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Nuits à Monaco
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Livre électronique284 pages4 heures

Nuits à Monaco

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À propos de ce livre électronique

Après une enfance dans la privation et les besoins, Nicoleta quitte le village de Văleni, se métamorphose et devient Nika, une jeune d’une moralité incertaine qui négocie exceptionnellement des contrats financiers guidés par un homme d’affaires de Malte. Nuits à Monaco est un roman passionnant et actuel qui invite à l’introspection.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie17 juil. 2020
ISBN9781071556450
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    Aperçu du livre

    Nuits à Monaco - Natașa Alina Culea

    Nuits à Monaco

    Son nom de naissance était Nicoleta Dragomirescu. Sa mère a été étonnée aussi en voyant qu’elle était une fille, toute seule parmi des garçons. Elle était un petit, mince enfant, le visage battu, salami-coloré, qui hurlait après le lait avec les deux poumons. C’était le troisième enfant, et sa mère, Aurelia Dragomirescu, avait déjà l’expérience d’élever un enfant, mais aussi l’insouciance qui vient après la seconde naissance. La femme avait travaillé à la société Daciana, la seule femme là-bas qui savait comment couper le métal et utiliser le tournant comme elle utilisait le rouleau à pâtisserie, avec compétence et rapidité. De tout son travail, le soir ne restait rien d’autre que des tuyaux enveloppés et un tas de petits arcs métalliques, colorés, qu’elle ramenait à la maison pour les enfants. C’étaient leurs seuls jouets. Bien sûr, il y avait les tartes de terre que le petit mangeait aussi, les feuilles des mûriers qui tenaient place aux billets de voyage quand ils jouaient dans le train, ainsi que les bâtons et les pierres du foyer. L’admiration de l’homme était-elle réveillée par les qualités d’Aurelia ? Mais non ! Grigore avait d’autres choses sur la tête, bien qu’il ne l’utilisât pas trop, mais les bras forts d’un homme travailleur, ces bras qui avaient connu ainsi la coque et la hache, que le corps lourd d’Aurelia. Les cinq enfants ont également émergé de cette connaissance, l’un après l’autre, comme les œufs dans un carton.

    S’agissait-il d’une famille heureuse ? Dans de telles circonstances, une telle question n’est jamais posée, même en pensée, encore moins devant les autres. On peut dire qu’il y avait une bonne paix à la maison, oui, ça c’est clair. Sauf le jour où Grigore touchait le salaire, bien sûr. C’est alors qu’il rentrait tard chez lui, avec peu d’argent et en pointe de vin, parfois debout, parfois à moitié porté par un autre copain de boisson un peu plus éveillé. Et puis hélas ! Aurelia lui faisait un scandale monstrueux, et parlait en continu trois heures, elle qui parlait à peine au travail. Tous ses mécontentements d’une vie entière coulaient vers l’homme à moitié évanoui, qui l’interrompait de temps en temps, soit pour faire la paix, soit pour se disputer avec elle, selon les circonstances. S’il avait bu de l’eau de vie ou avait combiné les boissons, il était soûl comme un Polonais, si quelqu’un lui avait offert de la bière, alors il était plus animé, plus joyeux, plus conciliant. Il entendait les accusations de la femme ; elles entraient par une oreille et sortaient par l’autre, ne laissant aucune trace dans son âme de grand enfant. Il était même d’accord avec elle parfois.

    - Laisse-moi, Aurelia...j’ai déjà mal à la tête. Tu as raison, oui, c’est vrai, j’ai...bu.

    - Tu me fais des misères! Pourquoi gaspilles-tu l’argent pour l’alcool, hein? Si ce n’était pas moi, tu dormirais dans le fossé maintenant et tu serais déjà mort à côté du barrage comme Andronache! Tu n’as pas honte de venir comme un cochon à la maison?

    ... hélas, hélas...

    Autrement, le jour était jour, la nuit était nuit, la soupe n’était qu’une soupe, et les enfants grandissaient par eux-mêmes comme des sarments. Aurélia leur cuisinait, tellement délicieux qu’on pouvait se lécher les doigts, seulement des ragoûts d’oignon à la polenta, du chou farci à la baie, en jours de fête, des potages de légumes et de puddings, qu’elle avait appris de sa mère, et qu’elle n’avait pas pensé de les diversifier. Quand la vie est dure, on n’a pas de telles pensées qui peuvent plutôt t’embrouiller que de t’aider.

    Leur maison était composée d’argile, si un tremblement de terre arrivait, Dieu en garde, elle pourrait craquer en quatre à coup sûr, les enterrer tous, comme dans une pyramide - après tout, combien de temps ces pailles-là, collées avec de l’eau, du sol et des excréments de cheval pouvaient résister? Quand il pleuvait dehors, il pleuvait dans la maison aussi. Ainsi, on apportait un seau en plastique dans lequel l’eau fuyait d’une fissure qui pendait sur le plafond grossier et inégal. Si le trou dans le plafond était plus grand, il aurait pu être possible d’y prendre une douche, en se brossant avec le savon à lessive fait de graisse de porc même par l’Aurelia.

    Pic, pac, pic...Nicoleta regardait fascinée dans le seau.

    — Pourquoi restes-tu comme une sotte? Va voir ce que le petit enfant fait, tu ne vois pas qu’il s’est pissé dessus ? La soudoyait sa mère en essuyant sa transpiration sur le front.

    Elle avait encore les mains sales de farine jusqu’au coude, elle avait fait quelques tartes, et le ruban mis de travers sur sa tête. Des cheveux gris sortaient au-dessous du ruban.

    Nicoleta y allait; elle faisait son travail à contrecœur. Qui se porterait volontaire pour changer les couches d’un bébé? Peut-il être un joli bébé, mais ce qu’il fait dans les couches n’est pas du tout joli. La miniature Toutankhamon agaçait la fille, parce qu’elle restait souvent à sa charge. La fille s’éloignait de sa mère en murmurant: Ce n’est pas mon enfant! Pourquoi devrais-je prendre soin de lui, hein ?

    — Tais-toi!... Petit bout crasseux, avec des poumons de ténor.

    C’est ainsi que l’agressivité verbale et physique fonctionnait dans la maison de la famille Dragomirescu. Si Aurelia frappait Nicoleta, elle faisait passer le coup au membre suivant de la famille, qui était plus vulnérable qu’elle. Harmonie et justice. Il est vrai que le bruit était à l’ordre du jour dans leur maison. Il fallait avoir des nerfs d’acier ou faire preuve de beaucoup d’insouciance pour y résister.

    Le quatrième petit garçon, Dorin, venait d’aimer la menuiserie, tirant les tiroirs et en les fermant avec un enthousiasme sans cesse, en s’arrêtant juste pour une tranche de pain avec de la confiture qui s’écoulait directement sur lui, puis sur les paillassons colorés sans aucun sens.

    Nicoleta aimait l’école; elle n’aimait pas beaucoup apprendre, mais elle aimait le silence de la classe et l’enseignante, une blonde aux cheveux hérissés de bigoudis, veuve et sans enfants, qui regardait avec nostalgie les enfants des autres. Ses frères aînés, Ionuț et Florin, étaient déjà des adolescents, mais ils ne l’accompagnaient pas à l’école parce qu’ils y allaient rarement. Ils partaient de chez eux avec leur sac à dos, mais ils s’arrêtaient pour jouer au football sur le terrain de l’école. Ils jouaient au football jusqu’au soir, quand ils rentraient chez eux avec les manuels intacts. Ils avaient de la chance, Aurelia n’avait pas l’habitude de se présenter à l’école parce qu’elle n’avait pas toujours de l’argent pour payer les fonds de la classe, mais aussi parce qu’elle en avait assez d’être réprimandée pour les gaffes des garçons. Ils étaient laissés pour compte et ils en étaient conscients, donc ils ne cessaient pas d’absenter de l’école et de jouer sur le plot.

    ****

    Nicoleta était heureuse quand il pleuvait dehors. Les averses persistantes remplissaient tous les trous dans la rue où ils vivaient, l’aplanissaient et la rendaient claire. Nicoleta sautillait dans tous les creux créés par la pluie, surtout dans le grand fossé devant sa porte, où l’eau était jusqu’à ses genoux; elle restait heureuse au milieu, se sentant comme à la mer, bien qu’elle n’ait jamais de sa vie vu la mer, et elle n’avait jamais quitté le village. Elle éclaboussait autour. Elle était heureuse. Cette habitude lui avait causé aussi des maux aux pieds, par conséquent, elle avait un début de rhumatisme, à cause en partie de l’eau froide, en partie à cause des chaussures inappropriées, toujours trop petites ou trop grandes, trop usées.

    Elle allait à l’école avec les mêmes chaussures sport jusqu’aux chevilles, même pendant l’hiver, des tennis en plastique plissé, ayant des lacets gris. Elle n’avait pas froid, elle ne sentait pas le froid à cause du long chemin qu’elle devait parcourir pour aller à l’école dans le village voisin. Elle y arrivait réchauffée, ses joues écarlates à cause de l’effort et du vent trop fort, avec une délicieuse couleur cerise sur ses joues. 

    Quand la fille revenait de l’école, elle devait apporter de la nourriture à Grigore, au travail. Même le samedi, parce que son père travaillait des heures supplémentaires pour gagner un plus d’argent. Il travaillait à environ trois kilomètres de la maison qui gémissait d’enfants et de leur vacarme. Aurelia lui mettait un pot de soupe ou de ragoût dans un sac, et le donnait à la fille qui était censée porter le sac à son père. Même si Nicoleta était heureuse de quitter la maison en toute occasion, elle avait un peu peur des chiens de la cour de l’usine. Ils faisaient beaucoup de bruit sur sa tête, affamés et en colère, et ils étaient déterminés à ne pas laisser la fillette entrer dans le périmètre qu’ils dirigeaient avec fermeté. Si elle avait de la chance, son père la voyait venir clopin-clopant sur la porte, en portant après elle le sac, et il chassait les chiens; d’autres fois elle était aidée par la comptable corpulente qui passait toute la journée dans une annexe attachée à la halle principale, en faisant des devis et en les signant avec importance, comme si elle signait des traités internationaux à la Maison-Blanche.

    Nicoleta espérait chaque année que ses parents lui donneraient de l’argent pour aller au camp. Même si cela ne s’était jamais passé, elle les priait chaque année, toujours avec la même insistance, ses yeux languissant d’espoir. Elle préparait son discours émotionnel quelques jours avant, en mentionnant avec précaution tous les enfants qui y allaient. Parfois les parents la refusaient plus doucement, après un on verra jusqu’alors, parfois avec un tu sais bien que nous n’avons pas d’argent, qu’en penses-tu?. Nicoleta n’abandonnait que le jour où elle voyait les enfants assis devant le bus avec leurs bagages. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle savait qu’elle ne s’aventurerait pas avec eux. Ça lui provoquait un triple chagrin. Premièrement parce ce qu’elle ne s’amuserait pas avec eux, deuxièmement parce que tout le monde savait qu’elle n’avait pas un sou et troisièmement parce que ceux qui allaient au camp étaient exemptés des cours pendant une semaine. Quelle malchance. Comme tous les enfants, Nicoleta croyait aussi aux miracles jusqu’au dernier moment, mais ceux-ci ne se présentaient pas pour elle. Les portes du bus se fermaient, sans hésitation et sans elle. Elle restait dans la cour de l’école avec Mihaela et deux autres garçons, un petit gitan pauvre et un autre qui redoublait toujours – on peut dire qu’il était bon seulement à donner des examens de repêchage. Nicoleta regardait le bus jusqu’à ce qu’il disparaisse de vue. Elle se rendait bien compte de sa situation peu prospère, ce qui la mettait plus mal à l’aise certains jours que d’autres. Elle se disait qu’elle était la fille la plus malheureuse sur la terre ou même de l’univers.

    Un jour, lorsqu’elle entra tranquillement dans la salle de classe, elle vit Mihaela se dépêcher de manger un bout de pain laissé sous le banc d’un autre collègue, en pensant qu’il n’y avait plus personne dans la salle de classe. Nicoleta eut honte d’avoir été présente à un moment si intime et désespéré. Elle sortit de la classe en silence, tout comme elle était entrée.

    Mihaela est encore plus misérable que moi... conclut Nicoleta presqu’en larmes. Elle sentait son cœur serré comme une petite bestiole dans le poing d’un enfant méchant. Personne ne devrait se retrouver dans la situation de voler à cause de la faim, personne!

    Le lendemain, Nicoleta acheta un paquet de biscuits et, lorsque tout le monde était dans la pause déjeuner, elle mit doucement les biscuits dans le sac coloré au feutre de Mihaela. Nicoleta n’a pas mangé ce jour-là, mais elle a vu sa collègue grignoter du paquet à biscuits et elle s’est sentie comme si le ciel l’avait emmenée à la paume de sa main et l’avait embrassée sur le front. C’était peut-être le cas. Elle a essayé de faire Mihaela son amie, mais elle n’a pas réussi. La fille ne s’intéressait pas aux amis. Mihaela avait de mauvaises notes à l’école et probablement une vie très difficile à la maison. Elle voulait seulement jouer au handball. Elle était la meilleure de la classe, du village, même du pays pour sa catégorie d’âge. Le handball était la seule chose que Mihaela avait et il était prudent de ne pas se tenir sur le chemin du ballon, autrement, hélas. Faire obstacle à la seule chose qui compte dans la vie de quelqu’un, qui n’a rien d’autre dans la vie, n’a jamais été un bon choix. Nicoleta ne remâchait pas toutes ces idées, mais elle les devinait. Elle ne lui laissait pas de la nourriture sous le banc les jours où Mihaela la poussait pour attraper la première le ballon, pendant l’heure de sport, mais tous les autres jours, oui. Elle lui apportait des raisins ou des pommes du jardin quand elle n’avait pas de biscuits. Mihaela mangeait tout comme un termite, en laissant dans le banc un amas discret de graines de raisin ou des miettes disposées comme une fourmilière. Nicoleta a renoncé à vouloir l’amitié de quelqu’un, en se contentant du reste des biscuits.

    ––––––––

    Un beau samedi, début d’avril, Nicoleta resta à la maison avec les deux frères cadets. Les autres membres de la famille étaient partis aux funérailles — une grande occasion de bonheur — où la nourriture était gratuite et les boissons aussi. Qu’il y ait des décès dans le village de Văleni près de la montagne! Des dizaines de gens s’étaient réunis pour l’aumône, car le regretté Ionel, le propriétaire du bar du village, était un homme connu et apprécié par tous ses amis de boisson, y compris notre Grigore Dragomirescu. Dieu en garde qu’il casse le morceau quand la femme d’un compagnon venait lui demander combien d’argent il avait dépensé pour boire au bar.

    — Les garçons lui ont offert la goutte... répondait-il doucement, mais promptement, à toutes les nanas.

    Ionel ne disait plus rien, il se tenait tranquille, rallongé, un peu mort, mais très raide, dans la boite en hêtre, avec une mine de dignité tardive parmi les œillets et les pâquerettes bordées de rubans. Il était mort à 52 ans. Il aurait vécu longtemps, mais la boisson lui avait blessé le foie déformé par les habitudes difficiles à accepter, et la couenne et les cretons avalés à travers la vie s’étaient déposés sur ses artères, obstrués comme les tuyaux avant que le plombier soit venu. Sa femme, qui jamais de sa vie n’avait entendu parler de cholestérol, lui avait toujours cuisiné des boulettes de viande de porc cuites dans la graisse, des saucisses épicées aux morceaux de lardon, de grands rouleaux de chou farci en beaucoup d’huile et d’autres pareils. Ses garçons lui ont fait son deuil; leur chagrin a été tellement fort qu’ils ont commencé à se battre entre eux dans le lieu même de sa mort. Ils se sont battus avec tout ce qu’ils avaient à leur disposition et ils se concentraient à peine après avoir bu un tonneau de vin : les queues de billard, les bouteilles vides de rhum, même avec les chaises sur lesquelles ils s’étaient reposés mélancoliques plus tôt. Celui avec la queue de billard était un sacré amateur des films avec Van Damme ; il frappait ses compagnons de verre avec plus de talent, les autres, des amateurs désorientés.

    Qu’adviendra-t-il de mon bar? s’aurait demandé Ionel s’il le pouvait. Mais il ne pouvait plus se poser cette question, et de toute façon la vie prend soin d’effacer tes traces sur ce monde, beaucoup plus rapidement qu’on ne voulait le croire.

    Tous les invités se sont tapé la tronche à l’aumône, quelques-uns se sont même pionnés, car il restait encore de l’eau de vie de pruneaux que la veuve de Ionel avait mise sur la table, en disant d’une manière douloureuse :

    —  Cette eau de vie était sa préférée. Que Dieu le bénisse... et elle pleura autant qu’il était approprié pour une veuve. Vous souvenez-vous combien il était heureux qu’il ait eu la meilleure boisson dans tout le village ? Il avait les chevilles qui enflaient avant le succès. Pourquoi as-tu crevé, Ionelule...? pleura-t-elle.

    Que Dieu le bénisse...! dit tout le monde comme à un signal de clocher.

    Quand la moitié de la famille Dragomirescu est revenue, Aurelia fut désespérée. Le cadet avait tellement bougé dans le berceau jusqu’à ce qu’il ait réussi à verser l’encrier à l’encre violet que Nicoleta utilisait pour son stylo. Les murs semblaient une œuvre d’art impressionnante, bien qu’ils ne réussissent pas à impressionner Aurelia pas du tout; le tapis était bon à jeter, le berceau, étalé contre le mur, cassé, regardait le spectacle violet. C’était un chaos. Le cadet gazouillait content au lit cassé et Nicoleta pleurait en avant, les manches déjà soufflées, pour la volée de coups, comme si elle en était déjà préparée. Dorin grignotait indiffèrent un morceau de tarte à la citrouille qu’il avait trouvé sous son berceau cassé.  Comme le cadet n’avait pas encore l’âge pour prendre une bonne tape, tout tomba sur la tête de Nicoleta, qui, bien sûr, reçut comme récompense des taloches, pour qu’à l’avenir elle anticipe ce qui pourrait y arriver. Quelqu’un devait être quand même puni, et Nicoleta était plus à portée de main qu’un gamin de deux ans. Beaucoup de cris et un amas de cheveux dans les mains de la mère ; puis c’est fini. Nicoleta ajouta encore une souffrance à son journal intime mental. Pour elle, la douleur physique peu importait, mais l’humiliation et l’injustice étaient importantes. Et si c’est quelque chose que nous savons sur les enfants, c’est qu’ils n’oublient jamais rien. Pas même quand ils pensent qu’ils oublient.

    *****

    La vie de Nicoleta a changé de manière essentielle lorsqu’elle a été envoyée en vacances chez sa tante Catia, la sœur de Grigore. C’était grande chose d’être invité chez elle; elle vivait seule, pas mariée, vierge comme la première neige qui tombe en décembre. Elle avait un peu plus de cinquante ans, mais on ne l'aurait pas deviné. Elle aimait ses neveux comme la peste, mais parfois elle se sentait très seule, et pour meubler sa solitude, elle a invité Nicoleta chez elle, en pensant qu’au moins quelqu’un l’aiderait à faire la vaisselle et nettoyer les tapis de son appartement à Ploiești, situé dans la zone industrielle. Catia était bibliothécaire, elle quittait la maison vers huit heures du matin, et était de retour à quatre heures de l’après-midi. Programme de ministre.

    C'est ainsi que Nicoleta a été envoyé comme un colis chez Catia, mais pas par la poste, par le train rapide. Sa tante l'a attendue à la gare et l'a analysée de tous les côtés. Le résultat : insatisfaisant.

    — Mais tu ne te nettoies pas les ongles? Ni les tennis? Bon Dieu!

    Ce sont les premiers mots qu’elle a entendus. Parce qu’elle ne savait pas quoi dire, elle garda le silence, en fixant bêtement ses ongles qui étaient encore à l’encre. Le premier trimestre venait d'être fini. Pourquoi aurait-elle nettoyé les tennis ? Ne se saliraient-ils de nouveau, de toute façon?

    Pourquoi serais-je venu chez cette vieille mauvaise femme? pensa la fille, en regardant la femme aux cheveux blancs bouclés et aux grandes lunettes, sur les petits yeux, au-dessus du nez rond. C’est vrai, j’aurais pu me couper les ongles ou même les limer du bord de la poterie à l’école, comme faisaient les filles de la huitième avant l’heure de morale, mais je n'y ai pas pensé. Elle serra ses doigts sales dans son poing, mais il n’y avait aucun moyen de cacher ses tennis dans son poing, alors elle avança timidement à côté de sa tante, n'essayant plus de corriger sa posture désastreuse. Catia aurait été horrifiée si Nicoleta lui avait raconté qu’elle avait vomi dans le train les gaufrettes au citron bon marché que sa mère lui avait donné, en éclaboussant quelques passagers malchanceux dans le même compartiment avec elle. Quelle faute avait-elle si son estomac n'était pas habitué aux voyages?

    Nicoleta avait soif, mais elle n’osait pas dire à sa tante de lui acheter une bouteille d’eau à la gare. En revanche, sa tante lui a acheté un beignet au fromage, ce qui a augmenté considérablement la soif de sa gorge sèche. Sa mère, pressée, avait oublié ce détail, elle l’avait renvoyée comme un chameau dans la chaleur d’août, par train, de Caïphe à Pilate, sans ne lui avoir donné rien à boire. Elle avait eu soif tout le chemin, et elle a fixé du regard une famille ayant des enfants de son âge, qui buvaient d’une bouteille de jus de fruits de kiwi, d'un vert bizarre. Nicoleta a profité du moment où elle était seule dans le compartiment et elle a bu de leur bouteille, très peu pour qu’ils ne s'en rendent pas compte, mais assez pour apaiser sa soif et sa gorge séchée.

    Catia eut pitié de la fille errante comme un chien jeté dans la neige, prit sa main tachée d’encre et prirent le bus jusqu'à son petit appartement. Même dans le bus, Nicotela se sentit malade, mais elle n’osa pas de vomir en présence de sa tante autoritaire.

    Dès le premier soir il y a eu des problèmes, elles ont dîné ensemble, puis Catia a envoyé la fille prendre une douche pour l’hygiène. Là, sa tante a découvert qu’elle avait des poux, en se créant une panique indescriptible. Sur la serviette blanche et épaisse, soigneusement éclaboussée par la vieille femme avec du détergent et du chlore, deux petites bestioles sont apparues dans les fils de coton humide.

    — Mais Grigore n’a-t-il pas vu que tu avais des poux ? Oh, mon Dieu, si j'en prends aussi, comment puis-je rencontrer mes collègues du travail?! Qu’est-ce que je fais maintenant ? Quel désastre ! Se plaignait-elle tellement qu'on aurait pensé qu'elle travaillait pour la Commission Européenne, pas pour la bibliothèque locale, et puis, en réalisant la futilité des mots sans action, elle s'est mise au travail. Elle l’aida à se laver les cheveux encore une fois, emprunta une bouteille de gaz d'une voisine et nettoya soigneusement les cheveux de Nicoleta. On sentait tellement l'odeur du gaz dans la maison, qu’elle eut même peur de réchauffer la nourriture dans le poêle, pour ne pas brûler les deux, bien que cela ait résolu le problème des poux.

    Nicoleta ne parlait pas du tout ; elle avait honte de son encre, des poux et du fait qu’elle avait bu de la bouteille de jus vert de ses voisins. Là où elle passait, il y avait seulement

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