Diapason

Les printemps de William Christie

Prélude : Buffalo, 1944

Que reste-t-il aujourd’hui de votre petite enfance, quel dialogue entretenez-vous, par-delà leur absence, avec vos parents, votre grand-mère maternelle aussi, dont vous avez souvent rappelé l’importance dans votre éveil à la musique ?

William Christie : Je m’en souviens d’abord avec reconnaissance, car tout a commencé grâce à eux. La rencontre avec une partie de ce répertoire qui est ensuite devenu le mien, Bach, Handel, Purcell, Gibbons, s’est faite dès l’âge de sept ans grâce au chœur amateur que dirigeait maman. Ma grand-mère avait pour la musique française un intérêt pionnier, et m’offrait au même âge les enregistrements au clavecin de Rameau et Couperin par cette autre pionnière qu’était Sylvia Marlowe. C’est grâce à leurs encouragements que j’ai, à douze ans, accédé à la classe de la meilleure professeure de piano de Buffalo, puis assidûment pratiqué le chant choral.

Vous parlez moins souvent de votre père, pour lequel cette année marque aussi un anniversaire, celui de son arrivée en France lors du débarquement en Normandie…

W.C. : Ce n’était pas en Normandie, mais à Toulon la même année, et l’exactitude m’oblige à préciser qu’il ne s’agissait pas de la première vague sur les plages, mais des forces débarquées quelques semaines plus tard, sans minorer son engagement dans le conflit auquel il a pris part dès 1943 – mon père ne m’a d’ailleurs vu pour la première fois qu’en 1946, j’avais plus d’un an. Je ne dirais pas que la musique tenait dans sa vie une place aussi fondamentale que pour ma mère, mais il en écoutait beaucoup. Architecte, il se sentait surtout lié au business, et disait sa fierté, quand j’étais adolescent, d’avoir enfin un « poète » dans la famille – appellation un peu obscure pour moi en ce temps, car je me voulais d’abord musicien, et qui m’émeut davantage aujourd’hui. Il garda toute sa vie une soif de savoir étonnante. Ayant appris un français approximatif, il s’était réinscrit à l’université pour le perfectionner à l’approche de ses quatre-vingts ans. Découvrir l’Europe lui avait ouvert de nouveaux horizons, auxquels je dois beaucoup aussi. Quand, à vingt-cinq ans, j’ai pris la décision de partir à mon tour, non pour rejoindre l’armée, mais pour échapper à l’enrôlement pour le Vietnam, guerre que je réprouvais profondément, j’ai pu compter sur son soutien total, autant que sur celui de ma mère.

Y a-t-il des points sur lesquels il vous arrive encore aujourd’hui, et peut-être même plus qu’hier, de vous sentir profondément américain ?

Je lis tous les matins le aussi bien que , et ne sais toujours pas très bien pourquoi certains jours, c’est l’anglais ou le français qui me viennent le plus naturellement. En cinquante-quatre ans, j’ai, de mal du pays, perdu les lunettes roses avec lesquelles je voyais au début la France, dont je peux critiquer l’évolution actuelle. Mais je ne suis pas plus indulgent à l’égard des Etats-Unis, et me sens bien souvent soulagé de vivre à des milliers de kilomètres, avec un second passeport. Certains de mes amis américains, qui ont passé en Europe une grande partie de leur vie, retournent tels des éléphants sur le sol natal afin d’y vivre leurs toutes dernières années. C’est pour moi inenvisageable. Sans renier cette part américaine, je me sens français de préférence. J’adore retraverser l’Atlantique pour des tournées, et mes sessions d’enseignement à Juilliard, mais ne le ferai jamais sans mon billet de retour !

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