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Les Enfants de l'exil: Argentine (1975-1894)
Les Enfants de l'exil: Argentine (1975-1894)
Les Enfants de l'exil: Argentine (1975-1894)
Livre électronique268 pages8 heures

Les Enfants de l'exil: Argentine (1975-1894)

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À propos de ce livre électronique

Qui sont ces adolescents qui ont fui l'Amérique du Sud pendant la Seconde Guerre mondiale ?
Dans les années 1970, toute une génération de lycéens éveillée politiquement et scolarisée dans les meilleurs lycées de Buenos Aires se retrouve persécutée par la dictature argentine. En quelques jours, alors que la répression se durcit, nombreux sont ces adolescents qui se voient contraints de quitter le pays, devenu le théâtre de disparitions de plus en plus inquiétantes. Plusieurs décennies plus tard, Diana Guelar, Vera Jarach, et Beatriz Ruiz ont retrouvé quelques-uns de ces adolescents contraints à l’exil avant même d’avoir 20 ans. Ces témoignages retracent les destins brisés d’une génération disséminée de par le monde en raison de son activisme. A travers ces voix singulières, on découvre un pan méconnu de l’histoire politique de l’Argentine des années 1970. Syndicalistes étudiants, jeunes intellectuels de gauche, adolescents idéalistes habités d’une conscience politique rare, ils ont dû quitter du jour au lendemain famille, amis, patrie, et tenter de se reconstruire sur des terres étrangères. Quelles furent les conséquences de cet exil sur leur existence ? Sur leur rapport à la politique ? Sur leur capacité à construire une vie professionnelle, une vie de couple ? Comment vivent-ils avec la culpabilité d’avoir survécu à certains de leurs camarades ? Quel regard portent-ils aujourd’hui sur les adolescents qu’ils étaient ? Comment perçoivent-ils la génération qui leur a succédé et son apparent manque d’engagement ? Quelles leçons tirent-ils de cette histoire déchirée ? Le livre de Diana Guelar, Vera Jarach, et Beatriz Ruiz est un témoignage essentiel sur l’exil, la résilience et sur une période sombre de l’histoire de l’Argentine.

Des chroniques historiques bouleversantes, relatant l'époque difficile de la dictature argentine

EXTRAIT

Parler de l’exil, c’est tenter de récupérer une partie de l’histoire récente de notre pays passée sous silence, d’établir une rupture dans l’histoire de celui qui a traversé cette expérience et qui marque un avant et un après. C’est donc une tentative de se « dés-exiler » d’une partie de soi-même.
Faire ce travail implique de retrouver des souvenirs, des oublis, des douleurs, des surprises, des questions ; de revoir sa propre histoire, celle des autres, celle de son pays.
Les circonstances qui ont poussé chacun d’entre nous à l’exil sont nombreuses, diverses et particulières ; elles ont pourtant un point en commun : nous ne pouvions plus continuer à vivre dans ce pays, nos vies étaient en danger. Beaucoup connaissaient ce danger, d’autres moins, d’autres enfin ne voulaient pas le connaître.
A PROPOS DES AUTEURS

Beatriz Ruiz est née à Buenos Aires en 1957. Elle est diplômée de l’Université Complutense de Madrid en Psychologie. Psychanalyste, elle est également plasticienne et membre de l’association Buena Memoria. Elle s’est exilée à Madrid entre 1977 et 1984.
Diana Guelar est née à Buenos Aires en 1957. Elle est diplômée de l’Université Centrale de Barcelone en Philosophie, département de Psychologie. Elle est actuellement co-directrice du centre pour adolescents La Casita à Buenos Aires. Elle s’est exilée en Israël et en Espagne entre 1977 et 1983, puis a vécu aux Etats-Unis jusqu’à son retour en Argentine en 1984.
Vera Jarach est née à Milan en 1928. Elle a émigré en Argentine avec ses parents à l’âge de onze ans. Elle est journaliste. Entre 1953 et 1993 elle a été rédactrice pour l’agence de presse italienne ANSA. Elle est membre des Mères de la Place de mai, ligne fondatrice, ainsi que de la Fondation Memoria Historica y Social Argentina.
LangueFrançais
ÉditeurIntervalles
Date de sortie10 nov. 2015
ISBN9782369561262
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    Aperçu du livre

    Les Enfants de l'exil - Diana Guelar

    À tous ceux qui firent et font partie de cette histoire, à ceux qui ne sont plus là, à ceux qui restent, et à ceux qui continuent le combat.

    Introduction à l’édition française

    On pourrait supposer qu’il est aisé d’analyser les raisons qui m’ont poussée à m’intéresser à l’exil des adolescents argentins lors de la dernière dictature. Supposer, par exemple, qu’une unique clé expliquerait ma motivation à accompagner ces enfants de l’exil dans la réécriture de leurs histoires personnelles, brisant ainsi un long et douloureux silence, découvrant les traces laissées, les tortures, les blessures encore ouvertes. Il s’agirait en somme de rendre simplement compte de ce qu’ont signifié des retrouvailles avec Diana Guelar, la grande amie de ma fille Franca, peu de temps après son retour d’exil, et d’imaginer que tout le reste n’en a été que la suite logique. Il est vrai que tout ce qui s’en est suivi trouve son point de départ dans cet instant-là. Néanmoins, la vérité serait trop partielle, il manquerait des éléments essentiels pour comprendre mon engagement : ma rencontre avec Betty Ruiz, dont le caractère et la sensibilité m’ont tout de suite rappelé ceux de Franca, la participation à une réunion d’exilés à Buenos Aires et la création, avec Diana, Betty et d’autres anciens exilés, d’une cérémonie de commémoration qui leur redonnerait la place qu’ils méritaient dans le tragique contexte de ces funestes années.

    Ce faisant, mon unique motivation s’appellerait Franca. Or, les choses ne sont pas si simples ; elles ne sont pas non plus faciles à démêler, ou tout du moins, elles ne suffiraient pas à expliquer un long processus qui va au-delà de ce livre et du groupe particulier qui s’est constitué autour. C’est ce long processus qui a tissé ce lien affectif si solide et permis un engagement commun pour la Mémoire.

    Je laisse donc au lecteur le soin de donner un ordre de priorité aux différentes causes que je vais mentionner. Bien sûr, il y a Franca. Bien avant son enlèvement le 25 juin 1976, quelques mois seulement après le Coup d’État du 24 mars, mon mari Giorgio et moi-même, face au danger croissant, avions tout fait pour la convaincre de partir, de s’inscrire dans une université italienne par exemple. Si la situation empirait, nous étions prêts à la rejoindre et nous réinstaller dans notre pays d’origine. Le refus qu’elle opposa était sans appel, il était impossible de discuter. Les exemples d’amis ou d’enfants d’amis très chers déjà exilés s’avérèrent inutiles pour la faire changer d’avis.

    Après l’enlèvement de notre fille, ses amis très proches ont fini par quitter précipitamment le pays, échappant ainsi à un destin similaire. Les mois et années qui suivirent furent remplis d’angoisse, de terreur et de tentatives désespérées pour la retrouver et la sauver. Nous étions totalement anéantis et en même temps, un fil ténu de fol espoir guidait nos pas. Pendant toutes ces années, nous eûmes à subir le silence de la société : nos appels au secours restaient sans réponse. À l’inverse, nous reçûmes l’appui de certains êtres chers et trouvâmes un regain de force au contact de ceux qui souffraient et vivaient un drame identique au nôtre. Cela nous aida à mener une lutte et une résistance qui nous permirent au moins d’affronter dignement les années de dictature et nous permettent aujourd’hui d’avoir une famille élargie d’inestimable valeur.

    Rencontrer de nouveau les camarades de Franca me permit de retisser des liens affectifs et me donna l’impulsion nécessaire pour aider ces enfants qui avaient, comme ma fille, bien que d’une manière différente, été victimes de la dictature. Avec eux, nous avons repris l’histoire là où elle s’était arrêtée, avec un but commun : la victoire de la Vérité, de la Justice et la construction d’une mémoire collective.

    Au fil du temps, nous y avons ajouté le désir de récupérer les idéaux de notre engagement d’alors. Certes, il serait tronqué par le génocide mais certainement pas effacé pour toujours comme la dictature l’aurait voulu. Cette volonté de créer un monde meilleur et plus juste porte petit à petit ses fruits par les voies démocratiques. Cette confiance en l’avenir vient aussi, et j’en suis consciente, de mon caractère optimiste. C’est un optimisme modéré bien sûr, mais réfléchi et construit autour de quelques évidences.

    Les autres motivations de mon engagement auprès de ces adolescents ont un rapport direct avec mon propre exil. Ma famille émigra en Argentine en raison des lois raciales que le régime fasciste de Mussolini avait établies en octobre 1938. Nous avions été expulsés de l’école parce que juifs, étions de plus en plus marginalisés et souffrions chaque jour davantage de discriminations. Heureusement, ma mère avait pressenti ce qui se profilait en Europe et nous partîmes. En mars de l’année suivante, nous arrivions à Buenos Aires. Et là, s’ajoutant au traumatisme et à la nostalgie provoqués par l’exil chez une petite fille de onze ans, je compris la douleur et le sentiment de perte des adultes, de ma sœur adolescente. Douleur due à la rupture, à la peur pour ceux qui restaient et dont un grand nombre fut éliminé par la Shoah. En Italie, ce fut le cas surtout à partir de 1943, quand les nazis occupèrent une grande partie du territoire italien et qu’ils déportèrent un nombre inouï de personnes.

    Lors des entretiens menés pour écrire ce livre, de nombreuses analogies entre ma situation passée et celle de ces adolescents sont apparues. La valeur inestimable des lettres, le soutien qu’elles nous apportaient, écrites sur du papier presque transparent, léger pour que le coût en fût moins élevé. L’angoisse permanente que nous ressentions pour ceux qui étaient restés, la famille, les amis. La nostalgie. Les destinées tragiques, les histoires qui se répètent : mon grand-père maternel déporté et assassiné à Auschwitz dans les chambres à gaz… et qui n’a pas de tombe, Franca emmenée à l’ESMA, torturée, assassinée et jetée lors des « vols de la mort »… et qui n’a pas de tombe non plus. Les similitudes et parallélismes vont au-delà des contextes historiques, des distances et du temps, ils ont à voir avec les expériences humaines, le ressenti et le vécu. Ils sont le fruit du terrorisme d’État, du fanatisme, des dictatures qui conduisent à cet état de totale immobilité créé par la peur. Ils sont aussi parfois, et il faut le souligner, le produit d’une collaboration et de complicités directes.

    Ce sont donc ces motivations diverses qui ont marqué, en ce qui me concerne, le développement et la construction commune que nous avons fait des histoires qui composent ce livre. Je pourrais décrire ces motivations avec force détails et anecdotes mais il me semble que le lecteur a déjà compris l’essentiel, le « plus » que mon histoire personnelle a ajouté à ma ténacité.

    Ce qui importe, c’est que, aujourd’hui, après tant d’années de persévérance, la Justice est enfin en train d’être rendue, une Justice nécessaire à la société, une Justice qu’absolument personne, parmi les différentes victimes de la dictature, n’a tenté de rendre soi-même. Il a fallu affronter et surmonter de nombreux écueils pour défaire des décisions déjà prises et des lois qui allaient assurer une totale impunité aux coupables. Rendre justice a une importance capitale pour cet idéal de Plus jamais ça… Nous observons, suivons et vivons avec confiance les procès qui se déroulent un peu partout dans notre pays. Ils sont menés à bien grâce à la force de la légalité, le courage des témoins, l’action enfin patiente et juste de l’appareil judiciaire.

    Voici pour finir un souvenir personnel qui a trait à la Justice, bien loin de l’esprit de vengeance qui, je le sais, ne servirait à rien. Je le raconte au présent parce que c’est ainsi que je continue à le vivre. Mon père, avocat, me fait visiter, alors que j’ai neuf ans, l’intérieur du Tribunal de Milan (dont la façade fasciste m’inquiète encore aujourd’hui) pour me montrer en quoi consiste le « travail de papa » qui me semble fantastique : le juge, l’accusation, la défense, la sentence, etc. Un an plus tard, on m’expulse de l’école parce que je suis juive… et il s’agit d’une « loi ». Alors la petite fille réfléchit et se demande si cette chose si différente de ce que lui avait raconté son père est vraiment la Justice. Cette question et cette inquiétude m’ont toujours accompagnée et lorsque je vois aujourd’hui qu’en Argentine on rend finalement justice pour ces crimes qui nous ont blessés, j’y vois comme une sorte de réparation morale. Il est évident que les blessures resteront à jamais ouvertes, mais il restera « quelque chose » non seulement pour nous, mais pour tout le monde, une sorte de jalon éthique qu’il faudra dorénavant respecter et transmettre aux nouvelles générations comme l’une des valeurs morales essentielles de l’humanité.

    Vera Jarach

    Buenos Aires, novembre 2011

    Introduction

    Parler de l’exil, c’est tenter de récupérer une partie de l’histoire récente de notre pays passée sous silence, d’établir une rupture dans l’histoire de celui qui a traversé cette expérience et qui marque un avant et un après. C’est donc une tentative de se « dés-exiler » d’une partie de soi-même.

    Faire ce travail implique de retrouver des souvenirs, des oublis, des douleurs, des surprises, des questions ; de revoir sa propre histoire, celle des autres, celle de son pays.

    Les circonstances qui ont poussé chacun d’entre nous à l’exil sont nombreuses, diverses et particulières ; elles ont pourtant un point en commun : nous ne pouvions plus continuer à vivre dans ce pays, nos vies étaient en danger. Beaucoup connaissaient ce danger, d’autres moins, d’autres enfin ne voulaient pas le connaître.

    Le contexte socioculturel a permis qu’une manipulation perverse se développe : il y avait un contexte de tolérance par omission. C’était la loi du plus fort, la fin qui justifiait les moyens. Nommer cette manipulation perverse supposait établir des limites, y mettre un terme.

    On a perdu l’aptitude à discerner, à nommer le manque d’éthique et de morale, on a perdu la possibilité de parler. On ne retrouve cette capacité à s’indigner que lorsque les faits reviennent sur le devant de la scène.

    La première impulsion de ce travail fut donc de briser ce silence qui perdure encore ; tout silence est complice, même de la part de celui qui dit ne pas savoir… Briser ce silence signifiait pouvoir parler de notre exil, un exil qui avait voulu nous effacer, nous ignorer, nous suspendre dans un temps immobile comme si nous n’étions de nulle part. La dictature perverse et manipulatrice nous a volé notre identité, et pour ceux qui, comme nous, ont quitté le pays, une partie de cette identité c’est d’être des exilés. L’exil nous a permis de vivre ; nous nous sommes maintenus en vie à cette condition. Cela ne signifie pas une vie conditionnée, mais en revanche, une vie définitivement marquée.

    Traverser une frontière, dépasser une limite géographique (puisque la limite humaine l’était au quotidien) ; vivre sans avoir fait ses adieux, rencontrer l’inconnu, l’étranger, le désarroi, les adaptations forcées, l’inévitable sentiment d’échec, de déception et de culpabilité : c’était un poids bien lourd pour ces adolescents que nous étions.

    À la fin des années 1990, à la suite des divers hommages faits à des camarades disparus de la Escuela Carlos Pellegrini et du Colegio Nacional Buenos Aires¹, une période de retrouvailles a commencé pendant laquelle nous avons revécu l’expérience de l’exil avec une intensité incroyable, comme si nous n’en avions jamais parlé. Lors de ces réunions, nous nous sommes soudain aperçus de la singularité de notre expérience : nous étions des enfants, à peine des adolescents quand nous nous sommes exilés. Cette différence par rapport à d’autres générations d’exilés modifiait la perception que chacun de nous gardait de cette époque et donnait une autre coloration à nos expériences.

    L’adolescence est une période pendant laquelle on définit son identité, on traverse une intense étape de contacts et de conflits, on questionne ses idéaux, la sexualité, la mort, le sens de la vie. C’est un moment de séparation d’avec les parents, de perte de l’enfance et du corps-enfant, de tout ce qui nous protégeait, contenait. On part à la recherche de nouvelles identifications et en même temps de nouvelles possibilités.

    Notre adolescence prit la forme de son époque : notre pays nous poussait vers de grands changements sociaux et politiques. Cette force, ces désirs de changement prirent donc la forme de l’engagement politique pour une grande majorité d’entre nous. Pour cela, nous avions la dose nécessaire d’idéalisme et de mélancolie. D’autres jeunes Argentins sont passés par une adolescence « normale » : sortir, faire de la musique, du sport, prendre des drogues…

    Nous pensons souvent que notre adolescence n’a pas été normale : on est passés au travers de cette étape dans sa normalité, on a grandi abruptement, on a pris des engagements et eu des responsabilités qui n’étaient pas de notre âge. Tout cela n’a duré que peu de temps, le printemps d’un espoir de changement a existé à peine deux ou trois ans. Nombre de ces adolescents ont été assassinés ou ont disparu. D’autres, comme nous, ont eu la chance de survivre, se sont exilés dans et hors de leur pays.

    Lors de ces retrouvailles que nous évoquions plus haut, nous nous sommes rendu compte que quelque chose perdurait et nous empêchait de réellement parler de cette expérience. Nous sentions confusément que la priorité d’un « devoir de mémoire » revenait aux disparus², aux prisonniers, aux survivants des camps et que notre expérience de l’exil était privilégiée dans ce contexte atroce.

    Commencer à parler ne fut donc pas facile. Il nous faut ici parler de Vera, la mère de notre chère amie disparue Franca, Mère de la Place de Mai³. Sa présence, sa volonté de faire publier ce livre, nous ont donné de la force, et nous ont permis de sentir que parler de notre exil était aussi un « devoir de mémoire ». C’est elle qui a réalisé la plupart des entretiens du livre.

    L’adolescence en exil est l’un des chapitres de l’Histoire argentine du dernier quart du XXe siècle, une histoire que l’on se doit de garder en mémoire et qui doit entrer dans la mémoire collective avec les autres histoires des victimes du terrorisme d’État qui régna dans les années 1970 jusqu’au retour de la démocratie et de l’État de droit. Cette partie de l’Histoire commence à se reconstruire et ce travail participe de cette reconstruction.

    Les enfants de l’exil est composé d’histoires d’adolescents argentins qui ont dû abandonner leur pays pendant les années de la dictature militaire et s’exiler dans divers pays. Des filles et des garçons de quinze à vingt ans qui formaient un groupe assez homogène : des étudiants de classe moyenne vivant pour la plupart à Buenos Aires. Nous sommes conscientes de limiter la richesse de ces événements, mais on commence par ce que l’on connaît et nous touche directement.

    À travers les témoignages de ces adolescents devenus adultes, on voit apparaître les expériences douloureuses qui précédèrent le départ, l’engagement politique, les prises de conscience, les projets et les utopies ; les luttes et les certitudes qui dessinèrent les trajectoires individuelles ou collectives, le sentiment de l’horreur, les expériences de la fuite, de la clandestinité et de la peur et pour finir, la décision dramatique de l’exil avec ses circonstances et ses caractéristiques individuelles. La douleur de la séparation, la perte, le choc initial dans des pays différents et presque toujours difficiles, les formes d’adaptation ou de rejet, les solidarités, les nostalgies, les amitiés, les amours, le sexe avant et après l’exil, les relations avec la famille et les amis. L’angoisse en apprenant les événements en Argentine, les disparitions et les morts de camarades et amis, les affrontements idéologiques. Une accumulation d’expériences qui ont fait violemment grandir ces adolescents que nous étions. Le matériau rassemblé ne se limite pas à des témoignages, il inclut aussi les correspondances avec la famille ou les amis, le souvenir de situations et d’épisodes significatifs à travers divers textes qui laissent des traces indélébiles, des photos qui gardent pour toujours l’empreinte d’un passé qui ne peut pas passer. On y parle aussi des retours, des allers-retours qui ont précédé le choix d’un endroit où s’enraciner (même si les racines restent faibles), on y évoque les blessures toujours ouvertes qui ont engendré des maladies du corps et de l’esprit. Ce livre porte aussi un regard sur les générations suivantes, les enfants de ces adolescents devenus adolescents à leur tour qui portent les marques de l’histoire familiale et les exposent ouvertement.

    L’État qui suivit la dictature éluda ses responsabilités, n’établit pas un cadre d’action significatif : il collabora ainsi à ce que l’identité de l’autre soit attaquée dans ce qu’elle a de plus profond, le privant ainsi de son individualité. Dans ce contexte, notre désir est que cet ouvrage aide au souvenir, qu’il compte réellement. Il s’adresse autant à ceux qui ont vécu ces événements directement, qu’à ceux qui en ont entendu parler de manière superficielle. Il s’adresse tout particulièrement aux jeunes, surtout aux adolescents qui seront sans doute bouleversés par cette histoire vécue il y a des décennies par d’autres adolescents de la génération de leurs parents. Nous cherchons à comprendre les idées, les sentiments, les gestes et les actions de ces « enfants » qui sont devenus adultes sous les coups d’une violente répression qui impliqua pour tous beaucoup de souffrances et aussi, souvent, de nouvelles expériences enrichissantes. Ceux qui sont restés sur les lieux de leur exil comme ceux qui se sont « dés-exilés » en retournant en Argentine ont beaucoup à redécouvrir en fouillant dans leur mémoire, en élaborant leur vécu d’hier et d’aujourd’hui. En partageant tout cela avec les lecteurs, nous espérons apporter quelque chose de précieux à l’idéal de Plus Jamais ça⁴ que nous sommes nombreux à soutenir. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cet idéal ne soit plus une utopie mais une réalité.

    Diana Guelar, Vera Jarach, Beatriz Ruiz


    1. Noms des deux lycées publics les plus réputés de Buenos Aires. On les désignera comme le Pellegrini et le Buenos Aires. (Toutes les notes sont de la traductrice)

    2. On estime à 30 000 le nombre de disparus victimes du terrorisme d’État entre 1974 et 1983. Le coup d’État militaire de Jorge Videla a eu lieu le 24 mars 1976 et a mis fin au gouvernement corrompu d’Isabel Perón, vice-présidente du gouvernement de son mari Juan Domingo Perón, devenue présidente après le décès de celui-ci en 1974. Quatre généraux se sont succédé entre 1976 et 1983 : Videla, Viola, Galtieri et Bignone. Après le désastre de la guerre des Malouines qui opposa l’Argentine à la Grande-Bretagne et qui dura trois mois entre avril et juin 1982, la junte a finalement organisé des élections libres à l’issue desquelles Raúl Alfonsín, du Parti Radical (centre gauche), a été élu président.

    3. Les « Madres de Plaza de Mayo » : tous les jeudis depuis 1977, les mères et grands-mères de disparus, portant un foulard blanc sur la tête, défilent Plaza de Mayo, devant la Casa Rosada, siège du gouvernement, pour réclamer justice et le retour des milliers de disparus.

    4. Nunca más : nom du rapport de la CONADEP (Commission Nationale sur la Disparition de Personnes) présidée par l’écrivain argentin Ernesto Sábato et créée par Raúl Alfonsín. Ce rapport avait pour but de recueillir les informations des actes de torture et des assassinats commis

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