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Les marionnettes sanglantes
Les marionnettes sanglantes
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Livre électronique241 pages5 heures

Les marionnettes sanglantes

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À propos de ce livre électronique

Tout près de Toulouse, non loin du pittoresque village de Lacroix-Falgarde, des assassinats particulièrement sanglants sont commis devant la fontaine miraculeuse Saint-Jean-Baptiste. Comble d’horreur, une marionnette déchiquetée de la commedia dell’arte et une ancienne comptine enfantine sont posées près des victimes, tels de sibyllins indices macabres…

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Alexandre Serres est féru d’arts plastiques et de randonnée. Autrefois cadre émérite au sein du service culturel de la mairie de Toulouse, il s’est inspiré de réalités historiques locales et d’outre-mer pour la rédaction de "Les marionnettes sanglantes", s’efforçant de révéler des vérités poignantes longtemps dissimulées.
LangueFrançais
Date de sortie12 mars 2024
ISBN9791042219604
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    Aperçu du livre

    Les marionnettes sanglantes - Alexandre Serres

    Prologue

    … Soudain, Marysol pousse un cri effroyable. Tout le monde hâte le pas, Sylviane arrive la première près de l’oratoire d’où a retenti le hurlement de cette dernière.

    Elle aperçoit celle-ci prostrée devant la fontaine Saint-Jean-Baptiste.

    Ce que ses narines perçoivent quand elle rejoint cette randonneuse n’a rien à voir avec l’odeur de sainteté qui devrait émaner de ce lieu béni. Elle est très fortement indisposée par un affreux remugle évoquant quelque charogne en état de décomposition avancée… Sur ce sol légèrement boueux, des suites de l’averse de la nuit précédente, Sylviane s’approche prudemment, faisant attention de ne pas déraper sur la gadoue, suivie de Nathalie Milhès jusqu’à l’endroit d’où provient cette immonde odeur de macchabée.

    Elle ne peut retenir un cri, à son tour, en découvrant devant la vasque de pierre accolée au bas de l’oratoire le corps ensanglanté d’une femme que l’on a égorgée ! En la regardant avec plus d’attention, elle constate, comble d’horreur, qu’on lui a coupé la langue ! Il semblerait que l’on ait introduit quelque chose dans sa bouche entrouverte. Mais ce n’est pas très ragoûtant d’essayer de mieux voir.

    À côté du cadavre, une petite poupée tachée de son sang. Plus précisément, une marionnette sanglante. Facile à reconnaître. C’est « Colombine », le célèbre personnage de la commedia dell’arte. Effroyable mise en scène hautement symbolique, on a tranché le cou de « Colombine » l’infidèle fiancée de « Pierrot » et amante « d’Arlequin » ! Quelle horrible mise en scène sanglante et profondément cynique !

    Cet évènement va se produire le mercredi 4 juillet. Soit, dans quelques semaines. Et l’on ne pourra l’empêcher. Nul ne détient les fils de la destinée. Même pas les dieux. Pourtant chacun la tisse. Inexorablement. Voire inconsciemment, car ce ne sont pas les humains qui maîtrisent leur vie. Ce sont toujours leurs passions. Et les passions peuvent faire d’un simple mortel un saint ou un monstre. Selon qu’ils cèdent à l’illumination ou à la folie qui sont en chacun de nous.

    Une semaine plus tôt…

    On s’est tellement habitué à me voir que l’on ne me remarque plus. Comme si ma personne était transparente. J’en suis ravi, car c’était mon but pour tous les observer tranquillement. Je suis sur la place du Foyer. Les étals sont déjà en place.

    Une heure et demie plus tard, elles sont arrivées ensemble, les deux nouvelles. Mais, concernant l’une des deux, certains pensent l’avoir reconnue. Comment se fait-il qu’elle n’ait pas changé malgré le cumul des années ? En théorie, ce n’est pas possible. Pourtant, c’est bien réel. On dirait que le temps a glissé sur elle sans laisser la moindre altération. Certes, on connaît les capacités actuelles de la chirurgie esthétique. Mais le meilleur bistouri a ses limites. Si le clonage humain existait, elle pourrait en être le pur produit. Par quel prodige elle est revenue ? Son retour ne laisse présager rien de bon pour qui connaît le tragique secret. Elle ne peut être là puisqu’elle est morte il y a plusieurs décennies. Les fantômes ne reviennent pas. Au pire, ils ne sont jamais que des projections de l’esprit. Rien d’autre. La réalité relève des sciences exactes. Pas des fantasmes. Pourtant, elle est bien là. Et puisqu’elle ne revient pas de l’au-delà, il y a bien une explication que je connais, évidemment !

    Elle continue sa route.

    C’est jour de marché et la place dite « du Foyer », car elle se trouve devant le bâtiment du Foyer Rural (quelle imagination de la part des membres de la commission des noms de rues !) est pleine des villageois venus faire leurs achats de légumes, papoter tranquillement ou, pour certaines commères, distiller un brin de fiel et un soupçon de mauvaise foi. Pour certains, c’est plus fort qu’eux, ils ne peuvent s’empêcher de la suivre du regard. Elle ne le remarque pas. Ou bien elle n’en a que faire. Elle déambule d’un pas tranquille. On pourrait s’attendre à ce que certains soient interloqués et réagissent. Mais non. Rien. Ça n’est pas normal. Que les nouveaux habitants ne la reconnaissent pas, c’est normal. Mais les autres, les villageois plus âgés qui sont là depuis toujours, ils savent qui elle est. Ou plutôt, qui elle fut. C’est insensé. Faut-il le répéter, les morts ne reviennent pas. Jamais. Elle traverse la place du marché dans l’indifférence générale ou presque… Elle évolue comme le personnage principal d’une tragédie grecque qui, soudain, quitterait la scène pour passer au milieu des spectateurs et provoquer une catharsis. Mais incroyablement, aucune réaction exprimée. Quoique. Une tête se tourne et la fixe quelques secondes. Il s’agit de la vieille Maria Faustini au caractère bien trempé et à la langue bien acérée. Langue de vipère, dirait-on. Ce serait quelque peu restrictif, car parfois elle peut se montrer aimable. Mais ça ne dure jamais longtemps. C’est souvent une caresse avant la gifle.

    Elle se retient de lui répliquer : « Occupez-vous donc de vos oignons, voulez-vous ».

    « Je ne vais quand même pas dire à cette pipelette idiote que j’ai cru voir un fantôme quand les deux femmes sont arrivées ! »

    Elle me prendrait pour une demeurée et s’empresserait de médire sur moi dans mon dos, pense-t-elle.

    « C’est sans doute un sosie. Si elle n’avait pas disparu, elle aurait près de 70 ans maintenant… En plus, il n’y a que moi qui la reconnais. Parmi les anciens qui sont venus faire le marché, aucun n’a bronché à part moi-même ».

    La vieille Faustini l’a donc reconnue. Elle doit se poser bien des questions qui l’indisposent fortement… Je sens, moi aussi qu’il se passe quelque chose d’exceptionnel à l’endroit de cette nouvelle arrivante. Je tourne la tête et j’observe Maria Faustini qui semble tellement affectée…

    Aussi vite qu’elle m’a considérée, elle détourne son regard et retourne à ses carottes et à ses poireaux. Pendant ce temps, le pseudo-fantôme féminin rajeuni et bien matérialisé quitte la place, arrive devant la mairie et y pénètre, sans attendre, en même temps qu’une autre du même âge qu’elle. À travers la vitre de la porte d’entrée, je vois l’hôtesse d’accueil les recevoir et passer un coup de fil. Quelques secondes plus tard, le directeur général des services en personne les accueille à son tour. Il les considère avec intérêt et la dilatation de ses pupilles montre qu’il est sensible à leur présence et, qui sait, à leur séduction. Il arbore son plus grand sourire en s’inclinant légèrement vers elles. Il voudrait peut-être faire durer la discussion, mais elles le remercient rapidement et ressortent enfin de la mairie. Le directeur général des services reprend immédiatement ses esprits et rédige un post-it rapide qu’il applique sur le combiné du téléphone du bureau du maire. Qui sait, pour l’informer de l’une de ces deux rencontres. Tout cela est bien étrange. Et je ne puis que continuer à observer ces mystères qui dépassent mon entendement. Mais pourquoi suis-je le seul – la vieille Faustini exceptée – à entrevoir une situation en devenir qui me semble troublante ? Je ne comprends pas tout, mais je subodore tellement de choses que les personnes prétendument intelligentes – qui me considèrent du haut de leur supériorité – ne ressentent pas. C’est ainsi que je discerne l’ombre des évènements à venir avant qu’ils ne les perçoivent. Qu’importe, je les laisse à leur aveuglement et je fais confiance à mon instinct. Il ne m’a jamais trompé.

    °°°

    Le lendemain soir…

    Comme chaque année et selon la volonté du premier magistrat municipal, le directeur général des services a organisé le repas traditionnel « du Maire » dans un lieu original. Le Maire tient à ces agapes traditionnelles. C’est un moment charnière pour la politique locale, car sont conviées, dans ce contexte, diverses personnalités « utiles » ou celles représentant des institutions qui interagissent avec la Mairie. Les conseillers municipaux y participent presque par obligation. Ce qui n’est pas vraiment contraignant pour ces derniers qui ne manquent surtout pas de jouir de ces ripailles gratuites en compagnie de leurs conjoints. D’autant qu’ils subodorent que, comme chaque année, quelques animations vont s’ajouter aux plaisirs de la bouche. Il ne manque personne. Un des invités a même emmené son labrador qui, sagement, contemple les convives en attendant quelque gourmandise que l’on ne manquera pas de lui octroyer en sa qualité de « bon chien-chien ! »

    Bien que l’on soit un mardi, le 26 juin, le Maire a tenu malgré tout à organiser cette soirée en pleine semaine. On lui avait fait savoir que de nombreux convives préféraient disposer de la fin de semaine pour préparer leur départ en congés d’été.

    L’année précédente, tous les invités du maire avaient apprécié le dîner-spectacle du petit cabaret toulousain du « Hibou Fou ». Cette année, ils se retrouvent tous au restaurant du Museum d’histoire naturelle de Toulouse.

    Ce sont des agapes en extérieur. Du coup, le directeur général des services qui m’aime bien m’a emmené, sous réserve que je sois sage et muet. Docilement, j’ai accepté. Être témoin, sous réserve de discrétion, ça me convient. Ils sont tous installés à la place qu’ils ont choisie lorsque le maire, Christian Richard, se lève pour faire le discours traditionnel de bienvenue. Il sort de sa poche la feuille où se trouve l’allocution rédigée par les soins de son directeur général des services. Mais avant de parler, il promène tranquillement un regard circulaire vers tous ses invités.

    Soudain, il a comme un sursaut et, pendant quelques secondes, il demeure interdit, le regard dans le vague. Qui est-elle ? Lui est un des rares qui sache qu’elle a disparu à jamais il y a quelques décennies. Elle ne peut être là, car nul ne revient de l’au-delà. Pragmatique, malgré la forte émotion, il se dit qu’il doit bien y avoir une explication. Tous les convives ont remarqué sa petite « absence ». Il s’empresse de se ressaisir et, arborant son plus beau sourire politique, entame son allocution :

    Applaudissements…

    Le concert des mandibules et la cacophonie des fourchettes démarrent aussitôt. La France, on le sait, est un pays de grands affamés, surtout lorsque les repas sont gratuits.

    Le théâtre guignol qui ravit les après-midi enfantins a été ramené face à nos convives. Circonspects, quelques-uns se demandent s’ils vont avoir droit à un spectacle infantile. Et quelques remarques désobligeantes fusent en sourdine. Ils ont tort. Les professionnels qui animent cette attraction savent comment adapter leur spectacle à tous les publics spécifiques. Contrairement à ce que pensent quelques esprits chagrins, ce soir, les marionnettes vont se produire véritablement pour des adultes, les séduire, les étonner. Ces professionnels connaissent les secrets d’un bon spectacle : Créativité, rythme, musique des mots, scénario bien léché, aptitude du conteur à capter l’attention du public jusqu’à le fondre dans son spectacle et à le faire interagir en empathie avec le conteur et ses marionnettes soudain humanisées.

    Bien que Christian Richard se force à conserver un air calme et dégagé, son adjointe, Nadia Dufresne, n’est pas dupe. La lenteur avec laquelle il rejoint sa table, ses yeux imperceptiblement attirés vers la nouvelle directrice de l’Office du Tourisme, le fait qu’il tente de donner, sans y parvenir, l’impression qu’il projette son regard dans le lointain sont un signe évident qu’il est profondément préoccupé. Nadia Dufresne, pourtant réputée pour son caractère et sa froideur a été, elle aussi, interloquée en découvrant cette nouvelle venue qui provoque un tel émoi chez le maire. Certes, Christian Richard est connu pour ses tendances libidineuses. Pourtant, ce n’est pas la grande beauté de la nouvelle venue qui l’a impressionné. Ce n’est pas un trouble amoureux. Non. C’est un vif moment d’effroi qu’elle a perçu dans le regard de l’édile. Elle-même, tout comme lui et comme la vieille Faustini l’autre jour sur la place du marché, elle l’a reconnue. Comme si elle était revenue d’entre les morts. Car elle est censée être morte. Un sosie parfait. Ce n’est pas un hasard. Il est urgent d’agir et, au pire, de réactiver la meute. Elle s’approche du Maire, certes pour lui parler, mais surtout pour qu’il détourne son regard vers elle, évitant ainsi de se trahir.

    « Moi aussi, je l’ai reconnue, dit-elle.

    Relevant le front et arborant un sourire béat, le Maire suit son adjointe en dodelinant çà et là sa tête pour faire un petit salut en réponse à ceux qui lui adressent un signe amical ou servile sur son passage. Nadia Dufresne lui tapote légèrement le bras et ils s’asseyent de concert. Mais il ne peut s’empêcher de revenir à la charge : « Elle lui ressemble trop ! Je vais demander au directeur des services comment elle s’appelle, on aura ainsi la réponse !

    Il feint donc de s’intéresser au petit théâtre pour enfants, accessoirement grands enfants, mais la gêne l’habite. La gêne. La culpabilité. La peur rétrospective. Et si elle était venue pour le faire payer. Ou plutôt pour les faire payer à tous. À la « meute »… Car Nadia aussi est inquiète. Mais elle garde un visage serein pour donner le change. Pourtant, elle devrait être plus affectée que lui. Avant tout, en raison de la présence du sosie de celle qui a subi les pires outrages de sa « meute », de ces prédateurs dont elle était l’âme damnée. Ces prédateurs qui se sont montrés immondes avec celle qui avait fini par disparaître à jamais. Elle se remémore leurs méfaits. À cette époque lointaine, Nadia menait cette « meute ». C’était elle la dominante, amorale et sans complexe, de cette sinistre bande de quasi-primates consommateurs de proies faibles. Sans conscience, sans le moindre sursaut d’empathie envers l’humanité de leur victime sacrificielle, de vrais sociopathes en devenir. Elle ordonnait, ils commettaient. Des bêtes immondes… Cela l’excitait de manœuvrer ces garçons à sa botte en se jouant de leurs perversions. Elle savait aussi que ces garçons allaient devenir des hommes. S’acheter une respectabilité. Prendre de l’importance, peut-être beaucoup d’importance ! Et, là, elle n’oublierait pas de leur rappeler leur passé quand cela lui serait utile. Surtout ce viol collectif où ils s’étaient comportés pires que des chiens. Si elle ne s’était pas appelée Nathalie Milhès, elle aurait bien juré que l’un des violeurs était le géniteur de celle-ci. Elle serait prête à parier que cette pseudo-revenante aurait été adoptée puisque sa supposée mère était vraisemblablement morte depuis très longtemps. Mais elle était quasiment la seule à le savoir. Quasiment est impropre, car il y en avait deux autres qui étaient dans le secret. Et l’un des deux était son ami Christian Richard, le maire respecté. Le petit notable local. L’ancien député qui, selon des sondages officieux, avait des chances de le redevenir aux prochaines élections législatives. Sauf si un méchant grain de sable venait gripper les rouages de sa respectabilité affichée…

    Christian Richard était de la bande naguère. Un des loups de la meute…

    C’était bien loin tout cela. Et l’édile aimait à penser que personne ne ferait resurgir ce passé adolescent peu glorieux. Devenus adultes, et sur les conseils de Nadia, lui et elle s’étaient acheté une conduite en s’engageant dans moult associations. Ainsi leur image négative s’était estompée progressivement au profit d’une réputation d’humanité, de désintéressement et d’engagement. Sur la lancée, Nadia Dufresne et lui étaient, tout naturellement, devenus des conseillers municipaux. Vint le jour où le vieux maire annonça qu’il ne voulait pas briguer un nouveau mandat. À l’instar d’un Pétain en d’autres temps, Christian Richard avait fait « don de sa personne » pour devenir tête de liste lors des élections municipales. Il avait été élu haut la main en qualité de Maire. Nadia Dufresne était devenue sa première adjointe chargée, évidemment, de l’urbanisme. L’urbanisme ! Au départ, elle avait rencontré beaucoup d’opposition à l’encontre de son empressement à urbaniser à outrance. Son leitmotiv « Le temps n’est plus à l’ankylose, il faut se libérer de la sanctuarisation ! » Ce n’était pas sans calcul qu’elle avait opté pour ce secteur dans ce village essentiellement rural plein de surfaces disponibles. Ils avaient senti le pactole sous-jacent. Car tous deux étaient des enfants d’agriculteurs et avaient, de longue date, hérité puis acquis diverses terres agricoles achetées à des petits fermiers qui prenaient leur retraite. Pourtant, ils ne sont pas les plus riches du village. Le plus riche s’appelle Raymond Legrand. Il les a bien aidés quand ils étaient « petits ». Il a un peu financé et beaucoup ramassé. Aujourd’hui, il ne se gêne pas pour demander des « retours sur investissement ».

    Nadia et Christian Richard s’étaient déjà bien enrichis en transformant plusieurs de leurs « champs à patates » en lotissements. Le succès, dit-on, aide à l’émancipation. Bien qu’il se fût émancipé et malgré son état de premier magistrat municipal, Christian n’avait pas l’audace naturelle d’un dominant. Alors, il donnait le change. Au point qu’elle avait fini par se convaincre, en le voyant si bien faire œuvre d’autorité, qu’il avait totalement adopté le costume de sa charge.

    À sa très désagréable surprise, elle l’avait senti au bord de l’effondrement. Il avait dévoilé une fragilité bien cachée lors de ce « repas du maire ». Elle en avait conclu que s’il savait bomber le torse depuis qu’il était le premier magistrat, il demeurait, hélas, une chiffe molle en cas de souci majeur. Bien que cela l’eût fortement préoccupée sur le moment, elle s’était dit dans un deuxième temps qu’il était simplement semblable à tous les hommes. Virilité de façade, pusillanimité en dedans. L’adage qui dit que derrière un grand homme il y a toujours une femme se confirmait une fois de plus. Dont acte. Eh bien, elle le reprendrait en main. Tout simplement. Comme avant. Car c’est elle, en réalité, qui l’avait poussé à devenir maire et à en faire sa première adjointe. Elle se souvenait. Elle lui avait déclaré, la bouche en cœur, que c’était, avant tout, pour l’aider. Elle ne croyait pas si bien dire… C’est elle aussi qui avait sollicité le riche Raymond Legrand pour financer les diverses campagnes électorales qu’ils avaient menées. Ce dernier lui avait demandé un acompte en retour. Payable en nature. Elle avait payé de sa personne. Mais Raymond Legrand n’avait pas tenu cela pour tout solde de tout compte. Pour lui, il ne s’agissait là que d’une gratification naturelle ; dans nos sociétés encore très machistes, les hommes avaient le bonheur de ne pas se voir imposer cette sorte de réciprocité par leurs pairs. Elle avait, de tout temps, compris l’emprise psychologique qu’elle était capable d’exercer sur les autres.

    Quand elle dirigeait naguère la « meute », elle osait tout. Elle contrôlait, parfois à l’extrême, son pouvoir

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