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Au nord: À nu: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada
Au nord: À nu: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada
Au nord: À nu: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada
Livre électronique699 pages4 heures

Au nord: À nu: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada

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À propos de ce livre électronique

Les Archives gaies du Canada, ou The ArQuives, la plus grande archive LGBTQ2+ indépendante au monde, se consacrent à la collecte, à la préservation et à la célébration des histoires et des mémoires des personnes LGBTQ2+ au Canada. Depuis 1973, des bénévoles ont rassemblé une vaste collection d'artefacts importants qui témoignent des expériences personnelles et des moments historiques significatifs pour les communautés queer canadiennes. Au nord, À nuz: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada est une exploration et une analyse fascinantes de l'histoire et de l'activisme queer d'une nation, et est le guide visuel définitif du mouvement LGBTQ2+, de ses luttes et de ses réalisations au Canada.
LangueFrançais
Date de sortie5 mai 2023
ISBN9781773272207
Au nord: À nu: Une Archive de L’activisme Queer et des Affinités au Canada
Auteur

Craig Jennex

Craig Jennex est professeur adjoint d'anglais à l'Université Ryerson de Toronto, en Ontario. Il est éditeur, avec Susan Fast, de Popular Music and the Politics of Hope: Queer and Feminist Interventions (Routledge, 2019). Son travail a été publié dans TOPIA: Canadian Journal of Cultural Studies, Popular Music and Society, GUTS: Canadian Feminist Magazine et The Spaces and Places of Canadian Popular Culture, entre autres. Il est bénévole à The ArQuives depuis 2012.

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    Aperçu du livre

    Au nord - Craig Jennex

    Des manifestants participent au rassemblement We Demand sur la Colline du Parlement, Ottawa, le 28 août 1971. Photographie de Jearld Moldenhauer.

    Des membres de la Gay Alliance Toward Equality (GATE) participent au rassemblement We Demand de la Colline du Parlement, Vancouver, le 28 août 1971. Planche contact des photographies de Ron McLennan.

    titlepage

    Un manifestant lors d’un mouvement de libération des homosexuels, Toronto, 1979. Photographie de Gerald Hannon.

    Lettre écrite par Clarence Barnes, professeur en génie mécanique de l’Université de Toronto, 1976. Barnes parle d’un article rédigé par Michael Lynch dans le numéro 1, de décembre 1976, The Varsity (le journal étudiant de l’Université de Toronto) intitulé « Sortir du placard dans la salle de classe » qui faisait référence à l’homosexualité du professeur Barnes.

    À travers l’expérience de recherche et de rédaction de ce livre, nous avons véritablement tissé un lien de proximité et des affinités avec des personnes que nous n’avions jamais rencontrées et que nous ne rencontrerons jamais — des personnes qui sont décédées avant même de nous engager dans les politiques sur les homosexuels et avant de travailler sur notre projet collectif de libération des personnes queers. Des centaines de vies d’activistes nous ont profondément touchés au cours de ce projet. Nous nous sentons particulièrement proches de trois personnes dont les récits nous ont livré le passé de personnes queers et donné l’occasion de goûter aux envies des queers et aux aspirations des autres :

    Rick Bébout (1950–2009)

    Aiyyana Maracle (1950–2016)

    Ange Spalding (1948–1990)

    Leurs archives — les traces documentaires de leur vie — viennent éclairer et façonnent ce travail. Ce livre leur est dédié, ainsi qu’à tant d’autres dont la vie a rendu la nôtre possible.

    « Écrire l’histoire c’est écrire contre la mort. »

    MICHAEL LYNCH, 1944–1991

    SOMMAIRE

    Préface

    Introduction : Travail de mémoire

    CACHER L’ÉVIDENCE

    1939–1971

    SOUS-CULTURES EN PLEIN ESSOR

    1971–1981

    CRÉATION DE COLLECTIFS

    1981–1999

    FINI CE TAS DE MERDE!

    1999–2019

    LES QUERS ET LES TRANS DE DEMAIN

    Épilogue : Mémoire Collective

    Postface : Le travail d’archivage sur les queers de Phanuel Antwi et Amber Dean

    Remerciements

    Ouvrages cités

    Lectures complémentaires

    À propos de The ArQuives

    À propos des auteurs

    Index

    « Nous... résistons à l’appel à célébrer sans discernement les progrès accomplis par les personnes queers au Canada et... nous retraçons, plutôt, les exemples de communautés et d’affinités qui remettent en question les limites imposées par l’État. »

    PRÉFACE

    Au cours de la rédaction de ce livre, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié. Intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place, ce rapport a mis en lumière ce que bon nombre de personnes et de communautés autochtones ont dit et combattu pendant des années, à savoir que les pratiques colonialistes sur lesquelles repose le Canada équivalent au génocide des femmes et des filles autochtones.

    Ce livre prend la nation canadienne pour cadre afin d’examiner plus en détail la question de la sexualité des personnes queers au cours des

    XX

    e et

    XXI

    e siècles. Comme tous les projets qui utilisent ce cadre, nos risques réifient et célèbrent le Canada comme une nation bienveillante — une place qui, en protégeant les droits sexuels et la liberté des personnes

    LGBTQ2+

    , garantit les droits sexuels et la liberté à tous. Alors que beaucoup de personnes queers sont à présent protégées par l’État canadien, le rapport sert à rappeler que cette protection se base sur l’oppression constante que vivent les communautés autochtones et sur les abus sexuels dont sont victimes les femmes et les filles autochtones. Parmi les appels renouvelés à la réconciliation, la protection dont nous (les auteurs) bénéficions en tant que personnes queers non autochtones ne saurait être minimisée.

    Nous avons donc cherché dans cet ouvrage à résister à l’appel à célébrer sans discernement les progrès accomplis par les personnes queers au Canada et à retracer, plutôt, les exemples de communautés et d’affinités qui remettent en question les limites imposées par l’État. Nous souhaitons que le discours ici — bien que s’inscrivant dans l’histoire du Canada — n’exclue pas la possibilité de solidarité entre les personnes autochtones et non autochtones; nous espérons plutôt qu’il reflète les liens entre les mouvements queers, la lutte de la souveraineté autochtone et le travail sans relâche qui est réalisé pour mettre un terme aux abus sexuels perpétrés sur les femmes et les filles. Rédigé sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Mississaugas de Credit, des Haudenosaunee, des Anishinaabe et des Wendat-Huron et publié sur le territoire traditionnel non cédé des Salish de la Côte, ce livre a pu se concrétiser grâce aux gardiens de ces terres auxquels nous sommes reconnaissants.

    Des manifestants prennent part à une marche lors de la National Gay Conference, Ottawa, 1975. Photographie de Gerald Hannon.

    INTRODUCTION :

    TRAVAIL DE MÉMOIRE

    Le 30 décembre 1977, des membres des corps de la police de la communauté urbaine de Toronto et de la police provinciale de l’Ontario ont fait une descente dans les bureaux des Canadian Gay Archives et de The Body Politic, l’une des premières et des plus célèbres publications homosexuelles du Canada. La police a saisi douze boîtes de fonds documentaires des archives afin d’accuser les membres de la direction du Pink Triangle Press (le collectif à but non lucratif fondé en 1976 pour intégrer The Body Politic et le projet d’archivage) du crime d’être « en possession de documents immoraux, obscènes ou calomnieux à des fins de diffusion ». La perquisition ne constitue qu’une partie d’une longue histoire des descentes de police qui ciblaient les communautés homosexuelles, lesbiennes et trans. Dans « Stashing the Evidence » [Cacher l’évidence], un essai qu’il a écrit en 1979 pour The Body Politic à la suite des descentes, Rick Bébout activiste contre le sida prônant la libération des homosexuels raconte les plaisirs et les difficultés ressentis lorsqu’il a archivé l’histoire des queers dans un climat politique hostile et homophobe. L’initiative de cet essai trouve sa source dans le travail archivistique que nous réalisons dans le cadre de ce livre. Alors qu’il existe de nombreuses mouvances sociales et juridiques au Canada depuis que Bébout a écrit « Stashing the Evidence », un travail de mémoire — par le fait de se souvenir, de s’accrocher à l’idée et de chérir les expériences passées, les relations et les perspectives — demeure une partie essentielle de la vie des personnes queers au Canada.

    Systématiquement effacées des modes de mémorisation conventionnels ou approuvés par l’État, les personnes queers ont constitué des archives d’innombrables façons, en recueillant des documents à la fois matérialisés ou non de la vie des queers : récits, écrits, photographies, documents éphémères et beaucoup plus. Ce type de documents est essentiel, surtout quand la vie des queers évolue rapidement au Canada, quand beaucoup d’entre nous ont été reconnus par l’État par la légalisation du mariage homosexuel et qu’un bon nombre se voient mieux représentés dans des formes de média de plus en plus « diverses », les archives du passé des personnes queers demeurent essentielles. En effet, beaucoup maintiennent un lien d’attachement émotionnel complexe avec les formes d’amitié, de solidarité, de liberté sexuelle et de revendications qui ont précédé la reconnaissance de l’État et des médias de certaines manifestations de la vie des personnes queers. Chacun de nous (les auteurs) se souvient, par exemple, à quel point ces documents d’archives ont été cruciaux lors de notre passage à l’âge adulte respectif comme personne queer : des documents qui attestaient que les personnes homosexuelles se rencontraient, s’organisaient, dansaient, manifestaient et fondaient une famille nous ont donné un sentiment d’appartenance à une histoire et une lignée — un héritage d’un passé queer qui demeure sacro-saint, l’élan de notre travail ici — un sentiment du possible, d’un avenir où les désirs, les pratiques sexuelles queers et les communautés sont vivants et florissants. Notre intention dans ce livre est de nous attarder aux liens d’attachement émotionnel que nous avons à l’égard de ce type d’archives et de nous demander comment nos liens avec le passé permettent et dynamisent la vie queer d’aujourd’hui.

    Ce livre prend pour point de départ la vaste collection The ArQuives: Canada’s

    LGBTQ2+

    Archives (anciennement The Canadian Lesbian and Gay Archives). Fondé à Toronto en 1973, l’organisme s’est développé pour devenir les plus importantes archives

    LGBTQ2+

    indépendantes au monde. Notre objectif vise à porter à la connaissance d’un public plus large la collection diversifiée The ArQuives de photographies historiques, d’affiches, d’écrits, d’œuvres d’art et de documents éphémères. Selon nous, ces documents sont passionnants et stimulants en raison de la complexité des moyens qu’ils utilisent pour évoquer de multiples passés queers tout en articulant simultanément un avenir homosexuel. En reproduisant et en revisitant conjointement ces documents historiques, nous nous sommes demandé comment la collection The ArQuives témoigne à la fois de l’histoire et des possibilités futures de la vie queer au Canada.

    Certains discours de queers au Canada sont considérés comme des faits — par exemple, l’idée que nous, en tant que nation, n’avons cessé de cheminer vers le progrès, la tolérance et l’acceptation depuis la prétendue décriminalisation de l’homosexualité en 1969. La légalisation du mariage gay en 2005, notamment, est considérée comme la preuve d’un progrès linéaire par lequel les personnes queers sont reconnues et acceptées par l’État. Nous reconnaissons le pouvoir de ce discours et l’apaisement qu’il apporte. Toutefois, une partie de notre intérêt dans ce livre vise à nous éloigner de ce discours en faveur du progrès — un discours que nous percevons comme trop simple, trop linéaire, trop facile — et à revenir à des moments antérieurs et aux matériaux créés à cette occasion qui recèlent un potentiel inexploité pour le présent.

    Bien qu’il soit indéniable que la vie des personnes queers ait rapidement évolué au Canada au cours de la dernière moitié du

    XX

    e siècle, notre intention est d’examiner quelques-uns des documents non officiels de la vie des personnes queers que l’on trouve dans la collection The ArQuives. Qu’est-ce que cette collection révèle sur les histoires cachées de la queeresse au Canada et comment ces histoires ébranlent ou enrichissent les discours officiels faisant l’éloge du progrès? Quelles autres formes de résistance et de plaisir étaient en jeu au

    XX

    e siècle et au début du

    XXI

    e siècle, et comment influencent-elles la vie queer à présent? Quelles histoires de vie ou d’œuvre ne figurent pas dans la collection et, en remédiant à ces lacunes, pouvons-nous mieux comprendre notre histoire collective de queer? Ce livre a pour objectif de considérer ces nombreuses questions à travers la collection The ArQuives et d’établir des formes d’affinités entre des personnes et des mouvements du passé.

    Personnes posant devant des graffiti pendant la Semaine internationale des lesbiennes, Vancouver, 1987. Photographie de Li Yuen.

    Brochure réalisée par la Gay Alliance Toward Equality ( GATE), Vancouver, autour des années 1970.

    Approcher le passé

    Dans ce livre, nous employons le terme queer lorsqu’il se réfère à une politique de grande envergure, une qui prend en compte les luttes des lesbiennes, des gays, des bisexuels, des trans et des personnes bispirituelles autochtones. Nous employons lesbienne, gay, trans et personne bispirituelle lorsque ces termes se réfèrent à un événement ou à un moment historique précis organisé principalement autour d’une conception en particulier liée au genre ou à la sexualité. Dans un souci de spécificité historique, nous avons organisé ce livre en quatre parties temporelles qui suivent un chapitre sur la création et la mise en valeur de The ArQuives. Ces parties sont organisées de façon chronologique et chacune d’elles se concentre sur une époque du développement collectif des queers au Canada : depuis les sous-cultures de travestisme en plein essor, les communautés lesbiennes de la classe ouvrière et les mouvements homophiles émergeant après la Seconde Guerre mondiale, la libération gay (et lesbienne) et le séparatisme lesbien aux mouvements contemporains qui aspirent à décentrer (au moins en partie) la « blanchitude » des queers œuvrant en faveur d’un monde plus juste. Tout au long de ces chapitres, nous soulignons aussi les réactions désobligeantes et la violence auxquelles les personnes et les communautés ont été confrontées à chacune de ces époques. La violence homophobe — la plupart perpétrée par le gouvernement du Canada et ses agents — n’est pas unique à une époque de l’histoire gay dans ce pays. Une telle violence approuvée par l’État se manifeste tout au long de cette histoire et continue d’affecter les personnes queers aujourd’hui. Bien qu’il constitue un compte rendu fidèle de certaines parties de la collection actuelle The ArQuives, ce livre n’est pas pour autant une représentation exhaustive de la collection ou un récit complet des mouvements 

    LGBTQ2+

    au Canada. Les documents composant ce livre, tout comme les archives dont ils sont issus, portent sur le Canada, avec une nette domination de Toronto, une situation qui résulte à la fois de la localisation de The ArQuives qui est basée à Toronto et de la façon dont l’organisation de la communauté

    LGBTQ2+

    de Toronto est souvent considérée comme représentative des mouvements canadiens en général. Ce déséquilibre illustre une tension de longue date dans l’organisation politique queer au Canada. Un article publié dans un bulletin de liaison de 1973 du Zodiac Friendship Society, un organisme de libération des homosexuels à Saskatoon, Saskatchewan, par exemple, se plaint de la « Torontorosis » [Toronto la sinistrose] dont tant de rédacteurs du The Body Politic pâtissent : « un état illusoire dans lequel le patient imagine que Toronto est le centre bouillonnant de l’univers et que quoi qu’il arrive dans sa périphérie (en supposant que cela puisse arriver) ne peut guère être pris au sérieux ».

    Nous (les auteurs) faisons de notre mieux pour composer avec cette tension. En réalité, nous sommes très au fait de la façon dont le centralisme de Toronto (et de l’Ontario) dans la formation queer peut aliéner les personnes qui gravitent à l’extérieur de ces espaces géographiques. Craig vient de la côte Est et Nisha de la côte Ouest, mais nous nous sommes rencontrés à Toronto, ville dans laquelle nous avons tous deux déménagé, en raison de ce que nous pensions être les possibilités offertes par la ville aux queers. Naturellement, cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’existe pas un lieu des possibles pour les queers à Halifax ou Vancouver — croyez-nous, ils sont nombreux — mais il s’agit de reconnaître les tensions géographiques persistantes au sein de la politique queer au Canada.

    En outre, la collection The ArQuives documente davantage l’histoire des hommes gays urbains, blancs et de la classe moyenne que celle des gays ruraux, des personnes de couleur, des transgenres et des lesbiennes — des lacunes que nous nous efforçons de faire remonter aux politiques d’immigration racistes et à la nature historiquement patriarcale de la construction de communautés publiques gays. Autrement dit, nous cherchons ici à établir des liens entre l’épanouissement des communautés gays — dont The ArQuives fait partie — et les politiques de l’État canadien durant la seconde moitié du du XXe siècle. La Loi sur l’immigration de 1952, par exemple, multiplie les restrictions sur l’immigration africaine et asiatique tout en interdisant « les prostitués, les homosexuels et les dégénérés d’entrer au pays ». La Loi sur l’immigration établit des liens très clairs entre la prétendue dépravation morale des personnes racisées et celle des homosexuels. Pourtant les citoyens canadiens ayant accès aux ressources et même à la protection la plus minimale de l’État ont été en mesure de s’organiser contre l’homophobie institutionnalisée de manière visible et sans équivoque. Cela signifie aussi que les voix des gays ont été plus entendues que celles des lesbiennes et que le travail d’organisation ordinaire des personnes de couleur, des lesbiennes, des trans et populations rurales — moins visibles, mais pas moins importantes — n’est pas documenté de manière aussi approfondie dans la collection de The ArQuives.

    Ce déséquilibre découle aussi du fait que The ArQuives n’est qu’un des nombreux projets d’archives

    LGBTQ2+

    au Canada et que les documents témoignant de la vie et des mouvements des personnes

    LGBTQ2+

    dans ce pays sont parfois tiraillés dans plusieurs directions en fonction de la géographie et des catégories d’identification. Par exemple, une collection incroyable de documents relatifs à l’activisme lesbien, à la politique et à la communauté est conservée au Canadian Women’s Movement Archives à l’Université d’Ottawa, il en est de même pour une collection en plein essor sur les personnes bispirituelles autochtones aux archives de l’Université de Winnipeg. Nous abordons davantage ce réseau du souvenir queer au Canada dans notre épilogue (p. 268). En effet, en prenant le « Canada » comme un site à travers lequel on peut retracer la constitution du mouvement queer, ce livre prend pour acquis l’État-nation que les mouvements indigènes, les queers et non queers s’efforcent de dénaturaliser comme un projet délibéré de violence colonialiste. Malgré ces lacunes et problèmes apparents, nous avons exploité les collections à la recherche de solidarité et de liens entre les races, les genres, les sexualités et les fossés qui divisent les urbains des ruraux qui peuvent être mis en évidence uniquement par des politiques de représentation. Autrement dit, l’un de nos objectifs ici n’est pas de représenter la vie queer au Canada dans toute son ampleur, mais de trouver, dans la collection dont nous disposons, les liens entre les personnes qui vont au-delà des limites en termes de race, de genre, de sexualité et d’idéologie.

    Les images illustrant ce livre ne représentent qu’une infime partie des fonds de The ArQuives, dont la plupart ont été données par des personnes et des organismes partout au Canada souhaitant préserver leurs archives personnelles sur la vie queer dans le cadre d’une histoire collective plus large des queers. En faisant connaître la collection The ArQuives à un public plus vaste, nous avons l’espoir que ce livre s’inscrive dans le projet de collaboration en cours visant à façonner un avenir où chaque personne queer trouvera sa place. Nous nous demandons comment nous pourrions envisager un autre avenir, un avenir où la vie queer ne doit pas être définie par des idées de progrès linéaires ou par une reconnaissance de l’État. Ou plutôt, nous nous demandons comment nous pourrions réaliser un avenir où l’égalité ne se mesure pas seulement par le droit légal de se marier (entre autres), mais aussi par un rempart contre la violence, la pauvreté, le racisme et l’homophobie.

    Manifestation à l’Assemblée législative du Manitoba à la suite de l’interdiction de The Joy of Gay Sex et de The Joy of Lesbian Sex, Winnipeg, 1980. Photographie de Doug Nicholson.

    Nous écrivons ce livre dans un contexte d’austérité croissante sous le gouvernement du Parti conservateur-progressiste en Ontario; les compressions budgétaires dans le secteur de l’éducation, des logements sociaux, du transport public, de la santé publique et dans les services publics, comme les bibliothèques, sont autant de questions touchant de plein fouet les personnes queers. Sous le Parti Coalition Avenir Québec de droite, le droit des femmes musulmanes queers et non queers de porter le foulard islamique fait l’objet d’une montée de xénophobie et de racisme sous couvert de relancer les débats dans la province sur la « liberté de religion ». L’élection du premier ministre de l’Alberta Jason Kenney en 2019 — qui était à l’initiative des compressions extrêmes dans le budget alloué à l’immigration et aux réfugiés, et de la suppression de la communauté 

    LGBTQ2+

    dans le Guide de citoyenneté de la nation alors qu’il était ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme dans le gouvernement Harper — laisse présager le début d’une nouvelle ère de conservatisme social et fiscal à l’échelle provinciale. Partout au Canada, les jeunes trans et queers connaissent encore des taux élevés d’itinérance et de chômage et ont un accès limité aux soins de santé; les femmes, les queers et les hétéros continuent de voir leurs droits génésiques et économiques soumis à des examens et remis en cause. En 2019, Bruce McArthur a été accusé de l’assassinat de huit hommes du village gay de Toronto. Ses victimes étaient pour la plupart des gays originaires d’Asie du Sud et du Moyen-Orient, laissant supposer des motifs racistes et homophobes de la part de McArthur et du comportement assez apathique, dans l’approche initiale, de la police de Toronto dans l’enquête sur la disparition de ces hommes. Comme l’indique Justin Ling dans le podcast de la

    CBC

    Uncover — qui cherche à comprendre ces crimes dans le contexte de meurtres antérieurs non résolus dans le village gay de Toronto, la façon dont ces décès ont été repris par la police, les médias et dans les débats publics en général montre que « la sexualité des victimes et la couleur de leur peau permettaient de les oublier plus facilement, de tirer aisément certaines déductions ».

    Les luttes contre l’homophobie, le racisme et la pauvreté persistent même à une époque où l’État reconnaît les droits des gays. Nous espérons que les documents que nous annexons à ce livre se feront l’écho des formes passées de résistance des personnes queers qui restent potentiellement transformatrices dans le présent. En particulier, nous espérons que cette collection sur l’activisme et les affinités des queers canadiens conservée avec soin nous mènera à des formes anciennes de solidarité et d’affinités qui peuvent reprendre sous une nouvelle forme. En s’inspirant des archives The ArQuives et en constatant des lacunes manifestes dans la collection, nous espérons que ce livre participe activement au travail en cours pour imaginer de meilleures formes d’expression encore plus queer au quotidien. En regardant en arrière et en nous arrêtant pour observer la vie d’avant, nous envisageons l’avenir avec optimisme.

    Happenings queers Antérieurs à 1939

    Bien que ce livre s’amorce au milieu du XXe siècle, il y a maints exemples pour prouver que les vies et expériences queers remontent bien avant 1939. Pour ne citer que quelques exemples :

    Hommes, dont certains travestis, 1936.

    *   Des « pratiques sodomites » ont été signalées dans Halifax Gazette, le premier journal imprimé dans le pays que nous appelons à présent « Canada », en 1752. Il est peu probable que 1752 soit la première année au cours de laquelle des soldats placés en garnison à Halifax ont pris part à de telles pratiques — c’était juste la première année d’impression du quotidien.

    *   Un membre éminent de l’élite coloniale du Haut-Canada, George Markland manifestait une trop grande gentillesse à l’égard des jeunes soldats en poste aux édifices du Parlement à Toronto à la fin des années 1830. Comme l’écrivent Ed Jackson et Jarett Henderson dans « Sex, Scandal, and Punishment in Early Toronto », la carrière de Markland comme bureaucrate respecté s’est terminée brusquement à la suite d’une enquête sur ses expériences intimes avec d’autres hommes. Margaret Powell, l’intendante aux édifices du Parlement, a publiquement qualifié le comportement de Markland de « tapette de la tête aux pieds ».

    Dr James Barry, autour des années 1850.

    *   Le Dr James Barry, que nous considérons aujourd’hui comme une personne trans (car on a découvert, après sa mort en 1865, qu’il était « né femme »), a sauvé d’innombrables vies au milieu du

    XIX

    e siècle en tant qu’inspecteur général des hôpitaux dans ce qui était alors la province du Canada. Il a mis au point des systèmes d’assainissement à Kingston, Toronto et Québec pendant son séjour dans ces établissements. Se faire passer pour un homme permettait à Barry de voyager, de travailler et de vivre avec moins de contraintes selon la logique patriarcale du

    XIX

    e siècle.

    Carte postale montrant la boutique de Moise Tellier située à côté du Drill Hall sur Craig Street, Montréal, autour des années 1900.

    *   Au

    XIX

    e siècle, les hommes se rencontraient si souvent à des fins purement sexuelles dans le magasin de pommes et de gâteaux de Moïse Tellier à Montréal que les lieux ont fini par attirer régulièrement l’attention de la police. Le Montreal Star signale des descentes de police dans la boutique en 1869, en soulignant que « le commerce de Tellier tient lieu, en principe, de petit magasin dans lequel des pommes, des gâteaux et d’autres bagatelles sont vendus. Mais le commerce n’est qu’un lieu de débauche servant à commettre des crimes qui n’ont d’égal que ceux de Sodome et Gomorrhe... Il a été surveillé pendant un certain temps par la police et nous sommes au regret de dire, pour l’honneur de notre ville et notre humanité, qu’il a été constaté que plusieurs citoyens respectables fréquentaient les lieux et pratiquaient manifestement des choses abominables ». Dans son livre National Manhood and the Creation of Modern Quebec, Jeffery Vacante affirme que la boutique de Tellier, qui ouvrit ses portes en 1869, « est à ce que l’on dit le premier établissement gay du Canada » p. 43.

    Le marquis de Lorne, Ottawa, 1872. Image de William Holyoake.

    *   John « Ian » Campbell, mieux connu sous le nom du marquis de Lorne, quatrième gouverneur général du Canada, était marié à la princesse Louise (quatrième fille de la reine Victoria), mais il n’a pas semblé avoir privilégié une relation exclusive avec elle. Lucinda Hawksley écrit dans The Mystery of Princess Louise: Queen Victoria’s Rebellious Daughter que lorsque le couple vivait à Kensington Palace à Londres, « Louise était si furieuse que son mari sorte en douce la nuit pour partir à la rencontre de partenaires sexuels, en général des soldats, en flânant au parc, qu’elle a ordonné de murer les portes-fenêtres de leur résidence » p. 212. Le marquis de Lorne, écrivain et artiste, s’était également entiché de militaires pendant son séjour au Canada; dans son livre Le Canada hier et aujourd’hui, il évoque avec nostalgie « une belle population d’excellents marins du littoral maritime » de la Nouvelle-Écosse et souligne que « ceux qui décident de s’établir en Nouvelle-Écosse ne le regretteront jamais » p. 52. Lorne, qui a été gouverneur général de 1878 à 1883, a fondé le Musée des

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