques ne se résolvaient jamais d’elles-mêmes.

    Je craignais cependant d’avoir compris ce à quoi notre guide faisait allusion. Je connaissais le Mur de Berlin pour avoir souvent séjourné en Allemagne et m’être rendu dans cette ville à plusieurs reprises avant la chute du Mur en 1989. Infranchissable et dangereux, voire même mortel pour quiconque avait l’audace de s’y attaquer, c’était comme cela que le Mur avait été construit. Je sentis mon estomac faire plusieurs nœuds sur lui-même.

    Le Che nous fit monter sur un rocher plat légèrement en retrait pour jauger la situation. C’est une des sacro-saintes règles du rafting : quand on se trouve face à des rapides trop dangereux ou qui n’inspirent pas confiance, ou si le moment est venu de faire le point, tout simplement, on met pied à terre, on essaie de lire la rivière, on regarde par où on peut passer, on scrute, on analyse, on réfléchit, on hésite, puis l’on décide de tenter l’aventure ou pas. Si le cœur n’y est pas, il ne reste plus qu’à porter les embarcations et tout l’attirail à dos d’homme le long de la berge, ce qui est lent et bien sûr extrêmement pénible, et donc à éviter autant que possible. Personne ne vient faire du rafting pour se retrouver à marcher, chargé comme un baudet, le long des berges impraticables d’une rivière trop capricieuse pour être chevauchée.

    À en juger par le silence de mort qui régnait au sein du groupe, notre analyse de la situation à tous convergeait.

    Dans notre dos, la jungle, humide, fermée, presque hostile. Devant nous, un mur d’eau d’au moins trois mètres de haut et dont je n’osais imaginer l’épaisseur, percé de rochers noirs aux pointes acérées. Le courant qui menait au mur était traître, émaillé d’obstacles qui en rendaient difficile l’abord en ligne droite. Au pied du mur, l’eau écumait tout en tournoyant sur elle-même, prête à emporter dans ses profondeurs quiconque aurait l’audace de survivre à la descente.

    J’avais autant envie de remonter sur le raft que de m’enfoncer un couteau dans le cœur – et encore, le couteau signifiait certainement une mort plus rapide. Le fouillis de la jungle venant lécher les bords de la rivière, il était clair qu’il nous faudrait des heures pour écarter la végétation et y tracer un chemin pour transporter canots et matériel, ne serait-ce que quelques mètres plus bas. Sans compter que dans la manœuvre, nous risquions de nous écorcher bras et jambes à certaines plantes basses et acérées que j’avais remarquées et qui foisonnaient à cet endroit.

    Je compris alors ce que devaient ressentir les malheureux Allemands de l’Est qui avaient décidé de tenter le tout pour le tout et de franchir le Mur de Berlin dans l’espoir d’une vie meilleure à l’ouest.

    Et je mesurai toute la folie de notre entreprise.

    –Il faut passer entre ces deux rochers là-bas, dit Phil en désignant le courant d’un geste vague et en nous fixant les uns après les autres. J’ai bien analysé la situation, c’est la seule solution possible.

    L’individu m’avait déjà paru insupportable, il me sembla soudain également d’une stupidité incroyable, et j’eus une folle envie de le jeter à l’eau pour voir s’il pourrait nager entre les deux rochers en question sans s’exploser la tête par la même occasion. Il paraît que la peur rend agressif ; j’en avais la preuve, claire et nette.

    –C’est évident, continua-t-il en haussant les épaules. À droite, le courant mène directement au tourbillon central et je ne donne pas cher de la peau de celui qui y tomberait. Et à gauche, les rochers sont trop nombreux, ils empêchent de prendre de la vitesse. C’est bien au milieu qu’il faut passer. On est tous d’accord ?

    Je n’étais pas entièrement sûr de savoir à qui il se référait par « on ». De toute façon, je n’étais pas d’accord.

    –Je croyais que tu n’avais jamais fait de rafting, lui fis-je remarquer.

    –J’ai fait du kayak en Tasmanie, le principe est le même.

    –Alors vas-y, montre-nous comment il faut faire, et on se rejoint de l’autre côté, lui dis-je avec un sourire en coin.

    Il se raidit et me fixa en plissant les yeux, tel un chat s’apprêtant à bondir sur sa proie.

    –Le rafting est un sport d’équipe, mon gars, dit-il. Tu devrais savoir ça. Puis il se tourna vers le rapide et ajouta : il faut absolument qu’on passe entre ces deux rochers, je le répète, c’est la seule solution.

    Le Che ne daigna même pas tourner la tête, ce qui me fit sourire intérieurement malgré mon estomac noué. Il s’entretenait avec les deux autres guides, Ralph, un blond très sec et musclé, et Melanie, une rouquine athlétique à la coupe militaire et aux yeux d’un bleu franc. Trois guides pour huit touristes, c’était le ratio qui nous avait été imposé pour cette expédition, et personne ne s’en était plaint. Quand le Che se tourna vers nous, huit poitrines retenaient leur souffle.

    –Vous allez tous rester ici, annonça-t-il au groupe. Je vais descendre dans le premier raft et Melanie prendra le second.

    Soulagement général.

    –Vous n’allez quand même pas affronter le mur seuls ? répliqua Phil.

    Irrécupérable.

    –C’est trop dangereux pour vous, répondit le Che sans trahir la moindre impatience. Et la forêt est trop épaisse pour descendre avec tout l’équipement. Nous allons franchir le rapide avec les rafts et nous vous attendrons de l’autre côté. Vous nous rejoindrez en vous frayant un passage le long de la berge. C’est compris ?

    Huit poitrines reprirent leur souffle – je devrais plutôt dire sept, car il était évident que Phil avait envie de se suicider sous nos yeux. J’étais partant pour lui donner sa chance, et je ne devais pas être le seul, à en juger par les regards noirs que les autres lui lançaient.

    Le Che prit place à l’arrière du premier raft, celui qui nous avait été attribué à James et à moi au départ. Il prit sa pagaie en main, donna une impulsion au rafiot et se dirigea vers le centre du rapide comme s’il allait faire quelques courses au supermarché du coin ou boire une bière dans son pub préféré. Je ne pus m’empêcher d’admirer son calme et sa maîtrise de soi. Lui qui allait droit à la mort ne s’était départi ni de son flegme ni de son sourire, alors que moi qui me contentais d’observer les événements depuis la sécurité de mon perchoir à moineaux, étais dans un état proche de l’apoplexie.

    Je n’étais d’ailleurs pas le seul : personne ne pipait mot ; nous avions tous les yeux rivés sur notre guide. Peut-être était-ce un effet de mon imagination, mais il me semblait que même les oiseaux s’étaient tus, comme s’ils mesuraient le risque encouru et l’importance de ce qui allait se passer pour la suite de notre expédition. Le seul bruit auquel il était difficile d’échapper était celui du bouillonnement de l’eau autour des rochers à moitié submergés.

    Et puis tout alla très vite…

    3

    Le Che donna quelques coups de pagaie vigoureux pour éviter un éperon rocheux dressé dans le courant et se retrouva tout de suite en haut du Mur.

    Il y resta suspendu dans le vide une demi seconde avant de descendre la chute comme une flèche – je devrais plutôt dire la survoler tant est qu’il la touchât à peine – et l’avant de son raft s’enfonça légèrement dans l’eau pour en ressortir aussitôt. Le Che contourna ensuite adroitement quelques rochers mal placés, s’élança à nouveau pour éviter un tronc qui lui barrait le chemin et menaçait de l’empaler, sortit du rapide pour se diriger vers le contre-courant, ralentit, et fit demi-tour pour nous faire face comme si de rien n’était.

    Tonnerre d’applaudissements. Échange de sourires, tapes réciproques dans le dos et embrassades. Rien de tel qu’une trouille monumentale suivie d’un dénouement heureux pour souder un groupe.

    –C’est bien ce que je disais, lâcha Phil en bombant le torse, il fallait passer entre ces deux rochers. Il a bien fait de m’écouter !

    James me donna un coup de coude discret. L’envie de donner à Phil le coup de pied nécessaire pour survoler le Mur de Berlin la tête la première commençait sérieusement à me démanger, et je me demandai comment nous allions faire pour le supporter pendant les jours qui allaient suivre.

    Vint le tour de Melanie.

    La guide m’avait tout de suite plu. Elle faisait partie de ces personnes qui arrivent toujours à vous mettre de bonne humeur, même quand vous vous êtes levé du mauvais pied. Elle riait d’un rien, un rire en cascade qui partait de très haut, puis descendait d’un seul coup avant de remonter pour mieux redescendre à la manière d’un yo-yo. Contrairement au Che, elle n’était originaire ni de la ville, ni du Sud du pays. C’était une autochtone, une vraie, une fille des tropiques, née dans le Queensland du Nord, d’une famille australienne depuis de nombreuses générations et dont la vie tournait autour du bush. Elle avait tout fait : serveuse dans un bar, guide touristique, sous-chef dans une station-service, employée des postes, nourrisseuse de crocodiles, cueilleuse de fruits, chômeuse, aide-soignante, et je suis sûr d’en oublier. Le rafting, c’était son petit plaisir, son péché mignon, et elle aimait encadrer de temps à autre des groupes de touristes venus se frotter de près aux rapides de l’Australie tropicale.

    Melanie nous adressa un sourire joyeux avant de saisir sa pagaie, puis elle s’installa à l’arrière de son embarcation pour se préparer à franchir le rapide à son tour.

    Le groupe s’était relâché, les conversations avaient repris bon train, et le niveau d’énergie était revenu à son état initial.

    Melanie commença par vérifier que tout était en place dans son embarcation. Il était amusant de constater à quel point son comportement différait de celui du Che. Alors qu’il s’était élancé dans le courant sans même attendre d’être assis dans son raft, Melanie prenait tout son temps pour faire une inspection générale. Je me demandais bien d’ailleurs ce qu’elle pouvait inspecter, puisque le raft était vide, à part le matériel solidement attaché à l’arrière, mais, de notre perchoir, elle avait l’air très affairée, regardant le fond du raft comme si elle venait d’y découvrir le trésor d’Ali Baba. Elle cherchait peut-être à dissiper une peur quelconque, mais je lui trouvai un air plutôt confiant.

    –C’est pour aujourd’hui ou pour demain ? lança Phil à la cantonade avec un rire gras.

    Il n’obtint que quelques froncements de sourcils. Notre attention était portée sur Melanie et sur son inspection détaillée de l’embarcation, et la meilleure des plaisanteries n’aurait eu guère plus d’effet.

    La guide nous fit un signe de la main avant de donner un coup de pagaie magistral et de s’élancer vers le milieu de la rivière.

    –Au milieu ! Prends au milieu, nom d’un chien ! lui cria Phil.

    Melanie répondit par un hochement de tête et positionna sa godille de façon à faire pivoter légèrement son raft vers la droite.

    –C’est bon, continue comme ça, dit Phil, bien qu’elle fût déjà trop loin pour l’entendre.

    –Tu aurais dû prendre le raft à sa place, lui dit James d’un ton agacé.

    Je tournai la tête vers le rapide. Melanie était en train d’y faire une manœuvre peu ordinaire : son canot était positionné perpendiculairement au courant, et on la voyait donner des coups de pagaie forcenés sur sa gauche, sans grand résultat apparent, il fallait bien l’avouer.

    –Elle essaie de se remettre dans le bon sens, nous expliqua Ralph.

    Nous vîmes tout de suite qu’elle s’y était mal prise.

    Je ne sais pas si c’est l’expression crispée de son visage ou l’angle bizarre que faisait le rafiot avec le courant, mais il n’y avait pas besoin d’être un expert en rafting pour comprendre que les choses ne se déroulaient pas comme prévu. Melanie tenta de redresser la barre pour remettre son raft dans le bon sens, mais elle n’y parvint pas assez vite et heurta une saillie rocheuse qui surgit devant elle sans prévenir. Son embarcation fit un tour complet sur elle-même avant de

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