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L'Etat-milice et sa métastase dans le Pool
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Livre électronique311 pages4 heures

L'Etat-milice et sa métastase dans le Pool

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À propos de ce livre électronique

Il pleut des milices sur le Congo-Brazzaville...

Force est de constater le désenchantement de la marche postcoloniale des États africains. Parangon qui alimente cet afro pessimisme, le Congo-Brazzaville a plongé dans un cycle de violences au lendemain d'une longue palabre pro démocratie. Infesté de bandes armées - sauf-conduits de partis politiques - le Congo devient un état-milice dès 1993. Aboli en 1997, sa récidive métastatique dans la région du Pool en 1998, embrase à nouveau le pays. Se basant sur une enquête approfondie, cette démarche argumentative tente de décrypter et d'analyser le conflit dans le Pool depuis ses origines et interroge sur les actes fondateurs de la jeune République du Congo.

LangueFrançais
Date de sortie4 janv. 2024
ISBN9782487254008
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    Aperçu du livre

    L'Etat-milice et sa métastase dans le Pool - François Ondai Akiera

    Introduction

    Pascal Lissouba, l’État-milice et les guerres du Congo

    1- Des « petits meurtres entre riches » à la saignée populaire

    Tout commence le 17 novembre 1992, lorsque le président Pascal Lissouba dissout l’Assemblée nationale issue des scrutins des 21 juin et 5 juillet 1992.

    Avec cette dissolution, M. Lissouba – président de la République en fonction depuis le 31 août 1992 – se mettait en situation de rébellion ouverte contre des dispositions constitutionnelles, ouvrant ainsi la boîte de Pandore aux mille maléfices.

    Comme le notera plus tard un analyste, cette dissolution « ouvrait la voie à une crise sans pareille […] à la violence politique et à la mobilisation des militants »¹.

    Le 7 juillet 1993, des violences éclatèrent à Bacongo et dégénérèrent en affrontements intercommunautaires opposant les ressortissants des tribus kongo-lari du Pool² contre les ressortissants des tribus kongo des pays de la vallée du Niari³.

    Le 3 novembre 1993, la boîte de Pandore libéra ses djinns sur le Congo. Le cycle des guerres du Congo commença avec le bombardement de Bacongo et Makélékélé. L’incendie de Bacongo et Makélékélé embrasa la commune de Mfilou à partir du 1er décembre 1993 et dura deux longs mois.

    Le 5 juin 1997 éclata une nouvelle guerre qui brisa et humilia Brazzaville, la capitale du Congo, pendant quatre mois et demi.

    Le président incendiaire s’enfuit du pays à la fin de ce dernier conflit mais le temple de Mars qu’il avait ouvert ne referma pas ses portes pour autant. À la surprise générale, un nouveau foyer d’incendie éclatera à la campagne le 26 septembre 1998 et se rallumera de temps à autre au gré des incendiaires.

    Échos pathogènes de la tentative de rechute d’une tumeur maligne dans un corps malade en voie de rémission, trois nouvelles guerres civiles endeuilleront le Congo : le 26 septembre 1998, le 29 mars 2002 et le 4 avril 2016, avec un déplacement de l’épicentre des affrontements en brousse, et l’inversion de l’initiative des attaques. Si Brazzaville fut la proie des deux premiers affrontements – le gouvernement étant à l’initiative des attaques contre les citoyens – les trois dernières guerres prirent pour théâtre des opérations la région du Pool, et, cette fois-ci, des citoyens attaquaient l’État.

    Ainsi, entre le 3 novembre 1993 et le 4 avril 2016, soit en 23 ans, le Congo-Brazzaville – État bantou de l’Afrique centrale dans le golfe de Guinée peuplé de trois millions d’habitants – aura essuyé successivement cinq conflits armés à l’intérieur de ses frontières. Avec en moyenne une guerre tous les quatre ans, le Congo-Brazzaville bat les records, comparé à son voisin le Gabon, qui, au-delà de proportions démographiques et géographiques identiques, partage la même histoire coloniale. Vierge de tout conflit armé depuis son accession à l’indépendance le 17 août 1960, soit deux jours après celle du Congo, le Gabon est un havre de paix pour sa population. Avec cet inutile record, le Congo-Brazzaville est devenu, au cours des vingt-cinq dernières années, le seul pays dans toute l’Afrique sub-saharienne à disputer le peloton de tête de cette sinistre performance à son grand voisin, le Congo-Kinshasa, victime d’un complot international depuis 1996.

    Comment en est-on arrivé là ?

    À la date du 3 novembre 1993, ce pays était à sa 33ème année de jouissance de sa souveraineté nationale depuis le 15 août 1960, après quasiment cent ans de colonisation française. La dynamique de son développement en termes de résorption de crises politiques ne le singularisait pas outre mesure des autres pays africains sub-sahariens. Les violences collectives paroxystiques n’avaient pas cours.

    Après l’éviction du premier président au cours d’une insurrection populaire en août 1963 qui refonda son système politique, le Congo s’orienta à partir de juillet 1964 sur une voie de développement dite socialiste.

    Circonscrite au sommet de l’État, la lutte pour le pouvoir et ses violences mirent en scène, entre février 1964 et août 1968 notamment, des protagonistes révolutionnaires et contre-révolutionnaires qui ne mêlèrent jamais le peuple dans le montage de leurs différentes conjurations.

    Entre août 1968 et décembre 1990, sous les régimes militaro-marxistes, la lutte pour le pouvoir se confondit avec « la lutte finale du prolétariat congolais contre le colonialisme, le néo-colonialisme et l’impérialisme en général, français en particulier ». C’était une époque riche en expressions colorées et stéréotypées où les « laquais, les chiens couchants, les valets locaux de l’impérialisme en général, français en particulier » n’avaient qu’à bien se tenir.

    Régulièrement épargné des violents soubresauts politiques et pris à témoin quand survenaient les crises, le peuple avait conçu de ces règlements de compte au sommet sa propre opinion. C’était, comme on disait alors, des « petits meurtres entre riches » pour reprendre l’expression de la chronique télévisée Planète + Crimes et investigations. Les victimes des périlleuses acrobaties autour du Palais présidentiel étaient des initiés des allées du pouvoir ou bien leurs opposants. Confiné à un rôle de voyeur, le peuple attendait la proclamation radiophonique pour savoir, entre les vaillants prolétaires de la lutte finale et les valets locaux de l’impérialisme, lesquels avaient pris le dessus.

    Ce scénario entre initiés subira une sévère inflexion avec l’arrivée au pouvoir de M. Pascal Lissouba le 31 août 1992. Sous sa gouvernance, les violences provoquées par les crises politiques glisseront des protagonistes situés au sommet de la pyramide étatique pour s’en prendre directement au petit peuple qui en payera le prix fort. Dans ce nouveau scénario, les initiés des allées du pouvoir, opposants ou partisans, furent épargnés. On passait d’un théâtre de petits meurtres entre riches à un théâtre de la saignée populaire. Le peuple se mit à payer par de régulières saignées un sinistre tribut à son élite politique.

    Au lendemain du second acte refondateur de l’État congolais que fut la Conférence nationale souveraine (25 février 1991-10 juin 1991), bien malin celui qui aurait vu venir les bombes qui sous peu allaient faucher la vie d’innocents citoyens congolais.

    Où le diable avait-il élu domicile entre la posture des hommes favorables au changement démocratique et le fatras des textes actés par la Conférence nationale souveraine et la Transition démocratique (10 juin 1991 – 31 août 1992) ? S’était-il infiltré dans la nature des hommes où dans l’imperfection des textes ? Mais que valent les textes sans le bon sens et la droiture des hommes chargés de les faire appliquer ?

    L’Histoire retiendra que parmi les nombreuses balises de la nouvelle gouvernance politique et institutionnelle qui s’annonçait, la première Constitution de l’ère démocratique du pays fut adoptée le 15 mars 1992. La particularité de ce texte résidait essentiellement dans le traitement de la question du pouvoir exécutif. Dans la résolution de cette question, le législateur avait prévu au sommet de l’État deux personnages : le président de la République et le Premier ministre. Ceux-ci pouvaient, de façon exclusive, disposer de la plénitude du pouvoir exécutif selon l’intelligence d’un dispositif à bascule bistable. L’équilibre de cette bascule bistable était tributaire de la répartition des forces politiques à l’Assemblée nationale. Quand la majorité parlementaire était favorable au président, il avait les clés du pouvoir et gouvernait le pays. Il nommait un Premier ministre qui devenait son technicien, le premier de ses ministres chargé de mettre en musique sa vision politique. Le titre de « chef de gouvernement » qu’on donne à ce personnage dans la tradition de la Vème République française étant en réalité abusif.

    Dans les faits, ce titre est nominal parce que populairement, l’idée de la personne qui gouverne dans ce cas est directement associée à la personne du président de la République. En revanche, quand la bascule penchait du côté de l’opposition parlementaire, celle-ci désignait en son sein un Premier ministre qui aurait, dans ces conditions, l’exclusivité et la plénitude du pouvoir exécutif ; c’est lui qui gouverne le pays sans être tenu en laisse par qui que ce soit.

    C’est le cas de figure de la majorité des régimes dans le monde suivant le modèle des pays germaniques. Dans ce second cas, le président de la République est assigné à jouer un rôle protocolaire comme sous la transition démocratique dirigée par M. André Milongo. Il en fut ainsi en France sous les cohabitations entre MM. François Mitterrand et Jacques Chirac d’une part, et, entre MM. Jacques Chirac et Lionel Jospin d’autre part. Proposé par une équipe de juristes conduite par le professeur Nestor Makounzi-Wollo, ce modèle fut discuté, amendé, voté par le Conseil supérieur de la République – parlement de transition – et soumis à référendum le 15 mars 1992.

    Pour être conforme au principe de la bascule bistable, son article 75 stipulait expressément que « le président de la République nomme le Premier ministre issu de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale ». Dans l’intelligence de cet article, l’impersonnalité de la majorité dont il s’agissait ne faisait aucun doute : il pouvait s’agir de la majorité ayant porté le président au pouvoir, tout comme il pouvait s’agir de la majorité constatée au parlement en cas de rupture d’alliance politique.

    En effet, le principal problème pratique que posait cette Constitution (et qui la ruina très rapidement) était que le dispositif de sa bistabilité était actionné mécaniquement, automatiquement par un changement de majorité à l’Assemblée nationale. L’absence d’une disposition faisant obligation de recourir au souverain primaire pour un nouveau vote populaire compliquait salement l’équation.

    Pour les constitutionnalistes qui l’avaient élaborée, seule une stricte loyauté aux prescriptions de cette Constitution faisait sa force. L’absence d’un recours au souverain primaire était destinée, selon eux, à démasquer les impostures des démagogues, c’est-à-dire à les mettre en face de leurs responsabilités. Malheureusement pour eux, cette loyauté était toute subjective comme obligation morale, sans force de contrainte pénale et sans disposition opposable à la dissolution de la chambre des députés par le président de la République. Finalement, selon leur entendement, seule une solidité des alliances à l’Assemblée nationale pouvait constituer la pierre angulaire de la stabilité institutionnelle de tout régime issu de cette Constitution.

    Quand plus tard, M. Pascal Lissouba, président élu sur la base de cette Constitution, criera à sa sophistication pour justifier ses déboires, la diversion choisie comme moyen de camouflage ne trompa personne. Quelque imparfaite que fut cette Constitution, les textes ne valant que ce que valent leurs animateurs, cette loi ne pouvait remplir qu’une condition minimale, une condition nécessaire à l’explication de ses malheurs. Cependant, comme nous le verrons par la suite, c’est le manque de loyauté du président Lissouba au dispositif à bascule de la Constitution du 15 mars 1992 qui fournira la condition, déterminante pour expliquer les excès dans lesquels il plongera le pays.

    À l’issue du second tour des législatives du scrutin du 5 juillet 1992, trois blocs politiques se répartissaient les 125 sièges de l’Assemblée :

    •L’Union pour le renouveau et la démocratie (URD) revendiquait 40 sièges.

    •Le Parti congolais du travail et Apparentés (PCT et Apparentés) réunissaient 26 sièges.

    •L’Alliance nationale pour la démocratie (AND) raflait le reste, soit 59 sièges.

    Au sein de ces trois blocs, les principaux partis, leaders et scores aux législatives étaient respectivement :

    •Le Mouvement congolais pour la démocratie et le développement intégral (MCDDI) de M. Bernard Bakana Kolélas avec 29 députés.

    •Le Parti congolais du travail (PCT) du général Denis Sassou-Nguesso avec 19 députés.

    •L’Union panafricaine pour la démocratie et le progrès social (UPADS) du professeur Pascal Lissouba avec 39 députés⁴.

    Le 31 juillet 1992, jour du second tour de l’élection présidentielle, l’UPADS soutenue par son bloc l’AND associé à la plateforme PCT et Apparentés portèrent au pouvoir le professeur Pascal Lissouba avec 61,32 % de suffrages exprimés. M. Bernard Kolélas battu au second tour se mua avec son bloc l’URD en leader de l’opposition parlementaire.

    Un mois plus tard, le 31 août, le président élu reçut de son prédécesseur, Denis Sassou-Nguesso, les clés du palais du Plateau. À cet instant précis, la majorité parlementaire, socle du camp présidentiel composé par l’AND et le PCT-Apparentés, revendiquait 85 députés contre 40 députés de l’URD.

    Avec un rassurant écart de 45 députés contre l’opposition, le camp du président Lissouba avait de beaux jours devant lui. Seul un devin aurait été capable de prédire lors de la cérémonie de passation de service, qu’un pouvoir servi sur un plateau en argent par le président sortant au président élu, avec chaudes poignées de mains, effusions fraternelles⁵, les deux hommes portant les mêmes couleurs parlementaires, basculerait dans l’invraisemblable le jour suivant. En effet, les choses se compliquèrent dès le lendemain avec la formation du nouveau gouvernement.

    Pendant les tractations des alliances avant le second tour de l’élection présidentielle, le PCT aurait mis la barre de ses désidératas à sept portefeuilles ministériels assortis de la présidence de l’Assemblée. Après la formation du gouvernement le 1er septembre, il reçut en partage trois portefeuilles sur un total de vingt-deux postes ministériels, s’estima mal récompensé et se mit à grincer des dents. Pour remonter le moral de son allié, le parti présidentiel, l’UPADS, proposa à celui-ci de soutenir son candidat lors de l’élection du président de l’Assemblée nationale. Ce que le PCT accepta volontiers⁷. Malheureusement, une désagréable surprise l’attendait.

    Le jour du vote, l’UPADS faussa le jeu en soutenant un autre candidat. Pour le bloc PCT et Apparentés, ce fut la goutte d’eau qui déborda du vase : la mauvaise foi du partenaire n’était plus à démontrer.

    Le leader de l’URD, M. Bernard Kolélas, suivait de près la passe d’armes entre les alliés PCT et UPADS. Il avait raison. La Primature lui tendait les bras. Avec ses quarante sièges parlementaires, une union avec le bloc PCT et Apparentés qui détenaient vingt-six sièges ferait basculer la majorité parlementaire dans son escarcelle avec soixante-six députés contre cinquante-neuf députés du bloc de l’AND. Le PCT passa dans l’opposition. Regonflée par l’apport de vingt-six nouveaux sièges, l’opposition parlementaire changea de peau : elle devenait majorité parlementaire en revendiquant soixante-six sièges contre cinquante-neuf à l’AND devenue minorité parlementaire. Le dispositif de la bascule bistable avait fonctionné à merveille.

    Il restait à présent au président Pascal Lissouba et ses amis à assumer leur incroyable méprise.

    Le 28 octobre 1992, la nouvelle majorité parlementaire haussa le ton. À l’issue d’une motion de censure qu’elle déposa, le gouvernement minoritaire de Stéphane Bongo Nouarra passa à la trappe. Formé le 1er septembre 1992, ce gouvernement s’était aussitôt retrouvé au milieu des eaux troubles, il se noya corps et biens définitivement.

    Après la première erreur liée à la dispersion de sa base parlementaire et la chute de son gouvernent, le président Pascal Lissouba préféra s’enfermer dans l’illégalité en se rebellant contre deux dispositions constitutionnelles : dans un premier temps, il s’obstina à ne pas nommer un Premier ministre issu de la nouvelle majorité parlementaire conformément au dispositif de l’article 75. Dans un second temps, il abusa de la disposition 80 pour dissoudre l’Assemblée nationale.

    Cet article stipulait que : « lorsque l’équilibre des institutions publiques est rompu, notamment en cas de crise aiguë et persistante entre le pouvoir exécutif et le Parlement, ou si l’Assemblée nationale renverse à deux reprises le Gouvernement en l’espace d’un an, le président de la République peut, après consultation du Premier ministre et du président de l’Assemblée nationale, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale. »

    Au regard de cet article, la condition suffisante qui donnait droit au président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale n’était pas remplie. Le Gouvernement n’ayant pas été renversé par deux fois en l’espace d’un an par l’Assemblée nationale. On en était qu’à deux mois et demi de l’exercice du pouvoir exécutif et législatif ! La condition de crise aiguë et persistante entre le pouvoir exécutif et le Parlement que M. Lissouba actionna pour arriver à ses fins, fut un argument spécieux que moralement, le président aurait dû s’abstenir d’évoquer. En effet, comme on l’a vu, la crise était le fait du prince. C’est son refus obstiné d’appliquer l’article 75 qui provoqua la crise.

    Comme noté supra, la conformité aux différentes dispositions de cette Constitution n’étant pas sanctionnée par un recours pénal, la Cour suprême ne disposait d’aucun pouvoir d’auto-saisine pour jeter le trublion en prison comme dans les pays anglo-saxons.

    On l’a également noté, dans la Constitution du 15 mars 1992, le président avait les mains libres pour agir à sa guise contre l’Assemblée nationale en cas d’un sérieux litige parlementaire. Libre de ses six degrés de liberté, le 17 novembre 1992, Pascal Lissouba actionna le levier de la destruction de l’édifice parlementaire démocratique : l’Assemblée nationale issue des scrutins démocratiques et pacifiques du 21 juin et du 5 juillet 1992 fut dissoute !

    Des observateurs notèrent alors que le nouveau président se livrait consciemment à un exercice d’autodafé sur tous les textes relatifs à la gouvernance démocratique du pays élaborés par la Conférence nationale souveraine et la Transition démocratique car, tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, il aspirait désormais à l’autocratie.

    Le 30 novembre 1992, un palier décisif fut franchi dans l’orientation autocratique du nouveau pouvoir. Après avoir détruit et dispersé l’Assemblée nationale, le camp présidentiel déclencha une attaque frontale contre les libertés publiques d’où surgira l’année suivante le chef d’œuvre du mandat présidentiel de M. Pascal Lissouba, à savoir : l’État-milice.

    Après la dissolution de l’Assemblée, la nouvelle majorité dissoute descendit dans la rue exprimer sa frustration. Deux cortèges s’ébranlèrent ; l’un à Bacongo et l’autre à Moungali.

    Conduit par le chef de l’opposition, Bernard Kolélas, le cortège de Bacongo était arrivé à son terminus près du Centre culturel français (CCF) où devait se tenir un meeting quand il fut soudain attaqué avec des armes de guerre par des individus roulant à bord d’un véhicule de marque Mahindra immatriculé 61-61-182⁶. On releva deux morts et plusieurs blessés. Au rond-point de Moungali, le même scénario se produisit avec des blessés. Les manifestants se dispersèrent, consternés.

    Une enquête diligentée par l’État-Major général de l’armée identifia un certain « sergent Mabiala qui reconnut avoir ouvert le feu au CCF ». À Moungali, les assaillants roulant à bord d’un véhicule de marque Sovamag ne furent pas identifiés individuellement. L’enquête établit toutefois qu’ils étaient comme ceux du CCF « en service à la sécurité présidentielle⁷ ». Cette attaque contre une manifestation pacifique des citoyens était une première dans l’histoire trentenaire du jeune État congolais. Quand les choses se corseront l’année suivante, cette attaque servira de base légitime aux États-majors politiques de toutes obédiences pour recourir à des milices armées comme personnel d’auto-défense. Cette fusillade annonçait donc l’entrée en scène prochaine de l’État-milice.

    Il n’entre pas dans cette introduction de rechercher les raisons pour lesquelles M. Pascal Lissouba et ses principaux lieutenants, Martin Mberi, Christophe Moukouéké, Victor Tamba-Tamba et Moungounga Nguila Nkombo, surnommés « La Bande des Quatre », écrasèrent les balbutiements démocratiques au Congo-Brazzaville. Pourquoi trahirent-ils l’espoir d’une rédemption démocratique à laquelle avait travaillé trois mois et demi durant, l’élite nationale à la Conférence nationale souveraine ? M. Pascal Lissouba et ses lieutenants furent d’éminents cadres du parti unique et de l’État. MM. Lissouba et Mbéri étaient présents au plus haut sommet des institutions dès 1963. On attribue à M. Moungounga Nguila Nkombo la paternité de l’acronyme P.C.T (Parti congolais du travail) lors du congrès fondateur de ce parti en décembre 1969. L’ancien Premier ministre des années 60, Pascal Lissouba et sa Bande des Quatre étaient loin d’être des incompétents. Ils sabotèrent sciemment le changement démocratique non pas parce qu’ils ne pouvaient pas l’impulser mais parce qu’ils ne le souhaitaient plus. Dans les années 60, ils avaient été dans le mouvement du parti unique à l’avant-garde du changement. Le temps était passé et ils ne croyaient plus au changement. Le temps n’était plus où le frère Mbéri Martin, pimpante troisième personnalité⁸ du mouvement de la jeunesse du parti unique, la JMNR⁹, jurait par tous les saints de la révolution mondiale, et les martyrs africains, Lénine, Mao, Fidel Castro, Patrice Lumumba, Hoji Ya Henda, Nguyen Van Troy… etc, et voulait renverser toutes les montagnes de l’oppression érigées à travers le monde. Devenus sexagénaires, ils traversaient le désert, privés des joutes oratoires du Comité central du parti unique et de sa sacrée rente, objet de toutes les convoitises, des coups bas et de sordides manœuvres. Écartés du parti et de la République, sans ressources, ils tiraient le diable par la queue et ruminaient quelques tenaces rancunes contre leurs anciens camarades qui les avaient plongés dans la précarité.

    Pascal Lissouba, pris en charge par l’Unesco à Nairobi, au Kenya, était le seul parmi eux à avoir de quoi subsister. Ils avaient prôné le changement démocratique par opportunisme. Pour Mbéri et ses camarades, le temps des illusions était passé. Désormais, ils pensaient à leurs vieux jours et à leur descendance.

    Il est peu de dire que dans le vacarme de l’agitation pro-démocratique, la conquête des lendemains qui chantent n’était pas, pour certains, liée à l’espoir d’un bond en avant collectif. Ce pouvoir qui leur était tombé dans les bras était une aubaine inespérée dans ce pays où les détenteurs du pouvoir exécutif étaient des princes royaux à la saoudienne. Voilà pourquoi, pour rien au monde, ils ne devaient lâcher le morceau, même au prix des hécatombes. La naïveté et l’analphabétisme de la population, additionnées à l’absence d’un cadre juridique non corrompu délimitant les droits et les devoirs des grands commis de l’État, leur avaient ouvert la voie du paradis. Entre la démocratie et la démoncratie, le n, juste un petit n, faisait la différence, avec un effet papillon à la clé. Mais ce détail était décisif pour changer le cours de l’histoire ! Au pervers de tirer les marrons du feu.

    Aussi étrange et incroyable que cela puisse paraître,¹⁰ la boîte de Pandore aux mille maléfices qui s’abattront sur le Congo sera ouverte par :

    1- La mauvaise foi des dirigeants de l’UPADS, incapables (pour de sordides raisons) de s’accorder avec un partenaire stratégique sur le partage d’un pouvoir conquis ensemble.

    2- La trahison des articles 75 et 80 de la Constitution du 15 mars 1992 par M. Pascal Lissouba. Il refusa d’assumer son choix de scier la branche parlementaire sur laquelle reposait le pouvoir exécutif qu’il contrôlait.

    3- L’absence d’une contrainte pénale actionnée par la Cour suprême faisant obligation au récalcitrant de se conformer à la loi sous peine de prise de corps.

    4- L’entrée en scène de l’armée comme arbitre central du bras de fer entre les parties en conflit se résuma à une pitoyable comédie de quartier. Au lieu de renvoyer les deux protagonistes se marrer dans les vestiaires, le Haut Commandement entérina la confusion en jouant au Ponce Pilate.

    En décembre 1992, on entendit les raclements de gorge des militaires. En ville, des bruits couraient sur l’imminence de leur entrée en scène pour remettre les compteurs à zéro afin d’épargner le pays de nouveaux meurtres.

    Le Haut Commandement mené par le général Jean-Marie Michel Mokoko fit une très mauvaise lecture de la situation et de son positionnement à cet instant capital. Il refusa de placer son arbitrage sous l’onction de la Constitution. Par conséquent, il refusa de siffler le pénalty en faveur de

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