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L'enfer n'a qu'un visage
L'enfer n'a qu'un visage
L'enfer n'a qu'un visage
Livre électronique313 pages4 heures

L'enfer n'a qu'un visage

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À propos de ce livre électronique

Une épouse disparue à Perpignan, une autre harcelée par son mari, un flic en convalescence dans le Périgord et son collègue embarqué dans une affaire à Collioure.
Porté par une BO d’Étienne Daho et une construction vertigineuse, ce thriller flirte avec l’étrange. Des personnages s’entrecroisent qui tous, subissent la perversité d’autrui jusque dans leurs vies antérieures… Qu’il soit homme ou femme, du passé ou du présent, l’enfer n’a qu’un visage : celui que l’on subit.
LangueFrançais
Date de sortie17 janv. 2024
ISBN9782491750596
L'enfer n'a qu'un visage

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    L'enfer n'a qu'un visage - Magali Vanhoutte

    Magali Vanhoutte

    L’ENFER N’A QU’UN VISAGE

    Une image contenant texte Description générée automatiquement

    ISBN : 978-2-491750-25-1

    Dépôt légal juin 2023

    © Editions Faute de frappe

    Tous droits réservés.

    L’enfer n’a qu’un visage,

    Celui que l’on subit.

    À Étienne Daho :

    À nos démons communs,

    Nos passions peu communes.

    PROLOGUE

    « My Lady Blue », Le Grand Bleu, Éric Serra, 1988

    No regrets, no tears,

    Pas de regrets, pas de larmes,

    Only a strange feeling,

    Seulement un sentiment curieux,

    Sleeping without falling.

    Dormir sans tomber.

    I'll try another world

    J'essaierai un autre monde

    Where the water is not blue anymore,

    Où l'eau n'est plus bleue,

    Another reality.

    Une autre réalité.

    Allongé dans une chambre aux murs bleus, vêtu d’un pyjama bleu, les yeux clos depuis plusieurs jours, le capitaine de police Benoît Demazure flottait dans un univers sans larmes et sans regrets. Sans doutes et sans batailles. Sans pères et sans enfants. Sans peur et sans espoir.

    Benoît flottait dans une autre réalité, sans soleil et sans vent, bleue. Ce n’était pas le bleu du ciel, ni le bleu de la mer, car ce n’était pas la vie. La vie s’était évanouie, comme le vague souvenir d’un avenir plus vague encore.

    Il lui sembla qu’il souriait. Il pouvait enfin se reposer ; il n’avait plus mal.

    PARTIE I

    Le grand sommeil

    CHAPITRE 1

    En ce milieu de matinée, le soleil catalan dardait ses rayons sur les toits de Collioure. Les premiers touristes chanceux, arrivés fin juin dans les Pyrénées-Orientales avant la vague infernale des grandes vacances, installaient paisiblement leurs serviettes sur le sable blanc de la plage de Port d’Avall, protégée de la tramontane entre le château royal et l’anse de la Baleta.

    Le capitaine de police Laurent Pujadas, de repos ce vendredi, avait opté pour un petit-déjeuner à la terrasse de l’hôtel Triton, dernier établissement familial de la commune à proposer des tarifs raisonnables. Certes éloigné du centre-ville puisqu’il lui faisait face, il bénéficiait d’une vue imprenable : entre le château et le phare se dressait le célèbre clocher de Notre-Dame-des-Anges surplombant la mer. Avec sa succession de monuments médiévaux et son îlot de maisons colorées, sa ville natale était sans aucun doute la plus belle station balnéaire de France. Le regard de l’homme balaya avec amour ce panorama unique puis reporta son attention sur son petit-déjeuner encore intact.

    Lorsqu’il s’était installé, deux jolies blondes attablées avaient gloussé dans une langue inconnue en le dévisageant sans retenue. Laurent était coutumier de cette situation. Même s’il n’en tirait aucune vanité, il se savait beau. Il avait hérité de sa mère une chevelure dense ébène et des yeux rieurs presque aussi noirs, deux amandes que soulignaient de longs cils, touche de singulière féminité chez ce gaillard de taille moyenne mais bien charpenté.

    Car pour le reste, Laurent ressemblait à son père : un solide montagnard au teint hâlé, au caractère fort, aux manières franches et au verbe faussement bourru. Son assurance dissimulait un cœur tendre et son charme ultime résidait en un sens de la répartie à toute épreuve, dont il usait volontiers auprès de la gent féminine. Mais ce matin, Laurent n’avait pas l’esprit à batifoler, d’autant qu’il avait deux fois l’âge de ces charmantes Hollandaises.

    Tout en grignotant son croissant, il observa de nouveau les maisonnettes colorées du bourg, devinant la rue Arago qui montait de l’église et cherchant le toit de sa demeure familiale, qu’il avait réinvestie avec bonheur. Après dix-sept ans de service à la PJ de Paris puis de Montpellier, il avait enfin obtenu une mutation en Catalogne. Son bureau se trouvait officiellement au siège de Perpignan ; néanmoins son chef, le commissaire Pujol, qui avait eu Laurent à la bonne dès leur première rencontre, l’avait plus ou moins détaché à Port-Vendres, content de disposer d’un homme couvrant les Albères et la côte sud. Pujadas jonglait donc entre les deux villes au gré des affaires.

    En quatre ans, Laurent avait participé à de nombreuses enquêtes, et découvert le quotidien de la PJ dans un département limitrophe de l’Espagne : trafic de drogue, immigration clandestine, travail dissimulé, contrebande… et un meurtre non résolu ici-même, à Collioure. C’est dans le cadre de cette affaire qu’il avait curieusement retrouvé son homologue lillois et camarade de l’école de police, Benoît Demazure. Le premier était aussi charismatique et fêtard que le second discret et studieux. Contre toute attente, les deux jeunes hommes avaient vite sympathisé. Le Catalan apportait un souffle de légèreté dans la vie de Benoît et le briefait pendant les périodes de stages, tandis que le Nordiste soutenait son ami lors de cours théoriques parfois ardus. Leur amitié s’était renforcée durant leur début de carrière en région parisienne. Les deux célibataires avaient traversé ensemble les déceptions amoureuses et les doutes professionnels, jusqu’à ce que Laurent obtienne Montpellier et Benoît, son Nord natal. Ils s’étaient perdus de vue quand Benoît avait épousé Amélie. Laurent n’aimait pas Amélie et Amélie n’aimait pas Laurent. Ainsi allait la vie. Et celle-ci avait tristement donné raison à Laurent quant à la nature malsaine de la jolie blonde.

    L’affaire d’un double homicide entre Collioure et Lille avait scellé les retrouvailles des deux hommes. Benoît avait divorcé dans de terribles conditions et l’amitié des officiers s’était renforcée malgré la distance. Ils se voyaient régulièrement durant leurs congés, et plus récemment dans le cadre d’une nouvelle enquête : Johnny Masson, un serial killer sévissant dans les Hauts-de-France recherché par l’équipe de Benoît, était venu se terrer dans un camping d’Argelès-sur-Mer. La PJ de Perpignan avait prêté main forte aux flics chtis pour l’arrestation du déséquilibré mais l’opération avait tourné au fiasco : le tueur avait balancé le capitaine Benoît Demazure du haut d’une falaise…

    Laurent abandonna son croissant sur la table et grimaça au souvenir de la scène effrayante à laquelle il avait assisté, impuissant. Aujourd’hui, son ami était plongé dans un coma artificiel au CHU de Montpellier, traitement de base pour « mettre le cerveau au repos » après un sévère traumatisme crânien. Un protocole induit et contrôlé, mais qui effraie les proches : l’inconscient collectif associe inévitablement le mot coma avec l’idée d’une petite mort, souvent temporaire, parfois définitive, et rarement sans séquelles. Pour cette raison, Laurent espérait que les médecins ne maintiendraient pas longtemps son ami dans ce coma calculé. Dix jours déjà…

    Seule la famille était tolérée aux soins intensifs de neuro-réanimation ; Laurent n’avait donc pas vu Benoît depuis l’accident. En revanche, les parents du blessé, Henri et Myriam Demazure, se rendaient chaque jour au chevet de leur fils. Les deux enseignants coulaient jusque-là une retraite heureuse en Camargue, ayant troqué leur maison lilloise contre une petite villa située à mi-chemin entre la ville fortifiée d’Aigues-Mortes et les plages du Grau-du-Roi. Ils n’habitaient qu’à une trentaine de kilomètres de l’hôpital de Montpellier et cumulaient les allers-retours pour la courte visite autorisée auprès des patients comateux. Quinze minutes par jour avec lavage des mains, blouse, masque et chaussons pour celui des deux qui entrait dans la chambre, l’autre devant se contenter de regarder son enfant derrière une vitre.

    Ces parents dévoués, ayant passé les soixante-dix ans, étaient très éprouvés par les trajets répétitifs et l’angoisse de cette douloureuse épreuve à l’issue incertaine. Mais lorsqu’ils appelaient Laurent plusieurs fois par semaine pour l’informer de l’état de Benoît, jamais ils ne se plaignaient ; au contraire, forts de leur foi et de l’amour qu’ils se portaient depuis près de cinquante ans, ces gens admirables réconfortaient Laurent tandis que leur enfant était inconscient. Ils le connaissaient depuis vingt ans, savaient l’amitié profonde qui l’unissait à leur fils et devinaient de surcroît la culpabilité qui le rongeait de n’avoir su protéger Benoît. Henri et Myriam, malgré leur affliction, ne cessaient de lui répéter que Benoît avait été victime d’un accident dans l’exercice de ses fonctions, que ce dernier connaissait les risques du métier…

    Laurent alluma nerveusement une cigarette. Il se repassait en boucle les événements de cette nuit-là pour tenter de comprendre l’incompréhensible. Jane Masson – épouse Dickson –, la sœur franco-américaine du tueur recherché, était venue de New Haven afin de mener l’équipe de Benoît jusqu’à son frère en cavale. Elle avait deviné son refuge, la caravane familiale installée en permanence dans l’un des cinquante-quatre campings d’Argelès, autant dire une aiguille dans une botte de foin. Elle avait négocié avec Benoît d’être présente lors de l’arrestation de Johnny, être psychologiquement fragile mais adorant sa jumelle. L’équipe de Laurent, avec l’accord du chef Pujol, avait secondé Benoît, suivant la femme à la recherche de son frère dans le camping municipal en question. Certes, ils l’avaient perdue de vue un bref instant, mais alors que Jane, voyant son frère sur la corniche, s’apprêtait à le leur livrer sans résistance, Benoît s’était précipité seul pour la sauver d’une menace inexistante. Il n’avait pas dégainé son arme et tourné le dos à Johnny Masson avec une imprudence que même un bleu n’aurait pas commise. Le psychopathe, croyant à son tour sa sœur en danger, avait saisi le capitaine Demazure et l’avait balancé par-dessus la falaise avec une force surhumaine, guidé par la rage d’un amour fusionnel.

    Laurent but une dernière gorgée de son café froid et alluma compulsivement une autre cigarette. Ce drame était absurde. Benoît, officier de police hors-pair, un homme brillant au tempérament posé, avait manqué de discernement et plus encore, d’instinct de préservation. Et Laurent, son unique ami, savait pourquoi.

    Benoît subissait un grave préjudice ces dernières années : sa femme Amélie, une instable égocentrique, avait quitté le domicile conjugal sans crier gare en emmenant leurs deux enfants dans le Sud-Ouest. Depuis des années, Benoît se battait pour récupérer une garde décente, y perdant ses économies, son énergie et enfin, sa santé mentale. Car l’affaire aux moult rebondissements juridiques ineptes avait récemment pris une tournure dramatique : Benoît ne lâchant rien dans la bataille, Amélie lui avait assené le coup fatal sous la forme de lettres soi-disant rédigées par les enfants qui accusaient leur père de violences. Ces lettres avaient achevé l’homme sans failles qu’il paraissait aux yeux de tous. Laurent avait vu la dépression gagner son ami à grande vitesse, et n’avait rien fait.

    Il attrapa son trousseau de clefs et se leva, surprenant un moineau pourtant peu farouche qui s’était invité à son déjeuner, picorant les restes du croissant émietté. L’oiseau dérangé s’envola vers la table des Hollandaises, désormais abandonnée, tandis que Laurent regagnait la promenade du château pour rentrer chez lui. Il n’avait plus le cœur à profiter de cette belle journée ; le ciel bleu ne reflétait pas la couleur de ses pensées.

    CHAPITRE 2

    Benoît fuit dans les bois, poursuivi par quelqu’un ou quelque chose qu’il ne voit pas mais entend : il est terrifié. C’est terrifiant d’entendre mais de ne pas voir, de ne pas savoir. Le bruissement des feuilles lui parvient, écrasées sous un pas lourd mais alerte, ainsi que le craquement des branches rompues au passage du prédateur… Benoît progresse à l’aveugle dans une pénombre diurne ; les arbres hauts et dénudés obstruent le ciel, géants figés tendant leurs branches décharnées pour l’enserrer dans la mort.

    L’assaillant se rapproche. Benoît ignore les motivations de cette chasse à l’homme, mais plus que l’effort physique, la peur l’oppresse en ces lieux hostiles. Autour de lui, tout respire la fin du monde. Depuis l’enfance, il abhorre la forêt. Sombre, menaçante. Sans chemin, sans issue. Ici, le Petit Poucet se perd ; le Chaperon Rouge rencontre le loup ; Hansel et Gretel tombent aux mains d’une sorcière anthropophage. Ici, l’assassin enterre ses cadavres en toute impunité ; le pervers aux jumelles à vision nocturne pourchasse l’innocente dans un jeu sadique au résultat couru d’avance. Ici, Benoît devient la proie d’un prédateur invisible mais qu’il devine résistant et déterminé.

    Ses forces l’abandonnent. Au détour d’un fossé, il plonge dans le creux terreux d’une racine imposante avec l’espoir d’échapper à son poursuivant en cette cachette fortuite. Les pas cessent puis s’éloignent. Benoît remercie en silence Mère Nature, Dieu et l’Univers, courbant la tête en signe de courte prière, quand il aperçoit une vipère se faufiler à ses pieds. Son incontrôlable phobie des serpents l’emporte sur son instinct de survie : un cri de stupeur lui échappe et reculant, il bascule dans le fossé. Sa chute l’étourdit.

    Bruissement de feuilles, craquement de branches : Benoît lève les yeux. Une ombre humaine, imposante, se dessine à contre-jour et le surplombe. Dans un geste ultime d’inutile protection, Benoît couvre son visage de ses mains maculées de sang et de boue, prêt à subir l’assaut… quand il sent une main saisir la sienne. Il ouvre les yeux sur le visage souriant de sa mère, penchée sur lui. Sans le lâcher, elle l’emmène, silencieuse, à l’orée d’une clairière verdoyante et lumineuse.

    Benoît, exténué, s’allonge dans l’herbe fraîche et accueillante, sous le regard bienveillant de Myriam. Il ne sait pas ce qu’est devenu son persécuteur mais il sait l’essentiel : il est en sécurité et peut enfin se reposer.

    CHAPITRE 3

    Après une journée à gamberger chez lui et une courte nuit peuplée de cauchemars – conséquence directe d’une consommation excessive de Ricard jusqu’à l’aube –, Laurent s’était botté le cul au réveil : comment soutenir Benoît si lui-même n’était plus qu’une loque ? Seul son voilier le motivait à sortir. La météo annonçait un samedi ensoleillé, avec une bonne tramontane de force 4 qui lui permettrait de déployer aisément sa voile latine. Il en était très fier ; elle représentait, avec la traditionnelle baraque catalane en bois coloré, toute la beauté de la navigation, de la pêche à l’anchois et à la sardine en Méditerranée. De plus, cette voile triangulaire offrait de belles performances à la petite coque de son bateau qu’il avait repeinte aux couleurs catalanes sang et or.

    Il avala un solide petit-déjeuner ; il naviguerait plusieurs heures afin de recharger son moral d’embruns et de soleil au maximum. Avant les préparatifs, il s’accorda une cigarette et un ultime café qu’il dégusta, repu, accoudé à la balustrade du salon. Situé au premier étage, la porte-fenêtre offrait une vue plongeante sur la ruelle que le soleil caressait de ses rayons matinaux. La galerie d’art ouvrait ses portes tandis que des effluves d’arabica lui parvenaient de la brasserie du coin.

    Laurent s’imprégnait de la douceur du moment lorsque son téléphone portable vibra dans sa poche : Henri Demazure. Il prit une grande inspiration avant de décrocher, entre inquiétude et soulagement ; il n’avait pas de nouvelles depuis trois jours, ce qui était inhabituel.

    – Bonjour Henri. Comment allez-vous tous deux ?

    – Plutôt bien pour la première fois depuis dix jours. Nous t’avons appelé hier soir pour t’informer des récentes évolutions de Benoît, mais nous sommes tombés sur ton répondeur… Nous t’avons laissé un message.

    Imbécile ! s’insulta Laurent. Il avait abandonné son téléphone dans la cuisine tandis qu’il avalait son litre de jaune, affalé sur le canapé, et qu’Iggy Pop couvrait ses idées noires en s’égosillant sur Lust for Life… Soif de Vie !

    – Désolé Henri, je me suis couché tôt.

    – À 19h ?

    – Tôt ce matin, Henri… Vous me parliez d’une évolution concernant Benoît ?

    – Oui, tout s’est passé si vite !

    Laurent perçut l’émotion dans la voix de son interlocuteur et contrôla sa propre impatience.

    – Racontez-moi.

    – Voilà : mardi, les médecins ont écarté le risque d’hypertension intracrânienne et ont interrompu le coma artificiel suite à la dernière IRM satisfaisante. Comme Benoît était entré en soins intensifs dans un coma post-traumatique, l’arrêt de la sédation ne signifiait pas qu’il sortirait de son coma initial, mais les lésions n’étant pas si sévères, le neurologue avait bon espoir d’un éveil rapide. Le signal, c’est tout simplement que le patient ouvre les yeux. Ça correspond à l’activité du tronc cérébral qui reprend, le pronostic vital n’est plus engagé. Je ne sais pas si tu suis ; comme on baigne dedans depuis dix jours, on s’accroche à chaque mot des médecins.

    – À peu près ; j’ai potassé des articles sur le coma pour me préparer à… accompagner Benoît dans sa guérison.

    – Eh bien Laurent, le moment est venu : Benoît a ouvert les yeux mercredi !

    Le pouls de Laurent s’accéléra et une seule pensée lui vint : il allait revoir son ami.

    – C’est formidable, articula-t-il.

    Il maîtrisa son émotion car il savait que ce n’était que le début d’un long processus, ce que lui confirma Henri.

    – Benoît reste inconscient pour le moment, temporisa le père. On ne sait pas exactement comment ni quand son cerveau se remettra en marche. Pour citer le neurologue : le disjoncteur est rétabli mais il faut stimuler l’allumage des lampes ! C’est dans cette optique qu’il a quitté l’hôpital hier pour une clinique avec une unité d’éveil. Ces services passerelles entre la réanimation et la rééducation sont encore rares en France et prônent un accueil de plus en plus précoce des patients cérébrolésés. Mais il en existe un de douze lits à Montpellier, qui disposait d’une place pour notre fils. Tout sera mis en œuvre pour le stimuler. La clinique propose une prise en charge extrêmement spécifique, avec une équipe impliquée et stable; il va être chouchouté du matin au soir.

    Laurent écoutait Henri avec une extrême attention mais une question lui brûlait les lèvres :

    – Comment s’organisent les visites dans ce service ?

    – C’est très contrôlé, les patients ont une fatigabilité importante et paradoxalement un emploi du temps chargé en soins… On n’imagine pas ça pour un comateux, hein ! Néanmoins les règles sont plus souples qu’en réanimation. J’ai tardé à t’appeler car nous insistions pour que tu sois intégré au protocole d’accompagnement. Bien que tu ne fasses pas directement partie de la famille, notre demande a été acceptée. L’unité d’éveil accorde une importance capitale au rôle des proches dans l’évolution du patient, mais la psychologue t’expliquera ça mieux que moi.

    – Quand puis-je venir ? souffla Laurent, qu’un mélange de joie et d’inquiétude gagnait.

    – On te prend de court mais Benoît a intégré l’unité hier et les visites sont autorisées deux heures chaque jour, entre 14h et 20h en fonction des soins ; on te fournira le planning. Tu pourras donc rester deux heures auprès de lui quand tu viendras ! C’est que tu as plus de route que nous et un métier prenant.

    – Henri, je vous remercie, c’est très important pour moi…

    – … et pour lui, Myriam et moi en sommes convaincus. Tu es comme un frère pour lui.

    Un insidieux sentiment de culpabilité étreignit Laurent. Un frère qui n’avait pas su veiller sur son compagnon. Mais c’était vrai, il aimait Benoît comme le frère qu’il n’avait jamais eu. D’un naturel pudique malgré un verbe exubérant propre à sa culture, Laurent se reprit :

    – Je m’arrangerai pour passer au moins une fois par semaine. Je n’ai que deux heures de route jusqu’à Montpellier, ce n’est pas la mer à boire, hein…

    L’image de Benoît faisant le grand plongeon dans la Méditerranée s’imposa et il regretta immédiatement son expression.

    – Aurais-tu la possibilité de venir aujourd’hui ? La psychologue souhaite te rencontrer et elle ne travaille pas demain, c’est dimanche.

    – Bien sûr que je viens aujourd’hui ! Je suis de repos ce week-end et pour la suite, je ne doute pas que mon chef sera conciliant au vu des circonstances.

    – Alors je préviens la psychologue de ta venue, à priori elle est disponible vers 16h. Je t’envoie l’adresse de la clinique. On sera présent à ton arrivée.

    – C’est parfait Henri, à tout à l’heure.

    – Laurent ?

    – Oui ?

    – Prépare-toi, ce n’est pas facile. Benoît n’est pas vraiment là pour le moment.

    CHAPITRE 4

    Au volant de sa nouvelle décapotable, Laurent Pujadas filait sur l’autoroute A9 en direction de Montpellier, lunettes de soleil noires et cheveux au vent. Sur une impulsion, il avait récemment troqué sa fidèle Golf contre une BMW Z4, un petit bijou coupé alliant puissance et confort, avec une consommation raisonnable pour cette gamme de voiture. Il n’était pas flambeur, son charme naturel et son assurance innée ne s’encombrant pas d’artifices. Mais en apercevant l’occasion dans la vitrine d’un concessionnaire de Perpignan peu après l’accident de Benoît, il s’était convaincu qu’après tout, il pouvait se le permettre malgré un salaire de fonctionnaire peu reluisant. Il avait hérité de la maison familiale qu’il occupait, ne possédait qu’un voilier retapé avec amour, il n’avait pas de famille à charge et n’en aurait jamais. L’achat avait remonté son moral en berne et s’avérait idéal pour les éventuels trajets importants à venir, qu’il avait anticipés.

    Par association d’idées, il songea que c’était le rêve de fonder une famille qui avait mené Benoît à sa perte… Malgré toute la perversité de son ex-épouse, jamais son ami n’aurait coulé à ce point s’il n’avait subi l’enlèvement de ses enfants. Sans eux, Amélie n’aurait eu aucun moyen de pression sur son ami. Benoît était un homme équilibré qui se serait remis de toutes les trahisons…

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