Le Caganis: L'histoire d'une vie dans les années 60
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À propos de ce livre électronique
Fils de la rudesse du Mistral et d’une mère aimante, il va devoir apprendre à devenir un homme.
Malgré lui, il devra, pour cela, lutter contre l’image d’un père absent et se détacher de cet amour maternel protecteur.
De l’enfance à sa jeunesse, le caganis vous fait voyager dans son histoire à travers la vie de sa Provence.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Dagincourt est né en 1959, au cœur de la Provence. Né dans une famille modeste, son parcours de vie le mènera un peu partout en France.
Aujourd’hui installé à côté de Toulouse, dans le Lauragais, il consacre son temps à sa passion de toujours, l’écriture.
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Avis sur Le Caganis
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Aperçu du livre
Le Caganis - Philippe Dagincourt
LE CAGANIS
L’histoire d’une vie dans les années 60
Philippe Dagincourt
PRÉAMBULE
Il serait légitime que vous cherchiez à connaître le sens de la locution « caganis ».
Ceux qui sont nés en Provence ne se poseront pas la question en sachant très bien ce que ce mot veut dire et toute la signification qu’il porte en lui.
Je vais vous laissez découvrir, au travers de cette histoire quelque peu romancée, la signification de ce terme.
La vie de château
Vivre près d’un château ! Quelle belle promesse pour un enfant. Mon château à moi, il s’appelait Empéri, traduction en provençal du mot empire. Son nom lui vient d’ailleurs des empereurs germaniques qui l’ont occupé quelques années, peu de temps après sa construction autour de l’an 900. Il est situé à Salon de Provence, la patrie de Nostradamus et il abrite aujourd’hui plusieurs musées.
Salon de Provence est une ville de passage qui permet, en provenance d’Arles ou d’Avignon, d’aller soit vers Marseille, soit vers Aix en Provence. Elle abrite la célèbre école de l’air ou est basée la Patrouille de France et ses Alpha jets, qui, à l’époque étaient encore des Fouga magisters, et dont un des exemplaires orne le rond-point de la ville qui mène à la fameuse base aérienne 701.
C’est en 1959 que je vis le jour dans la maison familiale. J’étais le dernier d’une fratrie de quatre enfants, composée de ma sœur de 12 ans mon ainée, d’un frère âgé de 10 ans de plus que moi ainsi que d’un autre frère né en 1957. La seconde guerre mondiale était terminée depuis une quinzaine d’années. Fidel Castro venait de chasser Batista du pouvoir à Cuba et la déclaration des droits de l’enfant venait d’être écrite. Pendant ce temps, la République Démocratique du Congo naissait en quittant le giron de la Belgique non sans quelques heurts violents.
C’est cette année aussi où Khroutchev et Nixon se rencontreront pour parler des mérites comparés des systèmes capitalistes et socialistes pendant que Luna1, lancé par les soviétiques, sera le premier engin à orbiter autour de la Lune.
Boris Vian et Gérard Philippe quitteront la scène de la vie et ne verront jamais l’année 1960.
Mon prénom me vient sans aucun doute du nom de ce grand acteur, du moins je le suppose.
J’habitais à l’époque en face de la porte du majestueux château de l’Empéri, dans un quartier qui ressemblait étrangement à la cour des miracles.
Pourtant il n’y avait pas de royaume de l’Argot{1} ou de roi de Thune{2} dans ces ruelles.
Juste quelques familles venues d’Espagne, fuyant le franquisme{3}; du Maghreb, venant chercher quelques richesses illusoires promises en échange d’une fidélité sans bornes à la patrie française lors des pudiques évènements d’Algérie{4}, ou de gitans sédentarisés armés de leurs seules guitares et de leur passé de gens du voyage.
Tous plus ou moins marginaux, nous étions impossibles à ranger dans un tiroir bien défini. Alors nous étions regroupés dans ce quartier insalubre qui était voué à disparaître.
Nous étions une ribambelle de gamins à trainer dans ces venelles. Avec l’innocence de nos âges, très loin des problèmes de mixité à la mode de nos jours. C’était un mot qui, pour nous, n’avait pas de sens. C’était comme dire que le soleil brille : une évidence. Nous étions un groupe. Que l’on soit petit ou grand, propre ou sale, bronzé ou à la peau blanche, cela ne nous importait peu.
Nous avions tous une raison d’être là, et même si nous ne la connaissions pas, nous étions bien loin de nous inquiéter de savoir pourquoi.
Tous les âges étaient représentés dans ces rues. Pour ma part, du haut de mes 5 ans, je faisais encore figure de « bébé ».
La maison dans laquelle nous habitions était une vieille bâtisse qui datait de la construction du château. Les murs étaient épais et protégeaient parfaitement de la chaleur lors des étés trop chauds, tout en permettant de conserver celle-ci quand le froid s’essayait à de courtes apparitions dans nos rues.
Dans cette maison s’entassait ma famille, mais aussi mon grand père et ma grand-mère maternelle ainsi que mes deux oncles. Neuf personnes en tout quand nous étions au complet, à loger dans 4 chambres à l’étage et une au rez-de-chaussée.
Mes deux grands-parents maternels, je ne les ai pratiquement pas connus.
La mort les a emportés alors que je n’avais que 5 ans. Maman s’est retrouvée à la tête d’une grande famille, seule à assumer ses quatre enfants et ses deux frères. Mon géniteur avait déjà fait le choix de la fuite pour aller vivre une autre vie, ailleurs. Mes parents n’ont jamais divorcé. Cela ne se faisait pas trop à l’époque. Les gens pauvres ne se séparaient pas cela évitait de payer un avocat.
J’ai appris après mes dix-huit ans, à la mort de mon père, que j’avais des demi-frères quelque part dans la ville où je vivais. Il en était ainsi. Je n’ai jamais éprouvé le manque d’un papa. Le quartier était ma famille, cela suffisait à mon bonheur de gamin.
Le point central du quartier c’était le lavoir et sa vie si particulière.
C’est ici que les mamans, les tatas et les sœurs se retrouvaient pour battre le linge et refaire un monde auquel elles n’auraient jamais accès.
À genoux à même le béton, devant les bacs, elles s’acharnaient à taper sur les draps de lin blancs, ou à frotter entre leurs mains gelées les habits plus délicats.
Mes yeux d’enfants voyaient ainsi défiler dans l’eau des culottes aux formes étonnantes. Certaines me semblaient si grandes qu’elles auraient pu contenir deux personnes, d’autres par contre me laissaient pantois et je me demandais ce qu’un si petit morceau de tissu pouvait bien cacher. L’eau du lavoir coulait en permanence par un petit tuyau en plomb afin d’alimenter le premier bac qui servait au rinçage.
Le second, lui était légèrement en contre bas et était utilisé pour le lavage. Je me souviens, gamin, de ces femmes agenouillées, telles des créatures de marbre devant l’autel de leur labeur, psalmodiant leur quotidien comme l’aurait fait des madones posées dans leurs niches de pierre.
Toute la vie du quartier défilait ici.
Le retour du frère de Malou qui avait disparu depuis des mois et qui était revenu au quartier amaigri, taciturne, toussant et crachant du sang.
« Il a dû aller se frotter avec quelques filles de mauvaises fortunes à Marseille et attraper de drôles de maladies » commentaient certaines.
« Mais non, il est parti travailler aux champs, du côté de l’étang de Berre et il a dû attraper froid la nuit, en dormant sous les oliviers » poursuivaient d’autres.
La venue de gens « bien habillés » qui étaient venus rendre visite à la maison d’Abdel, le vieil algérien qui habitait à côté du lavoir.
« Moi je te dis que c’étaient des gens de la Police » chuchotaient certaines.
« Mais non, c’est Maître Untel, le notaire, avec son ragasoun{5}. J’ai entendu dire qu’il voulait acheter la maison et qu’il voulait le mettre dehors » insistaient les plus curieuses.
Et puis il y avait l’évènement de la venue du docteur. Il n’y en avait qu’un seul qui venait. C’était le médecin attitré du quartier. Quand les femmes entendaient la jolie Citroën DS arriver au loin, les commentaires redoublaient
« à l’escampo pèr quanto lou doctor{6} ? » se demandaient les plus âgées d’entre elles.
« J’ai entendu dire que la Fanou avait fait venir une faiseuse d’anges{7} ça a du mal se passer » concluaient certaines.
Pour ce qui était des hommes, ils étaient de trois catégories.
Ceux qui avaient accepté de se soumettre. Je les voyais user leur santé et leur énergie à satisfaire les besoins des petits bourgeois de la ville. Ils avaient des petits boulots que les « autres » ne voulaient pas faire. Ils remplissaient les caves de charbon pour les jours de froid, ils vidaient les poubelles des maisons huppées, ils nettoyaient les trottoirs quand le vent avait décidé de mettre à nu les platanes, à l’automne.
Ils étaient des petites mains. Celles dont on se sert pour ne pas se salir les siennes.
Un de mes oncles faisait partie de cette main d’œuvre soumise et bon marché.
Il travaillait en ville, chez Marius Fabre, la première usine de fabrication de savon dit de Marseille. Il était chargé de la coulée. Avant de la prendre en charge, dans d’énormes marmites, deux savonniers faisaient chauffer les huiles et la lessive de soude pour la porter à ébullition. C’était la saponification. Après avoir été débarrassé d’une partie de son eau, la cuisson permettait de transformer tous les corps gras en savon.
La pâte restait en ébullition le jour et au repos la nuit pendant 8 jours.
À la fin de cycle, mon oncle intervenait afin de couler le savon liquide à même le sol dans des moules pour en faire de longues bandes qu’il fallait laissait refroidir. Il guidait la trémie afin de répartir au mieux le liquide en fusion dans les moules.
Ce travail était dangereux et exposait les ouvriers à des vapeurs toxiques de soude, ce qui n’arrangeait pas la santé de mon tonton.
Je me souviens qu’il m’avait dit un jour « Toi, ne courbe jamais l’échine,