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Fous Alliés
Fous Alliés
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Livre électronique240 pages2 heures

Fous Alliés

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À propos de ce livre électronique

Marc Duchemin dont le père a disparu à Dieppe lors du Raid du 19 août 1942 arrive en Normandie pour honorer sa mémoire. Son grand- père avait quitté la France pour le Québec en 1920. Marc désire acheter une maison sur la terre de ses ancêtres, il la trouve, mais la propriétaire refuse de vendre à un Québécois, surtout à un Duchemin.

L’affaire Duchemin refait surface. La rumeur parle d’un crime impliquant son grand-père. Aurait-il émigré pour de mauvaises raisons? Son père a-t-il vraiment disparu? Marc enquête malgré l’hostilité des villageois. Certains craignent de voir éclater la vérité.
LangueFrançais
Date de sortie4 avr. 2022
ISBN9782898312137
Fous Alliés
Auteur

Régine Thieulent-Torréton

Née en Normandie, Régine Thieulent-Torréton, après une épreuve difficile, décide de vivre à fond et reprendre ce qu’elle aimait vraiment : écrire. Engagée en 2015 comme correspondante de presse dans un journal régional, elle rédige en parallèle plusieurs œuvres. Le point de départ de son dernier roman, le Raid du 19 août 1942, lui donne envie de le partager avec un lectorat québécois. De 1997 à 2005, elle a fait paraître quelques ouvrages, l’un d’eux a reçu le prix des Écrivains normands et le prix de l’Académie Normande.

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    Aperçu du livre

    Fous Alliés - Régine Thieulent-Torréton

    Prologue

    Ils ont franchi la passerelle ; ont rejoint les quelque mille passagers qui embarquent sur le Vedic, un paquebot britannique transportant les émigrants de Liverpool à Québec. Comme eux, tous ou presque partent à l’aventure, ils quittent leurs vies, leurs familles, leurs amis, au mieux pour une dizaine d’années, au pire pour toujours. Arrivés à Québec, certains continueront vers l’Ouest canadien — quelques années auparavant des migrants ont bénéficié de terres gracieusement offertes par le gouvernement de ce pays Eldorado, peut-être saisiront-ils eux aussi cette opportunité-là.

    Jeanne tient son fils dans les bras ; elle et son mari ont le regard voilé, mélange de fatigue, de soulagement et d’interrogation face à l’inconnu. Dix jours déjà qu’ils ont quitté leur Normandie natale, pour rejoindre l’Angleterre. À Dieppe, ils ont embarqué sur le Newhaven pour rallier le port du même nom, de l’autre côté de la Manche. Une mer d’huile a facilité la traversée, une chance, car sur ce bateau aux dimensions modestes la moindre houle peut avoir des répercussions sur des « terriens » peu habitués à ce mode de transport. Se rendre à Londres en train, confrontés aux difficultés de la langue, n’a pas été une mince affaire. Puis il leur a fallu emprunter un autre réseau ferroviaire pour gagner Liverpool distant de près de trois-cents kilomètres.

    Enfin, ils sont libres.

    Au Québec, ils oublieront tout et on les oubliera. Plus personne ne les traquera, ne les persécutera. Là-bas, ils pourront vivre leur vie, la réinventer.

    Malgré un certain manque d’éclat, il règne une atmosphère rafraîchissante sur le navire qui les emporte vers de nouveaux horizons. Repeint à neuf, sobrement, il correspond parfaitement à ce qu’ils sont, à cet instant précis : un jeune couple prêt à reconstruire. Ils ont vendu à la hâte et à bon prix tous leurs biens ou plus exactement tous ceux de Jeanne, hérités de ses parents. Ils ne sont pas très riches — ce voyage a déjà englouti une partie de ce qu’ils possédaient —, ils ne font pas partie des indigents non plus. Ils disposent d’assez d’argent pour faire face, le temps de s’intégrer dans leur nouveau pays. Le mari de Jeanne travaille le bois à merveille et son courage est avéré ; s’il le faut, il changera sa plane et son rabot d’ébéniste pour une hache de bûcheron, ce pays ne manque pas de forêts. Elle croit en leur avenir.

    Heureusement, leur fils Georges est un petit garçon serein. Jusqu’à présent, il a très bien supporté le voyage. Sa mère l’embrasse doucement, il n’entendra jamais plus les quolibets qui visaient son père.

    Un léger halo de brume caresse les quais, les amarres sont larguées ; un long meuglement de la sirène retentit dans tout le port, indiquant le départ. Le monstre flottant s’ébranle et s’éloigne lentement de l’embarcadère. Bientôt les vagues vont l’attaquer, remuer sa coque dans tous les sens, le chahuter, pendant des milles et des milles. Une quinzaine de jours de roulis en perspective ! À cette période de l’année la mer risque de leur imposer des accès de colère, mais ça vaut la peine, une terre promise, leur terre promise les attend. Le couple regarde la rive s’éloigner, l’empreinte de leur vie s’efface doucement derrière eux, à mesure que le bateau prend le large.

    Georges s’est endormi dans les bras de sa mère, son père caresse tendrement sa joue. Il veut que son fils puisse grandir la tête haute. Lui, depuis sa naissance, la vie le malmène. Il avait pensé trouver la paix deux ans auparavant, en épousant Jeanne, cette jolie Varengevillaise de dix-neuf ans qu’il aime et qui l’aime. Il avait cru bâtir une famille avec l’arrivée de Georges, mais il avait fallu qu’il y ait ce terrible drame, ces soupçons, cette mise en cause. Jeanne n’avait jamais douté de lui, elle avait accepté de le suivre à Québec, sans hésitation.

    Les Duchemin peuvent tourner la page.

    15 juin 2002

    I

    Retour aux sources

    —Ça y est, les enfants, on est sur la terre de nos ancêtres !

    Alors que la voiture de location venait de ralentir, Marc pointait du doigt la pancarte indiquant « La Normandie vous souhaite la bienvenue ! »

    L’avion qui les avait amenés depuis Montréal avait atterri sur le sol français un peu plus de trois heures auparavant. Ils avaient récupéré bagages et clé du monospace de location et roulaient maintenant sur l’autoroute A13, en direction de Dieppe.

    L’homme posa sa main sur le genou de la femme assise à ses côtés. Clarisse, une jolie rousse acajou d’une cinquantaine d’années, se tourna vers son mari et le gratifia d’un sourire amusé.

    —Les enfants et moi t’invitons dans notre seconde patrie, n’est-ce pas, les jeunes ? lança-t-il en jetant un regard dans le rétroviseur, afin de prendre à témoin Élodie et Erwan, leurs jumeaux de dix-sept ans.

    Les deux adolescents étaient tout aussi excités que leur père à l’idée de découvrir ce pays dont ils avaient tant entendu parler. Les raisons différaient. Bien sûr, ils connaissaient leurs origines françaises du côté paternel, jusqu’à la quatrième génération. Influencés par Marc, ils tiraient une certaine fierté de cet héritage, plus récent que celui de la majorité de leurs camarades québécois. Mais plus encore, c’était « la conquête » de Paris qui les attirait. Ils auraient d’ailleurs bien voulu commencer par cela dès aujourd’hui, mais leur père était tellement pressé d’atteindre son but ! Qu’à cela ne tienne ! Ils y reviendraient tous les deux, sans les parents — du moins l’espéraient-ils —, ce serait bien plus drôle finalement. À eux la tour Eiffel, les Champs-Élysées, les grands magasins et… les boîtes de nuit, Paris by night ; enfin, il était toujours permis de rêver ! Ils n’en avaient pas encore soufflé mot à leurs parents, ils n’allaient pas les affoler à l’avance. Ils sauraient se montrer convaincants le moment venu.

    Et puis, leur père ne parlait-il pas d’acheter une maison en Normandie ? S’il réalisait son rêve, cela signifiait un pied en France, un pied au Canada ; de nombreux allers et retours et autant de possibilités de découvertes. La France, c’est l’Europe, l’Europe et ses si petits territoires où il est tellement facile de passer de l’un à l’autre en très peu de temps… D’autres voyages les attendaient, d’autres pays à visiter, à commencer par l’Irlande, terre des ancêtres de leur mère, et donc pour moitié la leur également. Pas tout à fait pour moitié, même si la rousseur de Clarisse et son teint laiteux, joliment tacheté de son, trahissaient ses origines. L’aventure de leurs aïeux irlandais remontait plus loin que celle de leurs ancêtres français. Ce fut d’ailleurs sur ce sujet que la mère s’adressa à sa petite famille.

    —Merci de m’inviter chez vous, mais n’oubliez pas que vous allez devoir me payer un billet pour Dublin.

    Marc le lui promit. Après tout, que serait une escapade au pays de la Guinness et des poneys, à côté du temps qu’ils passeraient ici ? Il avait bien l’intention de s’implanter en France. Définitivement, peut-être pas, pour de longs séjours, assurément. Ce n’était pas pour rien que, quelques mois auparavant, il avait vendu à Montréal l’entreprise de bois de construction qu’il dirigeait depuis trente-cinq ans. À ce jour, il se trouvait à la tête d’un confortable pactole et, à soixante-deux ans, une nouvelle vie l’attendait, une vie de retraité qu’il anticipait par rapport à ses concitoyens ; il en avait les moyens, il voulait en profiter. Trop d’hommes de sa famille étaient morts jeunes avant d’avoir pu réaliser leurs rêves ; son père le premier, mort en héros sur la terre de ses ancêtres en Normandie, lors de la tentative de débarquement de 1942. Triste retour aux sources : de cette même région, ses grands-parents étaient partis pour aller chercher l’aventure au Canada, dans les années 1920.

    L’an 2002 s’annonçait comme l’année de tous les changements, pas celle de la fin du monde prédite par Paco Rabanne lors du passage à l’an 2000, mais celle de sa nouvelle vie. Sans compter qu’aurait lieu la célébration du 60e anniversaire de l’opération Jubilee, un bel hommage à rendre à son père. Au moment où il quitta l’autoroute pour s’engager sur la départementale qui devait les mener à Varengeville-sur-Mer, il se mit à siffloter l’air de J’irai revoir ma Normandie¹ que les trois autres occupants de la voiture reprirent en chœur.

    Et même si ce n’était pas le pays qui leur avait donné le jour, comme le dit la chanson, ils n’en apprécièrent pas moins « sa nature reverdie » où paissaient les bonnes vaches normandes, à la robe blanche tachée de brun. Ils s’amusèrent des champs de lin bleu, si grands ici, si minuscules comparés aux étendues américaines. Les cours d’eau ridiculement étroits qui arrosaient les prairies du pays de Caux n’auraient été qu’une simple éclaboussure dans les Grands Lacs de leur Canada natal. Tout ici leur paraissait si petit, si accessible, si proche.

    Était-ce cette petitesse qui provoqua une crainte subite chez les enfants ? Élodie et Erwan éprouvèrent le besoin d’affirmer en chœur :

    —Tu sais papa, nous, on n’est pas contre passer des vacances en France, au contraire, mais on veut retourner vivre chez nous le reste du temps…

    Il ne répondit pas, préférant leur faire remarquer le clocher tors de l’église d’Offranville devant laquelle ils venaient de passer et qu’un if millénaire, sur le parvis, avait sans doute vu ériger.

    Quelques kilomètres plus loin, à Varengeville-sur-Mer, leur point de chute, Marc s’arrêta devant une maison normande ; sur le fronton trônait fièrement une vieille enseigne suspendue à une potence en fer forgé : un écu blasonné de gueules à deux léopards symbolisait la région. Juste au-dessous, on pouvait lire « Au Guillaume le Conquérant ».


    1 Ma Normandie, chanson de Frédéric Bérat, devenue plus couramment, J’irai revoir ma Normandie.

    II

    Installation

    Clarisse eut l’honneur de pénétrer la première dans ce qui allait devenir, pour un peu plus de deux mois, leur lieu de résidence.

    L’auberge Guillaume le Conquérant présentait l’avantage d’offrir à la fois les services d’un hôtel et d’un restaurant traditionnel et de disposer de deux gîtes indépendants. Marc avait préféré réserver l’un d’eux afin de préserver leur intimité familiale, en précisant toutefois qu’ils viendraient prendre leurs repas à l’auberge aussi souvent que possible. Pourquoi se priver de la bonne cuisine française et même des recettes typiquement normandes, d’autant qu’à la lecture des guides touristiques, la table des Clatot-Thierry jouissait d’une excellente réputation.

    La réception de l’hôtel ne laissait aucun doute quant à l’âge de la bâtisse. Le plafond bas aux solives apparentes et les poutres entrecroisées par endroits sur les murs correspondaient aux attentes de Marc.

    Élodie et Clarisse, à la manière d’une certaine Alice, avaient l’impression de plonger dans un autre monde, un autre siècle. Siècle sur lequel veillait une vieille horloge cauchoise, aux aiguilles arrêtées depuis des décennies, figées sur un passé trop pesant. Les lourds doubles-rideaux à fleurs rouges, disposés devant des fenêtres à petits carreaux assombrissaient la pièce. Un confiturier orné de moulures significatives de la richesse de ses premiers propriétaires finissait de leur rappeler qu’elles voyageaient au pays normand.

    Malgré le peu de lumière et la faible hauteur des plafonds, l’atmosphère ne leur parut pas hostile. Décalée sans doute, mais chaleureuse. Ce n’est pas tant le charme vétuste qui attira le regard d’Erwan, mais celui très moderne de la jeune hôtesse : une fille au teint clair, aux pommettes légèrement rebondies et dont les yeux avaient dû capter tous les reflets du littoral. Elle accueillit les clients avec un sourire tout à fait naturel.

    —Vous êtes la famille canadienne, n’est-ce pas ?

    Facile de paraître perspicace quand on vient de remarquer le drapeau à la feuille d’érable sur l’étiquette pendant de l’anse d’une valise où leurs coordonnées avaient été indiquées avant la mise en soute. La jeune femme s’inquiéta de savoir si le voyage avait été agréable. Tout en parlant, son regard balançait d’un vacancier à l’autre, mais s’attarda un peu plus sur Erwan. Elle sentit une douce chaleur lui monter au visage et préféra se retourner pour atteindre les clés au tableau.

    Elle allait continuer avec les formalités d’usage quand sa mère, madame Clatot-Thierry, apparut. Elle avait accolé à son nom d’épouse — Thierry — son nom de jeune fille, en hommage à son père André Clatot qui avait contribué à la renommée du restaurant. Mais elle espérait aussi que sa clientèle, conquise à force de créativité, reste fidèle à l’endroit lorsqu’elle le reprit. La propriétaire des lieux se présenta et, pour témoigner de son hospitalité, proposa une bolée de cidre et une part de tarte aux nouveaux arrivants, afin de faire collation comme le voulait la coutume, dans les campagnes. Ce n’était pas la première fois qu’elle recevait des Canadiens et il y avait fort à penser que dans quelques semaines, d’autres les rejoindraient pour fêter l’anniversaire du Jubilee. Cependant, cette famille méritait une attention particulière. Des vacanciers qui s’installaient à quatre, pendant presque trois mois et sans discuter les prix, tout de même, ça se respecte ! C’est pourquoi, même si en bonne Normande elle était plus fesse-mathieu que prodigue, un geste commercial s’imposait.

    Ainsi, avant d’être allés poser leurs bagages, avant même d’avoir découvert leur gîte, ils se trouvèrent assis à une table dans la salle du petit-déjeuner. Lydie Clatot-Thierry, comme chaque fois qu’elle hébergeait des Canadiens, voulait tout savoir sur leur pays. Comment pouvaient-ils supporter de tels froids ? Quelles étaient les relations entre anglophones et francophones ? Venaient-ils pour commémorer le débarquement de 1942 ? Des questions à la fois banales et polies, toujours émaillées de respect pour leur nationalité. Céline, sa fille, s’intéressait plus aux Canadiens qu’au Canada, et à Erwan plus particulièrement.

    Bientôt, la conversation fut interrompue par le bruit d’une cavalcade provenant de l’escalier, à l’autre bout de la pièce. Le fils de la maison, un garçonnet d’une douzaine d’années, se figea, surpris de voir des personnes à cet endroit, à ce moment-là de la journée.

    —M’sieurs dames, lança-t-il pour respecter les consignes de politesse qui lui avaient été enseignées.

    Puis, comprenant à qui il avait affaire, s’approcha :

    —Ah, c’est vous les Canadiens ! Moi, c’est Guillaume, puis prenant la posture d’un guerrier prêt à affronter l’adversaire, il conclut, malicieux : le conquérant.

    Madame Clatot-Thierry le rappela à l’ordre, lui enjoignant de ne pas importuner ses visiteurs qui devaient avoir bien besoin de se reposer après avoir subi le décalage horaire. Puisqu’il se trouvait là, elle « l’embaucha » pour

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