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Le Rhin Bicéphale
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Livre électronique137 pages1 heure

Le Rhin Bicéphale

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage place des personnages de fiction dans des événements réellement vécus par une population de la région de France qui a le plus souffert de la guerre.
LangueFrançais
Date de sortie7 janv. 2013
ISBN9782312007168
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    Aperçu du livre

    Le Rhin Bicéphale - Hubert Floriot

    978-2-312-00716-8

    Paulin

    L’hiver était au rendez-vous du temps immuable. L’arbre se dévêtait de son habit pourpre, et les dernières feuilles planaient doucement sous les pas du jeune énamouré transi sous la pluie. Paulin pataugea la flaque humide, y vit sa déception et le ciel, que son pied éclaboussa. Mais l’heure est passée. Le manège arrêté, les chevaux endormis attendront demain l’enfant rieur. Paulin sortit les mains de ses poches et balança les bras qui ne purent étreindre celle dont il avait conquit l’amitié. Claudette promit trop vite le baiser, mais n’osa pas, et Paulin attendit en vain. « Elle ne viendra plus ! » Il ne dindonnisait pas les filles, mais dulcinéfiait Claudette. C’était un macrocéphale rouquiné amoureux qui soufflait la goutte d’eau accrochée à son nez. De retour à la maison, sa maman pressa contre elle, l’adolescent déjà déçu. Son seul rejeton qui ressemblait tant à ce pauvre Mario partit trop tôt en la laissant seule avec son garçon. De sa serviette elle épongea la tignasse de ce lêchouillant garçon nourri à son sein latescent. Le bébé crût en corps et en esprit. De son peigne, elle râteaussa ses cheveux roux, sourcilla, et lui dit qu’à vingt ans, ces amouracheries sont comme de l’eau dans une corbeille d’osier.

    – Je commence à le croire, maman ! Paulin se rendait à l’évidence. Il s’accrochera dorénavant un peu plus à cette mère qui ne le trahira jamais. Et maman de profiter de cet instant de découragement de son Paulino pour lui rappeler qu’il trouvera plus de joie à monter une mayonnaise que d’attendre en vain une chimère sous la pluie, car maman Emilie était un vrai cordon bleu. Les blancs de poularde aux morilles n’avaient pas de secret pour elle.

    – Je le sais, maman, mais je voudrais bûcher l’histoire des Carolingiens.

    – Ton père t’a laissé un joli pécule qui te permettrait de pousser tes études. Il voulait que tu aies d’abord ton bac. Mais à quoi te servira-t-il de savoir pourquoi Ravaillac assassina Henri V ? Ou que Louis XVI aimait graisser des montres. Ca ne fera pas braiser tes fenouils à la grecque.

    – Henri IV ! maman. Henri IV ! Et pour Louis XVI, c’était les serrures !

    – Crois-moi mon fils, mieux vaut ne pas te torturer avec ces histoires là. Tiens ! Rien que d’en parler, nos rougets ont collé à la poêle. Sans leur peau, ils sont aussi roses que les fesses d’un nouveau-né.

    Emilie s’ingéniait à intéresser l’avortonné chéri à l’art culinaire.

    – Vois-tu, un cook ça ne meurt jamais de faim, parce que son salut est au bout de son écuelle qui touille et retouille sa soupe ! Elle s’efforçait de convaincre son fils à force maximes, dictons et proverbes. Autant d’allusions qui entrent par une oreille et ressortent de l’autre pour s’éthérifier à jamais.

    – Maman, tes mots me cinglent comme une trique.

    Les espérances de Paulin planaient au-delà des chaudrons, mais le catastrophisme dont se délectait Emilie tombait comme un couperet qui hachait menu-menu ses réticences. Il ne lui en tenait pas rigueur, car il savait que ses raisonnements pourraient de triompher un jour. Sait-on jamais ! Mais quand même. Avait-elle raison de le pousser dans cette voie, comme dans un retranchement. ? Peut-être. C’est qu’à regarder cette mère volonteuse transpirer sous les floscules de ses casseroles fumantes, pour le plaisir de l’empiffrer, Paulin se disait qu’il devait bien exister un métier moins claquant qui n’en appellerait pas à la misèrabilité de ce travail. Bah ! Nous verrons bien ! La pauvre Emilie, chagrinée par ce fils qu’elle voulait aisé, s’ingéniait à le convaincre, mais en vain.

    – C’est bien dommage que tu ne veuilles pas suivre cette voie. Car il se pourrait que nous ayons à vivre des temps difficiles ! C’est dans l’air. Tu en viendras alors, à éplucher les légumes dans un restaurant, ou faire la plonge. Un ramasse-miettes, quoi ! J’espérais mieux pour toi, mon garçon !

    – Il n’y a pas de faux métier, maman. Et puis, si je pars de rien pour n’arriver à rien, je serais content de n’avoir à dire merci à personne. Mais, ne crains rien, je ne mourrais pas de faim.

    Paulin ne rêvait que de dépétaller la rose de sa belle, et n’avait aucune ambition particulière qui le dénuiterait. Il étreignit sa mère par la taille pour la rassurer, sa tête appuyée sur sa poitrine. Mais c’était sans compter avec l’opiniâtreté d’Emilie qui ne désarmait pas. Elle mit à profit ce moment pour se pencher en arrière, saisir de ses mains libres au bout de ses bras ballants, le long tablier posé derrière elle, et envelopper son jeune rouquin qu’elle ficela par trois fois à l’aide du cordon. Le sort en était jeté. Paulin sera cuisinier. Emilie recula de deux pas, jaugea son fils des pieds à la tête :

    – Les plus grands Chefs n’ont pas commencé autrement. Tu en seras aussi, mon fils, et un grand avec une grande toque.

    – J’y verserais mes épluchures.

    Emilie était encore jeune et agréable à regarder, mais elle était veuve. L’un n’empêche pas l’autre, bien sur. C’est qu’un trombidion sorti d’entre deux pierres eut raison de son mari. Le maçon succomba aux démangeaisons douloureuses provoquées par ce petit insecte qui envoya dans un au-delà hypothétique ce courageux père de famille dont la main calleuse caressa sans cesse la chevelure noire de son épouse en se demandant pourquoi ceux de Paulin étaient roux.

    Paulin s’apprêta à juillettiser son vingtième anniversaire, vendredi prochain, Mais pour Emilie vendredi était jour maigre, car manger de la viande, serait pactiser avec le Grand Rôtisseur. Si bien que Paulin ne fêtait jamais son anniversaire, non plus que Saint-Paulin le vendredi, mais le dimanche. Mais le dimanche ce garçon avait d’autres interrogations moins triviales. Les mains coquillées, il assomptionnait en allélouyant pieusement. C’est que maman lui avait dit : »La foi, est réelle, parce qu’elle ne peut s’expliquer, donc tu dois y croire ! », et Paulin croyait.

    De toute façon, le dimanche n’était jamais jour anniversaire, et le repas que sa mère lui confectionnait ce jour-là était un repas copieux certes, mais un repas comme elle en préparait en d’autres occasions. Les bougies, le gâteau, de même que la larme conventionnelle d’Emilie perdaient de leur acuité. Paulin observa sa mère s’affairer à travers les trois pièces et sortir de sa cuisine en se léchant les doigts, l’air emprunté. Elle n’avait pas consulté son fils sur le choix du menu, et le tenait à l’écart. Elle donnait même l’impression de préparer sa propre fête.

    – Bonne fête, maman !

    – Mais, mon chéri. C’est de ton anniversaire qu’il s’agit !

    – Ah bon !

    Attablés l’un en face de l’autre, ils déjeunèrent en silence des artichauts à la crème de moutarde, puis des filets de truites passées aux amandes. Les petits pains maison farcis aux crottins de Chavignol maintenus chaud, enroulés dans les serviettes. Le tout arrosé d’un bon vin blanc à douze degrés. Vint ensuite le dessert. Un gros flan de roses aux litchis comme les aimait Paulin.

    À la fin du repas, Paulin repu, se renversa sur sa chaise, les mains croisés sur le ventre et regarda sa mère, l’air sérieux.

    – Tu ne m’encourages pas à faire ce métier, maman. Comment veux-tu que je fasse aussi bon ? C’est même décourageant.

    – En faisant appel à ton nez, à tes yeux et surtout à ton cœur. Cuisiner est un acte d’amour.

    Le repas terminé, Paulin remercia sa mère, l’embrassa, et commença à débarrasser la table.

    – Laisse tout ça, je m’en occuperai à notre retour de promenade.

    – Il faut bien que je commence par débarrasser la table, si je veux t’offrir ma première toque. Mais quelle promenade ?

    Emilie proposa une sortie en voiture. Elle entraîna Paulin vers le garage, derrière l’habitation. Une maison construite par les ouvriers de Mario, et située dans cette banlieue de Lons-le-Saunier où ils ont toujours habité. Après la truelle, Mario maniait l’outil et entretenait le jardin potager où Emilie prélevait avec délicatesse les légumes frais pour ses repas. Et maintenant, elle l’entretenait « – C’est pour ne pas peiner Mario qui de là-haut regarderait d’un œil aseptisé son terrain en proie aux broussailles ! »

    Elle sortit la voiture. Un vieux modèle que Mario bichonnait amoureusement. Emilie conduisait assez bien, mais Paulin, bien que sans permis, prit le volant. Il négocia les virages du kilomètre qui les séparait de la forêt en bordure de Perrigny, où ils stationnèrent sous un arbre. Emilie et Paulin, bras dessus, bras dessous, longèrent un chemin bordé de jonquilles. Ces moments favorisaient la confidence avec nostalgie. Emilie se languissait et évoquait des souvenirs de sa vie passée en plaignant Mario d’avoir tant travaillé. Paulin connaissait tout ça par cœur pour l’entendre à chaque promenade comme un exutoire, et il en était peiné pour sa mère

    – Eh oui ! mon fils, ton père s’efforçait de montrer combien il était courageux.

    – Et ça, c’est le plus difficile, surtout si on travaille peu. C’est pourquoi il ne faut rien exagérer. Papa a commencé à travailler à l’âge de seize ans, il a disparu à quarante ans et n’a donc travaillé que pendant vingt-quatre ans. À huit heures par jour, ça donne 8 fois 360 jours, soit, 2 880 heures par an que divisent 24 heures, ça ne fait plus que 100 jours, soit 3 mois et 10 jours. Et si tu enlèves les jours de congés, les vacances et la piqûre du trompilon, …

    – Trombidion !

    Anéantie par ce bilan inattendu, Emilie se laissa choire sur un banc proche.

    – Pitié ! mon chéri.

    Paulin ria et s’assit près d’elle. Il prit les mains de sa maman dans les siennes et les tapota doucement.

    – Je te taquine, maman, mon calcul est faux, bien sûr. En fait, vous avez passé l’un et l’autre autant de temps, toi, à te lamenter, et lui, à transpirer. Souviens-toi plutôt du bon mari et du bon père

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