La femme à travers les générations
Par Dolorès Leduc
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À propos de ce livre électronique
À la fin du XIXe siècle naît Éloïse, l’aînée d’une famille de douze enfants. Un village, une histoire, un quotidien. Cette histoire s’échelonne sur trois générations de femmes, en commençant par la détermination de la grand-mère Éloïse, en passant par les exploits de sa fille Gabrielle, jusqu’à la complicité qu’elle tisse avec sa petite-fille Florence.
L’action évolue à travers l’éducation, l’enseignement, les familles tricotées serrées et les mœurs de chacune de ces périodes. Les joies, les peines et les amours de ces héroïnes se déroulent sans contredit dans l’adversité. En revanche, la vie de l’époque, qui n’est pas toujours facile, nous amène à réaliser les conflits que vivent ces femmes dans des similarités générationnelles.
Avec de la passion et de la détermination, les trois femmes d’honneur, Éloïse, Gabrielle et Florence nous font vivre leur résilience face à des luttes et des situations qui ne sont pas toujours dans le respect de l’individu, toujours dans le but de subsister.
Dolorès Leduc
Je suis retraitée de l’enseignement depuis six ans. Ayant entamé des études universitaires à l’âge de 45 ans, je suis détentrice d’un brevet d’enseignement en formation professionnelle à l’UQÀM. C’est suite à mes cours universitaires que j’ai eu le goût d’écrire. Une fois à la retraite, bien installée dans mes belles Laurentides, j’ai écrit ce roman avec l’encre de mon âme. J’y ai fait évoluer mes personnages en suivant un plan de base, sans toutefois m’y conformer de façon trop rigoureuse. Cependant, tout au long de mon projet d’écriture, je gardais scrupuleusement en tête les idées principales que je voulais développer.
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Aperçu du livre
La femme à travers les générations - Dolorès Leduc
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1. LES DÉBUTS
1er THÈME
1893 : NAISSANCE D’ÉLOÏSE
La neige se faisait rare depuis le début de l’hiver. Aujourd’hui, par contre, les sapins, les arbres et les clôtures ont revêtu leurs plus beaux atours afin d’accueillir la petite Éloïse. Elle vient de voir le jour, cette petite « pas plus grosse qu’un petit porcelet », comme le dit si bien son papa. La jeune maman de seize ans toute chétive s’imagine à peine que ce petit être sort de ses entrailles. La sage-femme, cette bonne Mme Georgina qui a accouché presque toutes les femmes de St-Paul, est très inquiète quant à la santé de la mère et de l’enfant.
« Il faudrait faire d’autres bouillottes! lance-t-elle à Hector, le père de la petite. Ce petit être et ta jeune épouse ne passeront pas l’hiver, si tu ne te grouilles pas.
Quel fainéant, ce garçon! », bougonne-t-elle en remontant les oreillers et en couvrant l’accouchée et son poupon qui crie à fendre l’air. Il était pénible d’accoucher ces nombreuses femmes qui n’ont pas nécessairement demandé de donner naissance à toute cette marmaille et qui, parfois, se font rabrouer et même battre parce qu’elles n’ont pas donné le fils tant attendu. Au fil des années, tout ça a rendu Mme Georgina plutôt aigrie face aux hommes. « Ces pauvres créatures! », dit-elle en insistant sur le mot « créatures », qualificatif que les hommes employaient pour désigner les femmes à cette époque. Comme si la femme était une personne sans importance et qu’elle n’avait aucune envergure. Juste bonne pour enfanter, quoi!
Malgré le froid et le peu de lait que produit Lucia pour nourrir sa petite, Éloïse veut vivre, tel un oisillon qui lève la tête hors du nid. Dans la vie de cette jeune mère inexpérimentée règne le manque de réconfort, d’aide et de soutien. La coutume veut que la mère de l’accouchée donne un coup de main pour les relevailles. Mais comme les parents de Lucia demeurent à trois villages plus loin et que les conditions des chemins ne permettent aucun déplacement, la jeune maman doit s’organiser seule.
À l’encontre de tous les obstacles, Éloïse réussit à passer à travers sa première semaine d’existence. Un matin, après qu’une neige lourde soit tombée durant une partie de la nuit, Lucia, debout devant la fenêtre avec sa petite dans les bras, voit une personne enjamber le banc de neige qui obstrue la porte. Cette intruse entre tel un coup de vent dans la cuisine. Effrayée, Lucia serre sa petite contre elle, à la manière d’un animal traqué, par peur qu’on lui fasse du mal.
« Mon Dieu, que de vent!, s’écrit la femme emmitouflée comme un ours. Je croyais ne jamais me rendre. » Après avoir regagné ses sens, elle regarde la mère et l’enfant et s’attendrit devant ce chérubin. C’est Mme Dubois, sa belle-mère et voisine. Elle a la réputation d’être une femme honnête et juste. Embarrassée de ne pas être venue plus tôt à cause de sa besogne personnelle, elle se confond en excuses.
Son manteau enlevé et voyant arriver son fils Hector de l’étable, elle s’empresse de lui demander d’entrer quelques bûches de la remise. « Une bonne soupe va réchauffer le cœur et le corps de la petite famille », se dit-elle. Elle se hâte de descendre au caveau récupérer des patates et quelques carottes restantes afin de cuisiner un repas simple, mais nourrissant.
2e THÈME
LA PAUVRETÉ
La pauvre Lucia se déplace avec difficulté, ce qui n’échappe pas à l’œil vigilant de Mme Dubois, sa belle-mère. Soupçonnant une infection dans la région pelvienne, elle demande encore une fois à Hector d’aller chercher du bois et de pomper de l’eau à la grange pour nettoyer cette pauvre Lucia qui souffre énormément. Ce dernier conteste la demande de sa mère, se plaignant que l’eau est nécessaire pour abreuver le bétail. « Sinon, les vaches ne produiront pas assez de lait », soutient-il. Sous le regard impératif de sa mère, il s’exécute enfin.
Mme Dubois fait chauffer le petit seau d’eau apporté par son fils. Tout juste assez pour se tremper le gros orteil. Elle en profite pour laver le poupon qui n’apprécie pas nécessairement cette baignade plutôt froide. Finalement, l’enfant ainsi que la mère sont mises au lit, emmitouflées dans des couvertures de laine chaude. En remarquant le garde-manger presque vide, Mme Dubois est inquiète à savoir comment son fils et sa belle-fille finiront l’hiver. Ils sont de plus en plus pauvres; la remise à bois contient à peine quelques bûches, et le bon chien de garde se déplace difficilement en raison de sa maigreur.
L’après-midi est avancé, le soleil descend de plus en plus, la montagne au loin semble envahie de multiples rayons qui dansent une ronde folle. Déjà quatre heures. La maisonnée de la salvatrice doit se demander ce qu’elle peut bien faire à cette heure. Mme Dubois enfile son manteau, met ses pardessus et se sauve en toute hâte chez elle. En la voyant s’introduire dans la cuisine avec un air inquiet, son mari devine aussitôt son malaise à sa manière de se déplacer.
— Alors, comment se porte notre progéniture? demande-t-il, visiblement tourmenté.
— Pas si mal, mais tu sais, mon vieux, notre fils a parfois des idées bien arrêtées. Pour lui, ses vaches semblent plus importantes que sa femme et sa petite. Quelle désolation!
— Tu sais, ma vieille, l’année 1893 n’est pas facile. Avec la pluie que nous avons eue cet été, la dernière récolte a été minime, juste assez pour nourrir les vaches. Et que dire de la vente du bétail! À peine quelques poules ont trouvé acheteurs. Nos vaches ne mangent pas suffisamment de foin pour donner des quantités de lait acceptables et de bonne qualité.
— Je sais bien, vieux. Mais, vois-tu, quand je pense à ces pauvres enfants qui manquent de tout, je me sens peinée telle une chatte qui a perdu ses chatons.
— Bon, ça suffit, c’est assez de s’appuyer sur notre pauvre sort. La besogne n’attend pas, elle.
Elle se retrousse les manches et s’affaire encore une fois devant son fourneau afin de cuisiner, avec le peu de nourriture qu’elle a sous la main, un repas convenable pour le reste de sa famille. Il ne va pas sans dire que dans la maison des Dubois, le caveau ne regorge pas nécessairement de légumes. Dans le petit village de St-Paul, la vie n’est facile pour personne. Des enfants sont en mauvaise santé et des animaux malades sont abattus. Par surcroît, l’hiver et ses vents glacials occasionnent des incendies fatals qui laissent des familles entières sur le pavé.
3e THÈME
LA VIE À ST-PAUL
— Nous voilà dans de beaux draps, mon mari! Les argents que nous avions mis de côté pour nos vieux jours viennent de prendre le bord.
— Ma femme, pourquoi faut-il que tu mêles tout? Ces argents sont en sécurité, ne t’en fais donc pas, notre sécurité n’est pas menacée. L’inquiétude de Mme Dubois est fondée sur des hypothèses et des craintes.
Mais les paroles de son mari ne la sécurisent pas pour autant. Elle sait pertinemment que son fils ne sera pas plus courageux et débrouillard une fois le printemps venu.
— Qui verra à faire les démarches pour l’achat du grain en vue des semailles? À la préparation des graines pour les jardins? Et à l’organisation de la présentation à la paroisse de cette chère petite Éloïse?
Comme c’est la coutume de présenter à la communauté un nouveau membre de la famille, cela occasionne des dépenses : vêtements du dimanche, robes de circonstances cousues avec minutie, et même robe de mariée. Aussi, on doit préparer une layette de bébé avec de la broderie fine et poser des appliqués de dentelle. Ces tâches requièrent temps et argent.
Mme Dubois s’est juré que sa petite-fille Éloïse serait une enfant débrouillarde. Elle entrevoit le meilleur pour elle. Puisque ce premier enfant de la famille de son fils n’est pas un garçon, les racontars dans le village vont bon train : « Qui prendra la relève de la ferme? Qui verra à héberger les vieux parents quand ceux-ci ne tiendront plus maison, à part l’aînée de la famille? »
Éloïse semble être née avec un handicap social. En ce qui a trait au sexe féminin, la fin du XIXe siècle ne semble pas vouloir contribuer à faire évoluer les mentalités dans le petit village de St-Paul. Tous les dimanches, les familles se rendent à l’église avec leur marmaille. Les enfants d’une même famille ont à peine deux ans de différence. Leurs âges varient entre quatorze et deux ans. Souvent, la mère est absente lors de ces cérémonies dominicales car le petit dernier, encore nourri au sein maternel, contraint la mère à rester au foyer. Étant donné que l’allaitement est une pratique scrupuleusement cachée, malheur à celles qui oseraient donner le sein à leur rejeton en public, surtout dans les lieux saints. Il n’était pas rare de voir des femmes de l’époque profiter de ces instants pour penser à elles. Le mari ainsi que les enfants absents, elles en profitaient pour dorloter leur chérubin. Sans les chamaillages et les braillages des plus vieux, le poupon, lui, buvait sans être dérangé, tel un chaton gourmand. Par la suite, il dormait à poings fermés, ce qui satisfaisait la mère qui pouvait ensuite vaquer librement à ses occupations.
Les journées de travail étaient longues pour tous ces gens qui se levaient à l’aube et se couchaient avec le soleil. Les enfants étaient comme des pions auxquels on étiquetait un nom. Parfois, le père confondait le prénom de certains enfants, comme une confusion d’identité dans un troupeau de bétail.
4e THÈME
LE CARACTÈRE D’ÉLOÏSE
Malgré toutes les misères, les joies et les peines que la vie apporte dans le petit village de St-Paul, Lucia et Hector attendent leur deuxième enfant. Éloïse aura bientôt deux ans. Le caractère de cette enfant est surprenant, aux dires de sa grand-mère. Elle est docile, enjouée et déterminée à obtenir tout ce qu’elle veut. Sa grand-mère est presque en adoration devant sa petite-fille. Alors que ses enfants quittent à tour de rôle la maison familiale pour se marier ou entrer en communauté, avec le prétexte d’accorder davantage de temps à Lucia afin qu’elle prenne soin de son nouveau poupon, Mme Dubois en profite pour chérir sa chère petite-fille. Elle s’empresse d’amener Éloïse chez elle et elles s’amusent allègrement toutes les deux. Cuisiner est sans contredit l’activité préférée d’Éloïse.
Pour la fête, elles ont à préparer un gâteau au chocolat, le préféré de Mme Dubois, bien que cela donne deux fois plus de travail à la grand-mère : farine éparpillée sur le sol, chocolat jusque dans les cheveux de la petite, et parfois même sur les murs. C’est comme si le temps n’existe plus pour ces deux coquines. Par contre, le temps file et l’heure du souper approche. Éloïse doit retourner à la maison. Aussitôt ramenée chez elle, elle se met à pleurnicher. Sa mère n’a pas toujours le temps de lui accorder toute l’attention qu’elle demande, et les crises sont de plus en plus fréquentes. Un soir, alors qu’elle regarde par-dessus le berceau de son petit frère qui dort à poings fermés, Éloïse décide de le bercer si fort qu’il bascule et se retrouve par terre. Lucia, dans un élan de panique, se précipite sur l’enfant qui, heureusement, est indemne. Mais le regard qu’elle jette à sa fillette incite celle-ci à s’enfuir à toutes enjambées. Comme la mère est plus rapide que l’enfant, elle reçoit une bonne claque sur les fesses. Éloïse, dans sa petite tête de deux ans, ne voit pas le mal qu’elle a fait et se sent bien mal aimée de sa mère. « Cette enfant qui était si douce et si serviable est devenue tellement détestable comme ça ne se peut pas. Qu’est-ce que je vais faire avec elle? », se plaint-elle à qui veut l’entendre. Souvent, à l’arrivée du père, la petite est de nouveau réprimandée pour une faute qu’elle ne se souvient plus d’avoir commise. Et puisque les hommes de l’époque ne doivent pas démontrer leurs sentiments, les câlins et les caresses sont sans contredit très rares de la part de son père.
Les années passent et Éloïse grandit dans cette atmosphère de réprimandes, de colère et de frustration. Elle se sent inadéquate et incompétente dans cette maison; elle a presque l’impression d’être une étrangère. Avec les grossesses répétées de sa mère, la famille s’agrandit d’année en année, et voilà qu’Éloïse se retrouve sur les bancs de l’école du petit village de St-Paul. Sa grand-mère, cette bonne Mme Dubois qui a fait la classe dans sa jeunesse, voit en sa petite-fille un vrai petit génie. « Regardez la facilité avec laquelle cette enfant apprend ses lettres! » Car tous les après-midi, tout de suite après l’école, c’est le rendez-vous des deux compères pour les devoirs. Après, Éloïse doit rentrer chez elle pour donner un coup de main à sa mère. En revanche, les parents d’Éloïse la traitent d’ingrate, lui rappelant le caractère explosif de sa grand-mère.
« Tu n’en fais qu’à ta tête. Arrête-toi donc de rêvasser avec tes livres, et va donner un coup de main à ta mère! », lance son père d’une voix cinglante. Éloïse se sent privée de ses lectures autant que de l’affection qu’elle ne reçoit pas.
2. LES CONFLITS
1er THÈME
LES ÉTUDES
Que de joie d’apprendre les chiffres et les lettres! Éloïse est la première de sa classe en catéchisme. Pour elle, poser les questions et donner les réponses contenues dans son petit livre religieux est un jeu. Un jour, en revenant de l’école alors qu’elle s’attarde à cueillir des fleurs pour sa grand-mère, les deux frères Brisebois l’interceptent.
— Si ce n’est pas la petite chérie à sa mémé! Va-t-elle devenir maîtresse d’école à son tour?
En continuant à se moquer d’elle, ils l’empêchent d’accéder au petit pont qu’elle doit emprunter pour se rendre chez sa grand-mère Dubois.
— Laissez-moi passer, ou bien je crie! lance-t-elle d’une voix tremblante. Au premier hurlement d’Éloïse, les deux petits voyous se précipitent sur elle et ni de une ni de deux, la pauvre se retrouve projetée dans l’eau. M. Dubois, qui a entendu des cris, accourt à toute vitesse.
— Attentez que je vous attrape, bande de petits chenapans! Je vais le dire à vos parents.
Éloïse est plus humiliée que blessée. Ses vêtements détrempés lui collent à la peau comme l’écorce à un arbre. Elle avance péniblement. Des larmes coulent lentement sur ses joues rougies par la colère. En voyant arriver sa petite chérie, Mme Dubois est dans tous ses états.
— Mais qu’est-ce qui t’arrive, Éloïse? s’enquit sa grand-mère.
Les sons sortent à peine de sa bouche, tellement elle tremble de tous ses membres, à la manière d’une feuille au gré du vent.
« Attendez de voir de quel bois je me chauffe! Ces deux voyous vont se repentir sur le perron de l’église », gémit-elle en se raclant la gorge, comme pour mieux peser ses mots. Elle somme son mari d’aller avertir les parents de la petite que celle-ci n’est pas en état de rentrer chez elle. Elle sort une couverture chaude et se hâte de dévêtir la rescapée et de l’emmitoufler avec soin, agissant avec la bienveillance d’une poule à l’égard de ses poussins. L’eau dans la bouilloire, qui devait servir à délayer la moulée des veaux dans l’étable, est maintenant versée dans la cuvette qui sert de baignoire à Éloïse afin qu’elle se réchauffe à souhait. Quelle est la stupéfaction de M. Dubois, se voyant obligé de préparer le repas de ses animaux avec de l’eau froide. De plus, son souper est retardé. Malgré ses airs offensés, le grand-papa se réjouit que sa petite-fille soit avec lui pour la soirée. Après avoir concocté un repas réconfortant, Mme Dubois profite de l’occasion pour travailler l’alphabet avec Éloïse. Après quelques lettres, tombant de sommeil comme une poupée de chiffon, Éloïse se laisse border avec amour en se remémorant la soirée et en la savourant à petites gorgées, pareillement à un bon chocolat chaud. Le cœur léger, le vieux couple ne tarde pas à tomber à son tour dans les bras de Morphée, tels des gamins satisfaits de leur longue journée. Le lendemain matin, le bruit d’ustensiles et de chaudrons réveille Éloïse qui se raidit et s’assoit bien droite dans son lit. Les grands-parents étant debout depuis le lever du soleil, les tâches matinales sont déjà terminées, dont traire les vaches et nourrir les cochons et les poules. Éloïse, la mine déconfite, s’assoit à table en pleurnichant.
— Maman va me chicaner!
— Je vais lui parler, tu n’as rien à craindre, lui assure sa grand-mère. Éloïse se précipite en classe avec sa petite boite à lunch et les bonnes choses qu’elle contient. Elle appréhende la fin de la journée avec une folle angoisse, la gorge nouée.
2e THÈME
L’ARGENT
« Que vais-je dire pour ma défense? », se demande-t-elle en voyant défiler dans sa tête les reproches et les taloches. En se rendant à l’école juste avant de traverser le petit pont, une brillante idée lui vient en tête. Elle élabore un plan qui lui épargnera sûrement la colère et les réprimandes de ses parents. Jusqu’à présent, Éloïse n’a aucune difficulté en classe, même qu’elle est la première de son groupe. Elle se dit : « Si je demande à mon professeur, Mlle Davis, de quitter la classe une heure plus tôt afin que j’aille aider maman, mon père appréciera grandement ce geste et j’éviterai de rencontrer les frères Brisebois à la sortie de la classe. Cela fera oublier mon escapade chez mémé Dubois. » Mlle Davis est une célibataire endurcie et demeure encore chez ses parents. Elle fait la classe du rang depuis quinze ans. C’est une personne bonne et affable. Celle-ci acquiesce d’emblée à la demande de sa meilleure élève. Voyant le courage et la détermination d’Éloïse, Mlle Davis se demande si les parents d’Éloïse consentiraient à ce qu’elle vienne faire un peu de ménage chez elle, moyennant de légers gages. C’est alors qu’Hector accepte avec empressement, voyant une opportunité de revenu supplémentaire. Éloïse se rend tous les samedis chez les Davis. Levée à l’aube, elle traverse le champ de labour en longeant les clôtures afin d’éviter que la boue colle à ses chaussures. Le soleil grimpe à son zénith assez rapidement. À son arrivée, elle se hâte de faire la lessive, astique le parquet de bois et prépare une collation pour les enfants qui viennent assister à leurs leçons de piano. Comme elle envie ces jeunes filles qui apprennent le piano! Elle sait très bien que jamais elle n’aura cette chance, à cause du manque d’argent de ses parents. Par contre, elle est très structurée et économe; l’argent qu’elle gagne sert à acheter du tissu pour la confection de vêtements d’hiver. Lucia, sa mère, ne se doute nullement que chaque semaine la jeune fille