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Ego-Graphie - Tome 2: Ou la vie amoureuse d'une émigrée polonaise
Ego-Graphie - Tome 2: Ou la vie amoureuse d'une émigrée polonaise
Ego-Graphie - Tome 2: Ou la vie amoureuse d'une émigrée polonaise
Livre électronique348 pages5 heures

Ego-Graphie - Tome 2: Ou la vie amoureuse d'une émigrée polonaise

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À propos de ce livre électronique

Une femme travaille dans son jardin quand tout à coup, elle est prise d’un malaise cardiaque. Réalisant que sa vie est en danger, des souvenirs défilent dans sa tête de façon désorganisée. Des anecdotes de ses trois vies dans des régimes politiques opposés. Une vie polonaise sous régime communiste où elle affronte les services KGB, une autre américaine, et enfin sa vie française où elle fait toute sa carrière professionnelle et s’affirme comme être humain. Transportée à Santa Guarigione, elle est opérée par un chirurgien mondialement connu. Sa vie est sauve. Commence alors une extraordinaire histoire d’amour résultant d’une phrase qu’il a dite : « Que vous êtes belle Madame ». Elle tombe amoureuse de ce spécialiste qui lui, n’est pas indifférent.

Une histoire d’un amour fantasmatique qui redonne à cette beauté slave, son envie de continuer tout simplement à… vivre. Et à notre grande surprise, nous apprenons que : l’impossible n’est pas polonais…


À PROPOS DE L'AUTEURE

Cette petite émigrée de l’Est devient une femme influente dans le milieu des affaires, fréquentant les plus grands de son époque : Richard Nixon, Valérie Giscard d’Estaing, Jean-Paul Sartre, Kim Novak, George Cukor… Un récit émouvant, d’une sincérité profonde, une ego-graphie, autour d’un amour curieux et inattendu.

LangueFrançais
ÉditeurEncre Rouge
Date de sortie1 déc. 2022
ISBN9782377899913
Ego-Graphie - Tome 2: Ou la vie amoureuse d'une émigrée polonaise

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    Aperçu du livre

    Ego-Graphie - Tome 2 - Marguerite-Christine SWIRCZEWSKA

    cover.jpg

    MARGUERITE-CHRISTINE SWIRCZEWSKA

    EGO-G R A P H I E

    ou la vie amoureuse d’une émigrée polonaise

    TOME II

    De même auteur :

    Tome 1 EGO-GRAPHIE ou la vie d’une émigrée polonaise/2020

    Et

    Tom 1 EGO-GRAFIA lub życie polskiej emigrantki/2021

    Éditions Encre Rouge

    Couverture : concept et réalisation, société Fvolution, 92700 Colombes

    Photo : Zofia NASIEROWSKA, grande artiste polonaise, collection privée

    Pour Papa et Gilles

    Je voudrais rendre un hommage tout particulier à mon conseiller littéraire et historique Boris Philipps qui s’est éteint au cours de la rédaction de ce second tome. Il m’a ouvert à la littérature française et fait comprendre la spécificité culturelle française. Grâce à son aide et son soutien indéfectible, j’ai pu écrire et me faire publier en France ainsi qu’en Pologne. Je le remercie de tout cœur. Qu’il repose en paix.

    TOME II

    Le présent parsemé par le passé

    Préambule

    Cette fameuse phrase « que vous êtes belle Madame » m’a complètement bouleversée. J’étais comme Alice aux pays des merveilles !

    Je ne parlais plus, je chantais ; je ne marchais plus, je survolais le sol et j’écrivais « ma vie » pour que LUI, mon sauveteur, puisse la lire. Je voulais achever mon récit au plus vite pour venir le lui offrir. C’était en effet le meilleur prétexte que j’avais imaginé pour le revoir.

    Alors les phrases me venaient toutes seules. Mais il m’arrivait parfois de rencontrer quelques difficultés à trouver les mots justes. Je me demandais pourquoi étaient faits les dictionnaires. Tout en m’interrogeant, je couchais noir sur blanc mes souvenirs et mes sentiments d’alors… J’étais véritablement « en transe ».

    La première partie terminée, je fus vraiment soulagée. En effet, raconter ma petite enfance et mon adolescence n’avait pas été une partie de plaisir. Je me posais toutes sortes de questions : allait-il comprendre l’époque et l’ambiance de la Pologne dans laquelle j’avais vécu ? Pourrait-il saisir combien ce contexte avait marqué son empreinte sur mon profil psychologique et forgé mon caractère ?

    C’est la raison pour laquelle le premier tome s’appelle :

    « Le passé parsemé par le présent »

    À la lecture de mon passé, j’étais persuadée qu’IL saisirait mieux ma vie actuelle. Enfin, je l’espérais… Et surtout qu’il me comprendrait ainsi que « mon EGO ». IL allait forcément admettre qu’il ne fallait pas se jouer de moi et me raconter des balivernes dans le but d’obtenir… quoi exactement ? Amoureuse, je l’étais déjà ; prête à tout, également…

    Mais était-ce vraiment de cela qu’il s’agissait ?

    C’est de cette façon que je vous présente le deuxième tome des grandes « aventures » de ma vie :

    « Le présent parsemé par le passé »

    Il est éprouvant de vivre dans un présent perpétuellement hanté de souvenirs douloureux. Il est terrible de se dire à chaque fois : « j’ai déjà vécu ça ». Cela donne l’impression de rester englué dans le passé alors que justement, le passé est destiné à passer… Mais que peut-il en être de mon présent dans ces conditions ? Ce présent doit enfin prendre le pas sur mon passé. En effet, il est hors de question que je revive au présent ce passé !!!

    C’est de cela dont traite ce second tome. L’expérience de chacun est construite sur son passé, c’est certain. Mais que faire si notre passé obstrue le présent ? Sommes-nous capables de tolérer la même expérience malheureuse au nom d’un nouvel Amour ? Sommes-nous prêts à tout accepter en vertu de l’Amour d’une manière générale ? Et voilà ce tome II qui raconte mon épopée avec MON SAUVEUR ! Qu’importe qu’elle soit imaginaire ou non, c’est une histoire d’amour avec un grand « A » ! Mais n’allez pas croire que cette histoire est simple ! Le protagoniste en est un chirurgien doté d’une personnalité complexe. De plus, il est né sous le signe du Gémeau. C’est dire…

    Le décor de ce récit n’a rien de romantique : il s’agit en effet d’un hôpital. D’autres lieux aussi oppressants envahissent mon subconscient lors de nuits d’insomnie, d’angoisse et d’attente. Cet espoir chimérique d’être aimée de mon sauveur a guidé ma vie pendant de longs mois. Il l’a surtout follement compliquée. C’est ce que je vous invite à découvrir…

    Préface par Paul-Loup Sulitzer

    img1.jpg

    Le sous-titre du second tome de Ego-graphie de Marguerite-Christine Swirczewska me parut de prime abord le plus prometteur : la vie amoureuse d’une émigrée polonaise, aussi est-ce spontanément que j’ai proposé de préfacer cet opus. Qu’ai-je trouvé dans ce roman autobiographique ?

    En premier lieu, le récit des expériences de l’auteur marqué par l’oxymore entre les réussites volontaristes de la femme d’affaires, de celle qui s’impose face à toutes les adversités et les aspirations sentimentales, emplie de romantisme slave, de la femme tout court. Une narration qui nous fait voyager de Varsovie à New York, en passant par Paris et d’autres lieux encore.

    Aussi, une plongée dans l’univers quasiment psychanalytique du transfert, qu’elle opère sur la personne du professeur Jan Pieter van Schoor, le Directeur doyen de l’Ospedale di cura cardiotoracica, situé dans la Repubblica di Santa Guarigione. Ce professeur, qui en pratiquant une opération à cœur ouvert, lui redonne le souffle de la vie, tout en faisant battre cet organe vital au rythme d’une relation dominant/dominée, dans laquelle elle risque de se perdre.

    Voici les raisons qui me font vous conseiller la lecture de cet ouvrage. Suivez son héroïne dans ses pérégrinations à travers le monde. Laissez battre vos cœurs à travers les pulsations du sien qui, malgré tous les avatars rencontrés, restera pour toujours polonais.

    Paul-Loup SULITZER, écrivain

    img2.jpg

    Paul-Loup SULITZER a décerné son 1er prix de l’édition pour Ego-graphie de Marguerite-Christine Swirczewska en 2020. Ici sur la photo, l’écrivain avec la maquette du livre de Marguerite.

    Cet écrivain français a vendu quelque 50 000 000 exemplaires de ses livres dans le monde entier et en Pologne bien évidemment.

    Un aperçu de sa bibliographie :

    Money (Denoël, 1980)

    Cash ! (Denoël, 1981, Prix du Livre de l’été 1981)

    Fortune (Denoël, 1982)

    Le Roi vert (Édition n° 1, 1983) (English: The Green King)

    Cimballi : duel à Dallas (Édition n° 1, 1984)

    Popov (Édition n° 1, 1984)

    Hannah (Édition n° 1, 1985)

    L’Impératrice (Édition n° 1, 1986)

    Troisième partie

    Le présent parsemé par le passé

    Une recherche perpétuelle de l’amour

    1

    Mon Sauveur m’invite et mon passé revient…

    J’avais épousé une taupe !

    J’avais été profondément bouleversée par la dernière consultation dans le cabinet de Jan Pieter van Schoor. Même si dès notre première rencontre il m’avait fortement impressionnée, je n’avais que très rarement été perturbée à ce point tout au long de mes expériences antérieures.

    Plus le temps passait, moins j’arrivais à m’expliquer la commotion que j’avais éprouvée alors ; une réaction aussi inattendue qu’inhabituelle. Jusqu’à ce jour particulier, j’avais longtemps pensé pouvoir me préserver une marge d’autoprotection. Cette latitude d’action peut s’appeler réserve, distance ou tout simplement raison… j’avais laissé cette imperceptible frontière être violée sans trop me demander par qui ni pourquoi. Était-ce mon désir inopiné conjugué au sien impromptu ? Toujours est-il que le piège s’était refermé, échappant à nos deux contrôles.

    Comment était-il possible que je me sois exposée en mon âme et conscience au moment où ma vitalité se trouvait la plus affaiblie ? Le désir d’amour que je gardais enfoui en moi, dans l’abîme infini des fantasmes irréalisés, venait de ressurgir et je l’avais laissé me submerger… la précarité de ma santé n’était-elle pas responsable de ce laisser-aller ? Plus que probablement ! Dans mon état normal, ces mots n’auraient pas eu pour moi le même impact, la même signification, la même valeur. La déclaration apparemment anodine « Que vous êtes belle Madame » serait entrée par une oreille et ressortie par l’autre… j’en avais, sans prétention aucune, déjà entendu de semblables, voire de plus enflammées. Et puis, ces quelques bisous inattendus, innocents et inoffensifs, qu’avaient-ils d’extraordinaire ? Méritaient-ils que je me sente comme une perdrix sortant dorée du four pour être posée dans son assiette ?

    Son omniprésence hantait mes nuits de songes ambigus, au même titre qu’elle parasitait mes activités diurnes ; à la fatigue physique vint se surimposer un épuisement intellectuel… il me fallait agir ! Lui adresser un courriel me sembla la solution la plus appropriée. Je pris un long moment de réflexion avant de me lancer dans sa rédaction, pesant chaque terme à employer ou proscrire, afin qu’il comprenne que l’attirance qui me poussait vers lui ne faisait pas pour autant de moi une proie facile. Finalement, je réussis à trouver une formulation qui satisferait son ego autant qu’elle pourrait assurer une protection minimale à mon intégrité. J’écrivis donc : « La tournure prise par la situation a échappé à tout ce qui aurait pu être contrôlable par la femme que je suis. Sachez toutefois que je sais très bien ce que je veux, et très bien aussi ce que je ne veux pas, au regard de ma vie actuelle ».

    Afin de lever toute équivoque et lui démontrer que je savais faire autre chose que du strip-tease, je mis en pièces jointes deux coupures tirées de mon press-book et ayant trait à mes anciennes activités de négociatrice dans le commerce international… j’avais une envie folle de lui plaire non seulement en tant que femme, mais surtout, je voulais qu’il pose ses yeux sur moi comme sur un être humain à part entière ! Dans une soudaine bouffée de paranoïa et tenant – Dieu seul sait pourquoi – à une pseudo-intimité dans nos rapports, j’avais écrit en anglais, par crainte qu’une autre personne puisse avoir accès à sa boîte mail et court-circuite mon initiative. Je me relus à plusieurs reprises, pris une inspiration profonde et… cliquai sur envoyer. Sans m’en rendre compte, je venais d’engager le premier round d’un combat destiné à entrer dans son cœur par effraction, mais aussi pour m’y installer définitivement ; j’espérais que le gong final n’annoncerait pas mon K.O. !

    À peine le courriel était-il parti que des regrets, presque des remords, vinrent m’assaillir en force. Je savais pourtant – riche de ma propre expérience – qu’à certains moments d’extrême vulnérabilité, il est facile de s’imaginer qu’une simple aventure, une banale amourette, pouvait prendre des proportions d’histoire unique et exceptionnelle. Pourquoi, au lieu d’être raisonnable et de garder le silence, m’étais-je lancée dans la délicate péripétie d’un échange épistolaire ? Pourquoi étais-je tenaillée par le besoin aussi inexplicable qu’irrépressible de lui faire part de mon déstabilisant étonnement devant cet état de stupéfaction sentimentale qui avait depuis si longtemps déserté mon existence de me trouver dans une situation pareille et… pour quelle raison éprouvais-je, contre toute attente, le besoin d’en être payée en retour ? En mon for intérieur, quelque chose venait me déranger. J’avais la désagréable impression que malgré l’apparente neutralité des mots et formules choisis, j’avais levé un coin du voile qui cachait mon secret le plus intime : la crainte qu’un jour je puisse manquer d’amour. Dans sa sagesse, Mamie m’avait à plusieurs reprises répété : « W dniu, w którym nie będziesz zakochana, możesz uważać się za martwą{1} ». Et aux vues des événements dramatiques ayant marqué ma vie récemment, j’étais en droit de penser avoir pu être par le passé réellement amoureuse… du moins jusqu’à la rencontre avec le Professeur van Schoor, sa petite phrase et tous les émois qui s’ensuivirent. Dans le tourbillon de mon imagination, cela ressemblait au synopsis d’un roman à l’eau de rose ou d’une série télévisée qui s’intitulerait : « Le grand Chirurgien et l’immigrée ». Mais après tout, pourquoi pas ? Pourquoi cette utopie ne nourrirait-elle pas un sentiment qui reléguerait le réel au rang de futilité ?

    *

    * *

    Une semaine s’écoula sans qu’il donnât signe de vie et je finis par me dire que ce silence était une bonne chose : il me permettait d’enfouir sous les sables de l’oubli le fait que j’avais dévoilé, avec une grande inconséquence, ma faiblesse sentimentale. C’était très bien ainsi : l’élan romantique et passionné que j’avais imaginé et qui aurait pu le porter vers moi était sans fondement pour lui. C’est au moment où je me faisais à l’idée que ma vie allait se poursuivre en un parcours tranquille et sans aucun bouleversement que je reçus sa réponse.

    L’arrivée de son message me fit le même effet que la foudre tombant à mes pieds, me transformant en Słup soli{2}. Je mis tout d’abord un temps infini avant d’ouvrir son billet tant je craignais d’y lire une réaction de rejet de sa part.  La fragile et friable statue que j’étais devenue reprit vie au fil de ma lecture. Durant ce temps, mon attitude fut incohérente : alors que j’aurais dû danser de joie, je décortiquais sa lettre en usant de mon esprit analytique, de mon sens critique, de façon obsessionnelle.

    Le début de sa missive était des plus pompeux « Ma chère Marguerite… ». Toujours prompte à lui trouver toutes les excuses possibles et imaginables, je me dis qu’il ne pouvait pas savoir que je détestais la forme française de mon prénom lui préférant l’original, ou mieux encore le diminutif Małgosia, voire Maguy… d’ailleurs, cela importait peu puisqu’il n’aurait sans doute jamais l’occasion de m’appeler ainsi ! Les mots qui suivaient me parurent nettement plus prometteurs : « Je ne sais pas exactement comment cela est arrivé mais, en vous rencontrant, je me suis laissé aller à oublier mon habituelle retenue et quelque chose a comme explosé en moi… et cette explosion interne, je l’ai vue, je l’ai sentie. Un éclat venant d’elle a atteint le centre de la cible nichée au plus profond de mon être. Elle nous a rendus vulnérables à nos rêves respectifs. Mais leur nature était-elle la même ? »  Je lus et relus cette phrase, le souffle court, la gorge sèche. Je n’en croyais pas mes yeux : non seulement il ne m’avait pas oubliée mais en plus, il reconnaissait que je lui avais fait de l’effet. Non, ce n’était pas possible, j’avais dû faire une erreur d’interprétation… la suite ne pourrait que me faire déchanter ! Pourtant, il ne cessait pas de m’écrire… « Par le jeu de diverses circonstances, cette déflagration interne a provoqué des troubles de désir irrationnel… » D’un côté, la voix intérieure de mon romantisme slave me susurrait : il est amoureux et il te convoite… ce qui me portait au pinacle de la béatitude. De l’autre, des inflexions pleines de persiflage me murmuraient ah bon, parce qu’il existe un désir rationnel ? J’avais du mal à envisager cette hypothèse tant elle me semblait absurde : un homme regarde une femme et la trouve à son goût, puis il laisse parler sa raison et se dit « Tiens, elle est pas mal, objectivement, je prends la décision de bander pour elle ». Le pauvre, s’il pose l’entendement et le discernement comme limite à chacune de ses pulsions… il a de fortes chances de finir solitaire ! Et puis, franchement, quelle femme – enfin quelle Vraie Femme – accepterait l’idée même de faire l’amour en laissant intervenir la sagesse là où il ne doit y avoir que déraison et passion ? La présence tutélaire de Mamie vint ajouter à ma confusion : elle qui m’avait si souvent été de bon conseil ne m’avait-elle pas dit qu’il est nécessaire de gérer ses sentiments ?

    Ainsi, après avoir attendu sans grand espoir une réaction de celui qui avait de nouveau fait battre mon cœur – dans tous les sens du terme – j’en étais réduite, après lecture de ses mots, à écouter les voix imaginaires et discordantes des Cassandre qui me poussaient à des analyses négatives. Son épître avait pourtant été d’une clarté limpide : il m’avouait que son attitude n’avait pas été qu’un simple débordement affectif momentané. Malgré la joie qui aurait dû m’envahir, je persistai dans mes suppositions : peut-être qu’en France les désirs rationnels sont possibles alors qu’en Pologne, ils sont tout bonnement inimaginables. Pour moi, ils avaient toujours été inattendus et incontrôlables, à la fois fascinants et utopiques… il s’agissait d’émerveillements dont on ne pouvait savoir à quel moment ils allaient survenir et dont l’avènement vous poussait dans un tourbillon où calcul et raison n’avaient pas leur place. Tant pis s’ils ne duraient qu’un instant, tant mieux si une éternité s’ouvrait devant eux ! J’avais déjà vécu une telle situation purement passionnelle et elle avait duré vingt-quatre ans.

    Georges avait été mon troisième mari et pendant toutes ces années, je lui avais été entièrement dévouée. Il était atteint de leucodystrophie tardive. Chaque nuit, je devais le veiller pour le connecter à sa bouteille d’oxygène dès que son souffle s’affaiblissait… mes sens restants, hélas, inassouvis… D’autres hommes s’intéressaient bien à moi, mais je ne pouvais concevoir l’idée de tromper mon époux malade. Pendant les journées, je m’employais à la rééducation de ses muscles atrophiés, combattant une paralysie qui progressait inexorablement ; j’avais même fait installer, à mes frais, une piscine à l’intérieur de mon chalet de Bolquère afin qu’il puisse recevoir les soins dans un climat qui lui serait propice. Parallèlement à l’aggravation de son affection, son caractère devenait si aigri et instable qu’aucune aide à domicile ne restait plus de trois mois auprès de lui. Comment avais-je pu supporter tout cela ? Sans doute parce que je l’aimais profondément !

    Puis un jour – alors qu’il était retourné en Pologne et qu’il était mourant – j’appris grâce à une amie, qui me voulait du bien, que mon existence avec cet homme que j’idolâtrais était basée sur une imposture et une trahison de sa part. Cette personne si bien intentionnée porta à ma connaissance le fait qu’il n’était en réalité qu’un officier de la filiale polonaise du KGB et que sa mission avait consisté à m’épouser afin de me surveiller. Bien sûr, je n’avais pas été la seule à avoir été ainsi bernée ; il y avait aussi eu le cas de Cristina Onassis qui avait brièvement été mariée à un agent soviétique ; mais elle, elle avait été très vite avertie par son entourage… Seulement, je n’étais pas du même calibre que Cristina : qu’est-ce qui avait bien pu me valoir les faveurs du Bureau de Surveillance du Territoire polonais ? Tout simplement, certaines des entreprises françaises pour lesquelles je travaillais fabriquaient aussi de l’armement. Et, même si mon rôle se limitait à vendre les usines clé en main produisant des containers aux pays de l’Est, je pouvais légitimement être soupçonnée d’espionnage au profit des puissances occidentales, et en ces temps de guerre froide, j’étais devenue la suspecte idéale !

    Ainsi, j’avais donc été amoureuse, dévouée avec la plus grande abnégation, à un membre du contre-espionnage qui était chargé de rendre compte à ses maîtres soviétiques de mes faits et gestes… celui pour qui je m’étais sacrifiée corps et âme n’était qu’un vulgaire mouchard ! C’était à tomber par terre et à se laisser mourir. Toujours est-il que cette révélation m’avait profondément blessée dans mon amour propre, dans ma fierté.

    Je ne me souviens que trop bien de notre séjour en Suisse juste avant l’état de siège en Pologne et où j’avais pris une décision fatale : faire venir Georges en France pour l’épouser.

    Nous nous étions rencontrés durant mes séjours professionnels en Pologne. Par la suite, nous profitions de chacun de mes déplacements dans mon pays natal pour nous voir et nous aimer. De son côté, il dirigeait des délégations polonaises en Europe de l’Ouest. Cela nous permit de nous donner rendez-vous en RFA puis en Italie. Enfin arriva ce fameux et dernier périple en Suisse, à Lausanne, en octobre 1981.

    *

    * *

    Bien que follement romantiques, ces séjours avaient des allures carcérales. Je devais rester cloîtrée dans la chambre d’hôtel que je louais à côté de celle de Georges le temps que durait sa mission.

    Officiellement, mon amant polonais était directeur d’une Centrale d’achats polonaise et n’avait pas le droit de fréquenter « une capitaliste » qui, de surcroît, travaillait dans l’export de produits français vers la Pologne. Nous faisions preuve d’une extrême prudence et nous montrions les plus discrets possibles. Si notre relation était découverte par les employeurs de Georges, il aurait été derechef limogé et sanctionné d’une façon on ne peut plus sévère ; enfin, c’est ce qu’il soutenait et me laissait croire…

    De ce fait, il m’était impérativement interdit de sortir de notre chambre d’hôtel. Personne ne devait être au courant de ma présence. Alors, pour me nourrir, je n’avais d’autre ressource que de compter sur le groom de service qui m’apportait tout ce que je lui commandais. C’était le prix à payer pour ne pas prendre le risque d’une « mauvaise rencontre » qui aurait pu me mettre en danger et empêcher mon espion adoré d’atteindre les objectifs fixés par ses supérieurs.

    Je me consolais en anticipant avec délice son retour et en imaginant la délicieuse nuit qui nous attendait. Mais hélas, mes espérances tournaient parfois court : sa mission l’obligeait parfois à découcher et nous volait nos ébats nocturnes. La solitude interminable des jours s’enchaînait alors à celle des nuits. J’avais beau habiter une suite luxueuse, je ne m’en sentais pas moins abandonnée. Mais, quand au bout d’une interminable attente, Georges rentrait enfin, la folie de notre bonheur éclatait en un véritable tourbillon.

    Nous étions à Lausanne. A priori, tout se passait pour le mieux. Mais mon intuition féminine me mettait en alerte : je le trouvais soucieux, en permanence sur ses gardes. Quand je tentais de le sonder, il mettait son anxiété sur le compte du surmenage, mais je n’étais pas dupe. Il n’était plus l’homme enjoué et romantique qui m’avait fait chavirer. Il se montrait sombre alors que je voulais croire encore à notre romance. Nous faisions l’amour de façon plus intense, comme si quelque chose nous menaçait. Mon plaisir s’en trouvait démultiplié. Submergée pas la fougue de nos étreintes, je renouvelais en secret mon serment de l’aimer pour toujours, envers et contre tout. Je flottais dans une démence amoureuse totale, tandis que s’accumulaient dans le ciel de ma Pologne natale des nuages noirs que je refusais de voir. En effet, l’état de guerre n’allait pas tarder à y être proclamé tandis que je folâtrais au paradis ; nous étions en août 1981{3}.

    La mission en terre helvète de « L’espion qui m’aimait »{4} arriva enfin à son terme. J’aurais dû me réjouir que cette annonce sonne l’heure de ma libération ; j’allais enfin retrouver la saveur de la rue ! Pourtant une intuition douloureuse gâchait ma joie : je redoutais de perdre mon « James Bond » !

    Il devait rejoindre la délégation polonaise qu’il avait dirigée durant son séjour en Suisse. Il avait été envoyé à l’Ouest par la centrale d’achats avec laquelle j’avais signé auparavant un bon nombre de contrats, mais sans que Georges n’ait rien à y voir ; il s’agissait de Metalexport qui commercialisait des machines-outils. Mon chéri avait pour mission de conclure un partenariat entre Metalexport et une société helvétique.

    La fin du séjour de la délégation polonaise étant imminente, nous eûmes un échange qui me fendit le cœur. Durant celle-ci, George prononça, la mort dans l’âme, une phrase qui confirma mes angoisses : « Małgosia, si je rentre à Varsovie, il est à peu près certain qu’on ne se reverra plus jamais ». Je rétorquai affolée : « Quoi, mais qu’est-ce que tu dis ? » Słuchając tego czułam się jakbym spadła z nieba{5}. Mon âme slave imposait à mon esprit que la flamme amoureuse qui me consumait s’était éteinte dans les eaux du lac indifférentes à mon drame passionnel. Je repris, complètement affolée : « Mais enfin mon amour… Tu ne m’aimes plus ? ». Il tenta de me rassurer : « Tu n’y es pas ma petite chérie, ce n’est pas ça du tout ! » Je quémandais une explication : « Mais qu’est-ce qui se passe alors ? » J’étais devenue folle d’inquiétude. Pour répondre à mes angoisses, il me ramena alors aux réalités de ce triste monde que j’avais fuies, tout emportée que j’étais par mes rêves. La chute devait forcément s’avérer cruelle et j’avais préféré l’occulter. Georges me répondit comme s’il me révélait un secret d’État : « En fait, il s’agit d’un problème politique ». Je me rebellai contre la fatalité et m’emportai violemment. Cela n’était pas dans mes habitudes. Je m’exclamai révoltée : « Mais enfin, c’est quoi cette histoire ? Je me fous complètement de la politique ! » Agacé, il me ramena à la raison : « Peut-être, mais que tu le veuilles ou non, c’est elle qui décide de nos vies ». Comme une petite fille prise en faute, je suspendis dans l’air un misérable petit « mais » de réprobation, tout en essayant de comprendre ce que je pouvais de la situation. Georges de son côté continua de me réprimander : « Il n’y a pas de mais, Małgosia, cette fois, c’est du sérieux ! » Sa voix avait complètement changé. Je quémandai des éclaircissements : « Mais de quoi parles-tu enfin ? »

    Je ne comprenais plus rien à ce qui se passait. J’étais dépassée par les événements. Un vertige s’empara de moi. Je sentis ma tête tourner. Je me faisais la réflexion que depuis mon enfance, je naviguais à vue pour traverser ce qu’on appelait en Pologne le climat politique. Les écueils les plus dangereux n’avaient pas manqué sur mon chemin. Pourtant, j’avais toujours réussi à les surmonter. Alors, au moment où nous aurions dû parler uniquement d’amour, il me paraissait invraisemblable de s’entretenir de politique !

    Mon amant reprit : « Il se passe des choses inquiétantes en Pologne. » Interloquée, je répondis : « Des choses inquiétantes ? Mais que racontes-tu là ? Qu’est-ce qui pourrait être plus préoccupant et plus grave que ce que j’ai toujours connu dans notre malheureuse patrie ? Rien ne se passe jamais de façon normale chez nous, alors qu’est-ce qui pourrait être pire que ce que nous avons connu, dis-moi ? Vas-y, raconte ce qui te préoccupe ! »

    Il fallait qu’il donne corps à ma stupéfaction. Alors, Georges reprit tout aussi sombre : « Les enfants des personnalités politiques de premier plan sont évacués… Ils sont menacés, il faut les protéger de toute urgence. » J’étais abasourdie : « Menacés ? Mais par qui enfin ? De ma vie, je n’ai jamais entendu de telles absurdités ! ». Il répondit à mes questions

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