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Radioscopie des médias rwandais d’après 1994: Essai
Radioscopie des médias rwandais d’après 1994: Essai
Radioscopie des médias rwandais d’après 1994: Essai
Livre électronique390 pages4 heures

Radioscopie des médias rwandais d’après 1994: Essai

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À propos de ce livre électronique

Écrite par Jean-Baptiste Rucibigango, cette somme sur l’état des médias rwandais d’après 1994 est : « (le) fruit d’une franche collaboration et d’une heureuse rencontre entre des professionnels des médias et des intellectuels pour la plupart rwandais. Ce rapport se veut avant tout objectif, critique et libre à l’image des médias pluralistes et indépendants qui ont constitué l’objet principal de notre étude pendant de longs mois. L’objet de la mission a surtout consisté à identifier, de la façon la plus objective et la plus correcte possible, la situation réelle des médias rwandais de 1994 à 2004. Aussi, d’en faire l’inventaire, la description la plus complète et l’analyse critique, afin de permettre au Haut Conseil de la Presse rwandaise de veiller à leur régulation et autorégulation, au respect de l’éthique et de la déontologie professionnelles en matière de presse écrite et audiovisuelle publique et privée. »
Ce livre sera aussi en Afrique un vade mecum en direction des étudiants en journalisme, des futurs patrons de presse, des ONG et organisations internationales.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Baptiste Rucibigango est originaire de Kibeho, district de Nyaruguru, Province du Sud au Rwanda. Homme politique, chercheur en sciences humaines et communicateur formé par l’UNESCO, il est l’auteur et le promoteur de plusieurs publications, dont Bras de Fer franco-rwandais, paru en 2007 et qui a rencontré un vaste écho jusque dans les débats houleux du Sénat français.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2021
ISBN9791037722577
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    Radioscopie des médias rwandais d’après 1994 - Jean-Baptiste Rucibigango

    Préface

    Dans l’histoire récente du Rwanda, la presse a joué un rôle néfaste, c’est une évidence. C’est par la presse que l’idéologie du Parmehutu a été inculquée au peuple et que la mise en place d’une république ethniste hutu est devenue normale. C’est par la presse que les exactions de toutes sortes commises au grand jour contre les Tutsi pour le fait d’être nés Tutsi et contre des Hutu considérés comme traîtres à leur ethnie ont été banalisées. La même idéologie ethniste a servi de fondement à la deuxième république et les médias l’ont répandue comme une idéologie parfaitement normale.

    Plus près de nous, le rôle joué par la presse extrémiste pendant la guerre civile et surtout pendant les mois du génocide et des massacres en 1994 est connu dans le monde entier. Les exploits de Kangura, de la RTM et même de Radio Rwanda figurent désormais dans les annales de la presse internationale comme une illustration parfaite des médias de la haine, des médias du génocide au service d’un régime criminel. Les termes Interahamwe, Itsembatsemba, Itsembabwoko font désormais partie du jargon des médias dans le monde. La question que beaucoup de personnes se posent face à cette dérive des médias est fort simple : Comment en est-on arrivé là ?

    D’abord considérée comme une boutade, l’idée que la presse constitue le quatrième pouvoir face à l’exécutif, au législatif et au judiciaire a fait son chemin à travers le monde. La presse s’est imposée comme un véritable pouvoir. Les grandes entreprises de presse ont même constitué des empires redoutables, mais qui fonctionnent dans un cadre juridique très précis avec des droits et des devoirs tout aussi précis. Le combat de la presse pour acquérir son statut ou ses lettres de noblesse rentre dans l’histoire de chaque pays : la presse a eu ses héros, ses martyrs, mais également ses éléments dévoyés, ses traîtres. Elle a eu ses détracteurs et ses ennemis mais également ses admirateurs.

    Là où il y a équilibre entre l’exécutif, le législatif, le judiciaire et la presse, c’est-à-dire là où chacun des quatre partenaires garde son identité, sa spécificité et conserve ses prérogatives, le pays a de fortes chances de connaître une évolution démocratique et harmonieuse. Dès qu’apparaît le moindre déséquilibre entre les quatre piliers, une brèche est créée et si l’équilibre n’est pas rétabli rapidement, un glissement progressif ou précipité déstabilise le pays. L’équilibre peut être rompu quand le parlement est hostile au gouvernement, quand le judiciaire cherche noise à l’exécutif (cas des gouvernements des juges) et quand la presse déchaînée se ferme aux réalisations du gouvernement même les plus positives. Ceci mène l’État à une sorte de paralysie.

    En s’imaginant renforcer ses pouvoirs – c’est le cas le plus fréquent –, l’exécutif entreprend de mettre à ses ordres le judiciaire, de transformer le parlement en chambre d’enregistrement et la presse en porte-voix du pouvoir, s’engageant par là et à son insu dans un processus suicidaire. Parvenu à son but de réduire ses partenaires naturels à sa merci, l’exécutif peut naïvement crier victoire et se considérer comme fort alors que c’est précisément à ce moment précis qu’il est le plus vulnérable. Il a éliminé lui-même tous les mécanismes d’autodéfense. Le pouvoir totalitaire est un pouvoir sans contre-pouvoir, c’est-à-dire un pouvoir condamné à disparaître. Il n’a aucune alliance avec son peuple et parmi les hommes qui prétendent le servir, plusieurs le savent condamné et l’ont secrètement lâché sans oublier les opportunistes, les hommes de paille, les opposants réduits au silence et poussés à une sorte de double vie : défenseurs du régime en public et ennemis irréductibles de ce même régime en privé et dans leur for intérieur. C’est cette situation qu’ont connue le régime Parmehutu de Kayibanda et la république MRND de Habyarimana.

    Les deux régimes ont eu en commun le double handicap majeur suivant :

    1°) Avoir mis en place des systèmes totalitaires, c’est-à-dire des régimes Hutu qui oppriment les Hutu : la démocratie et le développement promis aux Hutu sont restés dans les discours que retransmettaient la radio et la presse gouvernementales relayés par une presse internationale qui, à quelques exceptions près, est restée peu critique à l’égard de régimes qui se moquaient des principes démocratiques et des droits de l’homme. Il est vrai que pendant toute cette période, les démocraties militaires et les régimes forts et stables des dictatures pour les peuples qui les subissaient avaient les faveurs des bailleurs de fonds et des parrains d’Outre-mer.

    2°) Reposer sur une idéologie d’exclusion d’une partie de la population rwandaise : sous les deux républiques hutuistes, les Tutsi constituaient officiellement des citoyens de deuxième zone et surtout un peuple otage, des morts en sursis.

    Les dérives de la presse sous Kayibanda et Habyarimana ont été facilitées par le fait que les trois autres piliers avaient perdu leur identité et leurs prérogatives de pouvoir législatif, de pouvoir judiciaire et de presse indépendante.

    On est tombé en admiration devant la prolifération des journaux vers la fin du régime de Habyarimana. On a oublié de regarder de plus près ladite presse.

    Il y avait la presse gouvernementale (presse écrite, radio et télévision) qui était la voix de son maître. Il y avait une presse privée ou indépendante qui se divisait en deux catégories nettement distinctes : une presse totalement inféodée au pouvoir qui, mieux que la presse gouvernementale, a pu, abusant de son titre de presse indépendante, répandre publiquement toutes les insanités que la presse officielle diffusait sur un autre ton. Kangura et RTLM constituent, à cet égard, les exemples parfaits d’une telle presse officiellement privée mais en réalité contrôlée et instrumentalisée par l’aile la plus extrémiste du régime. Il y avait une presse réellement indépendante qui travaillait dans des conditions effroyables, sous des tracasseries de toute sorte et qui a payé un lourd tribut pendant toute la guerre civile et surtout pendant le génocide et les massacres de 1994.

    Aujourd’hui, la presse (presse rwandaise mais également presse étrangère car les médias de la haine du Rwanda ont disposé de relais dans plusieurs pays) a besoin de se réhabiliter. La réputation infamante de médias de la haine au service d’un État criminel ou de médias dits indépendants alors qu’ils sont instrumentalisés par un pouvoir fasciste et raciste doit être effacée. Le premier réflexe quand on annonce la naissance d’un journal ou d’une radio est une sorte de réflexe de méfiance : Qui est derrière ce média ? Quelle sera sa ligne éditoriale officielle et cachée ? Quelle est l’équipe de ses animateurs ? D’où sortent-ils et qu’ont-ils fait dans le passé ? Qui sont ses commanditaires ? Une série de préjugés guident la lecture ou l’écoute du nouveau média. Le souvenir traumatisant de radio-machettes et d’autres médias extrémistes hante encore les mémoires du public et des pouvoirs publics. On peut dire que le passé de la presse colle toujours à sa peau.

    La presse a causé des dégâts énormes. Mais elle a également reçu des coups sévères. En la jugeant cependant, on doit, sans la disculper de ses propres responsabilités, la restituer dans le paysage politique dans lequel elle est née et a évolué : mieux que d’autres secteurs, le secteur de la presse est le miroir du régime dans lequel il évolue. Comme d’autres secteurs de la vie nationale, le secteur de la presse renaît de ses cendres : on voit circuler une série de titres anciens et nouveaux, plusieurs radios s’ajouter à l’unique radio gouvernementale (à part la tristement célèbre TRLM de 1993-1994) qui a dominé la scène jusqu’en juillet 1994, des projets de télévision s’annoncent et viendront bientôt compléter ou concurrencer l’actuelle TVR gouvernementale.

    La contribution majeure de la présente étude est non seulement d’avoir donné un flash sur la presse rwandaise d’hier, – qui sert, on le sent, de toile de fond à toute l’étude –, mais surtout d’avoir donné un diagnostic très précis de la presse rwandaise d’aujourd’hui et proposé un traitement approprié. L’étude met en évidence les problèmes auxquels fait face la presse rwandaise : étude des projets (ceci est valable surtout pour la presse écrite) relativement faible, faiblesse des moyens matériels et financiers, manque généralisé des véritables professionnels des médias, contenu véhiculant souvent des informations non vérifiées, des rumeurs, des atteintes à la vie privée, des diffamations de personnalités publiques, des informations manipulées¹, des mensonges, le recours constant à des informateurs anonymes², une présentation qui souvent laisse à désirer, collecte et diffusion des informations dans et pour les milieux urbains, absence d’une messagerie rwandaise, une presse généralement peu spécialisée sur des domaines précis, présentations critiques du cadre juridique dans lequel évolue aujourd’hui la presse, c’est-à-dire le droit et la liberté d’informer mais également le droit à l’information : les lois de 1991 et de 2002 qui doivent être revues pour être en conformité avec les dispositions pertinentes de la constitution adoptée par référendum en 2003. Ces dispositions concernent non seulement la presse elle-même mais également le cadre du pluralisme (non de façade) des partis et autres organisations qui consacrent par la loi le pluralisme dans la gestion de l’État.

    En même temps que la révision de la loi sur la presse, la formation des journalistes à travers les filières académiques ou la formation en cours d’emploi pour rendre plus professionnels les journalistes, l’étude explore également les moyens de remédier à la faiblesse de l’équipement et des ressources financières. Enfin, l’étude donne des recommandations très détaillées sur le mandat, les objectifs et la gestion de l’instance de régulation de la presse rwandaise (Haut Conseil de la Presse) et sur les mécanismes dautorégulation : ici, l’accent est mis sur l’éthique professionnelle.

    Espérons que les dérives de la presse rwandaise d’hier et la présente étude permettront aux partenaires naturels que sont aujourd’hui les mass médias et les pouvoirs publics d’œuvrer de concert, chacun en respectant l’identité et les prérogatives de l’autre, à la renaissance de la nation rwandaise et d’effacer la réputation infamante du Rwanda comme pays des médias du génocide et de présenter un peuple uni face à ses défis et également accueillant pour tous ses enfants hutu, tutsi et twa ainsi que pour leurs hôtes au premier rang desquels ses voisins.

    Augustin Gatera

    Ancien fonctionnaire international

    à l’UNESCO à Paris

    Introduction

    D’avril 2005 à la mi-novembre 2005, voilà enfin achevé un travail « d’étude et recherche sur l’état des médias rwandais d’après 1994 », qui avait fait l’objet d’un contrat ente le Haut Conseil de la Presse (HCP) et le consultant, sous des conditions précises.

    Fruit d’une franche collaboration et d’une heureuse rencontre entre des professionnels des médias et des intellectuels pour la plupart rwandais, ce rapport se veut avant tout objectif, critique, et libre à l’image des médias pluralistes et indépendants qui ont constitué l’objet principal de notre étude pendant de longs mois.

    L’auteur souhaite tout d’abord exprimer ses remerciements à tous ceux qui lui ont apporté leur aide, leurs encouragements ou leurs conseils, en particulier le Ministre de l’Information, M. Laurent Nkusi ; Mme Immaculée Ingabire, vice-présidente sortante du HCP, M. Patrice Mulama, Secrétaire exécutif du HCP et M. Abraham Makuza, membre sortant du HCP, qui a présidé régulièrement les réunions de suivi et d’évaluation de cette recherche, et Antoine Museminali qui en a fait un « critical reading ». Il remercie cordialement, enfin, MM Fabien Sindayiheba, Jean Baptiste Kennedy Bahizi, Mlle Liriose Urimubenshi et Thierry Sinda pour avoir fait la saisie et la relecture du texte de ce rapport.

    Cette tâche qui a représenté de longs mois de recherches approfondies et de consultations a été entreprise à l’initiative du HCP, avec son appui financier et l’entière solidarité de ses membres, qui se préoccupent au plus haut point de la liberté, du développement, d’épanouissement et de la qualité de la jeune presse rwandaise. Ce travail est sa propriété légitime. Cependant, la responsabilité des positions prises et des erreurs possibles incombe entièrement au chef de la mission et, accessoirement, à ses collaborateurs.

    L’objet de la mission a surtout consisté à identifier, de la façon la plus objective et la plus correcte possible, la situation réelle des médias rwandais de 1994 à 2004 ; d’en faire l’inventaire, la description la plus complète et l’analyse critique, afin de permettre au HCP de veiller à leur régulation et autorégulation au respect de l’éthique et de la déontologie professionnelles en matière de presse écrite et audiovisuelle publique et privée ; et d’assurer la pleine liberté et la protection légale aux organes d’information existant à ce jour sur le territoire du Rwanda.

    En outre, la mission envisageait aussi de mettre en exergue différents aspects des droits des femmes et des hommes qui travaillent dans les médias en rapport avec le code de justice pénale en vigueur dans notre pays.

    Ainsi que nous l’expliquions dans un rapport préliminaire, le 4 mars 2005, notre méthodologie pour la collecte des données s’est inspirée, d’une part, des techniques habituellement utilisées dans des travaux de recherche ou d’étude, dont la technique documentaire pour dépouiller des archives et établir une histoire documentée des médias nationaux dans la période circonscrite. Nous avons ainsi interrogé des archives retrouvées dans les services publics ou chez les privés et choisies en fonction de leur caractère significatif en rapport avec les objectifs de la mission. Des monographies, des mémoires et des études antérieures ayant traité sur un sujet similaire que le nôtre. Ceci est valable notamment dans les trois premières parties.

    Ailleurs, nous avons fait l’usage d’interview ciblant des personnes, des experts et des informateurs sélectionnés sur la base de leur compétence en matière d’analyse des médias, leur jugement, leur lucidité ou la qualité des informations qu’ils détiennent.

    Enfin, nous avons élaboré un questionnaire à soumettre aux publics dans le cadre d’une enquête. Les avantages de ce type d’approche sont la simplicité de formulation des questions posées, le classement des opinions exprimées et l’interprétation facile des résultats comme nous avons procédé dans la quatrième partie.

    En réalité, nous avons alterné des méthodes : analytique, comparative, descriptive, dialectique, suivant le sujet spécifique à traiter.

    Dans sa forme finale et définitive, ce rapport comporte 7 parties d’inégales étendues :

    Contexte ;

    L’état général des médias rwandais ;

    Les obstacles structurels à la diffusion de la presse ;

    Interprétation des résultats d’enquête ;

    Les moyens de renforcer la capacité du HCP pour remplir son mandat de régulation des médias rwandais ;

    Les perspectives de renforcement de l’environnement des médias ;

    Conclusion générale et les recommandations.

    Chacune des parties comporte des sections et des sous-sections en nombre variable et sans doute les unes plus importantes que les autres ; mais toutes sont complémentaires et méritent une égale attention. En général, une conclusion partielle sous forme de suggestions ou d’une réflexion clôt chaque section. Elle est importante avant d’aborder la conclusion générale et les recommandations qui la reprennent sommairement.

    Première partie

    Contexte

    À la mi-septembre 1994, peu après l’heure zéro, une mission d’enquête de Reporters sans frontières (RSF) sur la situation de la liberté de la presse arrive au Rwanda.

    Elle comprenait notamment l’historien Jean-Pierre Chrétien, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS – France). Celle-ci découvre un pays qui semblait avoir été frappé par la bombe à neutron, selon une expression largement répandue à l’époque.

    Le contenu du rapport issu de cette mission, ainsi que des éléments importants extraits d’un ouvrage de référence : Rwanda les médias du génocide³ du professeur Jean-Pierre Chrétien, ont fourni, pour l’essentiel, la substance à cette première section.

    Le massacre des journalistes : une macabre énumération

    À Kigali, la question du génocide était naturellement au cœur de toutes les discussions, de toutes les rencontres, indique le rapport de la mission. Dans le domaine de la presse, c’est la même politique de la terre brûlée. Sur le plan humain, 49 journalistes, sur la centaine que comptait le pays avant le 6 avril 1994, avaient été massacrés sous l’instigation directe de leurs confrères de la Radio Télévision des Mille Collines (RTLM) : « effrayant symbole du pouvoir de nuisance d’un système médiatique parvenu, au terme de sa planification du génocide, jusqu’à son autodestruction⁴ ». Environ 2 tiers de ces morts étaient d’ethnie tutsi, tués pour ce qu’ils étaient, c’est-à-dire tutsi. Ils ont été emportés dans la passion générale meurtrière d’un pays excité par un « média de la haine » où le sens de la vérité, d’équité et d’honnêteté semble avoir disparu⁵. L’autre tiers était d’ethnie hutu également massacré.

    RSF qui les a recensés ne peut, cependant, certifier si ces dernières victimes l’avaient été à cause de leurs opinions politiques ou, plus simplement, pour avoir exercé leur métier de journaliste. D’autres, « convoyés » par les forces génocidaires en déroute, prirent les routes d’exil, se sachant menacés.

    Jusqu’à ce jour, il n’y avait jamais eu, dans aucun autre pays, d’hécatombe pareille chez les journalistes, signale le rapport de RSF⁶. Et d’ajouter que la liste des victimes n’était pas exhaustive. Au moment de la visite de la mission au Rwanda, on était en effet sans nouvelles de plusieurs journalistes, et l’on était pratiquement sûrs que certains viendraient s’ajouter à cette macabre énumération⁷.

    À propos du rôle des médias dans le conflit, l’Institut Panos Paris (IPP) indique que le Rwanda a été dans l’œil du cyclone. C’est cette expérience tragique qui a institutionnalisé et popularisé le qualificatif de « médias de la haine » à propos de Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM) et des journaux Kangura, La Médaille Nyiramacibiri, Umurwanashyaka, etc. Tous appelaient à la haine, conclut l’Institut Panos Paris⁸.

    En 1990, lors de ce qu’il est convenu de nommer « le printemps de la presse au Rwanda », la floraison de nouveaux journaux⁹ était favorisée par un réseau d’ateliers de presse impressionnant.

    Lire le détail dans Rwanda, les médias du génocide : « Dès l’époque coloniale, l’église s’est évertuée à créer une puissante imprimerie, capable de fournir tout le matériel nécessaire aux progrès de l’évangélisation. Ainsi est née l’Imprimerie de Kabgayi, non loin de la résidence royale, dans les années trente. Puis chaque diocèse a été doté d’une imprimerie. Bien formés, ouvriers et contremaîtres des entreprises catholiques ont à leur tour facilité l’installation de nouvelles entreprises. L’église elle-même, pour ne pas prêter le flanc à la critique du régime (de Habyarimana, n.d.l.r), a retiré de Kabgayi la fabrication de Kinyamateka, qui, comme la revue Dialogue, se fait imprimer par Palloti-Presse à Kigali : un ensemble d’ateliers très bien équipés, gérés par les Pères Pallotins polonais. Mais, au début des années 90, on compte également une grande variété d’imprimeries d’État ou privées.

    L’Imprimerie nationale et la Régie de l’Imprimerie Scolaire, toutes deux propriétés de l’État, sont suréquipées et ne rechignent pas à effectuer des travaux extérieurs. Printer Set, située face à la présidence, l’Imprimerie de Kigali, l’Imprimerie Sieva à Kicukiro et quelques autres, fabriquent plus ou moins souvent des journaux. Elles disposent de machines offset Heidelberg à feuilles bien entretenues et adaptées aux petits tirages des nouveaux journaux, ainsi que d’énormes stocks de papiers »¹⁰.

    Les auteurs de Rwanda, les médias du génocide ajoutent que pour se prémunir contre l’instabilité qui couvait au Burundi et dans les deux Kivu, les imprimeurs rwandais avaient choisi d’installer à Kigali un parc de machines destiné à alimenter tout le marché régional en

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