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Les espérances inachevées - Tome 2: L'exhumé
Les espérances inachevées - Tome 2: L'exhumé
Les espérances inachevées - Tome 2: L'exhumé
Livre électronique331 pages4 heures

Les espérances inachevées - Tome 2: L'exhumé

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À propos de ce livre électronique

Alors que s’éteignent les feux de l’Expo 67 et que les actes terroristes du FLQ se multiplient, les questions sociales interpellent toujours Catherine et ses amies. Elles se mettent à rêver d’un pays. La Crise d’Octobre refroidit toutefois leurs ardeurs militantes.
Le soir du 15 novembre 1976, entourée de ses enfants et d’amies, Catherine se trouve aux premières loges lorsque la victoire du Parti québécois est annoncée. C’est le délire. Cependant, Noah, son aîné, ne partage pas cette euphorie. L’angoisse le ronge. Il a été recruté, contre son gré, pour infiltrer le premier gouvernement de René Lévesque. Il n’a d’autre choix que de collaborer sinon des informations très compromettantes seront dévoilées, ce qui détruira sa famille et mènera son père en prison. Au fil des mois, c’est non seulement le Québec qui se transforme, mais lui aussi, à tous égards.
Un roman sur l’amitié véritable, sur l’attachement et l’amour, aussi, qui parfois transcendent le temps.




À PROPOS DE L'AUTEUR




Christian Beaudry est un auteur québécois. Il continue de nous surprendre avec ce deuxième roman dans lequel nous retrouvons avec plaisir les personnages de L’indomptable, le premier tome. Son imagination débordante nous fait également découvrir une seconde génération qui se révèle aussi passionnée et passionnante que la première. "L’exhumé", c’est un maelstrom d’émotions, au cœur d’une intrigue saisissante. Tous ceux qui attendaient ce tome 2 avec impatience seront bien servis !

LangueFrançais
ÉditeurTullinois
Date de sortie22 nov. 2023
ISBN9782898093340
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    Aperçu du livre

    Les espérances inachevées - Tome 2 - Christian BEAUDRY

    Dédicace

    Peut-être n’y a-t-il rien, jamais, qui puisse égaler

    le souvenir d’avoir été jeunes ensembles?

    Mickael Cunnigham, Les heures

    Note de l’auteur

    Ce deuxième tome de la série Les espérances inachevées, est une œuvre de fiction qui s’articule encore une fois autour d’événements qui ont marqué l’histoire contemporaine du Québec.

    Les protagonistes, tout comme plusieurs lieux, circonstances et incidents sont nés de mon imagination. Toutefois, ce roman met aussi en scène des personnalités publiques, relate des faits historiques ainsi que des déclarations ou commentaires desdites personnalités publiques, qui sont bien réels. Il s’agit là du fruit de la consultation de multiples sources archivistiques et biographiques dont je me suis inspiré. Parce qu’il serait trop long de les énumérer ici, des précisions relatives à ces sources sont fournies dans une note en annexe.

    Tout comme c’était le cas pour le tome 1, l’histoire que j’ai inventée se déploie au cœur de grands pans de l’Histoire. Elle implique donc des politiciens ainsi que d’autres personnes moins connues du public qui sont mentionnées dans la note complémentaire en annexe. Outre cela, toute ressemblance avec des personnes vivantes ou disparues est véritablement fortuite.

    Par ailleurs, afin de répondre aux besoins du récit, certaines libertés ont été prises par rapport à certains faits ou à leur chronologie, de sorte que la réalité historique n’a pas été toujours scrupuleusement respectée. Cela explique ou excuse, c’est selon, ce qui pourrait être perçu comme de possibles erreurs factuelles, mais relève essentiellement de mon imaginaire romanesque.

    Chapitre 1

    J’ai un violent haut-le-cœur lorsque j’arrive au passage de l’autobiographie de Lise Payette dans lequel elle raconte la peur qui s’était emparée d’elle, le soir du 15 novembre 1976. Candidate aux élections provinciales, elle venait d’être déclarée élue et avait rejoint sur la scène du Centre Paul-Sauvé le chef triomphant du Parti québécois, René Lévesque. Elle décrit ainsi son état d’esprit à cet instant : « J’ai peur, mais je ne le montre pas. Suis-je la seule à voir peur en ce moment (Des femmes d’honneur – Une vie engagée, 1976-2000, Lise Payette, Éditions Libre expression, 1999, p. 268.) ? »

    Ces mots me ramènent avec effroi plus de vingt ans en arrière. À l’époque où, à mon corps défendant, j’ai été infiltré au sein du premier gouvernement souverainiste de l’histoire du Québec. Non, madame Payette n’était pas la seule à avoir peur, le soir du 15 novembre 1976 ! Ai-je été veule, faible, lâche, au moment où j’ai accepté de trahir mes idéaux ? Oui, assurément. Mais je n’avais tout simplement pas le choix. C’est du moins ce dont je m’étais convaincu à l’époque.

    -o0o-

    D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours demandé pourquoi je me sentais différent des autres. Ce n’était pas seulement le fait que, rejeton d’un père anglophone, Arthur Edwin, j’ai grandi à Outremont, au coin des rues Querbes et Bernard, au cœur d’un bastion de la petite-bourgeoisie canadienne-française. Il y avait autre chose. Je réussissais fort bien en classe, peut-être trop au goût des autres garçons, de sorte que j’avais peu ou pas d’amis. Une fois le second bulletin de la sixième année de mon cours primaire remis à mes parents, la directrice de l’école Lajoie leur avait proposé de me faire « sauter la septième ». Cela avait fait en sorte que je m’étais retrouvé un peu prématurément dans un vénérable collège classique. Tout d’abord chez les jésuites puis chez les sulpiciens.

    Mes débuts au Collège Jean-de-Brébeuf furent difficiles. J’étais habitué à briller, à tout réussir avec facilité. Cette fois cependant, cela ne fonctionnait tout simplement pas. Entouré d’élèves plus âgés que moi, dotés pour la plupart d’une grande vivacité intellectuelle, j’avais rapidement rejoint le peloton de queue. Le découragement aidant, je n’arrivais pas à me sortir de l’ornière. Cet automne-là, ma seule source de motivation était mon intérêt naissant pour le hockey.

    Après un premier trimestre catastrophique, le préfet des études informa mes parents qu’à moins d’un redressement notable, je risquais d’être expulsé du collège. Cette perspective, plutôt que de m’inciter à redoubler d’efforts, me fit rêver à un retour à l’école primaire Lajoie. Mû par ce fantasme juvénile, je décidai de jouer le cancre pour de bon.

    Catherine, ma mère, une grande femme racée, aux cheveux châtain foncé et aux yeux gris-bleu, devinant probablement mon manège, avait pris les choses en main. Elle avait retenu les services de Jean Loiseux, un étudiant de Philo 2, la dernière année du cours classique, pour m’aider à remonter la pente. Buté au départ, j’avais fini par comprendre que mon stratagème ne fonctionnerait pas. Si je ne voulais pas être rivé aux basques de mon précepteur tous les samedis après-midi, je devais m’y mettre. Fournir un effort, pour la première fois de ma vie.

    C’est ainsi que j’avais réussi à éviter un échec final en mathématiques, ma matière de prédilection. Par contre, il était trop tard pour le latin et le français. En conséquence, je devais reprendre Éléments latins, désignation utilisée à l’époque pour la première année du cours classique. Toutefois, cette reprise ne se ferait pas au Collège Jean-de-Brébeuf. Même si je m’étais révélé un atout pour leur équipe de hockey pee-wee, les jésuites ne voulaient plus de moi.

    Trouver une place disponible dans un autre collège, à la fin du mois de juin, ne fut pas une mince affaire. À la suite de nombreuses tentatives infructueuses, ma mère demanda à une amie, sœur Estelle Bleau, la directrice des soins infirmiers à l’hôpital Maisonneuve, de faire jouer ses relations. Son intercession auprès du père Leblanc, le directeur des études du Collège de Montréal, me permit d’obtenir une place parmi la poignée d’élèves externes admis en Éléments latins dans cet éminent collège.

    La solution offerte par sœur Bleau s’avéra malheureusement une très mauvaise idée. Depuis un siècle et demi, les Sulpiciens avaient formé des milliers de prêtres au Grand Séminaire de Montréal. Le Collège de Montréal, également dirigé par les messieurs de Saint-Sulpice, était conséquemment perçu par un grand nombre comme une pépinière de futurs ecclésiastiques. Larguer au milieu de séminaristes en devenir le fils d’une Canadienne française farouchement anticléricale et d’un Canadien anglais, adhérent non pratiquant de l’Église anglicane, ne fut donc pas la trouvaille du siècle !

    Mon peu d’empressement pour les rites du catholicisme ainsi que mon patronyme anglophone nuisirent à mon intégration. Pour tout dire, je devins rapidement le mouton noir du groupe auquel j’appartenais. Devant l’attitude de mes camarades, je décidai, par défi, de me métamorphoser en premier de classe. Rien de moins. Puisque je redoublais, j’avais une certaine longueur d’avance. Celle-ci me permit d’atteindre mon objectif dès le premier relevé de notes.

    Ce revirement fit naturellement la joie de mes parents. Il produisit malencontreusement l’effet contraire chez les autres élèves. Dès lors, je fus harcelé, intimidé et bousculé par de nombreux condisciples qui récitaient avec conviction le Notre Père quand ils se trouvaient à la chapelle. J’eus beau tenter de me défendre, je ne faisais pas le poids lorsque je devais affronter les butors de la classe. Des mesures sévères furent prises à l’endroit de mes principaux tourmenteurs. Cela n’accrut évidemment pas ma popularité.

    À la remise du bulletin de fin d’année, le monsieur de Saint-Sulpice responsable de mon groupe commença par souligner mes exceptionnelles qualités intellectuelles. Avec beaucoup de courtoisie, il expliqua ensuite à mes parents qu’il valait mieux que j’aille développer mes compétences relationnelles ailleurs…

    Une autre école a dû être trouvée pour Syntaxe, la deuxième année du cours classique. Après bien des démarches, mes parents durent se résoudre à me « placer » dans un pensionnat à l’extérieur de Montréal, comme le confia ma mère à Yolande Chapais, son amie d’enfance. Une fois admis à ce collège, mon père, un homme de taille moyenne, aux yeux bleu pâle, la mi-quarantaine grisonnante, prit soin de me faire comprendre que cette fois, ce devait être la bonne !

    À la rentrée des classes, je connus une sorte de faux départ. Les pensionnaires devaient normalement arriver en soirée, la veille du début des cours. Je dus cependant me présenter en milieu d’après-midi parce que mon père, ancien pilote de chasse recyclé aux liaisons intercontinentales chez Air Canada, prenait les commandes d’un vol en soirée. Une fois mon lit de collégien fait au carré par mon infirmière de mère, mes effets personnels rangés, mes parents et Simone, ma petite sœur, embrassés, je me retrouvai seul, dans la vaste salle de jeux qui sentait l’encaustique. De toute ma vie, je n’avais jamais été séparé de mes parents pour plus d’une nuit.

    À cet instant, je pris véritablement conscience de ce qu’impliquait le fait d’être pensionnaire. Je fus submergé par un afflux de tristesse. Des larmes me montèrent aux yeux. Voulant chasser cet abattement, je me dirigeai vers le petit casier où j’avais rangé le dernier Bob Morane, un roman d’aventures cadeau de mes parents. Je croyais que sa lecture me changerait les idées, qu’elle me permettrait de me ressaisir. J’accrus plutôt le déferlement d’émotions. Dès que j’eus en main ce livre que ma mère avait affectueusement choisi pour moi, mes yeux s’embrumèrent davantage. Debout devant mon casier, gêné par ce débordement, je tentais de sécher vigoureusement mes larmes lorsqu’un gars pas très grand, assez costaud, aux cheveux foncés, s’adressa à moi d’un ton aimable :

    — Salut, t’es un des nouveaux ?

    — Ouais, sniff… Euh, sniff… J’commence en Syntaxe, sniff…

    — Ben moi aussi ! J’suis pensionnaire pour la première fois… Je m’appelle Paul… Paul Godois.

    — Pareil pour moi !

    — Tu veux dire que tu t’appelles Paul ?

    — Ben non, voyons ! ai-je répondu en souriant légèrement. Moi, c’est Norman Edwin. Mais j’déteste ce prénom. Alors tout l’monde m’appelle Noah.

    — Est-ce que tu joues au tennis, Noah ?

    — Ben… Euh… J’viens d’avoir une raquette !

    C’est ainsi que j’appris à jouer au tennis et que je nouai ma première véritable amitié. Paul, fils d’un éleveur de bouvillons, était un gars pas compliqué, qui excellait dans les sports individuels et exécrait les sports collectifs. Sur mon insistance, il devint éventuellement l’aide-soigneur de l’équipe de hockey à laquelle je me joignis dès le début de la saison.

    Le capitaine de notre équipe de collégiens était Mathieu Lenoyer. Un mâle alpha qui se prenait à cette époque pour un dieu du stade. Patineur infatigable, compteur naturel, il exerçait un leadership autoritaire. Il valait mieux être d’accord avec lui et bien tenir la place qui nous avait été attribuée dans le plan de jeu. Ce qui aidait à faire passer le style abrasif de Mathieu, c’était son bagou, ses blagues féroces, son entrain communicatif. Boute-en-train, amuseur public, il fallait l’inviter pour qu’une soirée soit réussie.

    L’autre vedette de notre équipe était Émile Vigean. Un grand svelte aux cheveux bruns et aux yeux de même couleur, doté d’un charme magnétique. Je fis sa connaissance, si je puis dire, lors de notre premier jour de classe. Pris dans une bousculade dans les couloirs, je percutai le dos d’un élève, placé juste devant moi. Confus, je voulus m’excuser auprès de lui :

    — Euh… Navré… Je…

    Il m’interrompit aussitôt :

    — Pas de problème ! Les accidents, ça arrive.

    Le sourire sincère qu’il m’adressa, son regard direct et franc, l’assurance tranquille qu’il dégageait, me firent immédiatement comprendre qu’il était dans une catégorie à part.

    L’entraîneur de notre équipe de hockey eut un coup de génie lorsqu’il décida de nous placer, Émile, Mathieu et moi, sur le même trio offensif. J’étais nettement moins doué que Mathieu et Émile. Mes talents plus modestes étaient cependant compensés par le fait que j’étais un besogneux acharné. De plus petite taille, je savais trouver la faille dans la défensive de l’adversaire et me placer au bon endroit au bon moment. C’est ainsi que par la force des choses, je me liai avec eux deux. Cela n’en fit pas pour autant des amis. Ils étaient trop entourés, trop sollicités pour s’intéresser à moi à ce moment-là.

    À la fin de notre première saison ensemble, grâce aux talents de nos joueurs et à la froide opiniâtreté de notre capitaine, nous raflâmes tous les honneurs dans les tournois de hockey. Ces succès se répétèrent en Méthode et en Versification, les troisième et quatrième années du cours classique. Ceci fit en sorte que Paul, Mathieu et moi formèrent peu à peu un cercle étroit autour d’Émile, le meilleur d’entre nous. J’appréciais de plus en plus Émile, sa manière d’être, sa calme détermination, son esprit d’équipe, que dis-je, son sens de l’équipe. Peu à peu, je commençai à souhaiter qu’il devienne un ami proche.

    Je ne savais pas trop comment m’y prendre. Je ne pouvais pas lui prêter un de mes livres, ne connaissant pas ses goûts littéraires. Je ne pouvais pas lui présenter ma sœur, celle-ci étant plus jeune que moi. Sachant qu’il habitait également sur l’île de Montréal, je l’invitai à deux reprises à venir écouter un match de hockey à la télévision, un samedi soir. En vain.

    Finalement, c’est lui qui ouvrit la voie à la transformation de notre relation amicale en une amitié singulière. Tout commença lorsqu’il me persuada, au printemps de l’année 1966, de plonger à sa suite dans les eaux troubles de la politique partisane. À cette époque, nous n’avions évidemment pas la moindre idée de l’impact de ce militantisme précoce sur nos avenirs, sur nos vies.

    Chapitre 2

    La vie de Catherine, sa vie professionnelle s’entend, est bouleversée depuis que son patron, le docteur Adélard Groulx, directeur du Service de santé de la Ville de Montréal, a pris sa retraite en novembre 1965. Elle avait développé une très bonne relation avec cet homme qui lui avait fait confiance lorsqu’après la naissance de Noah, elle avait décidé de retourner sur le marché du travail. Sous son leadership éclairé, Catherine avait promptement gravi les échelons, se retrouvant infirmière-chef à la division des maladies contagieuses moins d’un an après son embauche. Ses diplômes en santé publique de l’université McGill puis de l’université Columbia, aux États-Unis, n’étaient certes pas étrangers à cela. Toutefois, c’étaient ses qualités professionnelles et sa détermination qui avaient joué le plus dans cette rapide progression de carrière.

    Les bouleversements ont commencé en fait lorsque la Commission d’hygiène de la Ville de Montréal a été mise sur la touche en 1962. Depuis le début de son mandat, en 1937, le docteur Groulx avait finement manœuvré pour que cette Commission cautionne, sinon défende, ses orientations et ses politiques auprès des autorités municipales. Une fois cette instance écartée de facto, le Service de santé avait relevé directement du comité exécutif de la Ville et le médecin devait répondre au président de celui-ci. Tout ceci avait plus ou moins coïncidé avec l’arrivée de Lucien Saulnier à la présidence du comité exécutif de la Ville de Montréal.

    Parallèlement à ces changements structurels, des groupes de pression qui avaient vu le jour au début des années 60 dans certains quartiers défavorisés de Montréal, réclamaient la mise en place d’une assurance-maladie pour tous. Une demande supportée par de très nombreuses intervenantes du domaine de la santé, dont sœur Estelle et Catherine.

    C’est que la situation n’était pas facile pour les démunis qui éprouvaient des problèmes de santé. Les soins médicaux de base étant principalement dispensés par des médecins en cabinet privé, les personnes qui étaient incapables de payer pour recevoir de tels soins devaient être traitées à l’hôpital. Cela mettait beaucoup de pression sur ces institutions gérées la plupart du temps par une communauté religieuse.

    Dans ce contexte, des regroupements de citoyens ainsi que des syndicats ouvriers travaillaient à la mise en place de cliniques médicales populaires. De par leurs fonctions ou affinités, de nombreuses infirmières du Service de santé étaient en contact avec des membres de ces groupes. Elles n’étaient pas restées indifférentes à leurs revendications. Elles avaient réussi à convaincre leur directeur qu’il fallait envisager de ne plus limiter le Service de santé à la seule médecine préventive. Un groupe de travail chargé d’élaborer un projet de service de soins à domicile et de planification familiale avait été mis sur pied. À l’invitation du docteur Groulx, Catherine s’était jointe à ce groupe de travail. Cette invitation était davantage reliée aux talents de gestionnaire de Catherine qu’à son expertise en matière de soins curatifs puisqu’elle n’avait pas prodigué de tels soins depuis les an-nées qu’elle avait passées en Ontario.

    Cela avait été une période exigeante pour Catherine puis-qu’elle devait assumer ses responsabilités à la division des maladies contagieuses tout en consacrant temps et énergie à un pro-jet qui suscitait de plus en plus son engouement.

    L’élan de Catherine est toutefois freiné depuis que le nouveau directeur du Service de santé, le docteur Roland Lamquin, est entré en fonction. Catherine et lui n’ont pas vraiment d’atomes crochus. Rapidement, Lamquin remet en question la participation de Catherine au groupe de travail sur les soins à domicile puis décide de lui retirer ce mandat. Par dépit, Catherine présente au mois de janvier 1966 sa candidature au poste nouvellement créé de surintendante de la division chargée de la lutte contre le cancer. Nulle autre candidate ne s’étant manifestée, elle obtient le poste, au grand dam de son directeur.

    -oʃo-

    Sur un coup de tête, Arthur a échangé avec un collègue une assignation de fin de semaine qui devait le placer aux commandes d’un DC-8 en direction de l’Europe. Ensuite, il a téléphoné à Catherine à son travail et lui a proposé de s’inviter chez Micheline, l’une des sœurs aînées de Catherine, en fait le seul membre de la famille de son épouse qu’ils fréquentent. Noah et Simone adorent ces escapades dans la région de Québec où habitent Micheline et Gilles, son mari. Ceux-ci se sont récemment installés dans une nouvelle résidence et Arthur est curieux de découvrir les lieux. Le temps de préparer leurs bagages, d’attendre l’arrivée de Noah, la famille a pris la route vers 18 heures.

    Au volant de sa rutilante voiture, alors que Catherine sommeille à ses côtés, que ses enfants sont endormis sur la banquette arrière, Arthur songe aux trois dernières années. Lorsqu’il avait accepté, mais avait-il le choix, que son fils soit inscrit dans un pensionnat, il n’avait évidemment pas imaginé les répercussions de cette décision. La première fois qu’ils avaient laissé Noah au collège, il y avait eu des pleurs dans la voiture, sur le chemin du retour. D’abord ceux de Simone qui se trouvait séparée de son frère chéri. Puis, en réaction, ceux de Catherine, au souvenir du visage désemparé de son fils lorsqu’ils l’avaient quitté après d’ultimes conseils et embrassades. Arthur, toutefois, avait gardé les yeux secs.

    Ce n’est que dans les semaines suivant l’entrée de son fils au collège qu’Arthur avait pris conscience des implications irrémédiables du statut de pensionnaire de Noah. L’horaire de travail d’Arthur rognait régulièrement ses fins de semaine de sorte que ses contacts avec son fils n’étaient plus qu’occasionnels. Leurs échanges, déjà limités depuis que Noah était entré dans l’adolescence, s’en trouvaient réduits à peau de chagrin. Outre quelques grognements lors des repas, son rejeton était incapable d’engager un dialogue avec lui. La passion de Noah pour le hockey aurait pu créer un lien entre eux. Malheureusement, Arthur avait peu d’intérêt pour ce sport ou pour le Canadien de Montréal. Alors que la chambre de son fils était tapissée de découpures de journaux montrant les Béliveau, Cournoyer, Ferguson et autres joueurs du Tricolore en action, Arthur participait avec peine à une conversation sur le sujet. Lors d’un vol Montréal – Londres qui lui avait semblé interminable, son co-pilote, un Torontois fier partisan des Maple Leafs de l’endroit, l’avait continuellement tancé sur la rivalité de longue date opposant son club fétiche à celui de Montréal. Arthur, incapable de nommer plus de quatre ou cinq joueurs du club montréalais, avait perdu la face en tentant de soutenir, erronément, que le Canadien gagnait beaucoup plus souvent la coupe Stanley que les joueurs de Toronto.

    Sans en glisser un mot à qui que ce soit, Arthur avait décidé d’assister à l’occasion aux matchs de hockey que l’équipe de son fils disputait contre ses rivaux des collèges avoisinants. Il s’était donc retrouvé à quelques reprises, un soir de semaine, à se geler les fesses sur un siège de bois dans un quelconque aréna ou patinoire glorifiée. Mêlé à la petite foule de parents surexcités, il avait espéré à de nombreuses reprises que son fils note sa présence et que cela réchauffe l’atmosphère entre eux. Cela ne s’était jamais produit. Noah, concentré sur le jeu, ne regardait jamais les gradins. Mortifié, Arthur avait mis fin à ces incursions solitaires.

    Il en aurait été fort autrement si Arthur avait partagé cette idée avec Catherine ou sa fille. Les deux femmes auraient certainement manifesté de l’enthousiasme à l’idée d’assister aux exploits sportifs de Noah. Leurs cris de jubilation lorsque son équipe aurait marqué des points auraient certainement fini par attirer l’attention du jeune homme. L’incapacité d’Arthur à partager ses sentiments, sa tristesse, lui avait, encore une fois, fait manquer une occasion de se rapprocher de son fils.

    Arthur s’était donc rabattu sur leurs périples bisannuels au soleil pour réussir à voler un peu de temps de qualité à son aîné. Il se faisait un point d’honneur d’organiser avec soin ces rares moments où ils se retrouvaient tous les quatre pour plusieurs jours consécutifs. Depuis leur plus jeune âge, Noah et Simone prenaient l’avion avec leurs parents pour la Floride, destination favorite de leur père. Au fil des années, ils avaient écumé toute la côte est puis la côte ouest de cet état. Ils avaient également trempé l’orteil dans le Pacifique, à l’occasion d’un séjour à Disneyland, en Californie, mais cela avait été une expérience qu’ils n’avaient pas répétée, la traversée du continent nécessitant trop de temps. Sans compter un autre décalage horaire dont Arthur pouvait bien se passer. Les infrastructures touristiques étant peu développées dans les Caraïbes dans les années 50, le Sunshine State était devenu un incontournable.

    Ils s’y rendaient deux fois par année : aux vacances de Pâques puis au cours de l’été. S’il n’en avait tenu qu’à lui, Arthur aurait également passé le temps des Fêtes au soleil. Catherine s’y opposait, convaincue que cette période de réjouissances devait se vivre avec les amis.

    Certains de ces mêmes amis s'interrogeaient sur leur présence estivale en Floride, alors que le temps était évidemment très chaud et humide. À ceux-là, Arthur répondait poliment qu’avec l’incertitude du climat au Québec, valait mieux avoir trop chaud que trop froid ! Ces voyages aux États-Unis étaient également l’occasion pour Simone et Noah de conserver leur maîtrise de la langue anglaise, étant entendu qu’au pays de l’oncle Sam, on parlait la langue du commun.

    À une certaine époque, Micheline et Gilles, Gilles surtout, avaient exprimé le souhait de se joindre à eux pour ces périples estivaux. Arthur avait privément exprimé une certaine réticence. Catherine y avait été favorable puisque l’éloignement de sa sœur limitait leurs contacts. En outre, lorsque cette idée avait été lancée, Josh Cohen, leur ami de longue date, avait cessé de les accompagner, ayant décidé de quitter le Canada. Depuis ce départ, Catherine éprouvait une certaine lassitude lorsque débutait la deuxième semaine de leur séjour estival au soleil. Le com-promis fut ainsi facile à trouver. Les enfants étaient toujours heureux de l’arrivée de leur tante et de leur oncle, au mitan de leur séjour.

    Ayant peu de contacts avec son fils, Arthur avait en quelque sorte jeté son dévolu sur sa fille cadette. Lorsqu’il était à la maison, il l’aidait dans ses devoirs, lui proposait de faire une sortie à bicyclette, d’aller voir un film, de faire une promenade en parlant de tout et de rien. Une belle connivence s’était graduellement installée entre eux. Les rapports de Simone avec sa mère étaient plus tendus. Cela ne datait pas d’hier. Le caractère très volontaire de la jeune fille provoquait régulièrement des affrontements entre sa mère et elle, principalement en raison des attentes maternelles.

    Arthur est tiré de ses réflexions lorsqu’il aperçoit la silhouette du pont de Québec qui se profile dans la nuit. L’inauguration récente du tronçon Montréal – Québec de l’autoroute transcanadienne permet aux voyageurs d’arriver à destination vers 21 heures, après s’être restaurés à mi-parcours. Ils sont chaleureusement accueillis par Micheline et Gilles. Ce dernier, à la taille rondelette et au charme discret, est un respectable gérant de Caisse d’économie. Micheline, d’un naturel enjoué et bienveillant, porte depuis toujours ses cheveux bruns bouclés à mi-longueur. Elle aussi a hérité du regard gris-bleu de leur père. Elle s’occupe de comptabilité dans une petite entreprise. Après avoir vécu une dizaine d’années à Sillery, le couple sans enfant vient d’acquérir un petit domaine niché sur les contreforts de la Côte-de-Bellechasse, non loin du village de Saint-Étienne de Beaumont.

    — Dis donc, le beau-frère, les affaires sont florissantes ! lance Arthur en entrant dans la vaste maison de style

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