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Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale: Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada
Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale: Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada
Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale: Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada
Livre électronique482 pages7 heures

Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale: Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

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À propos de ce livre électronique

Même avant Pearl Harbor, les Japonais vivant sur les territoires américain et canadien, qu’ils soient citoyens, naturalisés ou immigrants reçus, de première ou de deuxième génération, sont considérés comme des traîtres potentiels. La guerre déclenchée, ils seront rassemblés, déportés, maintenus en captivité dans des camps de fortune et leurs droits et libertés seront suspendus. Ce que l’on sait peu ou pas, c’est que le Canada en rajoute : séparation des familles, incarcération dans des camps où le froid et le dénuement complet rendent les conditions de vie encore plus dures, propriétés vendues de force par le gouvernement. Ce n’est qu’après la guerre que ces citoyens vont pouvoir réintégrer la vie civile, traumatisés, dépouillés de leurs biens, encore victimes du racisme ambiant.

Plusieurs d’entre eux trouveront refuge au Québec, où ils bénéficieront d’une relative bienveillance de la population et d’un appui important de l’Église.
LangueFrançais
Date de sortie25 janv. 2012
ISBN9782760627352
Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale: Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada
Auteur

Greg Robinson

Greg Robinson rompt le silence entourant cet épisode honteux de l’histoire nord-américaine. Professeur au Département d’histoire de l’UQAM et membre associé de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l’UQAM, il est spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale aux États- Unis et de l’enfermement des Américains d’origine japonaise.

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    Aperçu du livre

    Un Drame de la Deuxième Guerre mondiale - Greg Robinson

    Greg Robinson

    UN DRAME DE LA DEUXIÈME GUERRE MONDIALE

    Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada

    Traduit par Véronique Dassas et Colette St-Hilaire

    LES PRESSES DE L'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

    À la mémoire de Toni Robinson et de Lilian S. Robinson

    Table des matières

    Couverture

    Titre

    Table des matières

    Avant-propos

    Introduction

    CHAPITRE 1 : Le contexte

    CHAPITRE 2 : La genèse d’une décision

    CHAPITRE 3 : La déportation et la détention

    CHAPITRE 4 : Les camps

    CHAPITRE 5 : Les luttes pour le service militaire et les droits constitutionnels

    CHAPITRE 6 : La libération et la réadaptation des Issei et des Nisei après la guerre

    CHAPITRE 7 : La communauté japonaise et le Québec

    ÉPILOGUE

    Crédits

    AVANT-PROPOS

    Remarques terminologiques

    On parle généralement d’«internement» (internment) pour décrire l’expérience des Japonais américains durant la Deuxième Guerre mondiale, toutefois j’ai choisi de ne pas utiliser ce terme. Au sens propre, le mot « internement » désigne le fait pour un gouvernement de détenir des citoyens de pays ennemis en temps de guerre. Le gouvernement des États-Unis a bel et bien interné des étrangers ennemis dans des camps dirigés par le département de la Justice. En revanche, la vaste majorité des personnes d’origine japonaise que les États-Unis ont purement et simplement déracinées, déportées à l’intérieur du pays et détenues durant la Deuxième Guerre mondiale étaient des citoyens américains. Le seul fait qu’il n’existe pas de terme reconnu pour traduire un acte de cette nature en dit long sur le caractère inédit de cette politique. Dans le jargon officiel, on a parlé d’évacuation (evacuation) et de réinstallation (relocation). Les responsables à qui l’on doit ces termes étaient toutefois moins préoccupés par la justesse (ou la justice!) du langage que par le besoin d’inventer des euphémismes pour rendre leur politique plus acceptable. J’utilise plutôt le terme «déportation intérieure» (removal), une référence à l’expérience des Cheroquee et d’autres Autochtones amé- ricains expulsés du Sud des États-Unis dans les années 1830, pour décrire l’exil intérieur des personnes d’ascendance japonaise, et « captivité » ou «détention» (confinement) pour décrire leur expérience des camps. Certains historiens et militants ont choisi de parler d’une politique d’«incarcération» (incarceration). Il s’agit là d’un synonyme élégant d’« emprisonnement » (emprisonment) ; pourtant, ces institutions n’étaient pas des pénitenciers. J’ai donc opté pour «captivité», un terme plus inclusif. Il m’arrive toutefois de parler d’internement (internment) pour décrire la situation au Canada, où le statut juridique des étrangers et des citoyens était plus flou.

    Il est une question plus épineuse encore, qui a suscité de nombreuses controverses depuis la fin de la guerre: comment désigner ces camps où les Japonais américains et certains Canadiens japonais étaient retenus en captivité, et comment nommer ceux qu’on y gardait ? Le président Roosevelt les a qualifiés publiquement de « camps de concentration» à deux occasions, imitant ainsi d’autres responsables du gouvernement. Néanmoins, l’armée et la War Relocation Authority ont adopté officiellement les appellations de « centres de réinstallation » (relocation centers), voire « centres de réception » (reception centers). Dans le jargon administratif, on regroupait au début les gens dans des «centres de rassemblement» (assembly centers) de la côte Ouest. Bon nombre de Japonais américains, de militants et de spécialistes insistent sur l’expression « camps de concentration » (concentration camps), qui, avant l’Holocauste, se référait au fait de concentrer un grand nombre de personnes dans un établissement. Je ne conteste point cet usage, mais, compte tenu de l’association impossible à occulter entre « camps de concentration » et « camps de la mort des nazis », j’ai préféré l’éviter et parler tout simplement des «camps», ce qui à mon avis suffit pour décrire les lieux où les Japonais américains étaient captifs. Quant au terme officiel de « résident » (resident), je lui ai substitué « détenu » (inmate), qui est plus précis pour décrire le statut des Japonais américains retenus en captivité contre leur gré.

    Quant aux termes utilisés pour qualifier les groupes dont il est question dans ce livre, j’ai choisi les expressions « Canadiens japonais » et « Japonais américains ». Pour le premier groupe, l’usage « Canadiens japonais » est attesté. En revanche, il n’existe pas de termes en français pour désigner les Américains d’origine japonaise, et plutôt que d’employer cette expression assez longue, j’ai préféré opter pour la traduction littérale de « Japanese American ».

    Remerciements

    Ce travail a changé plusieurs fois de forme, peut-être pour le mieux, compte tenu de l’ampleur du sujet et des matériaux cités. Ce qui au départ ne devait être qu’un récit relativement court accompagné de documents d’archives a évolué pour devenir une monographie complète et détaillée, et par la suite une version française abrégée, avec un chapitre ajouté.

    Je suis très conscient d’avoir contracté bien des dettes au cours de ce travail. D’abord, je me dois de remercier les organismes subventionnaires. J’ai reçu l’appui de l’American Council for Learned Societies, ce qui m’a permis de ne pas enseigner pendant un semestre et de me concentrer sur mon travail au printemps 2005. Le programme PAFARCC de l’Université du Québec à Montréal, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture m’ont accordé des subventions pour d’autres projets qui ont alimenté en même temps ce livre. J’ai effectué des recherches dans de nombreuses bibliothèques et consulté diverses archives, où j’ai bénéficié de l’appui d’un personnel dévoué et efficace. Parmi celles que j’ai le plus consultées, je dois signaler: Doe and Bancroft Libraries, University of California, Berkeley; Franklin D. Roosevelt Library, Hyde Park, Ny; Harry S. Truman Library, Independence, MO ; Marriott Library, Univer- sity of Utah ; McLennan Library, McGill University ; National Archives, Washington, DC ; National Library of Canada ; Newspaper Division and Manuscripts Division, Library of Congress ; San Francisco Public Library ; Tamiment Library, New york University; young Research Library, UCLA. Je veux remercier en particulier les bibliothécaires et le personnel de la Huntington Library à San Marino en Californie, où j’ai passé trois mois en 2004 grâce à une bourse d’études. J’ai beaucoup apprécié le travail de Marian yoshiki-Kovinick, bibliothécaire aux Archives of American Art, dans une succursale (aujourd’hui fermée) du sud de la Californie, une collègue à qui je dois de nombreux documents utiles et qui m’a soutenu par son enthousiasme indéfectible.

    J’ai eu la chance de travailler avec un groupe d’étudiants de deuxième et troisième cycles, des américanistes et des canadianistes dévoués qui m’ont assisté dans ces projets, ont réagi à mes idées, et ont passé des heures à consulter les archives: Dominic D’Amour, Jean-Philippe Gagnon, Sylvain Hétu, Junichiro Koji, Francis Langlois, Karine Laplante, Guillaume Marceau, Vicki Onufriu, Guillaume Pilon, Christian Roy, Sébastien Roy et Maxime Wingender.

    Dans un livre précédent, j’ai écrit que mon travail aurait été impossible (voire inconcevable) sans les recherches et les compilations effectuées par Aiko Herzig-yoshinaga et le personnel de la CWRIC. J’y ajoute maintenant la grande générosité d’Aiko et de son époux Jack Herzig (aujourd’hui décédé): ils m’ont ouvert des portes, ont partagé des documents avec moi et m’ont offert eux aussi leur enthousiasme.

    J’ai eu le plaisir de connaître et de collaborer à divers projets avec un ensemble de collègues et d’amis exceptionnels, en particulier Eric Muller, ami et « complice » dans la réfutation des thèses de Michelle Malkin, Elena Tajima Creef, Shirley Geok-Lin Lim, Floyd Cheung et yujin yaguchi.

    J’ai été marqué, comme tous les autres historiens qui œuvrent dans le domaine, par l’influence et l’aide de Roger Daniels, un modèle de générosité, de rigueur intellectuelle et d’attachement passionné au sujet. J’ai aussi eu la chance de faire la connaissance d’Arthur Hansen, un historien estimé et un grand mentor pour de jeunes chercheurs. L’historien exceptionnel que fut Lawrence W. Levine, aujourd’hui décédé, a été une source d’inspiration dans ma vie.

    Parmi les collègues qui m’ont conseillé, qui m’ont invité à présenter mon travail devant un auditoire ou qui ont partagé leurs recherches avec moi, je me dois de citer d’abord ceux-ci : Eiichiro Azuma, Ben Carton, le défunt Robert Frase, Max Friedman, Tom Fujita Rony, Saverio Giovacchini, Neil Gotanda, Lynne Horiuchi, John Howard, José Igartua, Masako Iino, Tom Ikeda, Masumi Izumi, Kwong-Liem Karl Kwan, Paul-André Linteau, le défunt John M. Maki, Philip Tajitsu Nash, David Neiwert, Setsuko M. Nishi, Jacques Portes, Patricia Roy, Kay Saunders, Quintard Taylor et Frank H. Wu.

    Je dois à Tom Coffman, un grand documentariste et historien indépendant, l’invitation à prononcer une conférence devant l’Hawaii Historical Society, ce qui m’a permis de séjourner à Hawaï et m’a poussé à réfléchir à l’expérience de la guerre et de la loi martiale dans l’archipel. Je remercie Lois Coffman, Nathaniel Coffman, Walter Ikeda, Richard Kosaki, Kay Uno Kaneko, Andrew Wertheimer et Craig Howes pour les discussions et les contributions stimulantes pendant mon séjour à Hawaï.

    La générosité et le soutien de Tetsuden Kashima ne se sont jamais démentis. Nous avons partagé les vivres et le couvert, il m’a conduit partout et m’a mis en relation avec des gens qu’il connaissait. Mais surtout, Tetsu a mené ses propres recherches, détaillées et très originales, ce qui a permis de développer l’analyse de l’expérience des Japonais américains pendant la guerre.

    De nombreux parents et amis m’ont apporté un soutien logistique et m’ont hébergé à l’occasion de mes voyages : Judy Baker, Ken Feinour, Heng Gun Ngo, David Latulippe et Ronald Seely, Deborah Malamud et Neal Plotkin, Michael Massing, Sanae Kawaguchi Moorehead, Chizu Omori, Katherine Quittner, Ed Robinson et Ellen Fine, Ian Robinson et Tracy Robinson. Je remercie aussi ceux qui ont lu des parties du manuscrit: Matthew Briones, Thom Kulesa, Eric Muller et Setsuko Matsunaga Nishi. J’ai bénéficié de l’appui de mon agente, Charlotte Sheedy, qui a contribué – gracieusement – à préparer le contrat d’édition de la version développée et finale du livre en anglais.

    Grâce à un ami très cher, Thanapat Porjit, ma vie prend tout son sens.

    Je dédie ce livre à la mémoire de ma mère, Toni Robinson, et de ma tante, Lillian S. Robinson, deux femmes qui m’ont été très chères et qui furent aussi des collaboratrices intellectuelles précieuses. Elles ont tou- tes deux quelque chose à voir avec la préparation de ce livre. Toni était mon avocate, et elle a non seulement agi à titre d’agent pour négocier le contrat initial de parution de mon livre en anglais, mais elle m’a aussi aidé à faire certains choix. J’étais très proche de Lillian pendant mes premières années à Montréal. J’ai eu la chance de profiter de sa vaste expérience et de ses relations pour retrouver des personnes ou rétablir des faits, et pour clarifier mes idées.

    INTRODUCTION

    Au printemps 1942, quelque 112 000 hommes, femmes et enfants aux États-Unis seront entassés dans des centres de détention militaires durant plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, après le déclenchement de la bataille du Pacifique. On les emmènera ensuite sous bonne garde vers l’intérieur du pays, où on les tiendra de nouveau captifs dans un réseau de camps construits à la hâte et gérés par un nouvel organisme fédéral, le War Relocation Authority (WRA). La plupart de ces Américains d’origine japonaise resteront en captivité pendant toute la Deuxième Guerre mondiale.

    Cette mesure, généralement appelée l’internement des Japonais américains, mais qui relève plutôt de la détention, est souvent citée comme la violation des droits civiques la plus importante qui ait été commise par le gouvernement fédéral américain au XXe siècle. La population concernée a considérablement souffert lors de cette période, vécue comme une épreuve terrible, bien qu’il n’y ait eu ni massacres ni torture. Il ne faut pas manquer de souligner l’aspect paradoxal de la détention des Issei et des Nisei[ 1 ] : il s’agit d’une mesure arbitraire et antidémocratique adoptée par un gouvernement contre ses propres citoyens, et ce, au cœur d’une guerre menée au nom de la sauvegarde de la liberté dans le monde[ 2 ]. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en 1945, le budget de la WRA était de 162 millions de dollars. De plus, l’armée aura dépensé 75 millions de dollars pour rassembler et déporter les Japonais américains. Par opposition, la communauté japonaise d’Hawaï, dont les membres ne seront pas visés par la détention de masse, a contribué à l’effort de guerre de façon exemplaire en fournissant des soldats, mais aussi des travailleurs de guerre.

    Le but de ce livre est de dresser une histoire claire et lisible par tous du décret 9066 et de l’expérience des Japonais américains pendant la guerre. Ce faisant, j’aimerais faire une comparaison entre cette histoire et celles des Issei et des Nisei de deux autres régions, essentielles pour comprendre véritablement ce qu’ont vécu les Japonais américains de la côte Ouest. La première région est Hawaï; pendant la guerre, les Japonais locaux y constituaient le groupe ethnique le plus important et la base de la main-d’œuvre. À la suite de l’attaque de Pearl Harbor, le commandement militaire a déclaré à la hâte la Loi martiale et n’a remis le territoire aux autorités civiles qu’en 1944. La Loi martiale à Hawaï, une mesure sans équivalent dans toute l’histoire moderne des États-Unis, était taillée sur mesure pour répondre à la peur qu’inspiraient les « Japonais locaux ». Cette peur servira de prétexte aux autorités militaires pour justifier et étayer le soutien de la population à des mesures comme l’abolition des tribunaux civils et leur remplacement par des tribunaux militaires.

    J’aborderai également ce qui s’est passé au Canada. Si surprenant que cela puisse paraître, il n’existe pas de travaux sur le parallèle à faire entre l’histoire du décret présidentiel 9066 et les camps aux États-Unis, et la décision du gouvernement canadien d’enfermer 22 000 personnes d’origine japonaise venant de la côte Pacifique de la Colombie-Britannique.[ 3 ]

    Les Canadiens japonais de la côte Ouest ont été arrêtés lors d’une rafle au printemps 1942, puis ils ont été envoyés dans différents endroits : des camps de travaux routiers, des exploitations de betteraves sucrières ou des installations abandonnées d’anciens villages miniers. Leurs biens ont été confisqués ou vendus dans des ventes aux enchères officielles et on les a obligés à se servir de l’argent de ces ventes pour payer leur entretien dans les camps. Enfin, le gouvernement canadien a demandé aux Canadiens d’origine japonaise de choisir entre se réinstaller ailleurs que dans l’Ouest ou être déportés au Japon. Des milliers de détenus ont été déportés vers le Japon dès la fin de la guerre. L’expérience canadienne est fascinante en elle-même, mais étudier les ressemblances et les différences par rapport à ce qui s’est passé de l’autre côté de la frontière donne à la fois une meilleure mesure des faits et une perspective plus large sur un certain nombre de questions générales concernant les Japonais américains.

    Ce livre présente donc la première analyse approfondie de la détention dans le contexte nord-américain, la situation canadienne servant surtout de contrepoint à la situation américaine. En effet, bien que l’histoire des camps canadiens ait fait l’objet de nombreuses recherches universitaires, les archives les concernant sont minces, du moins lorsqu’on les compare à celles qui rassemblent documents, écrits et microfilms sur les Japonais américains. Je me fonde donc surtout sur des sources secondaires, des documents originaux et des mémoires déjà publiés, quand ils existent, plutôt que de répéter ce qui a été dit par d’autres dans des archives éparpillées en différents endroits.

    Cet ouvrage, le tout premier texte historique à traiter de ces événements, a été considérablement modifié si on le compare à la version originale. Tout d’abord, la publication d’une version abrégée impose forcément certains choix de mise en évidence et suppose certaines omissions. J’ai ainsi dû couper la section qui concernait la déportation de 5 000 personnes d’origine japonaise au Mexique. J’ai également écarté celle sur la détention de quelque 2 200 personnes d’origine japonaise du Pérou et d’autres nations d’Amérique latine, à la suite d’un accord passé entre les gouvernements de ces pays et le Département d’État à Washington. Après leur enlèvement, ces gens furent déportés aux États-Unis et parqués dans des camps d’internement sous prétexte d’une entrée illégale en sol américain. En revanche, j’ai le plaisir d’ajouter un chapitre, que j’ai rédigé en français, sur la naissance de la communauté japonaise au Québec et ses liens avec la population francophone. Il s’agit d’un sujet méconnu qui remet en question les idées reçues sur les attitudes des Québécois quant à l’immigration.


    [ 1 ] Les communautés japonaises sont traditionnellement divisées en générations. Les Issei constituent la première génération d’immigrants, tandis que les Nisei sont leurs enfants qui constituent la deuxième. Un sous-groupe de Nisei, appelés les Kibei, sont des Nisei renvoyés au Japon pour y faire leurs études.

    [ 2 ]La détention officielle des Japonais américains dans les camps de la WRA recoupe une série de mesures du gouvernement américain visant les étrangers ennemis, mesures qui comprennent la surveillance et la détention par le département de la Justice de ressortissants japonais, allemands et italiens, le tout fondé sur des soupçons quant à leurs agissements individuels. J’ai choisi de ne pas traiter de l’expérience de détention des ressortissants étrangers et de leurs familles, à la fois pour des raisons d’espace et pour éviter de la confondre avec l’expérience tout à fait différente des Japonais américains qui ont été déportés collectivement et au mépris des lois. Ces distinctions faites, je renvoie le lecteur à la littérature sur ces différents groupes. Voir, par exemple, Lawrence de Stasi (dir.), Une Storia Segreta: The Secret History of Italian American Evacuation and Internment during World War II, Berkeley, Heyday Books, 2001 ; Arnold Krammer, Undue Process: The Untold Story of America’s German Alien Internees, Lanham, MD, Rowman & Littlefield, 1997. Sur la détention des Italo-canadiens, voir Mario Duliani, La Ville sans femmes, Montréal, Société des Éditions Pascal, 1945.

    [ 3 ] Différents ouvrages sur les Japonais américains comportent des chapitres qui traitent rapidement du Canada. On peut citer entre autres : Roger Daniels, Concentration Camps North America: Japanese in the United States and Canada, Malabar, Krieger, 1989, et U.S. Commission on Wartime Relocation and Internment of Civilians, Personal Justice Denied, Seattle, University of Washington Press, 1997 (1983). À l’inverse, quelques livres sur la détention au Canada comme celui d’Ann Gomer Sunahara, The Politics of Racism : The Uprooting of Japanese Canadians during World War II, Toronto, Lorimer, 1981, traitent rapidement des mesures adoptées par le voisin du sud du Canada. Louis Fiset et Gail Nomura (dir.), Nikkei in the Pacific Northwest, Seattle, University of Washington Press, 2005, traite de l’histoire des deux groupes, mais aborde peu la période de la guerre. Stephanie Bangarth, Voices Raised in Protest: Defending North American Citizens of Japanese Ancestry, 1942-1949, Vancouver, UBC Press, 2008, fait une analyse complète des événements survenus pendant la guerre, mais se concentre sur les mouvements d’opposition à la détention et à la déportation et non pas sur la détention en elle-même.

    Le contexte

    La détention des Japonais américains est à l’évidence une mesure de guerre, mais l’hostilité dont ils furent victimes remonte à la première génération d’immigrants, les Issei.

    L’Empire du Japon était pratiquement coupé du monde depuis plus de deux siècles quand, en 1853, les États-Unis y expédièrent une flotte commandée par le commodore Matthew C. Perry. Sous la menace des canonnières, les Japonais acceptèrent d’ouvrir leurs ports au commerce et d’entretenir des relations amicales avec l’Amérique. L’ouverture de leur pays et l’entrée des Américains et d’autres Occidentaux poussèrent les dirigeants à adopter une stratégie de rattrapage face à la technologie et aux idées occidentales, afin de protéger leur pays de la domination étrangère. En 1868, un groupe favorable à la modernisation destitua le shogun (le gouverneur militaire) et prit le pouvoir sous l’égide de l’empereur. Une génération après la restauration de Meiji, le Japon devenait un État industriel moderne, doté d’une puissante machine de guerre, ce qui lui permit de remporter deux victoires éclatantes sur la Chine dans les dernières décennies du XIXe siècle, puis sur la Russie en 1905.

    Le nouveau gouvernement impérial commença à envoyer des étudiants et des observateurs à l’étranger pour étudier les sociétés occidentales. Les travailleurs suivirent. En 1868, le royaume d’Hawaï, indépendant à l’époque, recruta un premier groupe d’environ 150 artisans japonais pour travailler dans les plantations de canne à sucre d’Oahu[ 1 ]. Un an plus tard, un autre groupe arrivait par bateau en Californie et établissait la colonie Wakamatsu, une exploitation agricole qui s’avéra éphémère[ 2 ]. Quelques années après, en 1877, un marin du nom de Manzo Nagano quitta son bateau pour s’installer en Colombie-Britannique : il devint le premier immigrant japonais au Canada[ 3 ]. L’émigration restait néanmoins officiellement illégale et peu de travailleurs japonais s’installèrent dans d’autres pays. Cette situation changea en 1882, quand le Congrès américain vota la première loi d’exclusion des Chinois. Cette loi et les suivantes, dictées à la fois par le racisme et les pressions des syndicats, des journalistes et des politiciens, interdisaient à tous les travailleurs d’ascendance chinoise d’entrer dans le pays. Au cours des six décennies suivantes, seules certaines catégories de Chinois privilégiés, comme les commerçants, purent entrer légalement aux États-Unis, et tous les ressortissants chinois durent porter des laissez-passer attestant qu’ils étaient en règle[ 4 ]. En 1885, lorsque s’acheva la construction de la ligne de chemin de fer transcontinentale à laquelle des milliers de Chinois avaient travaillé, le Canada emboîta le pas et imposa une taxe spéciale d’entrée à tous les immigrants chinois. Cette « taxe de capitation » s’élevait à 500 dollars par personne en 1903, une somme astronomique pour l’époque[ 5 ].

    L’immigration chinoise étant ainsi limitée, les propriétaires terriens de la côte Pacifique, comme ceux de Californie où les Chinois constituaient la moitié de la main-d’œuvre agricole, se mirent désespérément à chercher d’autres immigrants pour accomplir les travaux rudes et mal payés qui avaient apporté la prospérité à la région. Pendant ce temps-là, à Hawaï, dont l’économie dépendait de la production sucrière, les planteurs espéraient attirer une main-d’œuvre fiable pour contrebalancer la présence des travailleurs chinois de l’île. Sous la supervision du gouvernement japonais, qui se considérait comme le protecteur de ses ressortissants à l’étranger, des milliers de jeunes hommes japonais furent recrutés par des agences de placement. Ils finirent par constituer la majorité de la main-d’œuvre sur les plantations[ 6 ]. Au début des années 1890, des Japonais commencèrent à immigrer par leurs propres moyens aux États-Unis. Puisque les agences de placement étaient devenues illégales, ils arrivèrent comme immigrants indépendants, empruntant souvent de l’argent pour payer leur billet. Plus nombreux furent ceux qui émigrèrent à partir d’Hawaï à la fin de leurs contrats, et ce mouvement s’accéléra encore lorsque l’île fut annexée par les États-Unis en 1898[ 7 ].

    En 1900, on comptait 24 326 personnes d’ascendance japonaise aux États-Unis, et l’on estime à 127 000 le nombre des immigrants de cette origine y entrant dans les sept années subséquentes. Au même moment, quelques milliers de Japonais (dont bon nombre s’étaient d’abord installés à Hawaï) s’établirent dans l’île de Vancouver ou dans la partie continentale de la Colombie-Britannique. Les nouveaux arrivants occupèrent d’abord des emplois d’ouvriers agricoles dans les régions rurales, ou de domestiques et d’ouvriers dans les zones urbaines. Ils furent nombreux à travailler sur des bateaux de pêche ou dans des conserveries de poisson et ils bâtirent des villages de style japonais dans les quartiers des conserveries, comme celui de Steveston à proximité de Vancouver, et de Terminal Island près de Los Angeles. D’autres immigrants furent recrutés pour des travaux saisonniers dans des scieries ou des usines de conserve de saumon en Alaska. Après avoir trimé dur pendant un certain nombre d’années en Amérique du Nord, bien des Issei avaient économisé suffisamment d’argent pour acheter ou louer une terre agricole. Grâce à des techniques de drainage et de fertilisation héritées de leurs traditions ancestrales, et au terme d’un labeur acharné, certains fermiers issei transformèrent des terres sans grand intérêt en fermes prospères. Aidés de leurs familles grandissantes, ils parvinrent à faire pousser des produits, des fraises, par exemple, dont la production exi- geait de travailler de longues heures le dos courbé, ce que les fermiers blancs considéraient comme un effort physique trop pénible. Les Issei installés dans des villes comme San Francisco, Los Angeles, Seattle, ou dans des cités canadiennes comme Victoria et Vancouver achetèrent des bateaux de pêche ou des hôtels, des pensions, des restaurants ou des magasins de curiosités[ 8 ]. Bien qu’exclus des professions libérales comme celles du droit (et au Canada, de la médecine), quelques rares immigrants devinrent professeurs, directeurs de journaux ou pasteurs.

    Les travailleurs japonais, même ceux qui n’avaient pas signé de contrats à durée limitée, venaient en tant que dekasegi (visiteurs), avec l’intention de ne rester que quelque temps. Pourtant, en fin de compte ils renonçaient souvent à rentrer dans leur pays. Ce désir de rester se manifesta par le nombre important d’institutions ethniques qu’ils créèrent, y compris l’Association japonaise Nihonjinkai et la Canadian Japanese Association, par les journaux qu’ils fondèrent en japonais (mais également quelques-uns en anglais) et par les communautés religieuses qui s’installèrent. Ils gardaient un attachement fort à leur mère-patrie, envoyaient de l’argent à leurs parents au Japon ou dans des comptes bancaires japonais et maintenaient des rapports étroits avec le réseau consulaire japonais, mais ils manifestaient également un profond désir de s’adapter aux coutumes et à la vie de leurs nouveaux pays. Par exemple, une minorité non négligeable d’Issei fit le choix du christianisme, une religion pratiquement inexistante au Japon. Même ceux fidèles au bouddhisme ou à l’une de ses variantes le firent évoluer vers une forme inconnue en Asie, en y intégrant des offices de culte à l’occidentale, des écoles du dimanche et des ministres prédicateurs.

    En dépit de leur attachement à leur pays d’adoption, les Issei restaient des exclus. Aux États-Unis, la Loi sur l’immigration de 1790 limitait la naturalisation aux immigrants blancs (et, après 1870, aux Africains). Les immigrants japonais et autres étrangers asiatiques n’avaient pas droit à la citoyenneté. En revanche, tout enfant né en sol américain acquérait automatiquement la citoyenneté, quel que soit le statut de leurs parents, et ce, en vertu d’une disposition constitutionnelle appuyée par la Cour suprême dans l’affaire Wong Kim Ark, datant de 1898. Au Canada, où la naturalisation restait possible, 35 % des immigrants japonais finirent par adopter la nationalité britannique, ce qui leur donnait une citoyenneté (au moins symbolique) au Canada. Cependant, les Canadiens japonais et les autres Asiatiques de Colombie-Britannique, comme les Noirs américains dans le Sud à l’époque de Jim Crow, étaient exclus du suffrage, en dépit de leur statut de citoyens britanniques[ 9 ].

    Les débuts des mouvements antijaponais

    Il faut dire qu’au cours du XIXe siècle, l’élite blanche dans sa majorité accueillit favorablement les Japonais, jugés selon elle plus propres et plus intelligents que les Chinois, qu’elle méprisait, et toujours prêts à travailler fort pour des salaires modestes. Pourtant, dès le début, le monde anglo-américain manifesta une certaine dose d’hostilité xénophobe à l’égard des Japonais immigrés, en raison de leurs différences raciales et culturelles – leur religion supposée barbare, leur mauvais anglais et leur tendance à se rassembler en communautés distinctes (souvent par nécessité). Le Canada, colonie britannique, entra souvent en conflit avec la mère patrie à propos de l’immigration. C’est en 1895 que la Colombie-Britannique priva tous les Chinois et les Japonais, quels que soient leur lieu de naissance ou leur citoyenneté, du droit de vote et leur interdit l’accès à certaines professions. Quatre ans plus tard, elle votait le premier volet d’une série de lois raciales qui, par différents moyens, visaient à limiter l’immigration japonaise. Cependant, le gouvernement du premier ministre Wilfrid Laurier les renversa toutes pour ne pas nuire à la politique étrangère de l’Empire britannique à l’égard de ses alliés japonais[ 10 ]. Bien que les citoyens japonais aient officiellement obtenu le droit d’entrer librement au Canada en vertu d’un traité entre le Japon et la Grande-Bretagne (un traité dont le Canada fut signataire en 1906 malgré certaines réserves sur la question de l’immigration), Tokyo accepta, pour calmer la situation, d’instaurer certaines mesures administratives limitant l’émigration des Japonais au Canada. Ces mesures et la guerre entre le Japon et la Russie stoppèrent presque complètement l’immigration japonaise de 1901 à 1905[ 11 ].

    Des pressions visant à limiter l’immigration japonaise s’exerçaient aussi aux États-Unis. En 1900, l’American Federation of Labor (AFL, Fédération américaine du travail), qui tirait en grande partie son pouvoir politique de son ancienne campagne prônant l’exclusion des Chinois, adopta une résolution par laquelle elle s’opposait officiellement à l’immigration de tous les Asiatiques. Les dirigeants syndicaux, qui refusaient d’admettre les Asiatiques dans les rangs de leurs organisations, affirmaient que les travailleurs japonais ne formaient qu’une bande d’individus de race inférieure qui menaçaient le niveau de vie des Blancs. En mai 1905, les organisations syndicales s’unirent pour constituer un groupe de pression et de propagande, la Japanese Exclusion League[ 12 ]. Cependant, le point de vue de l’élite américaine avait commencé à évoluer, en raison principalement de deux facteurs reliés entre eux. Tout d’abord, il y avait l’intérêt des grands fermiers et des hommes d’affaires blancs, qui toléraient les ouvriers immigrés japonais, mais qui se sentaient menacés par la croissance des entreprises japonaises. En effet, les Issei, propriétaires de fermes ou de commerces sur la côte Ouest, les concurrençaient sur le plan économique ; leur succès venant d’ailleurs contredire la notion bien établie et très répandue de la suprématie des Blancs. Ensuite, on craignait la force militaire du Japon. En 1904-1905, le Japon vainquit la Russie, devenant ainsi la force navale dominante dans le Pacifique Ouest. La puissance militaire japonaise suscita la crainte, vite répandue chez les Américains, d’un « péril jaune », d’une puissance asiatique envahissant le monde. Publié en 1909, le livre à succès The Valor of Ignorance de Homer Lea mettait en garde contre une invasion militaire japonaise de la côte Pacifique en donnant le plan détaillé de cette attaque. Des agitateurs blancs semèrent la panique sur le thème d’une probable invasion japonaise en prétendant que l’immigration représentait la première phase de la conquête.

    À l’automne de 1906, presque un an après la signature du traité de Portsmouth mettant un terme à la guerre russo-japonaise, le conseil scolaire de San Francisco instaura un nouveau règlement qui officialisait la ségrégation des écoliers japonais en les reléguant aux écoles dites « orientales ». Cette décision, prise sur une base ouvertement raciste afin de stigmatiser les Japonais américains, provoqua une crise internationale. Au Japon, le gouvernement et l’opinion publique étaient extrêmement sensibles à la discrimination raciale subie par les Japonais à l’étranger. Le président Theodore Roosevelt, craignant que le geste du conseil scolaire n’entraîne les deux pays dans une guerre inutile, dénonça cette mesure dans son message annuel au Congrès, quelques semaines après le début de la crise, la traitant d’«absurdité malfaisante» et, en signe de conciliation, il proposa que le Congrès vote une loi autorisant explicitement les immigrants japonais à se faire naturaliser (cette disposition fut rejetée, comme Roosevelt devait l’avoir prévu). En attendant, le département de la Justice de Roosevelt s’associa avec Masuji Miyakawa, le seul avocat japonais du Barreau américain, pour attaquer devant les tribunaux les ordonnances de placement des élèves japonais.

    Après plusieurs mois d’efforts, Roosevelt finit par convaincre le conseil scolaire d’abandonner sa politique de ségrégation et abandonna pour sa part les poursuites judiciaires. Par ailleurs, le président signa immédiatement un décret interdisant aux Japonais vivant à Hawaï d’émigrer vers le continent et promit d’entamer avec le gouvernement japonais des négociations pour limiter à l’avenir l’immigration à partir du Japon. Ces pourparlers s’étalèrent sur un an et, pendant cette période, on échangea toute une série de notes diplomatiques. Elles constituent le Gentlemen’s Agreement de 1907-1908. Selon cet accord à l’amiable, les États-Unis promettaient de ne pas instaurer de restrictions à l’immigration ou de lois discriminatoires contre les sujets japonais. En contrepartie, le gouvernement japonais s’engageait à ne pas délivrer de passeports aux travailleurs désireux de partir pour les États-Unis. Conséquence de cet accord : seuls les commerçants, les religieux, les touristes et les étudiants étaient autorisés à entrer dans le pays. Cependant, contrairement aux « catégories protégées » admises par le régime du Chinese Exclusion Act (loi d’exclusion des Chinois), le Japon avait la responsabilité du contrôle de l’entrée de ses ressortissants, et les immigrants japonais d’ores et déjà admis aux États-Unis avaient l’autorisation de faire venir leurs épouses, leurs enfants et leurs parents[ 13 ].

    Alors que l’immigration japonaise aux États-Unis diminuait, les immigrants japonais (et surtout les émigrés d’Hawaï) commencèrent à arriver en force au Canada. De 1907 à 1908, environ 5 000 Japonais, soit plus du double de ceux qui y résidaient déjà, arrivèrent en Colombie- Britannique; cela provoqua des protestations massives de la part des Blancs de la région et le lancement d’une pétition adressée au Parlement et signée par des milliers de personnes. On vit apparaître à Vancouver une Asiatic Exclusion League, dont la base était constituée d’un groupe d’agitateurs nativistes américains. Le 7 septembre 1907, la Ligue organisa une manifestation de masse contre l’immigration asiatique qui dégénéra rapidement en émeute raciale. Des casseurs blancs attaquèrent les quartiers chinois et japonais de la ville, endommageant les maisons, pillant les magasins[ 14 ]. Le chef du Parti conservateur et leader de l’opposition fédérale Robert Borden se joignit aux dirigeants locaux pour justifier cette émeute et déclara que la Colombie-Britannique était une « province de Blancs » et qu’elle devait le rester.

    Cette situation força le gouvernement de Wilfrid Laurier à agir. Pour calmer le Japon (et la Grande-Bretagne), le premier ministre mit sur pied une équipe dirigée par W. L. Mackenzie King, sous-ministre du Travail et futur premier ministre, et la chargea de se rendre dans la région de l’émeute pour établir un rapport sur les dommages, étant entendu que le gouvernement paierait les pots cassés – pour donner une idée des priorités du gouvernement, la plus grande partie des fonds fut consacrée à remettre en état le consulat japonais plutôt qu’à réparer les maisons et les magasins saccagés. En décembre 1907, dans l’espoir de calmer la fureur des réductionnistes sans violer les droits inscrits dans le traité avec le Japon, Laurier dépêcha à Tokyo son ministre du Travail, Rodolphe Lemieux, afin de négocier un nouvel accord : pour la première fois, les Canadiens ne passèrent pas par Londres et prirent l’initiative d’une mission diplomatique indépendante à l’étranger. Le gouvernement japonais refusa de déclarer quoi que ce soit qui l’engagerait, mais, de façon officieuse, le premier ministre, le comte Hayashi, prit sur lui de limiter les visas de sortie à 400 travailleurs par an ; pas plus qu’aux États-Unis, les commerçants, les religieux et les familles des immigrants déjà installés n’étaient concernés par cette restriction. Bien que Lemieux n’ait pu donner de chiffres à son retour, Laurier et lui-même assurèrent leurs collègues parlementaires que les Japonais avaient accepté de limiter l’immigration. Le Gentlemen’s Agreement canado-japonais fut approuvé par la majorité libérale au Parlement.

    L’Alien Land Act

    Dans les années suivant la mise en vigueur du Gentlemen’s Agreement, de nombreux immigrants japonais rentrèrent au Japon. Ceux restés sur place décidèrent de se marier et de fonder une famille, puisque l’entrée des femmes des immigrants installés n’était soumise à aucune restric- tion. Des dizaines de milliers de jeunes femmes arrivèrent donc du Japon au Canada et aux États-Unis comme picture brides (« mariées sur photo », c’est-à-dire par correspondance), pour rejoindre des hommes que, souvent, elles n’avaient vus qu’en photo et auxquels elles étaient mariées par procuration. La majorité des immigrants issei des deux sexes étaient des adultes en âge d’avoir des enfants ; une fois mariés, ils produisaient des enfants à un rythme supérieur au taux de natalité de l’ensemble de la population blanche. Par conséquent, la population japonaise de la côte Pacifique se composait de plus en plus de jeunes citoyens nés sur place.

    Les militants antijaponais de la côte Ouest ne se satisfirent pas du Gentlemen’s Agreement et de l’arrêt de l’immigration des travailleurs. Cela les encouragea même à réclamer de nouvelles restrictions pour diminuer le nombre des Issei. Au Canada, les politiciens de la Colombie- Britannique et leurs représentants à Ottawa exercèrent des pressions sur le gouvernement conservateur de Robert Borden, élu en 1911, pour endiguer l’immigration japonaise. Cette démarche n’eut pas le succès escompté. Par contre, le sentiment antijaponais constituait un moteur politique important en Californie, où l’agitation se focalisait sur la propriété des terres. Au début de l’année 1909, l’Assemblée législative de l’État vota un projet de loi, l’Alien Land Act, qui interdisait à tous les étrangers non admissibles à la citoyenneté (un euphémisme très clair pour désigner les Japonais et les autres Asiatiques) d’acheter ou de posséder des terres agricoles. Même si les fermiers issei ne

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