Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Un génie du mal à Pékin: Polar
Un génie du mal à Pékin: Polar
Un génie du mal à Pékin: Polar
Livre électronique327 pages4 heures

Un génie du mal à Pékin: Polar

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le jour du Nouvel An chinois, à Pékin, alors que toute la Chine festoie et se trouve en vacances, le jeune commissaire Lan est chargé de la plus atroce affaire de sa carrière. Une lutte à distance commence très vite entre cet éminent enquêteur-mentaliste et l’auteur, ou les auteurs, d’une intelligence exceptionnelle, d’un assassinat monstrueux, une sorte de crime parfait. Lan va d’abord explorer les milieux universitaires avant de plonger dans les bas-fonds de la vie nocturne.
Ce roman nous fait bondir de découverte en découverte, nous entraînant également dans une salutaire réflexion sur l’importance capitale de l’éducation des enfants.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Passionné des beaux-arts et des langues orientales, Thierry Daullé a consacré ses études à ces dernières et exerce comme professeur de chinois à Montpellier.
LangueFrançais
Date de sortie6 sept. 2021
ISBN9791037732231
Un génie du mal à Pékin: Polar

En savoir plus sur Thierry Daullé

Auteurs associés

Lié à Un génie du mal à Pékin

Livres électroniques liés

Fiction littéraire pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Un génie du mal à Pékin

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Un génie du mal à Pékin - Thierry Daullé

    Du même auteur

    Avant de lire ce livre

    Ce roman est inspiré d’un fait divers qui s’est effectivement déroulé en Chine. Seuls l’accusé, sa famille et la jeune professionnelle de la nuit de Shanghai ont effectivement existé.

    Tous les autres protagonistes de cette histoire sont imaginaires, et toute ressemblance avec des personnes réelles serait pure coïncidence et totalement involontaire.

    1

    L’étrange mission du Nouvel An

    du commissaire Lan Ying

    Pékin, 6 février 2016, avant-veille du Nouvel An chinois.

    Le téléphone sonne sur la table de nuit. Cela fait peut-être déjà plusieurs fois que retentit le timbre lancinant du portable.

    Lan Ying émerge enfin de son cauchemar, au moment le plus dense d’un cycle de profond sommeil.

    — Shenme ? Quoi ? C’est quoi ? grogne-t-il d’une voix pâteuse.

    Lan allonge tout de même le bras, ouvre enfin un œil, identifie le numéro d’appel, et il finit par enclencher la touche d’écoute de son Huawei.

    — Wei ! Commissaire Lan à l’appareil.

    — Ah ! Commissaire Lan, ni hao ! dit une voix de femme, je vous passe le Bureau National de la Sécurité Publique. Police judiciaire. Division criminelle, dit une voix féminine. Attendez un peu, je vous prie !

    — J’avais dit qu’on me fiche la paix ce matin, marmonne Lan Ying, furieux, le téléphone calé contre son oreille. C’est mon premier jour de congé. Oh non ! Bande d’œufs de tortues malades ! Après-demain, c’est la fête du Printemps. Ma fête du Printemps de l’Année du Singe ! Ils ne vont pas me lâcher, même pendant mon congé ? Même au Nouvel An ! Ce n’est pas possible ! Nous sommes un million neuf cent mille fonctionnaires de police, et il faut que cela tombe encore sur moi !

    De la main gauche, il se frotte successivement les deux yeux.

    — Lan ? dit enfin une voix de baryton qu’il reconnaît immédiatement. C’est Kang Shi, ici. Je sais que vous êtes en congé depuis ce matin. On vous ennuie, je m’en doute, mais j’ai un truc assez important pour vous.

    — Pour moi, camarade commissaire général ? demande Lan sur un ton volontairement obséquieux et très officiel, destiné à bien faire passer le message de son profond mécontentement.

    — Oui, pour vous, camarade Lan Ying, répond le commissaire général Kang, un franc sourire, bien audible, dans sa voix grave. Mais soyons sérieux. Écoutez ! Une histoire apparemment exceptionnelle, très difficile au premier abord, et le secrétaire responsable du parti, ici, a tout de suite pensé à vous, en affirmant que vous seriez le seul à pouvoir trouver rapidement le fin mot de cette histoire : « Lan Ying, le mentaliste, est le seul à pouvoir nous débrouiller ce nœud inextricable », a-t-il dit pendant la réunion des directeurs, tôt ce matin. Alors, je vous réveille peut-être, mais tant pis. Sautez sur votre moto, Lan, et je vous attends dans une demi-heure. Kuai !

    Alors Lan Ying s’est décidé à repousser sa couette, tout en lâchant un énorme juron. Ses pieds traînent dans ses grosses mules rembourrées – il craint par-dessus tout d’avoir froid aux pieds – il est assez rapidement allé à la cuisine se faire réchauffer un beignet à l’huile et aussi un petit bol de légumes, avec quelques nouilles de blé qu’il avait mises de côté la veille au soir. Il épluche avec soin une pomme qu’il dépose dans une petite assiette. Après avoir ingurgité le tout, beaucoup trop vite à son goût, il avale ensuite un grand mug de thé noir de Pu’er avant d’aller se laver soigneusement les dents, de se raser et de s’enfermer dans sa douche.

    Sous le jet d’eau chaude, bienfaisant, qui achève enfin de le réveiller, il sent sa mécanique intérieure se mettre en marche :

    — Pourquoi le secrétaire du parti a-t-il besoin d’un mentaliste ? se dit-il à haute voix en se frottant énergiquement la tête avec son shampooing, Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de nœud… inextricable ? Voyons voir. Ce matin, ce n’était pourtant pas le jour de la réunion sur la sécurité publique ni de celle sur la sécurité d’État, ni même sur la sécurité des prisons. Ah, oui, alors aujourd’hui, c’était bien la police judiciaire qui était au programme de nos chefs, ce matin. Je préfère ça. On va bien voir ce qu’ils me réservent comme client cette fois. Cependant, je préfère ne pas me faire d’idée préconçue. On verra bien, une fois là-bas, de quoi il retourne. Allez. Bonnes vacances, Lan Ying¹ ! Décidément, ajoute-t-il en ironisant sur lui-même, l’aigle bleu n’aura même pas eu le temps de s’envoler pour profiter d’un congé bien mérité…

    Bientôt, Ying referme à clé la porte de son grand appartement, au 17e étage de cet immeuble très moderne de la résidence Long hua, dans le quartier nord de la grande rue Wangfujing. L’ascenseur est rapide et feutré. Dans le grand miroir, Lan Ying vérifie qu’il est bien rasé, bien coiffé et correctement habillé. Le commissaire, qui approche de ses trente-six ans, a toujours soigné son apparence. Il est grand, mince, l’allure sportive, les épaules étroites, mais carrées et solides. Une mèche de cheveux noirs tombe presque jusqu’à son sourcil droit. Ses grands yeux noisette sont perçants, sa lèvre est charnue et un peu dure. Il a le menton carré et le front haut. C’est un homme apparemment séduisant, mais d’allure froide et secrète. Il est vêtu d’un gros blouson de cuir de grande marque et d’un pantalon noir, assez serré. Il porte sous le bras un casque, couleur jaune impérial.

    Quelques minutes plus tard, le voilà déjà descendu au troisième sous-sol des parkings pour y récupérer sa moto. Une « Black Star » Chang Jiang, noir métallisé, aux chromes rutilants, brille dans la demi-obscurité. Cliquant sur son téléphone portable, Lan Ying déverrouille électroniquement l’antivol, fixé au sol, dont les deux mâchoires qui enserraient les jantes avant et arrière de la motocyclette se rétractent et disparaissent dans le sol. Le jeune policier boucle à présent la mentonnière de son casque, il enfile ses gants de peau bruns, passe autour des épaules de son blouson son petit sac à dos parfaitement ajusté à son buste étroit et longiligne. Puis il enfourche sa belle machine et pousse enfin le démarreur, tout en actionnant doucement la poignée des gaz. Le moteur bicylindre à plat de 745 centimètres cubes commence à gronder délicieusement. Ying ferme les yeux. Jamais le moment du démarrage de cette machine, copie récente d’une vénérable et rustique BMW datant des années trente, ne manque à son devoir, celui de lui procurer un plaisir comparable à celui de l’écoute d’une belle musique symphonique.

    — Xièxie, Heiying !² murmure-t-il en s’adressant à sa moto, avant d’embrayer avec délicatesse et de manœuvrer vers la sortie du parking. Une fois dehors, Ying, le visage griffé par le froid intense, descend tranquillement l’immense avenue bordée de grands et beaux immeubles ultra modernes, couverts d’enseignes lumineuses, et dont le rez-de-chaussée abrite de superbes boutiques plus luxueuses les unes que les autres. Après un court crochet vers la droite, sur la grande avenue Chang’an, la moto de Lan Ying, tellement habituée à ce trajet devenu routinier, vire ensuite à gauche, dans la rue Chengyi, juste pour quelques centaines de mètres, avant d’arriver au but. À peine six ou sept minutes de trajet. Pas même le temps pour le moteur de se mettre en température.

    — On y est ! dit-il à voix basse à sa machine en la garant sur le parking, dans l’enceinte du ministère de la Sécurité publique. Ne t’inquiète pas, je n’en aurai pas pour des heures, et je n’oublie pas que nous sommes en vacances, toi et moi, et que je t’ai promis de t’emmener jusqu’à Tianjin… À moins que, l’un dans l’autre, ou plutôt, l’un sur l’autre, ce soit plutôt toi qui m’y amènes, après tout ! Attends-moi sagement. Le temps de tourner la tête, Heiying, et je serai de retour.

    Ici, le jeune commissaire de deuxième rang, Lan Ying, connaît tous les plantons par leur nom, mais rien n’y fait, et il le sait. Il lui faudra de toute façon se soumettre à la routine et passer tous les points de contrôle. Reconnaissance digitale, faciale, badge électromagnétique. Le voilà enfin dans le grand ascenseur. Là-haut, dans les étages des directions, l’atmosphère est plus détendue, et le commissaire Lan est aimablement accueilli par le commissaire général Kang Shi, chef du Bureau National des Enquêtes criminelles :

    — Ah, bonjour, Lan. Entrez et asseyez-vous, s’il vous plaît. Merci d’avoir fait vite.

    — Directeur Kang, dit Lan Ying, restant respectueusement au garde-à-vous.

    — Allons, pas de manières, Lan. Prenez ce fauteuil. Dites-moi, cela fait un petit moment que nous n’avions pas eu l’occasion de travailler ensemble, non ? Alors, toujours célibataire ?

    — Toujours, directeur Kang, répond Ying qui baisse la tête, montrant qu’il est peu désireux de parler de sujets personnels.

    — À votre âge, continue obstinément le commissaire général sur un ton paternel, il faut pourtant songer à se marier et à avoir un fils, vous ne croyez pas ? Pensez à vos parents, qui attendent un héritier. En tout cas, je vois que vous êtes toujours un jeune homme très à la mode. Vous vous habillez toujours à Shanghai ?

    — C’est plus facile pour moi de me retrouver régulièrement dans les mêmes endroits, là où je me plais à m’habiller, directeur Kang. Cela ne fait de tort à personne, n’est-ce pas ? De plus, j’essaie au moins d’être correct, répond le jeune homme, un peu embarrassé.

    — Toujours sur votre fameuse moto, commissaire Lan ?

    — Pourquoi changer une habitude qui donne entière satisfaction ? Et puis au moins, je ne suis jamais retardé par ces satanés embouteillages qui encombrent de plus en plus les rues de Pékin, même au-delà du cinquième périphérique. Je me faufile partout, et, vous voyez bien, je suis toujours à l’heure. Cependant, dites-moi, directeur Kang, vous m’avez certainement convoqué pour quelque chose de grave, je pense, non ?

    — Exact, commissaire, répond Kang Shi, l’air soudain plus sérieux. Installez-vous par ici. Tout d’abord, je vais nous faire apporter du thé. Allons, je viens m’asseoir à côté de vous, ajoute le commissaire général en s’approchant du fauteuil voisin, avec dans les mains un dossier serré dans une pochette de cuir noir. J’ai là du lourd, du très lourd pour vous, Lan. Le ministre tient à ce que vous fassiez la démonstration de vos talents, et dans les meilleurs délais, bien sûr…

    — Comment cela, directeur Kang ? demande Lan, intrigué.

    — Attendez, j’appelle tout d’abord un planton pour avoir du thé… Du thé pour deux personnes, dit doucement Kang au téléphone, oui, à mon bureau… Oui, vous disiez, Lan ? Ah… Tout simplement en trouvant les réponses aux multiples questions que nous nous posons, à propos de ce dossier, qui est tout à fait exceptionnel. Dites-moi, vous aimez la province du Fujian³, Lan ?

    — Je suis allé une fois à Xiamen, répond Lan Ying… c’était pour une partie de pêche avec des amis. Il y a longtemps.

    — Perdu ! Ce n’est pas à Xiamen. Ce sera plutôt à Fuzhou qu’il faudra aller, et ce sera pour de la pêche au gros. Vous vous rendrez même jusqu’au lycée de Fuzhou, voyez-vous. Oui, vous allez effectuer un retour à l’école, qui va vous sembler plutôt bizarre, je vous l’assure. Là-bas, il y aura du pain sur la planche, pour vous. À partir de maintenant, tout le monde, en haut lieu, garde un œil braqué vers notre service. La presse a déjà eu vent de ce qui va vous occuper un moment, mon jeune ami, et si votre réputation se justifie, une fois de plus, alors, le coup est tellement énorme qu’une belle promotion nous attend, tous les deux, vous et moi, au bout de cette aventure. Voilà une quasi-certitude. Alors, au boulot. Mettez de l’huile, Lan⁴ ! Voici le dossier, nous allons l’ouvrir ensemble.

    — Avant tout, puis-je vous poser une question, directeur Kang ?

    — Si je peux vous répondre… allez-y ! répond Kang qui se comporte depuis cinq minutes comme s’il avait sur ses genoux un document contenant véritablement l’affaire du siècle.

    — Pourquoi cette enquête n’est-elle pas prise en main par la brigade criminelle de la Sécurité publique de Fuzhou, sur place, directement ?

    — Ils l’ont eue en main, Lan, bien sûr ! Mais je vais vous répondre, mon jeune ami. Eh bien parce que, à Fuzhou, ils n’ont pas mis longtemps à s’apercevoir que c’était bien trop gros pour eux. Vraiment terrible… et avec la pression qu’allaient leur mettre les journalistes locaux et la Télévision régionale de la province du Fujian, certains gradés, là-bas, risquaient de prendre un coup la tête, et même sur leur carrière, en cas d’échec. C’est donc bien vite remonté jusqu’ici. J’ai été informé ce matin, à la première heure, au tout début de la réunion de la police judiciaire, et, parmi ceux des hommes capables, sur le plan national, de prendre en main de pareilles investigations, votre nom a été très vite avancé, à la suite de vos récents succès lors de vos trois dernières enquêtes.

    — Y aurait-il des implications politiques, qui justifieraient pareil intérêt ? demande prudemment Lan Ying.

    — Apparemment non, mais on ne sait jamais. En fait, la victime est une personne assez exemplaire, une sorte de modèle social aux yeux des masses, et c’est cela qui choque déjà l’opinion, à Fuzhou. Vous savez, aujourd’hui, avec Internet, tout le monde, ou presque, sait tout, ou peu s’en faut. Les réseaux sociaux se sont enflammés, depuis ce matin. L’affaire va certainement commencer à s’ébruiter, à partir de Fuzhou, et il n’y a aucune raison d’État pour empêcher cela.

    — Alors, il doit s’agir d’un crime très particulier, propose sagement Lan Ying, à voix basse. Pouvez-vous m’en dire enfin un peu plus, directeur Kang ?

    — C’est bien pour cela que je vous ai tiré de votre lit ce matin, mon jeune ami, dit le chef de la division criminelle en tapotant le cuir du dossier. C’est aussi pour ça que je vais vous demander, exceptionnellement, de sacrifier les réjouissances que vous auriez pu prévoir pour la fête du Printemps. Ce dossier criminel, vous allez voir, c’est plus beau que la mieux garnie des hongbao⁵ de votre jeunesse. Alors, regardez, Lan.

    Kang Shi défait lentement la sangle qui enserre le dossier de cuir noir et il l’ouvre, découvrant les premiers feuillets et plusieurs photos. Lan Ying, assis à côté du patron du Bureau National des Enquêtes criminelles de la Police Judiciaire chinoise, se penche et repère aussitôt qu’il s’agit d’images insolites, celles d’une scène de crime peu commune.

    — Je vous explique tout d’abord ce que nous avons aujourd’hui à notre connaissance, Lan. Écoutez attentivement, et regardons ensuite calmement ces horreurs ensemble, voulez-vous ?

    — Je vous écoute, directeur Kang, dit sobrement Ying.

    — Alors, voici ce que nous savons, dans l’état actuel de l’enquête. Comme je vous l’ai dit, nous nous trouvons donc au lycée de Fuzhou. Le lieu exact du crime est un petit appartement de fonction de trois pièces, l’un de ceux qui sont réservés, dans un bâtiment annexe, situé à l’écart, à certains professeurs méritants. L’occupante de cet appartement est v Bai Fang, une femme de quarante-six ans, excellente professeure d’histoire, une femme exemplaire, veuve, très bien notée, accomplissant une belle carrière, enseignante au Centre de Formation des Maîtres, situé juste à côté du Lycée où elle est logée. Vous me suivez, Lan ?

    — Oui, oui, directeur Kang, je vous suis pas à pas, répond Lan Ying, les sourcils froncés.

    Le commissaire Lan écoute effectivement avec la plus grande attention, tout en essayant de deviner ce qui se trouve sur la première photo de la scène de crime, aux trois quarts masquée par une fiche jaune comportant plusieurs gros cachets noirs et rouges, dans le dossier entrouvert sur les genoux du commissaire général.

    — Bien, je poursuis donc, reprend Kang de sa voix grave et chaude. Cette honorable femme, brillante et très intelligente, se nomme donc Bai Fang, elle est originaire d’une famille de paysans aisés, qui l’ont encouragée et ont favorisé ses excellentes études supérieures. Or il se trouve qu’il y a douze ans, elle a perdu son mari, également né au Fujian. Il est décédé des suites d’un cancer du foie.

    — Aya ! s’exclame sobrement Ying.

    Elle a donc dû élever seule son garçon, un nommé Pan Xun, âgé aujourd’hui de vingt-et-un ans. C’est un enfant tout à fait remarquable, exceptionnellement doué sur le plan intellectuel, en avance de deux ans, très brillant élève, puis étudiant de grande qualité à l’Université Beida, où il a suivi pendant quatre ans les cours du Centre de Recherches Économiques⁶. Le jeune homme se trouve actuellement aux États-Unis, où il suit une spécialisation de haut niveau en Sciences Économiques, à Boston, dans une des meilleures universités américaines. Et malgré ça, sa mère a tout de même refusé une aide de l’État, par suite de ce veuvage malheureux. Elle estimait que d’autres, moins à l’aise, pouvaient en avoir davantage besoin qu’elle.

    — Quelqu’un de très bien, apparemment, dit alors Lan Ying, toujours extrêmement concentré. Il enregistre mentalement les moindres détails de cette présentation.

    — Oui, c’était quelqu’un de bien, précise Kang en forçant sur chacun des mots.

    — Ah ? Parce que depuis, elle a mal tourné, demande vivement Lan Ying.

    — Non, Lan, parce que depuis, elle a quitté ce monde ! s’exclame le chef de la Criminelle. Et c’est vous qui allez nous retrouver le, ou les enfants de p… qui ont commis ces atrocités. Venez, et regardez !

    Kang se lève alors lourdement de son fauteuil et vient étaler sur la longue table, disposée au fond de son vaste bureau, les différentes images, photographies, et croquis qu’il tire lentement de son dossier noir.

    — Ça, Lan, même pour nous, qui avons déjà tout vu et tout entendu dans notre carrière, c’est une véritable horreur ! Venez voir. Qu’en dites-vous ? Qu’en pensez-vous, à première vue ?

    Lan Ying, à bientôt trente-six ans, est un jeune criminologue déjà expérimenté, remarquablement noté par ses supérieurs. Très tôt, il s’est fait une réputation particulière, pour ses talents peu communs de mentaliste. À l’aide de quelques indices, de quelques phrases, de quelques signes, à peine notables, à peine visibles pour les meilleurs enquêteurs de la police criminelle, il est capable d’entrer dans l’esprit d’un assassin, même hors du commun, et de tout pressentir, de suivre les voies de sa pensée et d’anticiper sur les moyens qu’il va mettre, ou qu’il a déjà mis en œuvre pour égarer les recherches. Depuis cinq ans, depuis qu’il a été chargé de ces étranges missions de décryptage mental, au plus haut niveau de la Police Criminelle d’État, Lan n’a connu aucun échec. C’est pourquoi le ministère de la Sécurité Publique l’a obligé à sortir ce matin de chez lui, le privant de son précieux congé du Nouvel An, alors qu’il devait se rendre tranquillement à Tianjin, en famille, à l’occasion de la Fête du Printemps de la Nouvelle Année du Singe.

    Lan Ying, policier au sang-froid bien connu en haut lieu, à Pékin, s’approche de la table. Les bras croisés et la tête baissée, signes de la plus intense concentration, il photographie mentalement et enregistre chaque détail de ces atroces images. Son intelligence et sa mémoire fonctionnent à la manière d’un scanner ultra sophistiqué.

    De gauche à droite, tout d’abord il découvre la photo d’ensemble d’une chambre à coucher, où tout est parfaitement à sa place, impeccablement en ordre, meubles, décoration, cadres, bibelots. C’est une chambre de femme, très soignée. Les doubles rideaux de la fenêtre sont tirés. La pièce est sombre. Sur le lit, recouvert d’un impeccable couvre-lit à franges, on remarque la présence insolite et intrigante d’une quinzaine de grands sacs en plastique, soigneusement rangés les uns à côté des autres, et tous fermés avec soin à l’aide d’un large ruban adhésif translucide.

    Sur le deuxième document, la fenêtre a été photographiée de plus près, les doubles rideaux ouverts, cette fois. Le volet roulant est baissé. Et l’on remarque que tout l’entourage de la fenêtre, les deux ventaux ainsi que la jointure centrale de ces deux ventaux ont été garnis à l’aide de ce qui semble être une bande de polystyrène recouverte d’adhésif transparent, en plusieurs épaisseurs. L’air ne pourrait absolument pas pénétrer dans la pièce par cette fenêtre, fermée, et totalement calfeutrée.

    Sur la troisième image, la même chambre a été photographiée, en contrechamp cette fois, dos à la fenêtre, et l’on découvre la porte. Celle-ci a certainement été violemment forcée par les policiers qui ont découvert cet endroit, car la serrure, ainsi qu’un verrou, à demi arrachés, pendent, seulement retenus par deux vis. On peut remarquer que le pourtour du chambranle de la porte devait être également garni de polystyrène et de ruban adhésif, car de longues bandes blanchâtres, partiellement décollées, restent encore attachées sur les quatre côtés de la porte, y compris au niveau du sol. Ce qui va le plus intriguer Lan Ying, penché au-dessus de ce document, c’est la présence de deux petites caméras. Elles ont été disposées un peu au-dessus de la porte, de part et d’autre de celle-ci, de façon à pouvoir observer absolument tout le volume de la pièce, qui peut avoir une surface d’environ vingt mètres carrés. Sur une des photos, Lan repère la présence de deux capteurs, assez semblables à ceux que certaines familles aisées installent dans les chambres de très jeunes enfants pour les surveiller à distance. Un système miniaturisé et assez sophistiqué. Ces capteurs et les caméras sont tous trois reliés à ce qui doit être un petit émetteur, de couleur noire, bien visible, fixé sur le mur à côté de la porte de la chambre, du même type que celui que l’on installe, lors de la pose des dispositifs d’alarme et de sécurité. Du matériel que l’on peut se procurer auprès de toutes les officines et dans tous les commerces spécialisés.

    Ayant fait deux pas en arrière, Kang Shi s’est immobilisé. Puis il assiste en silence, presque fasciné,

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1