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La maîtresse chinoise
La maîtresse chinoise
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Livre électronique177 pages2 heures

La maîtresse chinoise

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À propos de ce livre électronique

Daji, dix-neuf ans, a quitté sa petite ville du centre de la Chine et travaille désormais comme serveuse dans un célèbre restaurant de Wuhan. Elle rêve d’une vie meilleure, mais comment s’en sortir sans diplôme et sans argent ? Sa meilleure amie lui propose un jour de contacter la Bao : officiellement une spécialiste en « conseils émotionnels », en réalité une entremetteuse des temps modernes. Très vite, Daji rencontre un homme riche et se voit tenir le rôle de concubine.
La Maîtresse chinoise décrit de l’intérieur et sans concession une Chine pétillante, insolente et captivante, comme il nous est très peu donné de la voir.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Moli Wang est une jeune autrice chinoise née en 1992 à Wuhan. Après des études en anthropologie et cinéma en France, elle travaille aujourd’hui dans une librairie indépendante à Paris. La Maîtresse chinoise est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie11 févr. 2022
ISBN9791038802346
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    Aperçu du livre

    La maîtresse chinoise - Moli Wang

    cover.jpg

    Moli Wang

    La Maîtresse chinoise

    Roman

    ISBN : 979-10-388-0235-3

    Collection : Tant d’ailleurs

    ISSN : 2781-7172

    Dépôt légal : novembre 2021

    © couverture Anne Fraysse pour Ex Aequo

    © 2021 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

    traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays

    Toute modification interdite

    Éditions Ex Æquo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières Les Bains

    www.editions-exaequo.com

    — Alors, t’as joué ? T’as gagné ? Qu’est-ce que t’as gagné ?

    — Moi !

    Showgirls de Paul Verhoeven (1996)

    Préface

    La Maîtresse chinoise de Moli Wang est un roman passionnant qui vous entraîne au fil des chapitres dans la vie d’une jeune femme, Daji, dans ses tribulations à Wuhan (oui, la fameuse ville où… mais l’histoire s’y déroule bien avant vous-savez-quoi).

    Daji nous raconte ses souvenirs, ses désenchantements, ses attentes et ses envies. Cela débute par ce travail harassant en tant que serveuse au Shanghai Lily, ce restaurant tenu d’une main de fer par Madame Ye, sorte de générale « aux mille brushings ». On la suit en compagnie de son amie Dodo, jeune femme plutôt délurée, dans cette vie qu’elle espère meilleure, ailleurs, et pourquoi pas en France ? Daji court le long du fleuve Yangzi Jiang, marche dans la ville aux « terrasses accrochées aux trottoirs », se souvient de son enfance, rêve d’évasion, de nouveaux horizons… Et puis, un jour, Dodo lui donne le tuyau de la Bao, laquelle lui propose très vite de « travailler » pour un riche « parrain ».

    Commence alors pour elle une nouvelle vie de combine, de concubine, de « chose ». Du haut de sa tour, Daji continue cependant à rêver d’ailleurs, déployant alors toute son intelligence et son imagination pour y parvenir, pour enfin s’affranchir.

    Car Daji est avant tout un esprit libre, tout comme la plume mordante de Moli Wang (autre atout majeur de ce roman), nous embarquant dans un tourbillon de mots drôles, grinçants, glaçants, ironiques, et surtout si clairvoyants ! À travers l’histoire de Daji, Moli Wang nous donne en effet à découvrir une société chinoise comme il nous est rarement donné de la voir : de l’intérieur et à travers un regard sans tabou et sans concession !

    Alors, installez-vous confortablement dans ce nouvel avion de la collection « Tant d’ailleurs » et envolez-vous pour la Chine de Daji.

    Le voyage en vaut vraiment le détour !

    Jeanne Malysa

    Autrice et directrice

    des collections Alcôve et Vibrato

    Je me souviens, après l’été du bac, je travaillais comme serveuse au Shanghai Lily, rue Luoyu, près du centre commercial Qunguang. Le restaurant proposait l’une des meilleures brioches de Wuhan, et ça se passait ici. Dès le premier jour, je me suis sentie happée par la grande salle. En particulier, au moment où j’ai croisé cette photo en noir et blanc, une immense photo de Marlene Dietrich en smoking homme, le visage fier et vaporeux. De sorte que le restaurant donnait l’impression de vibrionner avec ses cheveux blonds, son chapeau haut-de-forme et son extravagant fume-cigarette. Même la spirale des volutes finissait par sortir du cadre pour flotter librement par-dessus la tête des clients, tous fumeurs évidemment. Une minute après la signature du contrat (un faux), le comptable (un faux) m’a présenté Dodo, une vraie fille aux cheveux frisés, visage rond, des lunettes en plastique, à l’évidence un peu intello, un peu perchée aussi. Celle qui allait devenir ma meilleure amie m’expliqua avec précision le métier. Et pour n’oublier aucune consigne, je griffonnais consciencieusement les mots-clés sur un paquet de cigarettes. Par exemple, comment naviguer dans la grande salle ? Quel était le plan de tables ? Ou bien cette habitude de saluer la patronne en baissant la tête. Chose extraordinaire dans cet univers où rien ne compte moins qu’une serveuse, Dodo prenait son temps pour délivrer ses précieux conseils. Elle expliquait en riant : « Tu dois devenir liquide ! », « L’eau se faufile ici ou là ! » ou « Fais-toi le plus invisible possible ! », « Sois partout ! ». Sur le moment, rien de très clair, mais dès le premier service, j’avais compris le sens de ses propos. La semaine suivante, je savais comment me mouvoir parmi les clients, traverser le brouhaha des conversations, marcher sans m’épuiser. Oui, je me sentais légère comme la cigarette de Marlene. Un mois après, je n’entendais plus les vieilles chansons pékinoises diffusées dans le restaurant, déjà habituée aux bruits des baguettes, aux voix fortes, aux chamailleries des clients entraînés dans les tourbillons de l’alcool de riz. J’aimais voltiger dans cette tempête de sons. C’était une langue qui pétillait. Comme si les mots ordinaires jaillissaient de manière sans cesse renouvelée et façonnaient les images les plus extraordinaires. Des mots grossiers, mais le plus important, vivants.

    Mon style s’affirmait aussi : je servais d’un pas vif, je resplendissais dans mon tablier inspiré des brasseries parisiennes, une serviette blanche sur l’avant-bras, le port de tête légèrement altier. Bientôt, la patronne me confia l’organisation du premier banquet de la saison : un anniversaire de mariage. Un autre soir, alors que le climatiseur peinait à rafraîchir le restaurant, ma main serrait une bouteille de Saint-Émilion dont le prix dépassait les mille yuans. Cette bouteille, soi-disant du siècle dernier, ne manquait pas d’inquiéter beaucoup de monde dans l’équipe, car ici, personne ne maîtrisait vraiment l’art du tire-bouchon. J’avais donc été désignée comme sommelière volontaire. Passant devant la Dietrich, j’ai alors croisé Dodo qui me siffla avec ironie : « Alerte au grand cru ! ». Une partie des filles s’est regroupée derrière le bar malgré l’œil réprobateur de la patronne. Elles se tenaient droites, les mains sur les hanches et pour rien au monde, elles n’auraient raté la scène. Particulièrement à cause de ce grand blond qui parlait français, qui était d’ailleurs français, bref un trop mignon petit Français ! Était-ce l’un de ces professeurs de passage ? Un touriste ? En tous cas, son délicieux nez en trompette émoustillait la compagnie. Et lorsqu’il baissa la tête sans raison, lorsqu’il toucha son col de chemise, un dragon bleu rugissant au coin de son cou arrêta net notre souffle. Mais le plus exotique restait son éclatant sourire à chaque fois que sa petite amie chinoise, forcément chinoise, lui prenait la main. Elle accompagnait son geste par quelques gloussements américains : « Yes, my dear ! Very thank you ! ». Pour enfoncer le clou, elle regardait les autres clients comme pour dire : « Ce beau gosse est à moi ! ». Vous voyez le genre ? Heureusement, ce n’était pas la première fois que je servais un vin aussi précieux. En revanche, devant un si jeune et si joli étranger, ça oui. Indiscutablement, l’espèce était rare à Wuhan. C’est pourquoi je suis arrivée le plus calmement possible, en prenant soin de présenter la bouteille avec l’étiquette. Le garçon semblait connaisseur (après tout, il était Français) et approuva par un hochement de tête. Je me sentais pousser des ailes. J’ai donc planté la mèche du tire-bouchon avec autorité puis tiré en douceur, lentement, délicatement, puis, comme rien ne venait, plus fermement. Hélas ! la bouteille glissait sur ma cuisse. Je sentais le liège s’abîmer, ma main se tordre, le ridicule poindre. Après plusieurs tentatives et un début de rire nerveux, le bouchon a finalement soupiré un « pop » fatigué, les filles ont lancé une salve d’applaudissements aussitôt stoppée par le tintement de la clochette ; la patronne aux mille brushings veillait au grain sur sa chaise haute, royale derrière la caisse.

    — Assez ! grinça-t-elle d’une voix aiguë.

    J’ai essuyé la bouteille, mais la jeune pimpante avait pris un air excédé, faisant mine d’être scandalisée par la qualité du service. Elle repoussa mon bras puis demanda avec un accent pékinois aussi surclassé que snob, s’il s’agissait d’un véritable « Sonté-Mignone ».

    — Que dis-tu, ma chérie ? questionna le garçon dans un français du plus bel effet.

    — Je pense, bredouillais-je en anglais, que Mademoiselle souhaite savoir s’il s’agit bel et bien d’un Saint-Émilion.

    La garce se figea avec les attributs de la colère froide.

    — Tu parles peut-être bien, mais tu restes à ta place !

    J’ai reposé la bouteille comme s’il s’était agi d’une vulgaire piquette, puis j’ai salué le couple en ravalant ma fierté tandis que plus personne n’était d’humeur à rire derrière le bar. Pas même Dodo, qui semblait surprise par le dénouement si lamentable de cette scène.

    — Quelle horreur !

    — Une peau de vache, oui !

    — Tu imagines ? Coucher avec un étranger sans connaître ni le français ni l’anglais ! Tu finis par parler avec tes fesses, oui ! C’est tout ce qui lui reste, en fait !

    Nous étions peut-être un peu envieuses.

    — Faut bosser ! enchaîna Dodo tout en désignant la patronne du menton.

    La vieille plissait ses lèvres. Un détail, mais il fallait du courage pour résister à sa bouche en tenaille. Je me suis précipitée vers le passe-plat. J’ai saisi quatre brioches fumantes. Quatre pour la sept ! Et traversant la salle, je suis repassée devant la « reine du bal » qui en faisait toujours autant pour retenir son petit Français et l’entraîner jusque dans les draps, même si chacun de ses mots semblait buter contre un mur infranchissable d’incompréhension. Sans fausse modestie, je n’aurais pas fait mieux. Pourtant, ma mère avait eu la bonne idée de m’offrir des cours de français à la fin du collège. C’était son idée pour me faire ensuite entrer dans un bon lycée. Alors, elle s’était mise en tête de me trouver un professeur. La quête a circulé chez les commerçants du quartier et deux jours plus tard, nous croisions sur le marché aux légumes le fils du Père Li qui connaissait un couple de manutentionnaires employés chez l’épicier de la rue Jiefang dont la fille, enceinte, avait évoqué le nom d’un étudiant français, un vrai, débarqué depuis plusieurs mois dans notre petite ville. Ce trésor effectuait quelque chose comme un séjour linguistique dans les bureaux de l’usine Renault. Je me souviens encore de sa première visite… C’était en début d’après-midi… J’ai ouvert la porte et Nicolas éructa alors un épouvantable « ni hao ». Il était habillé comme un sac, avec un genre de bandana autour du cou. Et pire encore, ses vieilles Nike étaient complètement déformées. Mais il était là, debout devant l’entrée, sans savoir où se mettre. Il souriait comme la Joconde et pouvait raconter n’importe quoi : il était grand avec d’immenses yeux gris-verts. « Le chinois me sera utile plus tard », tenta-t-il d’expliquer dans la cuisine devant les voisines qui ne s’étaient pas fait prier pour découvrir cette chose venue du bout du monde et en plus, de son plein gré. À chaque jour, sa leçon. Nicolas s’installait dans la salle des petits déjeuners et je sortais mon plus beau cahier. Les cours commençaient toujours de la même façon : il fallait prononcer les mots d’usage comme « au revoir », « madame », « monsieur », « je m’appelle Daji » ou « quel temps fait-il ? ». Après quoi, nous travaillions les phrases plus longues, avec sujet, verbe, complément. Particulièrement cette histoire de « que » ou « qui » difficile à manier. Et les accents. Cette vacherie d’accent ! Le français était aussi pénible que les mathématiques. Par bonheur, Nicolas cherchait à bricoler la meilleure méthode d’apprentissage. C’était la première fois qu’il donnait des cours et cela l’amusait d’imaginer des exercices avec la promesse de clore chaque séance par un feu d’artifice (et on aime ça, ici, les feux d’artifice). Il posait à chaque fois sa question rituelle : « Est-ce que tu préfères un extrait de En attendant Godot ou le vocabulaire le plus grossier, le plus vulgaire, le plus explosif de la langue française ? ». Évidemment, je me vautrais dans les mots à faire rougir un régiment. Malheureusement, un an plus tard, il a dû rentrer chez lui, à Paris. Un départ pour de bon, mais avant de disparaître, il nous recommanda une « expate », une fille de Dijon, un village au centre de la France. Julie ne demandait pas cher — Ma’ Ming était aux anges — mais elle n’envisageait jamais la moindre blague. C’était le prix à payer pour le « Bu neng rang hai zai shu zai qi pao xian shang », autrement dit l’art de grapiller les meilleures notes sans se laisser doubler par un camarade de classe. Bénéfice secondaire de ce parfum studieux, je pouvais faire le show auprès de mes copines. Je n’hésitais d’ailleurs jamais à glisser quelques formules françaises dans les discussions. Ça énervait beaucoup et c’était tant mieux ! Par exemple, lorsqu’un professeur questionnait la classe pour savoir ce que chacun souhaitait faire plus tard, les réponses pleuvaient, toujours les mêmes : fonctionnaire gna gna gna, chef de bureau gna gna gna ou manager international gna gna gna ! Bien entendu, il fallait ajouter une grosse dose de motivation pour se montrer super enthousiaste, mais lorsque venait mon tour, je lançais à chaque fois avec fierté :

    — Moi, je veux la France !

    À tel point qu’un jour, le fils d’un policier avait fini par s’esclaffer :

    — Et mon cul ?! C’est Paris ?

    Je me souviens, il était un peu moins de vingt-deux heures, lorsque la porte du Shanghai

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