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Un sentiment d’inachevé: Roman
Un sentiment d’inachevé: Roman
Un sentiment d’inachevé: Roman
Livre électronique352 pages4 heures

Un sentiment d’inachevé: Roman

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À propos de ce livre électronique

La forêt et les plages landaises fourmillent de trésors à découvrir et à imaginer. Quel terrain de jeu magnifique pour Gabrielle du haut de ses neuf ans ! D’une nature curieuse et espiègle, d’une sensibilité hors du commun, elle navigue sans cesse entre joies, désillusions et peurs du lendemain. Si le cadre est magique, la réalité l’est beaucoup moins. Sa maturité précoce la poussera vers des sentiers à explorer. Elle n’aura de cesse de chercher le bonheur pour elle et pour ses proches. Y arrivera-t-elle ? Telle une héroïne des temps modernes, elle fera tout pour s’approprier cette vie qui parfois lui échappe. Le bonheur lui tend les bras, il lui suffira de regarder dans la bonne direction…
LangueFrançais
Date de sortie16 juil. 2021
ISBN9791037732217
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    Aperçu du livre

    Un sentiment d’inachevé - Alain Hegoburu

    1

    La famille Margerie

    Juin 1955

    La mansarde perdue au fond des bois paraissait abandonnée. Pourtant, l’airial bien qu’en état de friches, autour d’une landaise de caractère, ornée de colombages en chêne, des briquettes posées dans un désordre organisé et une lourde porte en bois massif donnaient l’impression d’une maison inhabitée qui n’attendait que l’été pour revivre. Fougères et genêts coloriaient la beauté sauvage d’une propriété au cœur de la forêt landaise.

    Gabrielle et son amie Béatrice avaient découvert cette maison au hasard de leurs nombreuses balades en forêt. Elles se sentaient attirées par ce lieu suscitant leurs imaginations débordantes.

    — Non, on ne peut pas faire ça Béa, on va se faire choper, cette maison est fermée depuis six mois et avec la chance qu’on a, les gens vont arriver dès que le volet sera forcé.

    — T’inquiète, fais-moi confiance, je le sens bien, t’as vu comme l’herbe est haute, je ne sais même pas si la maison a été ouverte depuis l’été dernier.

    — Raison de plus, avec les beaux jours, les gens vont revenir, c’est sûr.

    — Bababa, on est mercredi matin, pas de vacances scolaires, je suis sûre de moi.

    — Shwiitt, shwiitt ! siffla Gaby.

    — Ça ne va pas ! T’es folle de me siffler dans les oreilles.

    — Je vais au début du chemin, si tu m’entends chiouler, tu fermes tout et tu te caches, ce sera un signal d’alerte : shwiitt, shwiitt.

    — Doucement, tu vas me crever les tympans.

    Je partis me positionner à vélo, comme prévu, au début du chemin de Perricat, avec pour mission de surveiller l’accès à la maison bleue. Béatrice est ma meilleure amie, bizarrement et malgré des débuts difficiles, nous sommes devenues très proches. Nous avons presque le même caractère et j’aime chez elle cette folie et cette joie de vivre que nous partageons d’ailleurs. Elle peut être mon démon, je peux être son ange, et inversement. On se contrôle toutes les deux et généralement nos bêtises restent raisonnables.

    Béatrice était déjà venue repérer les lieux car elle savait où se trouvait l’outil qui servira à défoncer le volet sur l’arrière de la maison, elle possédait même une torche qui prouvait bien sa préméditation. C’est ça qui me plaisait chez elle, ses coups étaient réfléchis, à l’inverse de moi, plus naturelle. Il paraît que je suis aussi plus naïve. Il était maintenant 10 h 30 et je commençais à trouver le temps long, lorsque je la vis arriver, l’air réjouie et très fière de ce qu’elle venait de faire.

    — Facile, ça a été un jeu d’enfant, le volet ne m’a pas résisté, mais finalement j’ai rien vu d’intéressant, avec ma torche, j’ai pu deviner des objets et des meubles en bon état. Je pense que les gens vont revenir cet été. On verra plus tard, si on peut approfondir.

    — Tu me fous la trouille Béa. Il faut que je rentre à 11 h 30, cet après-midi, je dois aider maman pour écosser les haricots, tant mieux si ça peut m’éviter le catéchisme, mais c’est pas gagné.

    — OK, je te ramène devant chez toi, je verrai peut-être le beau Jean.

    — Arrête avec mon frère, il a 4 ans de plus que toi, il ne doit même pas savoir que tu existes.

    — Moi en tout cas, je sais que plus tard on se mariera, combien on parie ? Et tu seras ma belle-sœur même si t’es pas très belle.

    — En attendant, je te laisse et bon catoch. Et promets-moi de ne pas revenir seule dans la maison de Perricat.

    — Tchuss, ma Gaby, promis.

    Gabrielle rentra comme prévu à 11 h 30, elle trouva sa maman en train de ramasser les haricots. Dès qu’elle vit sa fille chérie, elle alla lui ouvrir le portail pour l’accueillir avec un grand sourire et de gros câlins.

    Quitterie adorait ses enfants qui le lui rendaient bien, elle s’occupait de la maison, de l’éducation des enfants, organisait le recrutement des saisonniers pour la saison des asperges et animait également avec ses amies un petit club de danse essentiellement le dimanche après-midi. Autant dire que ses journées étaient bien remplies mais à 35 ans, elle était pleine de ressources et débordait d’énergie.

    Après avoir rangé son vélo, Gabrielle alla aider sa mère à finir de ramasser les tocots (haricots) au fond du jardin et toutes deux, elles se mirent à la tâche. L’objectif étant de couper les queues, tailler les haricots en deux et les plonger dans de l’eau bouillante.

    Gabrielle aimait beaucoup aider sa maman. Une complicité naturelle les unissait pour affronter les trois hommes de la maison. Chacune à sa façon se défendait et arrivait souvent à sortir de façon positive de tous les petits conflits. Quitterie aimait également beaucoup ses garçons et se faisait parfois avoir sur des choses futiles, mais c’est elle qui tenait la famille dans un gant de velours.

    Louis était assez détaché de l’éducation de ses enfants, même s’il les aimait à sa façon, le petit Augustin avait quand même sa préférence. Il menait les garçons à la dure et s’interdisait, de par son éducation, de montrer ses sentiments. Quitterie savait quand le père était contrarié ou non et, en fonction, protégeait ses enfants de ses innombrables colères et sautes d’humeur, elle essayait toujours d’être sous contrôle. Le plus gros souci étant l’alcool qui provoquait des réactions souvent incontrôlées chez Louis.

    À 13 h pétantes, Louis, Jean et le petit Augustin arrivèrent des champs de maïs de « Latécoère ». À cette époque de la saison, il fallait terminer de planter toutes les parcelles. Quoi qu’il arrive, Louis s’était donné comme limite la fin de semaine et logiquement si le soleil continuait à briller, le timing serait parfait. Il avait surtout besoin de Jean sur le deuxième tracteur pour s’occuper des petites parcelles avec le Renault. Jean n’appréciait pas particulièrement la vie d’agriculteur alors que le petit Tintin adorait traîner sur les engins, dans les granges, utiliser les outils mais il était trop jeune pour se débrouiller seul.

    Quitterie, bien aidée par sa petite Gabrielle, avait dressé la table. Le civet de lièvre, mijoté depuis le matin, embaumait la maison. Un joli bouquet de campanules avait été posé par Gabrielle sur la table, tout était réuni pour que la famille passe un bon moment. Cependant, Quitterie sentait une tension entre Jean et son père que Louis tentait de masquer. Mais cet homme ne savait pas cacher ses émotions et même faire semblant (en avait-il seulement envie ?). Le repas se déroula dans une bonne humeur de circonstances avec Gaby qui racontait toujours des histoires de classe. Le petit Augustin, lui, voulait souvent donner son avis et trouvait un malin plaisir à provoquer sa sœur.

    Quitterie voulait toujours faire intervenir tout le monde à table pour instaurer un dialogue, qui bien sûr tourna au vinaigre entre le père et le fils sur des détails. Jean voulut jouer au grand-frère en interdisant à Gabrielle de s’approcher du ruisseau car il avait posé des bouteilles, avec son copain Rémy, pour attraper des petits goujons. Son père qui n’attendait qu’un prétexte pour affronter Jean lui dit que le ruisseau appartenait à tout le monde et qu’il ferait mieux de passer plus de temps aux champs que de faire des conneries avec Rémy.

    Bien sûr, la bonne ambiance du départ fut plombée. Les yeux de Jean commencèrent à s’embuer, il dut ravaler sa salive et se mura dans le silence jusqu’à la fin du repas. Heureusement, Augustin, naïvement, continua à blaguer et permit par son insouciance de passer le repas dans une relative bonne humeur. Quitterie fut très contrariée par le comportement de Louis, elle le fusillait du regard et lui fit comprendre qu’il allait devoir s’expliquer.

    Gabrielle ne voulait pas aller ce mercredi après-midi au catéchisme, car elle n’aimait pas l’abbé Castillonès. Il sentait mauvais, la sacristie puait l’encens et l’urine de chat, et il leur criait tout le temps dessus ; mais finalement, elle sentit qu’il était préférable de ne pas être là en début d’après-midi au vu de l’ambiance électrique qui planait dans la maison. Le retour vers 18 h à la maison confirma qu’il y avait eu explications entre son père et sa mère et que manifestement tout était reparti dans le bon sens, du moins en apparence…

    2

    Père et fils

    Ce beau début de mois de juin laissait présager un été chaud et ensoleillé, la saison des asperges s’était très bien passée, les ouvriers agricoles dénichés par Quitterie avaient été d’une efficacité redoutable. La plantation du maïs était quasiment terminée, mis à part deux ou trois parcelles. Louis était satisfait de l’avancement notamment grâce à l’aide de Jean qui, craignant son père, n’avait pas le droit de désobéir. Quitterie aurait bien aimé que Louis félicite son fils, mais même si elle le voyait satisfait, son manque de reconnaissance lui brisait le cœur. Leurs rapports absents ou conflictuels perturbaient Quitterie. Le petit Augustin qui adorait batailler dans les granges, la ferme, les champs, sur les tracteurs, avait les faveurs de son père.

    L’enfance de Gabrielle se passait de façon agréable, entourée de ses amis d’enfance.

    La seule ombre au tableau était sa famille ou plutôt les relations entre son père et Jean. Ce dernier devenait un jeune homme et arrivait de moins en moins à supporter le comportement tyrannique de son père. Les disputes étaient de plus en plus fréquentes ; Jean était maintenant un solide gaillard qui jouait au rugby et qui avait beaucoup de mal à se contenir. Lorsque le dimanche soir, Louis rentrait à la maison après avoir passé l’après-midi avec ses copains à jouer à la belote coinchée ou au rampeau, tout en vidant des litres de champagnette (vin blanc – limonade – Cointreau), l’ambiance à la maison devenait électrique entre Louis et son fils ou entre Louis et Quitterie. Sa mère souffrait terriblement de cette situation ainsi que tous les membres de la famille.

    ***

    — Gaby, demain après-midi, on essayera de rentrer dans la maison Perricat, j’ai pu ouvrir le volet du bas et avec la torche, j’ai vu des flippers, un billard et des fléchettes dans la grande salle.

    — Ch’te crois pas Béa, te connaissant, tu m’aurais rebattu les oreilles avec ça depuis deux jours, ne me raconte pas d’histoires. De plus, je suis furax, en partant seule dans cette maison isolée, tu as pris des risques inconsidérés, tu sais qu’on doit veiller toujours l’une sur l’autre, tu aurais pu faire une mauvaise rencontre.

    — On parie quoi ? Il y a même deux grands canapés et un gros tourne-disque.

    — Avec toi, on ne sait jamais si tu dis vrai ou pas. Si c’est vrai, ça veut dire qu’il y a des choses de valeur, donc des gens vont revenir, c’est sûr.

    — On parie quoi ma Gaby ?

    — Je ferai un bécot à Paulo sur la bouche et si je gagne, c’est toi qui devras le faire.

    — Alors là, j’aimerais bien perdre ce pari, OK c’est bon pour moi, répondit Béa.

    — Attends, je dois m’assurer quand même que chez moi ça ne chauffe pas trop car Jean doit faire un match de rugby samedi aprèm contre Azur, je sais qu’il y tient beaucoup mais c’est très tendu avec Papa. Il serait capable de lui dire qu’il a besoin de lui. Je sais que maman sera à fond derrière mon frère, donc je ne te promets rien, ça risque de chauffer.

    — Si ça peut arranger, je consolerai le beau Jean, ma puce.

    — Arrête de rêver ma chérie, je te dirai ça demain matin, tchuss ma belle.

    — Tchuss, belle-sœur !

    Samedi matin, Quitterie se leva du pied gauche, elle avait mal dormi car elle connaissait le problème du match de Jean. Elle n’avait eu de cesse la veille d’être de bonne humeur, d’essayer de faire plaisir à Louis, de le féliciter sur l’avancement des différentes parcelles de maïs, de lui montrer avantageusement l’état des finances de l’exploitation et le bonheur de travailler en famille en lui disant également que les enfants avaient besoin de s’amuser et de passer du temps avec leurs amis.

    Louis paraissait enjoué et fier que sa femme le félicite. Ils avaient donc trinqué en famille, en cette fin de semaine, au bonheur d’être ensemble, les enfants eurent droit à une citronnade avec des glaçons et Jean, un verre de cidre. Tout se passait bien, le petit Augustin, assis sur son père trinquait avec tout le monde en disant qu’il buvait de la champagnette. Gabrielle siégeait sur les épaules de Jean, heureux de boire un verre de cidre offert par son père et Quitterie veillait à la bonne humeur de toute sa famille. Au milieu de la discussion animée, Louis lâcha avec un grand sourire :

    — Il reste juste la parcelle « Tisnéres » à terminer car la semaine prochaine, la pluie revient et on doit absolument finir avant.

    — Louis, si tout se passe bien demain matin, ce sera fini à midi.

    — Demain matin, je pars sur Lit-et-Mixe négocier des canards chez Valou et je dois acheter des pièces pour le Lanz chez Mesplède.

    — Tu ne peux pas repousser à lundi, puisqu’il ne fait pas beau en début de semaine ?

    — J’ai prévu comme ça, s’il te plaît Quitterie, laisse-moi m’organiser comme je l’entends, la semaine, il n’y a que les employés alors que j’aimerais blaguer avec Patrick concernant la CUMA.

    — Papa, j’ai un match super important demain après-midi, en championnat contre Azur et j’aimerais jouer, on est premier ex æquo, tout se jouera demain pour la première place. On est hyper motivés.

    Quitterie sentit une pointe violente dans l’estomac, elle en fit tomber son verre qui se cassa sur la terrasse, un éclat blessa la cheville du petit Augustin qui se mit à hurler en voyant le sang.

    — Viens mon Tintin, je vais te soigner, ce n’est pas grave, souffle, souffle, tu es un grand garçon maintenant.

    Quitterie et sa petite infirmière, Gaby, partirent à la salle de bains, soigner le malade. Après avoir désinfecté la plaie, opération ponctuée de plusieurs cris, Tintin eut droit à un gros bandage. La simple vue de ce bandage le fit boiter lourdement, ce qui fit rire l’infirmière du jour.

    Sur la terrasse, l’ambiance était plutôt tendue entre le père et le fils. Louis ramassait délicatement les morceaux après avoir bu cul sec son grand verre de Ricard (le 3e), Jean était parti chercher la serpillière pour nettoyer le vin tombé du verre de sa mère.

    — Ils ont une bonne équipe ces Azuréens, ils font beaucoup de jeu, le pack d’avants est assez faible mais très dynamique, et ils ont un bon buteur et derrière, ça galope, dit Louis d’un air complice à son fils.

    — En plus, ils sont au complet, nous, on a trois blessés, ça va être assez chaud. Mais on est tous hyper motivés et ça va leur faire drôle, on est chez nous, on veut s’imposer.

    Quitterie arriva sur cette discussion et ne put s’empêcher de sourire à la vue de la complicité entre père et fils sur ce terrain-là. Le repas se passa normalement, ponctué par les cris du grand blessé, et les remarques de Gabrielle remettant son frère en place en le traitant de chochotte. Elle lui dit que si la douleur était insoutenable, il allait peut-être falloir l’amputer. Tout le monde sentait bien que Louis, en prenant son 4e Ricard et après ses 3 verres de vin rouge, n’était plus trop en état de parler de la pluie et du beau temps sans que ça ne puisse s’envenimer. Gabrielle n’aimait pas voir son père dans cet état, elle ne pouvait plus sortir un mot et la contrariété de Quitterie paraissait évidente…

    Avant de se coucher, Louis dit à sa femme :

    — Quel dommage que le temps se gâte la semaine prochaine ! Puis, il se retourna pour ronfler dans la seconde qui suivit en diffusant des effluves alcoolisés dans toute la chambre. La nuit de Quitterie était terminée avant même qu’elle ne commence. Elle ne redoutait que trop la signification de cette remarque.

    Samedi matin, comme prévu, le soleil était au rendez-vous et arrosait de ses rayons, le magnifique airial des Margerie au beau milieu de la forêt landaise. Quitterie s’occupait déjà des canards, après avoir préparé la table de déjeuner pour ses enfants. Louis l’avait rejointe, il passa embrasser sa femme dans la grange, elle ne lui rendit pas son baiser, même s’ils n’étaient officiellement pas sur un lendemain de dispute, Quitterie sentait que cette dernière remarque d’hier soir : « Quel dommage que le temps se gâte la semaine prochaine » laissait présager une grosse désillusion pour Jean et indirectement pour elle.

    Aux alentours de 9 h, tout le monde était réveillé, même le grand blessé qui avait pu échapper à l’amputation. Quitterie avait fini de soigner les poules et canards et se lavait les mains dans l’évier tout en prenant l’humeur de tous ses enfants.

    — Comment va mon petit blessé, ce matin ? Je dois te refaire le pansement.

    — Ma blessure, ça va, mais j’ai l’impression de boiter de plus en plus.

    — OK, il faut prévoir de couper au niveau du genou, tu ne crois pas Jean ? dit Gabrielle.

    — Pas le choix, je m’en occupe, je vais chercher la hachette, plaisanta Jean, mort de rire.

    — Non, non, non, dit Augustin en rigolant, ça va beaucoup mieux en faisant un clin d’œil à son grand frère.

    — Bonjour mes enfants, comment ça va ce matin ? dit Louis en embrassant les cheveux de chacun de ses petits.

    Puis il s’assit près de son aîné, en lui faisant un trop grand sourire pour être honnête, l’air cependant légèrement gêné. Quitterie comprit de suite la situation et s’arrêta de faire la vaisselle pour suivre la conversation. Elle vint se positionner près de Gabrielle, en face de son mari.

    — Jean, mon fils, je sais que tu vas être déçu, mais je n’ai pas le choix, je compte sur toi pour m’aider à planter la dernière parcelle cet après-midi, comme je l’ai dit hier, on ne peut pas repousser à lundi et ce matin, je dois partir.

    Quitterie, bien qu’à moitié surprise, poussa un cri de stupeur. Jean serra les poings à en casser sa biscotte mais essaya quand même de contenir sa colère. Gabrielle se mit à pleurer silencieusement.

    — Papa, je sais que pour toi le travail est le plus important mais je voudrais vraiment aller au rugby cet après-midi, si je n’y vais pas avec tous les blessés que l’on a, on sera obligés de déclarer forfait car on doit être vingt et je suis le vingtième. Maman pourrait venir ce matin au maïs avec moi, on pourrait bien s’avancer, et ce tantôt tu pourras finir.

    — Oui mon Jeannot, c’est une très bonne idée, Gaby s’occupera de Tintin près du champ, je te filerai un coup de main avec plaisir pour préparer le tracteur, pour les canards, je me suis avancée ce matin donc je suis entièrement disponible, dit Quitterie d’un air enjoué mais les larmes aux yeux, craignant l’issue bien trop prévisible.

    — Il est hors de question que ma famille soit au champ sans moi, la place de ma femme est à la maison à s’occuper des tâches ménagères et de ses enfants et en aucun cas, sur un tracteur pendant que son mari, avec ses beaux habits, se balade dans les villages alentour. Que diraient les gens ! Tu iras à ton rugby plus tard, si le travail le permet, fin de la discussion !

    Sur ces mots, Jean partit en pleurs en prenant son vélo au passage, en faisant tomber le bol et plein de choses sur son passage.

    — Je te déteste ! hurla Jean, rouge de colère.

    — Viens ici tout de suite ! hurla son père.

    — Non, je commence à en avoir marre, toute l’équipe va être condamnée à cause de moi, non, à cause de toi, cria Jean qui pour la première fois tenait tête à son père.

    — Ma petite Gaby, amène ton frère dans la chambre, dit Quitterie en pleurant.

    — Ce que tu fais aujourd’hui est très grave Louis, ton fils qui travaille avec toi comme un forcené alors qu’il n’a que 13 ans, ne te demande jamais rien, il fait toujours ce que tu lui dis de faire, il a de bonnes notes à l’école, est poli, serviable, tout le monde s’accorde à dire que c’est un bon garçon. Tu ne le complimentes jamais, tu le dénigres en permanence, tu ne vois même pas que ta propre fille qui n’a que neuf ans a peur pour son frère quand il est avec toi. Pour toi, l’important est toi, ta ferme, ton pinard, tes petits plaisirs, d’ailleurs au passage tu n’es pas près d’en reprendre du plaisir avec ta femme. Le « qu’en dira-t-on » comme tu dis ! Si tu savais ce que disent les gens quand ils te voient te servir de ton petit Jean qui n’a que 13 ans et dont le docteur Lalanne m’a averti de ses douleurs lombaires anormales pour un enfant de son âge. Le pire est que tout le village va savoir qu’à cause de monsieur Margerie, l’équipe de rugby du village va devoir déclarer forfait, tu me fais honte, cria Quitterie à son mari qui n’avait pas pu placer un mot. Attention, je te mets en garde.

    La colère de Quitterie ne retombait pas et elle passa encore 10 minutes à lui reprocher d’innombrables choses. Louis essaya de lui couper la parole plusieurs fois mais les rancœurs que Quitterie gardait depuis trop longtemps l’empêchaient de reprendre son souffle. De plus, Louis voyait ses deux petits à la fenêtre, en pleurs. Il les entendait crier : MAMAN. Ils virent donc leur mère tout d’un coup s’écrouler au sol, prise de convulsions et elle perdit connaissance.

    Louis était pétrifié, il essaya de soulever sa femme, lui caressa le visage. Jean qui n’était pas parti bien loin, arriva à toute vitesse, se dirigea vers le téléphone dans la maison et appela le docteur Lalanne. Ce qui rendit fou Louis qui voulait gérer ça en famille et qui ne voulait surtout pas que les gens soient au courant de ce qu’il se passait chez lui. Il était surtout vexé de voir son fils prendre la meilleure décision alors que lui paraissait complètement paniqué.

    — Tu ne perds rien pour attendre, tout ceci est à cause de toi, petit vaurien ! lança-t-il à son fils.

    Dans un dernier élan de survie, Quitterie trouva la force de lâcher ces mots, son visage était blanc comme un linge, ses yeux injectés de sang :

    — Louis Margerie, si tu touches un seul cheveu de mon fils ou de l’un de mes enfants, tu ne nous reverras plus jamais. Et elle retomba dans les pommes.

    Adieu la maison bleue, flipper, billard, Béa, le bonheur de Jean, les illusions de maman, une famille heureuse, un papa gentil, l’honneur des Margerie.

    Et la vie continue…

    3

    À l’aide

    L’enfance de Gabrielle fut bercée de joies, de peurs, de désillusions, d’amour, d’amitiés, de regrets, d’espoir… Et surtout de

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